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Le laboratoire états-unien

C. Premier arrêt de la Cour Suprême : Meritor v. Vinson (1986)

1. Discrimination en raison du sexe

La Cour Suprême des Etats-Unis s’est prononcée pour la première fois en matière de harcèlement sexuel dans l’arrêt Meritor Savings Bank v. Vinson365.  L’affaire Meritor portait sur la plainte d’une employée de banque, qui accusait son supérieur hiérarchique d’avoir créé un environnement de travail hostile à son égard, au cours des quatre années qu’elle avait passées à son service366.

S’appuyant sur les lignes directrices de l’EEOC367, la Cour Suprême ex-plique que le Titre II prohibe non seulement le harcèlement quid  pro quo, 

employee. (…) The typical case of qui pro quo is fundamentally different. In such a case, the super-visor relies upon his apparent or actual authority to extort sexual consideration from an employee.

Therein lies the qui pro quo. In that case the supervisor uses the means furnished to him by the employer to accomplish the prohibited purpose. He acts within the scope of his actual or apparent authority to hire, fire, discipline or promote. » 682 F. 2d 910.

364 682 F 2d. 913-914.

365 477 U.S.57 (1986).

366 Idem, pp. 59-61.

367 Supra pp. 55-57. La Cour Suprême considère que la position de l’EEOC, selon laquelle le harcèle-ment sexuel viole le Titre VII aussi lorsqu’il prend la forme d’un environneharcèle-ment hostile, est com-patible avec la jurisprudence rendue jusqu’alors en matière de harcèlement fondé sur la « race » ou l’origine nationale. La Cour renvoie notamment à l’affaire Rogers v. EEOC, 454 F. 2d 234 (5th.

Cir. 1971), en précisant qu’il a dû s’agir du premier jugement où un environnement hostile a été admis. 477 U.S. 66-67.

mais également la création d’un environnement de travail hostile, ces deux types de harcèlement devant être considérés comme une discrimination fon-dée sur le sexe368. Dans les deux cas, la partie demanderesse doit établir que la conduite était inopportune369. Le langage de la plaignante ainsi que son habillement peuvent être pris en considération dans la détermination du ca-ractère inopportun370. Bien que la preuve d’un dommage économique ne soit pas requise371, il incombe à la partie invoquant un environnement hostile de prouver que le comportement incriminé était suffisamment grave et impor-tant pour altérer ses conditions de travail372.

2. Responsabilité fondée sur les principes d’auxiliarité

L’affaire Meritor Savings Bank v. Vinson a par ailleurs donné à la Cour Suprême l’occasion de mettre en évidence quatre principes permettant de déterminer la responsabilité de l’employeur en cas d’environnement hostile créé par un supérieur hiérarchique.

La Cour Suprême déclare tout d’abord que les règles traditionnelles sur l’auxiliarité (agency principles) doivent être prises en considération lors de la détermination du standard de responsabilité de l’employeur fondée sur le Titre II et ce, alors même que les règles de la common law ne sont pas inté-gralement transférables dans le cadre du Titre II373. Elle rejette ensuite la solution retenue par la Cour d’appel, à savoir, une responsabilité automatique de l’employeur en cas d’environnement hostile créé par un supérieur hié-rarchique374. Par ailleurs, la non-utilisation par la plaignante du mécanisme

368 « A claim of hostile environment sexual harassment is a form of sex discrimination that is action-able under Title VII. » 477 U.S. 63-69.

369 477 U.S. 68.

370 Idem, p. 69.

371 « The language of Title VII is not limited to economic or tangible discrimination. The Equal Employ-ment Opportunity Commission Guidelines fully support the view that sexual harassEmploy-ment leading to non-economic injury can violate Title VII. » 477 U.S. 63-67.

372 « For sexual harassment to be actionable, it must be sufficiently severe or pervasive to alter the conditions of the victim’s employment and create abusive working environment. » 477 U.S. 67.

373 477 U.S. 72.

374 Le fait que la notion d’employeur figurant au Titre VII (§2000e) inclue également les agents de l’employeur (dont le supérieur hiérarchique fait partie) dénote une intention du Congrès de limi-ter la responsabilité de l’employeur (477 U.S. 72). La responsabilité de l’employeur n’a pas été retenue par les juges de première instance. Le tribunal de district a, en effet, jugé que la connais-sance du supérieur hiérarchique de la plaignante ne peut pas être imputée à la banque et que celle-ci ne peut pas être tenue responsable de faits dont elle ignorait la survenance (477 U.S. 62, 69). La Chambre d’appel s’est toutefois prononçée en sens contraire. Selon les juges d’appel, le supérieur hiérarchique est un agent de l’employeur même lorsqu’il n’a pas l’autorité nécessaire

de plainte mis en place par l’employeur n’entraîne une libération de celui-ci que si la procédure en question remplit certains critères d’efficacité propres à encourager les plaintes des victimes. Tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque la procédure interdit les discriminations en général sans viser le harcèlement sexuel en particulier, et exige de la personne harcelée qu’elle alerte son supé-rieur direct, à savoir, en l’occurrence, l’auteur du harcèlement375. La Cour juge enfin que l’absence de connaissance de l’employeur n’entraîne pas nécessai-rement une libération de celui-ci376.

La Cour Suprême admet (conformément à l’avis de l’EEOC)377 une res-ponsabilité automatique en cas de harcèlement quid pro quo. En cas d’environ-nement hostile, elle préconise l’adoption d’une autre règle, inspirée des agency  principles, qui permette de tenir compte de la connaissance de l’employeur, de l’existence d’un règlement d’entreprise prohibant le harcèlement sexuel et du recours de la plaignante à une procédure interne378.

Selon l’opinion dissidente du juge Marshall379, cependant, la proposition de l’EEOC consistant à appliquer, en cas d’environnement hostile, une règle différente de celle applicable en cas de quid pro quo, ne se justifie pas lorsque tous deux sont le fait d’un supérieur hiérarchique. En effet, dans le premier cas, le supérieur hiérarchique abuse de son autorité en menaçant de procéder à un licenciement abusif. Dans le second, il se sert de son autorité pour créer, jour après jour, un environnement de travail hostile. Dans les deux situations, le supérieur utilise l’autorité dont il est investi par l’employeur pour exer-cer une pression sur ses subordonnées. On comprend dès lors mal pourquoi le premier type d’abus devrait être sanctionné plus sévèrement. De plus, ni le texte du Titre II, ni celui des agency principles ne permettent de justifier l’application d’une règle moins sévère de responsabilité en cas d’environne-ment hostile380. Le juge Marshall déplore, par conséquent, que la Cour ait jugé nécessaire la création d’une règle spéciale, différente de celle applicable en cas de quid pro quo, et propose que l’employeur soit jugé automatiquement

pour engager, licencier, ou promouvoir une travailleuse. Il suffit en effet qu’il donne l’impression de jouir d’un certain pouvoir au sein de l’entreprise pour être, de fait, en mesure d’exercer une pression sur ses subordonnées. En cas de harcèlement sexuel commis sur une employée, il se justifie par conséquent de considérer le supérieur et l’employeur comme une seule et même per-sonne et, dès lors, d’écarter toute possibilité pour l’employeur d’échapper à sa responsabilité (477 U.S. 62-63, 70).

375 477 U.S. 72-73.

376 Idem, p. 72.

377 Voir la lettre d’amicus curiae de l’EEOC (477 U.S. 71).

378 477 U.S.70-72.

379 Idem, pp. 74-77.

380 Idem, p. 77.

responsable, toutes les fois qu’un harcèlement sexuel émane d’un supérieur hiérarchique381.

Malgré son influence décisive sur le développement de la jurisprudence en matière de harcèlement sexuel, l’arrêt Meritor laisse diverses questions sans réponses. Les juges de l’affaire Meritor ne précisent notamment pas quel critère doit être appliqué pour déterminer si un comportement est suffisam-ment grave et important pour altérer les conditions de travail. De plus, si l’arrêt Meritor dégage quelques pistes concernant la responsabilité de l’em-ployeur, il ne consacre toutefois aucune règle définitive en la matière.

D. Absence de consensus au sein des tribunaux