Titre II. LES PROBLÈMES ISSUES DE L’APPLICATION DU DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE AUX ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS
Section 2. Le principe « non bis in idem » au sein du droit européen de la concurrence
70. Comme on l’a annoncé plus haut, on continue l’analyse avec la question suivante :
70.3. Ainsi, on revient à la question : quels types exacts de décisions représentent une
III. Les types de décisions représentant une sanction ou un acquittement non susceptibles de recours. 70.3. Ainsi, on revient à la question : quels types exacts de décisions représentent une sanction ou un acquittement non susceptibles de recours ? Dans le cadre de cette discussion il faut prendre en compte le fait que, selon l’interprétation de la Cour EDH, le principe « non bis in idem » est applicable dans le cadre du droit de la concurrence si les décisions prises par les autorités compétentes ont une nature pénale. Finalement, en se basant sur l’analyse de la jurisprudence de la CJUE et de la Cour EDH, on peut en déduire que l’on pourrait appliquer 406 Demande de décision préjudicielle présentée par l’Amtsgericht Bonn (Allemagne) le 9.09. 2009 — Pfleiderer AG/Bundeskartellamt, aff. C‐360/09, 2009/C 297/23, 407 Conclusions de l’Avocat général Mazák, 16.12.2010, Pfleiderer, Aff. C‐360/09. 408 Règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, JO L 145 du 31.5.2001, p. 43–48.
le corollaire du principe « non bis in idem », à savoir la règle d’imputation des sanctions antérieures aux décisions administratives. Il ne faut pas non plus oublier que de telles décisions doivent être non seulement de nature pénale, mais aussi constituer des décisions finales, contre lesquelles aucun recours n’est plus possible. Ainsi, on commence la classification des décisions issues dans le cadre du droit de la concurrence susceptible à entrer dans le champ d’application du principe « non bis in idem ».
Les types de décisions susceptibles d’être adoptées par les instances nationales et européennes chargées de la mise en œuvre des articles 101 et 102 TFUE dans l’intérêt public sont décrits de manière exhaustive dans le Règlement 1/2003. L’article 5 permet aux autorités nationales d’adopter des décisions ordonnant la cessation d’une infraction, ordonnant des mesures provisoires, acceptant des engagements et infligeant les sanctions. Elles peuvent aussi, lorsqu’elles considèrent sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont pas remplies, décider qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir410. La Commission, selon l’article 7, peut adopter des décisions constatant une infraction et en ordonnant la cessation, ordonnant des mesures provisoires (article 8), acceptant des engagements (article 9), constatant l’inapplication des articles 101 et 102 TFUE (article 10) et imposant les amendes (article 23). La Commission peut adopter également des décisions de rejet de plainte (article 7 du règlement N° 773/2004)411. L’affaire Tele2 Polska412 était consacrée à la question de la compétence des ANC pour constater l’absence de violation de l’article 102 TFUE. Selon l’Avocat général Mazák, seulement la Commission a la compétence pour constater la non‐violation de l’article 102 TFUE (ou par analogie, de l’article 101 TFUE).413 410 Emile PAULIS, Céline GAUER, Le règlement 1/2003 ..., op.cit., p.38. 411 Ibidem. 412 Conclusions de l'avocat général Mazák, 7.12.2010, Prezes Urzędu Ochrony Konkurencji i Konsumentów contre Tele2 Polska sp. z o.o., devenue Netia SA, Aff. C‐375/09, Rec. 2011 p. 00000. 413 L’AG explique qu’en vertu de l’article 10 du Règlement 1/2003, lorsque l’intérêt public de l’UE concernant l’application des articles 101 TFUE et 102 TFUE le requiert, la Commission, agissant d’office, peut constater par voie de décision que l’article 101 TFUE est inapplicable à un accord, à une décision d’association d’entreprises ou à une pratique concertée, soit parce que les conditions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne sont pas remplies, soit parce que les conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE sont remplies. La Commission peut également faire une telle constatation en ce qui concerne l’article 102 TFUE (point 34). Par conséquent, dans le Règlement 1/2003, le législateur a conféré à la Commission la compétence exclusive pour adopter des décisions de fond négatives (décisions d’inapplication) (point 35).
Cette interprétation, selon l’AG, est étayée par le 14 considérant du préambule du Règlement 1/2003, qui précise que, dans des cas exceptionnels et lorsque l’intérêt public de l’UE le requiert, la Commission peut adopter une décision de nature déclaratoire constatant l’inapplication de l’interdiction énoncée par l’article
Une décision de non‐lieu (article 5 du Règlement 1/2003) n’est pas une décision constitutive des droits, elle ne s’apparente pas d’avantage à une décision de la Commission constatant la non‐violation des articles 101 et 102 TFUE. Il est toujours possible de communiquer au REC la solution envisagée en application de l’article 11, paragraphe 5, du Règlement 1/2003414, comme le fait, par exemple, de manière systématique en France l’Autorité de la concurrence (envoi de fiches dites closed cases). Enfin, la décision n’a pas autorité de chose décidée et n’empêche pas les éventuelles « victimes », si elles parviennent à nourrir leur dossier, d’intenter une action en répartition devant le juge de droit européen.415Ainsi, on revient à la question : quelles décisions peuvent entrer dans le champ d’application du principe « non bis in idem » (ou de son corolaire) ?
Les décisions imposant une amende aux entreprises ne posent pas de vraie difficulté, dans la mesure où la Cour de Justice a jugé dans l’affaire PVC III416 qu’elles constituaient des condamnations aux fins d’application du principe « non bis in idem ».417
Par contre, les décisions d’acceptation d’engagements au titre de l’article 9 du règlement 1/2003 ne peuvent pas constituer un acquittement ou une condamnation, puisque telles décisions, qui ne sont pas prononcées sur la matérialité de l’infraction, ne peuvent être pourvues de l’autorité de chose jugée. Enfin, elles sont en général adoptées dans des affaires où la procédure conduite par la Commission ne vise pas à l’imposition d’amende et ne peut dès lors pas être qualifiée de pénale.418
Les décisions de rejet de plainte n’ont pas valeur d’acquittement, car de telles décisions constituent l’expression de la discrétion des autorités administratives d’agir contre une infraction ou de s’abstenir de le faire. Ces décisions ne sont pas adressées à l’entreprise visée par la plainte et elles se bornent à statuer sur la position du plaignant. Une telle procédure est administrative par essence.419
Néanmoins, il existe des décisions de rejet de plainte motivées au fond par l’absence d’infraction. En effet, leur dispositif se limite aussi à statuer sur la demande du plaignant.
101 TFUE ou l’article 102 TFUE, et ce afin de clarifier le droit et d’en assurer une application cohérente dans l’UE, en particulier pour ce qui est des nouveaux types d’accords ou de pratiques au sujet desquels la jurisprudence et la pratique administrative existantes ne se sont pas prononcées (point 36). 414 « Les autorités de concurrence des États membres peuvent consulter la Commission sur tout cas impliquant l'application du droit communautaire ». 415 Laurence IDOT, Le Réseau européen de concurrence et l’impact du principe d’autonomie procédurale, Europe n°1, Janvier 2011, alerte 1. 416 CJCE, 15.10.2002, Limburgse Vinyl Maatschappij NV (LVM) c/ Commission (PVCIII), op.cit. 417 Emile PAULIS, Céline GAUER, Le règlement 1/2003 ..., op.cit., p.38. 418 Ibidem. 419 Emile PAULIS, Céline GAUER, Le règlement 1/2003 ..., op.cit., p.39.
Elles n’ont pas d’autorité de la chose jugée, comme elles ne statuent pas définitivement sur la question de l’existence ou de l’inexistence d’une infraction.420
Les décisions comportant un constat d’infraction et un ordre de cessation sont plus complexes, car elles se prononcent sur la matérialité de l’infraction en la constatant et pourraient de ce fait être assimilées à des condamnations sans sanction. Cependant, il faut distinguer les constats d’infraction selon le type de procédure à laquelle ils mettent un terme. Ainsi, lorsqu’une décision constatant une infraction est adoptée à l’issue d’une procédure dans laquelle il n’a pas été question de l’imposition d’une amende, il est difficile de soutenir que l’entreprise en cause a fait l’objet d’une accusation pénale et a été condamnée. Un tel constat d’infraction apparait comme un pur acte administratif. Par contre, si la décision constatant l’infraction conclut une procédure dans laquelle l’autorité avait annoncé son intention d’imposer des amendes et y a finalement renoncé en tenant compte des arguments présentés par les entreprises dans leur défense, l’application du principe « non bis in idem » pourrait être possible.421 Ainsi, après avoir analysé la mise en œuvre parallèle des normes du droit européen de la concurrence par la Commission européenne et par les ANC des États membres, on passe à l’examen aux questions qui apparaissent en cas d’application simultanée du droit européen de la concurrence et le droit national des États membres. § 2. L’application simultanée du droit européen de la concurrence et le droit national de la concurrence des États membres. 71. C’est l’arrêt Walt Wilhelm c. Bundeskartellamt, rendu en 1969 par la Cour, qui a donné une réponse directe au problème des rapports entre droit européen et droit national de la concurrence et est d’un intérêt tout particulier pour ce qui est du principe « non bis in idem ». La Cour a tranché en principe en faveur de l’application concurrente des deux ordres juridiques, au motif qu’il serait imprudent de laisser la seule loi nationale s’appliquer aux faits car un tel abandon pourrait mettre en péril l’application uniforme des objectifs des
420 Communication de la Commission relative au traitement par la Commission des plaintes déposées au titre des articles 81 et 82 du traité CE, para.79, JOUE n° C. 101 du 27 avril 2004, p.65.
Articles 81 et 82 du TCE (articles 101 et 102 TFUE). Essentiellement, la Cour a donc rejeté l’idée de l’invincibilité de l’exception « non bis in idem » lorsque c’est une juridiction nationale qui a rendu le jugement initial.
Toutefois, un tempérament capital est apporté par le paragraphe 11 du jugement : « Si, cependant, la possibilité d'une double procédure, devait conduire à un cumul de sanctions, une exigence générale d'équité, telle qu'elle a trouvé par ailleurs son expression dans la fin de l'alinéa 2 de l'article 90 du traité C.E.C.A., implique qu'il soit tenu compte de toute décision répressive antérieure pour la détermination d'une éventuelle sanction ». La plupart des auteurs en ont déduit que la Cour devait en définitive opérer une distinction entre les effets du comportement incriminé sur le marché national (lesquels ne peuvent être examinés par la Cour en raison de l’exception « non bis in idem » mais aussi pour a simple raison que la Cour n’est pas compétente pour trancher une matière purement nationale) et ceux sur le marché européen, lesquels constituent une matière à laquelle l’examen de la Cour peut toujours succéder à celui de la juridiction ou de l’autorité nationale. Surtout, la conséquence pratique de cette décision est que la Cour doit déduire de l’amende à laquelle elle condamne la somme infligée initialement par l’autorité nationale.422
Néanmoins, la décision rendue dans l’affaire Walt Wilhelm est limitée à deux égards. Premièrement, elle ne permet guère de trancher l’hypothèse où une même règle européenne (ou le même ensemble de règles européennes) est appliqué successivement aux faits incriminés par deux autorités nationales.423
Ensuite, certains auteurs en doctrine estiment que le fondement même de la jurisprudence Walt Wilhelm a été ébranlé par le Règlement 1/2003, le principe de juridiction concurrente imposant désormais aux autorités nationales de faire respecter les règles européennes – par conséquent, le droit national ne peut plus être appliqué seul si le commerce entre les États membres est affecté ; les règles de conflit interdisent désormais aux règles nationales de conduire à un résultat différent de celui des règles européennes ; enfin, la plupart des règles nationales est en pratique inspiré des dispositions européennes.
422 Voir Silke BRAMMER, Co‐operation between national competition agencies in the enforcement of EC
Competition Law, Oxford : Hart, 2009, pp. 343‐419. Voir aussi Jean BOULOUIS, Daniel FASQUELLE, Roger‐Michel
CHEVALLIER, Marc BLANQUET, Les grands arrêts de la jurisprudence communautaire, Tome 2, Dalloz, Paris, 2002, 400‐406pp.
Par conséquent, il est hautement contestable d’opposer les buts du droit européen aux buts du droit national.424
Par ailleurs, la lecture de l’arrêt Fischer c. Autriche425 rendu par la Cour EDH, selon certains auteurs,426 semble devoir imposer l’application du principe « non bis in idem » dès que les éléments essentiels de l’infraction sont identiques en tout ou partie, même si l’intitulé de ces infractions diffère, ce qui devrait imposer de sévères limites à la jurisprudence Wilhelm, ou même l’abolir totalement.
Toutefois, il faut prendre en considération qu’aujourd’hui, le droit national des États membres concernant la concurrence est harmonisé avec le droit européen, sauf quelques exceptions concernant les comportements unilatéraux.
Néanmoins, comme on l’a mentionné dans les Chapitres 1 et 2 du Titre I de la thèse, le droit national peut être tout à fait appliqué en parallèle ou suite à l’application du droit européen de la concurrence, surtout dans le cas où il poursuit un but différent. Aussi, comme c’était noté auparavant, ils peuvent exister les lois nationales plus strictes que l’article 102 TFUE. Pourtant, comme c’était expliqué auparavant dans les chapitres précités, il n’existe pas les normes du droit national plus strictes que l’article 101 TFUE.
Section 3. L’application extraterritoriale du principe « non bis in idem » par les institutions européennes.