• Aucun résultat trouvé

Le laboratoire états-unien

G. Jurisprudence post-Ellerth / Faragher (1999-2001)

3. Lignes directrices de l’Equal Employment  Opportunity Commission (1992)

L’EEOC édicta, en 1992, des lignes directrices qui précisent la manière dont des dommages-intérêts compensatoires et punitifs peuvent être alloués sur la base de la loi civile de 1991546.

Selon la Commission, les dommages-intérêts compensatoires prévus par le § 1981a (b) (2-3) incluent le dommage financier passé (past pecuniary loss), le dommage financier futur (future pecuniary loss)547, ainsi que le tort moral

542 La loi sur les droits civils de 1991 amende plusieurs sections du Titre VII. Les nouvelles disposi-tions sont codifiées au § 1981a (42 U.S.C).

543 « In an action brought by a complaining party under section 706 or 717 of the Civil Rights Act of 1964 (42 U.S.C. 2000e-5) against a respondent who engaged in unlawful intentional discrimina-tion (…) prohibited under secdiscrimina-tion 703, 704, or 717 of the Act (42 U.S.C. 2000e-2 or 2000e-3) (…), the complaining party may recover compensatory and punitive damages (…), in addition to any relief authorized by section 706 (g) of the Civil Rights Act of 1964, from the respondent. » § 1981a (a) 1. « Compensatory damages awarded under this section shall not include backpay, or any type of relief authorized under section 706 (g) of the Civil Right Act of 1964. » § 1981a (b) 2.

544 § 1981a (b) 1.

545 D’après le barème figurant au § 1981a (b) 3, l’indemnité due par un employeur possédant entre 15 et 100 employées peut s’élever au maximum à $50’000, alors qu’elle peut aller jusqu’à $300’000 lorsque l’employeur possède plus de 500 employé-e-s.

546 « Enforcement Guidance : Compensatory and Punitive Damages Available under §102 of the Civil Rights Act of 1991 » (1992).

547 La notion de perte future (future pecuniary loss) ne doit pas être confondue avec celle de man-que à gagner (front pay) qui est un des equitable reliefs pouvant être demandé sur la base du

§ 2000e-5 g (EEOC, 1992, II. A. 1).

(emotional harm)548. Un dommage d’ordre monétaire peut être dû à des frais de déplacement, à des dépenses liées à la recherche d’un emploi, ou encore à un traitement médical ou psychiatrique549. Si ces dépenses interviennent avant la fin du procès ou de la conciliation, leur montant peut être déterminé avec précision (par exemple grâce à des factures) et leur remboursement in-tégral obtenu à titre de past pecuniary losses. Si elles surviennent en revanche après le jugement ou la conciliation, il s’agit d’une perte future, qui ne peut pas encore être chiffrée avec précision au moment où le procès prend fin.

Leur remboursement peut donc être réclamé à titre de future pecuniary losses, dans les limites du barème instauré par le § 1981a (b) (3)550. Un préjudice non monétaire peut consister en une souffrance émotionnelle, un sentiment d’an-goisse, la perte du goût de vivre, une atteinte au statut professionnel, à la santé ou à la réputation. Une personne souhaitant être indemnisée pour tort moral devra, dans la plupart des cas, être en mesure de fournir un certificat médical. L’indemnité sera généralement fixée en tenant compte de la gravité de l’atteinte ainsi que de la fréquence du comportement discriminatoire551.

L’EEOC rappelle également que les dommages-intérêts punitifs fondés sur le §1981a (b) 1 ont un but punitif et préventif552. Leur montant doit, dès lors, être calculé en tenant compte de la gravité de l’acte discriminatoire ainsi que des ressources monétaires de l’employeur. Les dommages-intérêts puni-tifs doivent avoir pour effet d’affecter la situation financière de l’employeur, mais non de la détruire totalement553.

La question du cumul entre les equitable reliefs prévus au § 2000e 5 (g) (1), les dommages-intérêts compensatoires instaurés par le § 1981a (b) (2-3) et les dommages-intérêts punitifs fondés sur le § 1981a (b) (1), doit être ré-solue à la lumière du § 1981a (b) (3). Selon cette disposition, la somme des dommages-intérêts compensatoires et punitifs ne doit pas dépasser, pour chaque partie demanderesse554, les montants de $ 50’000, $ 100’000, $ 200’000 ou $ 300’000, selon que l’employeur possède plus de 15, 100, 200 ou 500 em-ployé-e-s. Le cumul avec les remèdes prévus au § 2000e-5 (g) (1) reste, en revanche, toujours possible. Le salaire passé et futur (back  and  frontpay) peut ainsi être alloué indépendamment des limites fixées par le barème du

548 EEOC, 1992, II. A.

549 Idem, II. A. 1.

550 Idem, II. ; II. A. 1.

551 Idem, II. A. 2. ; III .

552 Idem, II. B.

553 « The amount of punitive damages should sting, but not destroy the respondent » EEOC, 1992, II. B.2.

554 Ainsi, en cas de plainte collective, un employeur peut devoir des dommages intérêts punitifs et compensatoires supérieurs à $ 300’000. L’EEOC précise, en effet, qu’un employeur jugé respon-sable à l’égard d’un millier d’employé-e-s ayant déposé plainte contre lui, peut être débiteur d’un montant pouvant aller jusqu’à $ 3’000’000(EEOC, 1992, II).

§ 1981a (b) (3)555. La Commission illustre ses propos à l’aide d’un exemple556 : Une salariée gravement harcelée puis licenciée peut prétendre au rembourse-ment complet de ses frais médicaux (il s’agit de past pecuniary losses, pertes non soumises au barème, puisqu’elles peuvent être déterminées avec précision) et de son salaire passé et futur (§ 2000e-5 (g) 1 ). Elle peut, en outre, demander le versement de dommages-intérêts compensatoires pour réparer son tort mo-ral et ses pertes pécuniaires futures (à savoir les future pecuniary losses dues au traitement thérapeutique qu’elle va devoir suivre durant les deux prochaines années), ainsi que le paiement de dommages-intérêts punitifs (§ 1981a (b) 1-2).

Ces deux dernières prétentions ne peuvent, toutefois, s’élever à plus de

$ 50’000 puisque, dans le cas d’espèce, le patron de la salariée n’emploie que trente-cinq personnes (§ 1981a (b) 3).

4. Dommages-intérêts punitifs : Kolstad v. American  Dental Association (1999)

L’affaire Kolstad v. American Dental Association557 a donné à la Cour Suprême l’occasion de préciser les conditions auxquelles des dommages-intérêts pu-nitifs peuvent être dus en cas de violation du Titre II de la loi sur les droits civils de 1964558. La Cour rappelle tout d’abord que la loi sur les droits ci-vils de 1991 soumet les prétentions en dommages-intérêts compensatoires et punitifs à deux règles distinctes. Alors que la preuve d’une discrimination intentionnelle ayant causé un dommage suffit à obtenir le recouvrement des premiers559, il faut, pour obtenir le versement par le défendeur des seconds, que la partie demanderesse prouve, de surcroît, que ce dernier a agi « with  malice or reckless indifference to the federally protected rights of an aggrieved indi-vidual »560. L’expression « reckless indifference » n’entraîne pas, pour la partie de-manderesse, l’obligation de prouver que la discrimination était particulière-ment grave, ou que le défendeur était nécessaireparticulière-ment conscient de l’existence d’une discrimination561. Selon les juges suprêmes, en effet, une personne fait preuve de « reckless indifference » aussitôt qu’elle agit avec la conscience que

555 EEOC, 1992, I. ; II. Statuant sur la réparation devant être versée à une employée harcelée sexuel-lement, la Cour Suprême des Etats-Unis rappela, dans l’affaire Sharon B. Pollard v. E.I. Du Pont de Nemours & Company, 523 U.S. 843 (2001), que le front pay ne fait pas partie des dommages-intérêts compensatoires au sens du § 1981a et n’est dès lors pas soumis aux limites prévues au

§ 1981a (b) (3).

556 EEOC, 1992, II.

557 527 U.S. 526 (1999).

558 527 U.S. 532.

559 §1981a (a) 1.

560 527 U.S. 534, qui cite le §1981a (b) 1.

561 527 U.S 535-539.

ses actes risquent d’être contraires au droit fédéral562. Un employeur qui – de bonne foi – fait des efforts pour se conformer au but préventif du Titre II ne pourra ainsi pas être condamné au paiement de dommages-intérêts pu-nitifs. Il peut arriver, par conséquent, qu’un employeur attentif à ses devoirs soit condamné sur la base de la jurisprudence Ellerth-Faragher au paiement de dommages-intérêts compensatoires ou à d’autres equitable reliefs, mais non au versement de dommages intérêts punitifs, l’intention de l’auteur ne pouvant lui être imputée que pour les deux premiers types de prétentions563.

J. Synthèse

Le harcèlement sexuel a été considéré par les tribunaux états-uniens comme une discrimination en raison du sexe, susceptible d’entraîner une respon-sabilité de l’employeur, dès la seconde moitié des années septante. L’EEOC invitait chaque employeur, dans ses lignes directrices de 1980, à adopter des mesures préventives adaptées aux spécificités de son entreprise. La Commis-sion retenait une règle de responsabilité qui variait en fonction du statut de l’auteur du harcèlement sexuel : l’employeur répond pour le fait d’autrui, in-dépendamment de sa connaissance, en cas de harcèlement sexuel commis par un supérieur hiérarchique, et sur la base de sa connaissance en cas de harcèlement sexuel commis par un collègue ou un tiers.

Ignorant l’argument selon lequel le statut de supérieur hiérarchique confère à ce dernier, non seulement le pouvoir d’exercer un chantage sexuel sur sa subordonnée, mais également une possibilité accrue de créer un en-vironnement hostile, certaines cours d’appel ont en revanche estimé que la responsabilité de l’employeur ne dépend pas de la position de l’auteur du harcèlement, mais de la forme de ce comportement : la responsabilité de l’em-ployeur est engagée de manière automatique en cas de harcèlement quid pro  quo et sur la base de sa négligence en cas d’environnement hostile créé par un supérieur hiérarchique.

Après avoir jugé que le Titre II prohibe non seulement le harcèlement quid pro quo, mais également la création d’un environnement de travail hostile, la Cour Suprême a décidé, dans l’arrêt Meritor564, qu’un employeur répond du harcèlement commis par un supérieur hiérarchique, dans le premier cas, de manière automatique et, dans le second, selon une autre règle, inspirée par les principes applicables en matière d’auxiliarité.

562 Idem, p. 535.

563 Idem, pp. 545-546.

564 477 U.S. 57 (1986).

Les jugements post-Meritor n’ayant permis de dégager aucun consensus quant à la règle applicable en cas d’environnement hostile créé par un supé-rieur hiérarchique, la Cour Suprême a fini par instaurer, dans sa jurispru-dence Ellerth-Faragher565, un régime de responsabilité, dépendant à la fois de la forme du harcèlement sexuel et de la position de son auteur.

Les tribunaux amenés à se prononcer sur la responsabilité de l’employeur en cas de harcèlement sexuel doivent ainsi déterminer, en premier lieu, la position de l’auteur du harcèlement. Lorsque celui-ci est un collègue de la victime, l’employeur répond sur la base de sa négligence. S’il s’agit en re-vanche d’un supérieur hiérarchique, la nouvelle règle de responsabilité est applicable et il incombe aux juges de se prononcer sur la question de savoir si le harcèlement sexuel prend la forme d’une mesure affectant de manière tangible l’emploi ou se manifeste au contraire par la création d’un environne-ment hostile. Dans le premier cas, l’employeur est automatiqueenvironne-ment jugé res-ponsable. Dans le second, il peut se libérer s’il parvient à prouver qu’il a pris les mesures préventives et répressives nécessaires, et que la victime a omis, de manière injustifiée, d’utiliser le dispositif de plainte mis à sa disposition.

L’EEOC souligne, dans ses lignes directrices de 1999, qu’il n’existe aucune procédure type entraînant une libération systématique de l’employeur, et que la question de savoir si ce dernier a rempli son obligation de diligence doit être examinée à la lumière des circonstances du cas d’espèce. L’étude des pre-miers jugements qui ont suivi l’adoption des arrêts Ellerth et Faragher révèle toutefois que, dans une majorité de cas, l’employeur a été en mesure de four-nir la preuve libératoire.

565 524 U.S. 742 (1998) ; 524 U.S. 775 (1998).

II. Responsabilité de l’employeur : critique de