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Le laboratoire états-unien

A. Responsabilité pour son propre fait

3. Impact préventif à vérifier

Le premier élément de la preuve libératoire instaurée par les arrêts Ellerth  et Faragher repose, selon Krieger, sur le fondement descriptif suivant lequel un employeur qui adopte des règlements anti-harcèlement, met sur pied des procédures de plainte et organise des programmes de formation au sein de l’entreprise, prévient le harcèlement sexuel613. Les recherches menées par Theresa M. Beiner614 et par Susan Bisom-Rapp615 montrent toutefois que la base descriptive sur laquelle se fonde le premier élément de la preuve libéra-toire devrait être revue616.

Il n’existe, en effet, que peu de données empiriques permettant de vérifier que l’adoption de règlement d’entreprise et l’instauration de séminaires de

611 Krieger, 2001, p. 172.

612 Edelman/Ugger/Erlanger, 1999, pp. 448-449, citée par Bisom-Rapp, 2001, Fixing, p. 152 ; contra Sturm (2001, pp. 523-524) qui se montre beaucoup moins sceptique que ses collègues par rapport aux mécanismes de résolution internes mis sur pied par les employeurs.

613 Krieger, 2001, p. 174.

614 « Sex, Science And Social Knowledge : The Implications of Social Science Research on Imputing Liability To Employers For Sexual Harassment », 2001 ; « Using Evidence of Women’s Stories in Sexual Harassment Cases », 2001.

615 « Fixing Watches With Sledgehammers : The Questionable Embrace of Employee Sexual Harass-ment Training By The Legal Profession », 2001 ; « An Ounce of Prevention Is A Poor Substitute For A Pound Of Cure : Confronting The Developping Jurisprudence Of Education And Prevention In Em-ployment Discrimination Law », 2001.

616 Krieger, 2001, p. 174.

formation ont un réel impact préventif et influencent de manière notable la culture du lieu de travail617.

Les quelques travaux effectués en la matière révèlent bien plutôt que la simple adoption d’un règlement interdisant le harcèlement sexuel au sein de l’entreprise est peu susceptible d’avoir un effet préventif618. Une recherche ef-fectuée par James E. Gruber et Michael Smith montre, par exemple, que les personnes harcelées sont beaucoup plus susceptibles de recourir à la procé-dure interne de plainte lorsque le règlement d’entreprise interdisant le harcè-lement a été présenté aux employé-e-s au moins de quatre façons différentes.

Selon cette étude, le type de règlement adopté influence moins le dépôt d’une plainte que les différentes manières dont il est présenté aux employés. Le fait de ne présenter le règlement d’entreprise qu’une seule fois par le biais d’un manuel que les employé-e-s sont invité-e-s à lire, ou par la voie d’affiches pla-cées sur le lieu de travail, n’a que peu d’effet sur l’utilisation des procédures de plainte619.

Par ailleurs, même si le lien entre les programmes de formation anti-har-cèlement sexuel et le changement des normes du lieu de travail semble intuitif, il n’existe cependant quasiment aucune étude concluant que ces programmes ont un effet sur le comportement des auteurs vis-à-vis du harcèlement620.

617 Selon Bisom-Rapp (Fixing, 2001, p. 164), « There is, in light of currently available research, ab-solutely no scientific basis for concluding that harassment training fosters employee tolerance and greatly alters workplace culture » ; dans le même sens : Beiner, Sex, Science, 2001, p. 301 ; Krieger, 2001, p. 175. Voir aussi Grossman (2000, p. 726), selon laquelle il serait naïf de penser que le fait de réviser les guides à l’intention des employés et d’organiser des formations occa-sionnelles est susceptible de changer totalement les données économiques, psychologiques et comportementales qui empêchent les victimes de se plaindre.

618 Krieger, 2001, p. 187, qui renvoie à l’étude de Gruber/Smith (1995).

619 Gruber/Smith, 1995, p. 553 n. 32.

620 Beiner (Sex Science, 2001, p. 301) cite les recherches suivantes : James E. Gruber (1998), « The Impact of Male Work Environment and Organisational Policies on Women’s Experiences of Sexual Harassment », Gender & Society, vol. 12, pp. 301, 312. (« providing workers with information about sexual harassment does have a modest effect on reducing its occurrence, although proactive methods, such as official complaint procedures or training programs are much more effective ») ; Elisa L. Perry et al. (1998), « Individual Differences in the Effectiveness of Sexual Harassment Awareness Training », Journal of Applied Social Psychology, vol. 28, pp. 698, 715 (le visionne-ment d’un docuvisionne-mentaire de 20 minutes sur le harcèlevisionne-ment sexuel « was not effective in changing long-term attitudes and beliefs systems associated with the propensity to harass »). Bisom-Rapp (An Ounce, 2001, pp. 30-36 ; Fixing, 2001, pp. 162-164) renvoie également aux études suivan-tes : John Pryor & Kathleen McKinney (1995), « Research on Sexual Harassment : Lingering is-sues and Future Directions », Basic & Applied Social Psychology, vol. 17, pp. 605, 609 ; Robert S. Moyer & Anjan Nath (1998), « Some Effects of Brief Training Interventions on Perceptions of Sexual Harassment », Journal of Applied Social Psychology, vol. 28, pp. 333, 334 (« The unpleasant truth is that almost nothing is known about the effects of sexual harassment education and train-ing programs ») ; Elizabeth O’Hare Grundmann (1997), « The Prevention of Sexual Harassment » in William O’Donohue (éd.), Sexual Harassment : Theory, Research and Treatment, pp. 175, 182 ; Barbara Gutek, (1997) « Sexual Harassment Policy Initiatives » in William O’Donohue (éd.), Sexual Harassment : Theory, Research and Treatment, pp. 104, 195.

L’insuffisance d’études psychosociales en matière de prévention du har-cèlement sexuel est dangereuse à plusieurs égards. Les programmes de pré-vention peuvent entraîner diverses conséquences négatives, même lorsqu’ils sont adoptés avec les meilleures intentions. Un séminaire indiquant que le harcèlement sexuel est peu dénoncé, peut par exemple transmettre à certains membres du personnel le message qu’il existe de fortes probabilités pour que des actes de harcèlement sexuel demeurent impunis621. La formation anti-harcèlement risque par ailleurs de provoquer une situation de « backlash », si elle engendre chez certains hommes un sentiment de peur susceptible de les amener à refuser de parrainer la carrière professionnelle de jeunes femmes, ou si elle produit un sentiment d’animosité chez les employés contraints à y participer622. Enfin, la mise sur pied d’un programme de formation peut don-ner une impression de sécurité, alors même qu’un programme inefficace peut très bien n’avoir aucune incidence sur la survenance du harcèlement sexuel au sein de l’entreprise623.

4. Synthèse

Afin d’encourager les employeurs à prendre des mesures conformes au but préventif du Titre II, les magistrats des affaires Ellerth et Faragher ont jugé qu’un employeur peut ne pas répondre d’un environnement hostile créé par un supérieur hiérarchique, s’il prouve avoir pris les mesures préventives et répressives nécessaires. L’obligation de diligence demeurant de nature indé-terminée, comme sous l’ancien droit, son contenu est interprété sur la base des critères mis en avant par les milieux patronaux depuis l’adoption du Titre II. Même s’il n’existe à ce jour pratiquement aucune donnée empirique permettant de vérifier que l’adoption de règlement d’entreprise et l’instaura-tion de séminaires de formal’instaura-tion ont un réel impact préventif, les tribunaux admettent ainsi de plus en plus souvent qu’un employeur qui édicte un règle-ment d’entreprise et met sur pied un programme de formation peut nécessai-rement renverser sa présomption de responsabilité. Un employeur peut par conséquent réduire les risques de voir sa responsabilité engagée non seule-ment, de manière aléatoire, en prenant des mesures susceptibles de limiter

621 Bisom-Rapp (Fixing, 2001, pp. 163-164) renvoie à l’étude de Elizabeth O’Hare Grundmann (1997), « The Prevention of Sexual Harassment » in William O’Donohue (éd.), Sexual Harass-ment : Theory, Research and TreatHarass-ment, pp. 175, 182.

622 Bisom-Rapp (Fixing Watches, 2001, p. 163) renvoie à l’étude de Barbara Gutek, (1997) « Sexual Harassment Policy Initiatives » in William O’Donohue (éd.), Sexual Harassment : Theory, Re-search and Treatment, p. 195 (« One problem with mandatory training is that it creates resentment and may result in very little learning. »)

623 Selon O’Grundmann (1997, p. 182), « (providing training) gives the impression that something is being done, lulling managers and others into a false sense of security ».

la survenance du harcèlement sexuel, mais aussi, de manière automatique, en instaurant puis en utilisant des symbolic compliances structures l’autorisant directement à se prévaloir de la preuve libératoire.