Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
36. Cette partie de la recherche commence par l’analyse de l’application des normes
Section 1. L’application extraterritoriale du droit européen de la concurrence par des autorités nationales et des juridictions des États membres.
36. Cette partie de la recherche commence par l’analyse de l’application des normes
du droit européen de la concurrence par des autorités nationales des Etats membres aux entreprises des Etats tiers. Il faut noter que les autorités nationales des États membres ne créent pas les normes ni les conditions d’application du droit européen de la concurrence aux entreprises d’États tiers, mais elles appliquent ces normes grâce au système décentralisé introduit par le Règlement 1/2003 (voir paragraphes 30.1 et s.). Par conséquent, cette section vise à examiner la procédure exacte d’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers.
Ainsi, la section est divisée en deux paragraphes : (1) La procédure d’application du droit européen de la concurrence à une entreprise d’un État tiers par les institutions nationales des États membres et (2) Les conséquences de la non‐coopération des entreprises des États tiers avec les institutions nationales des États membres (par exemple la possibilité de l’application forcée extérieure (en dehors de l’UE)). § 1. L’application du droit européen de la concurrence à une entreprise d’un État tiers par les institutions nationales des États membres.
Conséquemment, le présent paragraphe contient deux parties : la première est consacrée au rôle des autorités nationales de concurrence des Etats membres, et la deuxième – aux juridictions nationales des Etats membres.
37. La première question qui se pose dans le cadre de présente section est de savoir
quand et comment les autorités nationales de concurrence appliquent‐elles le droit européen de la concurrence.
Premièrement, tout dépend de l’existence d’une affectation du commerce
européen248, que les entreprises doivent apprécier ab initio, afin de savoir quel droit (national ou/et européen) s’appliquera à leur pratique. Si le commerce européen n’est pas affecté, seul le droit national de la concurrence s’appliquera. Si l’affectation du commerce européenne est avérée, les rôles respectifs des droits nationaux et des articles 101 et 102 TFUE seront plus complexes. 249
Le droit européen de la concurrence s’applique certes d’office, mais il ne s’applique pas exclusivement. Le droit national reste en théorie compétent. Toutefois, il ne trouvera pas souvent à s’appliquer compte tenu du principe de primauté du droit européen, qui est réaffirmé par le texte du Règlement 1/2003 mais avec certaines nuances selon le comportement en question. 250 Cette question est réglée par l’article 3, paragraphes 2 et 3, du Règlement 1/2003. 251 Aussi il résulte du texte du Traité et du Règlement qu’il faut distinguer entre les ententes et les comportements unilatéraux.
248 Communication de la Commission, Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, 2004/C 101/07, 27 avril 2004, JO n° C 101 du 27.4.2004. Comme le critère
d’affectation du commerce entre les États membres s’appliquent de même manière aux entreprises européennes et représente un sujet d’analyse indépendant on se limitera à se référer à la doctrine la plus récente comme : Jean‐Christophe RODA, David BOSCO, Irène LUC, Pascal CARDONNEL, Philippe RINCAZAUX, Affectation du commerce entre États membres et pratiques anticoncurrentielles : Une question
d’actualité, Concurrences, N° 2‐2011, n°35745, pp. 17‐32; Catherine PRIETO, Une conception étroite de la notion d’affectation du commerce entre les États membres, Revue des contrats, Janvier 2010 n° 1, p.122. 249Le nouveau droit communautaire de la concurrence, sous la direction de François BRUNET et Guy CANIVET, L.G.D.J., Paris, 2008, p.447. 250 Ibidem, p.451. 251 “L’application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l’interdiction d’accords, de décisions d’associations d’entreprises ou de pratiques concertées qui sont susceptible d’affecter le commerce entre les États membres, mais qui n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité, ou qui satisfont aux conditions énoncées à l’article 81, paragraphe 3, du traité ou qui sont couverts par un règlement ayant pour objet l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité. Le présent règlement n’empêche pas les États membres d’adopter et de mettre en œuvre sur leur territoire des lois nationales plus strictes qui interdisent ou sanctionnent un comportement unilatéral d’une entreprise. 3. Sans préjudice des principes généraux et des autres dispositions du droit communautaire, les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas lorsque les autorités de concurrence et les juridictions des États membres appliquent la législation nationale relative au contrôle des concentrations, et ils n’interdisent pas l’application de dispositions de droit national qui visent à titre principal un objectif différent de celui visé par les articles 81 et 82 du traité ».
37.1. La régulation des ententes. Le droit européen de la concurrence s’applique aux
ententes avec une primauté renforcée. Ainsi, eu égard aux ententes, dès lors qu’il y a affectation du marché européen, c’est le droit européen qui s’applique, le droit national de la concurrence reste applicable dans la mesure où il respecte le droit européen. Par exemple, l’autorité qui aura décidé qu’en droit européen la pratique affectant le commerce européen ne doit pas être condamnée, ne pourra pas la sanctionner sur le fondement du droit national.252
37.2. La régulation des comportements unilatéraux. La solution est différente pour
les comportements unilatéraux. Si un comportement n’est pas qualifié d’abus de position dominante en droit européen de la concurrence, il pourra néanmoins être sanctionné sur le fondement des droits nationaux. Toutefois, on remarque qu’en droit français, il pourra l’être sur le fondement de l’abus de dépendance économique (article L. 420‐2, alinéa 2, du Code de commerce), ou de la pratique de prix abusivement bas (article L. 420‐5 du Code de commerce). Les lois nationales plus strictes que l’article 102 TFUE peuvent donc exister. 253
37.3. Les normes du droit national des Etats membres ayant un but différent.
L’article 3, paragraphe 3, du Règlement 1/2003 prévoit aussi que les paragraphes 1 et 2 n’interdisent pas l’application des normes nationales ayant un but différent de celui visé par les articles 101 et 102 TFUE.
Premièrement, sont visés les textes sur les pratiques commerciales déloyales, sans impact sur le marché, ce qu’on appelle en droit français les pratiques restrictives de concurrence. 254 Cela vise aussi le droit de la concurrence déloyale, régi en France comme au Luxembourg par le fameux article 1382 du Code civil (sur la concurrence déloyale, voir aussi le Chapitre 3 du Titre II de la thèse). C’est aussi pour le droit de la responsabilité civile (voir l’article L.442‐6 du Code de commerce ou l’article 1382 du Code civil) qui n’a pas le même objectif que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, qui, quant à elle, a pour objectif la protection du marché. 255
252 Voir Laurence IDOT, Le nouveau système communautaire de mise en œuvre des articles 82 et 82 CE
(Règlement 1/2003 et projets de textes d’application, Cahiers du Droit Européen, n° 70, 2003, cité par Le nouveau droit communautaire de la concurrence, sous la direction de François BRUNET et Guy CANIVET, op.cit., p.452. 253 Le nouveau droit communautaire de la concurrence, sous la direction de François BRUNET et Guy CANIVET, op.cit., p.453. 254 Ibidem, p.453. 255 Le problème de la concurrence déloyale sera analysé en détailles dans le Chapitre « L’application simultanée du droit international privé et du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers».
Ainsi, ces dispositions peuvent continuer à s’appliquer indépendamment des articles 101 et 102 TFUE, mais à la condition qu’il n’y ait pas d’incompatibilité. Par exemple, si un accord vertical est exempté, sera‐t‐il possible d’invoquer, sur le fondement de l’article L.442‐ 6 du Code de commerce, une pratique discriminatoire ? L’admettre reviendrait à priver les entreprises du bénéfice réel de l’exemption. 256
Deuxièmement, sont visées les normes qui imposent des sanctions pénales aux personnes physiques. Cependant, le considérant 8 du Règlement 1/2003 ajoute « sauf si les dites sanctions constituent un moyen d’assurer l’application des règles de concurrence applicables aux entreprises ». Par exemple, c’est le cas pour l’article L.420‐6 du Code de commerce, qui sanctionne d’un emprisonnement de 4 ans et d’une amende de 75 000 euros toute personne physique qui prend frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre des pratiques visées aux articles L.420‐1 et L.420‐2 (ententes et abus de domination respectivement). Le lien ici est très clair, et la primauté du droit européen s’appliquera (sauf si la personne physique est poursuivie pour avoir participé à un abus de dépendance économique, lui‐même soustrait au principe de primauté du droit européen). 257 38. Les compétences respectives des autorités nationales des Etats membres et de