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Le laboratoire états-unien

D. Absence de consensus au sein des tribunaux (1986-1998)

1. Environnement hostile grave et important

a.     Femme raisonnable (1991)

Inspirée par les écrits de Nancy S. Ehrenreich382 et Kathryn Abrams383, la Cour d’appel fédérale du Neuvième Circuit a jugé en 1991, dans l’affaire Ellison v. Brady384, que la gravité et l’importance d’un environnement hostile doivent être évaluées à la lumière du critère de la « victime raisonnable » et non à l’aide de celui de la « personne raisonnable »385. Selon la Cour d’appel, le critère de la « femme raisonnable » permet, en effet, de prendre en

considéra-381 Idem, p. 78. La responsabilité automatique préconisée par le juge Marshall est une responsabi-lité présumée assortie d’une preuve libératoire. Le juge Marshall rappelle en effet que, selon les lignes directrices de l’EEOC (29 CFR §1604.11 [c]), la Commission examine les circonstances par-ticulières du rapport de travail et le cahier des charges du supérieur hiérarchique pour détermi-ner, dans chaque cas spécifique, si celui-ci a agit en qualité d’agent. Ainsi, même si l’employeur est automatiquement présumé responsable des actes de ses superviseurs, il peut néanmoins renverser cette présomption de responsabilité lorsque, par exemple, le supérieur hiérarchique n’a en réalité aucune autorité sur ses subordonnées qui travaillent dans un secteur complète-ment différent. De plus, l’employeur garde une possibilité de se libérer si, lorsqu’il est informé par l’EEOC de la plainte dont il fait l’objet, il prend les mesures appropriées pour faire cesser l’environnement hostile. Enfin, dans l’hypothèse où l’employeur a mis sur pied une procédure interne effective et que la plaignante n’y a pas recouru, l’employeur peut refuser de l’indemniser (477 U.S. 77-78).

382 Pluralist Myths and Powerless Men : The Ideology of Reasonablness in Sexual Harassment Law, 99 Yale Law Journal 1177, 1207-8 (1990).

383 Gender Discrimination and the Transformation of the Workplace, 42 Vanderbilt L. Rev. 1183, 1203 (1989).

384 Ellison v. Brady, 924 F 2d 872 (9th Cir. 1991).

385 924 F 2d 878.

tion les différences de perception existant entre femmes et hommes, alors que celui – soi-disant neutre mais en réalité masculin – de la « personne raison- nable » ne permet pas de tenir compte de l’expérience vécue par les femmes en matière de harcèlement sexuel386.

b.     Personne raisonnable (1993)

Dans l’affaire Harris  v.  Forklift387, la Cour Suprême des Etats-Unis a refusé d’appliquer le critère de la femme raisonnable retenu dans l’affaire Ellison v. 

Brady. Selon les juges suprêmes, la question de savoir quand un environne-ment est hostile au sens du Titre II, doit être tranchée en tenant compte de la sensibilité d’une « personne raisonnable », ainsi que de la perception sub-jective de la victime388. Il n’existe aucun test mathématique permettant de dé-terminer si un environnement est suffisamment hostile pour être sanctionné sur la base du Titre II. Afin de déterminer le caractère hostile ou non d’un environnement de travail, il convient de prendre en considération l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, comme la fréquence de la conduite discri-minatoire, sa gravité, son caractère dangereux ou humiliant, ainsi que ses conséquences sur les aptitudes professionnelles de la victime. Les effets du comportement discriminatoire sur le bien-être psychologique de la victime doivent également être pris en compte. Un environnement peut toutefois être hostile, même en l’absence d’une quelconque atteinte psychologique389.

2. Application des principes d’auxiliarité

Suite à l’arrêt Meritor, les tribunaux d’appel ont tranché la question de la res-ponsabilité de l’employeur en cas de harcèlement sexuel en se référant – da-vantage encore qu’auparavant – aux règles applicables en matière d’auxilia-rité390. Le Restatement (Second) of Agency de 1958 énonce différents principes

386 « We believe that in evaluating the severity and pervasivness of sexual harassment, we should focus on the perspective of the victim. (…) If we only examined whether a reasonable person would engage in allegedly harassing conduct, we would run the risk of reinforcing the prevailing level of discrimination. Harassers could continue to harass merely because a particular discriminatory practice was common, and victims of harassment would have no remedy. We therefore prefer to analyze harassment from the victim’s perspective. (…) We adopt the perspective of a reasonable woman primarily because we believe that a sex-blind reasonable person standard tends to be male-biased and tends to systematically ignore the experiences of women. » 924 F. 2d 878-879.

387 510 U.S. 17 (1993).

388 Idem, pp. 21-22.

389 Idem, pp. 22-23.

390 Phillips, 1991, p. 1239.

susceptibles de fonder une responsabilité de l’employeur pour son propre fait (direct liability) ou pour le fait d’autrui (vicarious liability)391.

a.    Négligence en cas de harcèlement par un collègue

Appliquant le § 219 (1) du Restatement of Agency, les tribunaux d’appel jugent, en principe, qu’un employeur répond automatiquement d’un harcèlement sexuel qui prend la forme d’un quid pro quo392. Les magistrats s’appuient par ailleurs sur la règle de négligence énoncée au § 219 (2) (b) du Restatement pour ad-mettre, de manière générale, qu’un employeur répond du harcèlement sexuel commis par un collègue seulement s’il en avait connaissance – ou aurait dû en avoir connaissance – et qu’il n’y a pas remédié de manière adéquate393. b.     Quid en cas d’environnement hostile créé par un 

supérieur ?

Aucun consensus n’est en revanche trouvé quant à la règle applicable en cas d’environnement hostile créé par un supérieur hiérarchique394. Si la plupart des tribunaux admettent, en effet, une responsabilité de l’employeur fondée sur sa négligence en pareille hypothèse (§ 219 (2) b), certains d’entre eux se réfèrent plus volontiers au principe du respondeat superior (§ 219 (1))395, ou à celui de « l’aide dans la relation d’emploi » (§ 219 (2) d )396.

391 Les Restatements of the Law de l’American Law Institute sont des compilations qui reflètent l’état actuel du droit états-unien de la common law. Le chapitre 7 du Restatement of the Law, Second, Agency de 1958 traite de la responsabilité pour le fait d’autrui (« Liability of Principal to Third Person ; Torts »). Le § 219 (1) du Restatement prévoit : « A master is subject to liability for the torts of his servants committed while acting in the scope of their employment ». Le principe selon lequel le maître (il faut comprendre ici l’employeur) est responsable des torts (en l’occurrence il s’agit de la violation statutaire du Titre VII) commis par ses agents dans le cadre de leur emploi sert de fondement à la doctrine du respondeat superior, exposée supra n. 28. Le § 219 (2) dispose par ailleurs : « A master is not subject to liability for the torts of his servants acting outside the scope of their employment, unless : (a) the master intended the conduct or the consequences, or (b) the master was negligent or reckless, or (c) the conduct violated a non-delegable duty of the master, or (d) the servant purported to act or to speak on behalf of the principal and there was reliance upon apparent authority, or he was aided in accomplishing the tort by the existence of the agency relation. »

392 Phillips, 1991, p. 1237.

393 Idem. Une étude de la jurisprudence rendue durant les dix années suivant l’arrêt Meritor révèle que le fait que l’employeur ait eu connaissance du harcèlement sexuel avant que la vicitme ne dépose officiellement plainte a souvent été propre à entraîner l’admission d’une responsabilité de l’employeur (Juliano/Schwab, 2001, p. 571).

394 Phillips, 1991, pp. 1237-1238 ; MacKinnon, 2001, p. 990.

395 Phillips, 1991, p. 1238 ; Weddle, 1995, p. 735.

396 Voir par exemple l’affaire Spark v. Pilot Freight Carriers Inc, 830 F 2d. 1554, 1559-1560 (11th Cir. 1987).

La difficulté éprouvée par les juges d’appel à trouver un consensus en matière de responsabilité

E. Précisions données par la Cour Suprême (1998)