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Le laboratoire états-unien

G. Jurisprudence post-Ellerth / Faragher (1999-2001)

4. Absence de plainte déterminante pour la responsabilité de l’employeur

Bien que l’arrêt Faragher distingue les cas où la preuve libératoire a des effets sur la responsabilité de l’employeur et ceux dans lesquels elle n’a de consé- quences que sur les dommages intérêts dus par celui-ci515, l’argument selon lequel le comportement de la plaignante devrait entraîner une indemnisation moindre de la victime, sans pour autant affecter la responsabilité de l’em-ployeur, est rejeté par différents tribunaux.Dans les affaire Scrivner516, Savino517 et Todd518, par exemple, l’argument selon lequel l’omission de la victime de por-ter plainte devrait avoir des conséquences sur le montant de son indemnisa- tion, mais non sur la responsabilité de l’employeur, n’a pas été retenu.

Les tribunaux d’appel écartent ainsi une responsabilité de l’employeur au motif que la victime ne s’est pas plainte ou ne l’a fait que tardivement519. Les magistrats des affaires Madray520 et Caridad521 ont ainsi jugé que les plaignantes avaient omis, de manière injustifiée, d’utiliser les procédures mises à leur disposition, puisque, dans le premier cas, les victimes n’avaient pas signalé le harcèlement aux personnes désignées par l’employeur et, dans le second cas, la crainte d’une réaction négative émanant des collègues ne suffisait pas à justifier une hésitation à parler du harcèlement sexuel. Les arrêts Watkins522 et Shaw523 précisent qu’un sentiment d’embarras ou la crainte de mesures de

514 Idem, pp. 598-599.

515 524 U.S. 807 ; EEOC, 1999, V. D.

516 169 F. 3d 969, 972 n. 5. (5th Cir. 1999).

517 199 F. 3d 925, 934-935 (7th Cir. 1999). « Unreasonable foot-dragging will result in at least a partial reduction of damages and may completely foreclose liability. » 199 F. 3d 935.

518 175 F. 3d 595 (8th Cir. 1999). « The affirmative defense set out in the two recent Supreme Court opi-nions, however, is not always a complete defense to liability. It can also be a defense to damages only. » Opinion concurrente du juge Arnold, 175 F. 3d 599.

519 Les seuls cas où la responsabilité de l’employeur n’a pas été retenue malgré le fait que victime ne se soit pas plainte sont ceux où l’employeur n’a pas été en mesure de fournir le premier élément de la preuve libératoire (Sherwyn/Heise/Eigen, 2001, p. 1286) ; cf. supra n. 504.

520 208 F. 3d 1290, 1301-1302 (11th Cir. 2000).

521 191 F. 3d 283, 295 (2nd Cir. 1999).

522 LEXIS 29841 (4th Cir. 1999) pp. 20-21.

523 180 F. 3d 806, 813 (7th Cir. 1999).

représailles ne suffisent pas à excuser le fait que la victime n’ait pas utilisé la procédure de plainte mise en place par l’employeur524.

Dans l’arrêt Montero525, l’utilisation tardive des procédures de plainte éta- blies par l’employeur est considérée comme une omission non raisonnable de tirer avantage des possibilités de prévention et de répression offertes par la compagnie526. Dans l’affaire Savino527, la plaignante se voit reprocher d’avoir attendu quatre mois avant de signaler le harcèlement, puis de ne pas avoir dénoncé tous les actes de harcèlement dont elle a été victime, et enfin de ne pas avoir respecté les instructions qui lui ont été données suite à sa pre- mière plainte528.

5. Synthèse

L’étude des premiers jugements suivant l’adoption des arrêts Ellerth et Faragher révèle que la règle de responsabilité qui en résulte est appliquée de manière favorable aux employeurs. Dans une majorité de cas, les deux éléments de la preuve libératoire sont en effet considérés comme établis. De plus, les tri-bunaux d’appel se montrent généralement réticents à rendre responsable un employeur ayant adopté un règlement d’entreprise qui interdit le harcèlement sexuel. Lorsque le premier élément de la preuve libératoire a pu être établi (adoption de mesures préventives et répressives adéquates par l’employeur), les juges ne se penchent que rarement sur le second élément de la preuve libératoire (omission injustifiée de se plaindre de la part de la victime). Enfin, l’utilisation tardive de la procédure de plainte, ou l’absence de plainte, en-traîne en principe une libération totale de l’employeur, et non une réduction de son obligation de payer des dommages-intérêts.

H. Harcèlement suivi d’une démission : Pennsylvania  v. Suders (2004)

Amenée à se prononcer sur le cas d’une employée de police alléguant que ses supérieurs hiérarchiques lui ont imposé un environnement de travail

524 Voir également l’affaire Sconce v. Tandy Corporation, 9 F. Supp. 2d 773, 778 (U.S. District of Kentucky 1998).

525 192 F. 3d 856 (9th Cir. 1999).

526 Idem, p. 863.

527 199 F. 3d 925, 933 (7th Cir. 1999).

528 L’arrêt Watts v. Kroger 170 F. 3d 505, 510-511 (5th Cir. 1999) précise toutefois qu’une attente de trois mois avant de déposer plainte peut être considérée comme raisonnable.

d’une si grande hostilité qu’elle a dû se résoudre à démissionner, la Cour Suprême considère erroné, dans l’affaire Pennsylvania v. Suders529, le jugement de la Cour d’appel530, selon lequel une « constructive discharge »531 doit néces-sairement être assimilée à une mesure professionnelle tangible entraînant une responsabilité automatique de l’employeur au sens de la jurisprudence Ellerth/Faragher532. Alors qu’un licenciement implique nécessairement un acte officiel ayant des répercussions professionnelles, une « constructive discharge » peut, en effet, intervenir en l’absence de toute décision hiérarchique533.

La Cour Suprême rappelle en premier lieu qu’une personne invoquant un environnement hostile doit prouver que le harcèlement sexuel avait une gravité et une importance propres à affecter ses conditions de travail, comme jugé dans l’arrêt Meritor v. Savings Bank534. Lorsque le harcèlement sexuel est invoqué dans le cadre d’une plainte pour « constructive discharge », la partie demanderesse doit en outre prouver que sa situation de travail était deve-nue intolérable au point qu’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, aurait également donné sa démission535. Si celle-ci fait suite à un environnement hostile créé par des collègues ou des supérieurs hiérar- chiques, l’employeur peut toutefois se libérer en prouvant (1) qu’il a mis sur pied une procédure facilement accessible, qui permette de signaler et de ré-soudre efficacement les plaintes pour harcèlement sexuel et (2) que la de-manderesse a omis, sans justes motifs, de se prévaloir de ce dispositif de prévention et de sanction536. Si la démission a été donnée suite à une décision entraînant une péjoration significative de la situation professionnelle, comme

529 Pennsylvania State Police v. Nancy Drew Suders, 124 S. Ct. 2342.

530 Suders v. Easton, 325 F 3d 432 (3d Cir. 2003).

531 La doctrine de la « constructive discharge » permet de dédommager une personne ayant démis-sionné suite à des conditions de travail insupportables de la même manière que si elle avait été licenciée. Le concept de « constructive discharge » a été développé par le National Labor Rela-tions Board dans les années 30, afin d’éviter que des employeurs ne créent des condiRela-tions de travail insupportables dans le but de pousser leurs employés organisés sur le plan syndical à démissionner (124 S. Ct. 2351, 2357).

532 « We hold (…) that the court of Appeals erred in declaring the affirmative defense described in Ellerth and Faragher never available in constructive discharge cases. » 124 S. Ct. 2357.

533 124 S. Ct. 2355. « A”constructive” discharge does not require a “company act that can be perfor-med only by the exercise of specific authority granted by the employer”. » 124 S. Ct. 2358.

534 124 S. Ct. 2347.

535 « The plaintiff must (…) show that the abusive working environment became so intolerable that her resignation qualified as a fitting response », 124 S. Ct. 2347, 2358. Zimmer/Sullivan/Richards/

Calloway (2000, p. 1128) expliquent : « The plaintiff must show (…) (1) that the working conditions were such that a reasonnable person would have resigned and (2) that the employer intended to force his or her resignation. » Le deuxième élément de preuve n’est pas toujours requis. La preuve que l’employeur avait l’intention de pousser la personne à démissionner s’avère en effet problématique dans le contexte du Titre VII, et plus précisément dans les cas de harcèlement sexuel où une démission de la victime n’est pas nécessairement souhaitée.

536 124 S. Ct. 2347.

une réduction drastique du salaire ou une mutation à un poste caractérisé par des conditions de travail insoutenables, l’employeur ne pourra en revanche pas se libérer537. La personne démissionnaire sera indemnisée de la même manière que si elle avait été licenciée538.

I. Indemnisation

1. Remèdes prévus par le Titre VII de la loi sur