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La preuve du harcèlement sexuel

E. Absence d’allègement de la preuve

1. Allègement prévu par la loi sur l’égalité

« Lorsqu’il édicte une règle sur le fardeau de la preuve, le législateur tend à mettre l’échec de la preuve des faits à la charge de la partie à laquelle cela paraît le moins inéquitable de la faire supporter »1047. Afin de mieux tenir compte des possibilités effectives des parties, il arrive ainsi que la loi pré-voie, dans certains domaines, un renversement (total ou partiel) du fardeau de la preuve1048. L’échec de la preuve d’un fait n’est, dans ce cas, plus sup-porté par la partie désignée par la règle générale de l’art. 8 CC, mais par sa partie adverse1049.

Aux termes de l’art. 6 LEg, « l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable ». L’art. 6 LEg crée une présomption légale1050 entraînant un renversement partiel du fardeau de la preuve1051. Le fardeau de la preuve est allégé mais non

complè-1045 Art. 5 al. 3 LEg. Steiger-Sackmann (1996, p. 117 ; 2000, n° 66 ad art. 6 LEg) explique que l’art. 5 al. 3 prévoit un déplacement du thème de la preuve lorsque la victime exerce son droit à l’indem-nité. Wyler (2002, p. 234) parle quant à lui de renversement du fardeau de la preuve. Voir aussi Kaufmann, 2000, n° 71 ad art. 4 LEg (notamment citée par le Tribunal du district d’Arlesheim, 21.1.99, n. p., p. 9).

1046 Infra pp. 256 ss.

1047 Hohl, 2001, p. 224 n° 1169.

1048 Venturelli, 1998, p. 669 ; Steiger-Sackmann, 2000, n° 32 ad art. 6 LEg.

1049 Hohl, 2001, p. 228 n° 1192.

1050 Pour une définition des présomptions légales (à distinguer des présomptions de fait mention-nées supra p. 163) : Habscheid, 1990, p. 387 n° 646 ; Schmid, 1996, n° 67 ad art. 8 CC ; Vogel, 2001, 262 n° 48. « Les présomptions légales ont partiellement un effet de renversement du fardeau de la preuve : seul le fait-prémisse doit être prouvé par le demandeur, le fardeau de la preuve du fait (ou du droit) présumé étant reporté sur le défendeur, qui doit alors tenter la preuve du contraire », Hohl, 2001, p. 228 n° 1199.

1051 Dans ce sens : BOCE 1994 825 (Danioth) ; Vogel, 2001, p. 257 n° 27 ; p. 262 n° 47. Voir aussi Schmid (1996, n° 69a ad art. 8 CC) qui ajoute cependant : « Diese Bestimmung (…) kann jedoch auch als blosse Senkung des Beweismasses erklärt werden. » L’auteur explique (1996, n° 71a ad art. 8 CC) :

« Glaubhaftmachung eines Sachverhaltes bewirkt an sich keine Beweislastumkehr, ausser sie ge-nügt als Basis einer gesetzlichen Vermutung (Art. 256b Abs.2 und Art. 260b Abs. 2) oder wird vom

tement renversé1052. La partie qui fait valoir une discrimination à raison du sexe supporte en effet la charge de la preuve, mais il lui suffit d’apporter un faisceau d’indices permettant de rendre la discrimination vraisemblable1053. Si elle y parvient, la discrimination est présumée et le fardeau de la preuve renversé1054. L’employeur peut, soit empêcher la présomption de naître, en apportant la contre-preuve du fait présumé, soit combattre le fait présumé, en apportant la preuve du contraire1055. Il devra alors établir que la différence de traitement n’existe pas ou qu’elle est objectivement justifiée1056. L’employeur

Gesetzgeber i.S. einer Beweislastregel vorgeschrieben. Das ist umstritten für Art. 6 GlG (…), weil diese Bestimmungen auch so verstanden werden können, dass der Gesetzgeber für den Haupt-beweisbelasteten lediglich eine Beweiserleichterung durch Senkung des Beweissmasses vorsieht mit der Folge, dass die Gegenpartei, um die blosse Glaubhaftigkeit zu widerlegen, im Ergebnis doch den vollen Gegenbeweis liefern muss. »

1052 Note marginale de l’art. 6 LEg ; BOCE 1994 824, 826 (Meier, Koller) ; BOCN 1995 196, 199 (Schmid, Brunner, Comby) ; BOCE 1995 318 (Petitpierre) ; Steiger-Sackmann, 1996, p. 120 ; 2000, n° 33, 59-61 ad art. 6 LEg ; Cossali Sauvin, 1997, p. 10 ; Barone, 1999, p. 42 ; Favre/Munoz/Tobler, 2001, p. 334 ; Barone, 2003, p. 161. Voir aussi : SARB, 2000 p. 906 ; JAR 2002 p. 336.

1053 Au sujet de la notion de vraisemblance : supra pp. 165 ss. Steiger-Sackmann (2000, n° 56 ad art. 6 LEg ; citée par Arioli/Furrer Iseli, 2000, p. 117 n° 283) précise que « l’existence d’un fait peut être rendue vraisemblable même si la probabilité est inférieure à 50 % ». Le Tribunal fédéral a par exemple considéré comme vraisemblable une discrimination salariale dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était d’environ 15 à 25 % plus bas que celui du travailleur qui accomplissait le même travail (ATF 125 III 368).

1054 La formation du jugement a lieu en deux phases : le tribunal détermine d’abord si la partie de-manderesse a rendu vraisemblable sa prétention. « Ce n’est qu’ensuite que le tribunal détermine si la partie défenderesse a rapporté la preuve dans la mesure requise ou s’il s’agit d’un cas de non liquet obligeant à prononcer un jugement découlant du fardeau de la preuve », Sackmann, 2000, n° 64 ad art. 6 LEg (citée dans un ATF partiellement publié du 4.7.00 cons. 2a.

Voir aussi JAR 2001 pp. 206-207).

1055 Hohl, 2001, p. 218 n° 1133-1134 (« La preuve du contraire (Beweis des Gegenteils) est la preuve principale dirigée contre un fait qui est présumé en vertu d’une présomption légale). Au su-jet de la preuve du contraire : Kummer, 1966, n° 108 ad art. 8 CC ; 1984, p. 124 ; Schmid, 1996, n° 35 ad art. 8 CC ; Hohl, 2001, p. 228 n° 1199 ; Vogel, 2001, p. 256 n° 23. Pour une définition de la contre-preuve (par opposition à la preuve du contraire) : Kummer, 1966, n° 107 ad art. 8 CC (l’auteur précise n° 110 que la distinction entre contre-preuve et preuve du contraire ne se justifie en pratique que dans les procès soumis à la maxime des débats) ; 1984, p. 124 ; Schmid, 1996, n° 36 ad art. 8 CC ; Hohl, 2001, p. 218 n° 1132 ; Vogel, 2001, p. 256 n° 22 ; ainsi que supra p. 163.

1056 Les jugement fondés sur la loi sur l’égalité nécessitent la preuve que l’entreprise a pris ou non une mesure et que cette mesure constitue ou non une discrimination en raison du sexe. L’allègement prévu par cette loi ne porte que sur le deuxième thème de preuve (Steiger-Sackmann, 2000, pp. 36, 37, 43 ad art. 6 LEg). L’employeur doit apporter la preuve complète, « véritable » (Cossali Sauvin, 1997, p. 11), de l’absence de discrimination (Steiger-Sackmann, 2000, n° 33, 60 ad art. 6 LEg ). Il est difficile d’apporter la preuve d’un fait négatif. La preuve de la non-discrimination peut toutefois être apportée positivement par la partie défenderesse si celle-ci démontre l’existence de motifs objectifs ne produisant pas une discrimination en raison du sexe (Steiger-Sackmann, 2000, n° 61 ad art. 6 LEg). Voir aussi : BOCN 1994 481, 482 (Comby ; Koller) ; Barone, 2003, pp. 161-162. Au sujet des motifs objectifs permettant de justifier une différence de salaire : ATF 125 III 373 (JT 2000 I 600) ; ATF 127 III 207 (JAR 2002 p. 337) ; ATF 130 III 145 (JAR 2004 p. 394).

qui ne parvient pas à renverser la présomption de discrimination perd le procès1057. Le Tribunal fédéral explique :

« L’application de l’art. 6 LEg implique que le juge se détermine d’abord sur la vraisemblance alléguée, ce qui doit figurer dans sa décision. Dans la mesure où le juge considère que la discrimination est prouvée, ou qu’elle est plus vraisemblable que la non-discrimination, ou qu’elle est plutôt invraisem- blable mais pas exclue, il doit examiner si la partie adverse a rapporté la preuve de l’inexistence d’une discrimination ou la preuve de la justification objective de celle-ci ; si en revanche le juge considère que la discrimination est entièrement douteuse ou qu’elle a simplement été alléguée, il doit dé-bouter la travailleuse des conclusions y relatives1058. »

La règle spéciale prévue par la loi sur l’égalité « trouve sa justification dans la nécessité de corriger l’inégalité de fait résultant de la concentration des moyens de preuve en main de l’employeur »1059. La preuve d’une discri-mination fondée sur le sexe est en effet particulièrement difficile à apporter.

Comme l’explique le Conseil fédéral dans son message relatif à la loi sur l’éga-lité, « la preuve devra généralement porter sur des faits qui se trouvent dans la sphère d’influence de l’employeur et ne sont connus que de lui. Lorsque le juge à l’instar de la partie demanderesse ignore l’existence de ces moyens de preuve, la maxime d’office, qui veut que les faits soient établis d’office, demeure inopérante. Si le fardeau de la preuve est à sa charge, il est dans l’intérêt de la partie adverse d’informer le juge avec la plus grande diligence et de lui fournir toutes pièces utiles »1060. La règle selon laquelle « l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en pré-vaut la rende vraisemblable » encourage l’employeur à participer activement à la procédure probatoire1061.

1057 FF 1993 1215-1216 ; Cossali Sauvin, 1997, p. 10 ; Venturelli, 1998, pp. 669-670 ; Barone, 1999, p.

42 ; Cossali Sauvin, 1999, pp. 76-77 ; Steiger-Sackmann, 2000, n° 59-61 ad art. 6 LEg ; Arioli/

Furrer Iseli, 2000, p. 114. Voir aussi : SARB 2000 906 ; JAR 2002 p. 337.

1058 Tribunal fédéral, 4.7.00 cons. 2a. n. p., citant Steiger-Sackmann, 2000, n° 57-58, 64 ad art. 6 LEg.

1059 FF 1993 1215.

1060 Idem.

1061 Steiger-Sackmann, 1996, p. 116 (« Soll vor allem auf die Beklagte Partei Druck ausgeübt werden, sich an der Vermittlung des Sachverhaltes zu beteiligen, ist es nötig, entsprechende Beweislast-regeln vorzusehen. Allein die Senkung des Beweismasses (…) reicht nicht aus ») ; 2000, n° 28, 35 ad art. 6 LEg ; Cossali Sauvin, 1997, p. 10 ; 1999, p. 76 ; Klett, 1997, p. 62. Plusieurs interventions parlementaires soulignèrent le devoir de la partie défenderesse de collaborer à la procédure pro-batoire : BOCN 1995 198 (Iten « das Bundesgericht habe die Beweislast nach Artikel 8 ZGB in den letzen Jahren ohnehin relativiert. Das Bundesgericht habe schon (…) in verschiedenen Entschei-den die beklagte Partei verpflichtet, bei der Beweisführung mitzuwirken, behilflich zu sein ») ; BOCN 1995 199 (Koller) ; BOCN 1995 762 (Bircher) ; BOCE 1995 320 (Zimmerli).

2. Exclusion du harcèlement sexuel

La question du champ d’application de l’art. 6 LEg a suscité de nombreux dé- bats parlementaires1062. Le projet du Conseil fédéral sur lequel les Chambres étaient appelées à se prononcer prévoyait un allègement du fardeau de la preuve qui visait l’ensemble des discriminations interdites par la loi sur l’éga-lité1063. Estimant que cette proposition allait trop loin, le Conseil national a dé-cidé de restreindre l’article sur le fardeau de la preuve aux seules discrimina-tions salariales1064. Le Conseil des États a en revanche proposé d’étendre cette disposition à toutes les discriminations à l’exception du harcèlement sexuel1065. Une solution de compromis a finalement été adoptée lors de la procédure d’éli-mination des divergences entre les deux Chambres. Celle-ci consistait à appli-quer l’allègement du fardeau de la preuve à tous les cas de discrimination, à l’exception des discriminations à l’embauche1066 et du harcèlement sexuel1067.

Un des arguments invoqué pour justifier une règlementation parti- culière1068 de la preuve du harcèlement sexuel était que, dans ce domaine, contrairement à ce qui se passe en matière de salaire, la preuve ne porte pas sur des documents qui se trouvent dans la sphère d’influence de l’employeur et ne sont connus que de lui. L’employeur et la travailleuse se trouvent dans la même situation du point de vue de la connaissance des faits. Le harcèlement sexuel se produisant souvent en l’absence de témoins, il s’agit en général de la parole de l’un contre celle de l’autre1069. Un renversement même partiel du

1062 BOCE 1994 480 ss ; BOCE 1994 823 ss ; BOCN 1995 195 ss, 761 ss ; BOCE 1995 314 ss. Pour une synthèse de ces débats voir : Cossali Sauvin, 1997, p. 10 ; Barone, 1999, pp. 41-42 ; Kaufmann, 2000, n° 70-71, 88 ad Genèse ; Steiger-Sackmann, 2000, n° 5-13 ad art. 6 LEg.

1063 L’art. 5 de ce projet prévoyait en effet que « l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable », FF 1993 I 1241.

1064 BOCN 1994 481, 483.

1065 BOCE 1994 824.

1066 Au sujet du non-allègement du fardeau de la preuve en matière d’embauche, on peut notamment se référer à : Venturelli, 1998, pp. 671-672 ; Steiger-Sackmann, 2000, n° 13-14 ad art. 6 LEg.

1067 BOCE 1995 318, 321 ; BOCN 1995 761.

1068 « Eine Ausnahme macht (…) vor allem der Tatbestand der sexuellen Belästigung », BOCN 1994 481 (Koller) ; cité par Kaufmann (2000, n° 70 ad Genèse) qui raconte : « On s’est bien vite rendu compte que la réglementation de la charge de la preuve en cas de harcèlement sexuel était considérée par la majorité comme une exception et un cas spécial. » Voir aussi Wyler (2002, p. 540), « (…) il ne fallait pas créer une exception à la règle générale, au motif que cette situation est précisément exceptionnelle (…) ». « Sur deux points, le Conseil national et le Conseil des États sont parfaitement d’accord : il n’y a pas d’allègement du fardeau de la preuve en cas de discrimination fondée sur le harcèlement sexuel, en revanche il y aura bien allègement en matière de salaire », BOCN 1995 763 (Ducret).

1069 Voir les interventions de Meier (BOCE 1994 823), Iten (BOCN 1994 480-481) et de Koller (BOCN 1994 481-482 ; BOCE 1994 826 ; BOCN 1995 199), selon lequel : « Hier sind beide Parteien in der genau gleichen Beweislage. Es steht normalerweise Behauptung gegen Behauptung, und des-halb ist es sachlogisch richtig, wenn man die sexuelle Belästigung von dieser Beweiserleichte-rung ausnimmt (…) », BOCN 1994 481 ; voir aussi : Venturelli, 1998, p. 671 ; Barone, 1999, p. 42 ; Kaufmann, 2000, n° 70 ad Genèse ; Wyler, 2002, p. 540.

fardeau de la preuve pourrait mettre l’employeur dans la délicate situation de devoir prouver des faits négatifs1070.

La section qui suit cherche à déterminer dans quelle mesure ces argu-ments permettent réellement de justifier une exclusion du harcèlement sexuel du champ d’application de l’art. 6 LEg.

1070 Saillen, 1994, p. 158 ; Barone, 1999, p. 42 ; Cossali Sauvin, 1999, p. 77. Voir aussi : BOCN 1995 196, 763 (Raggenbass, à propos des discriminations à l’embauche ; Sandoz à propos de toutes les discriminations fondées sur le sexe à l’exception des discriminations salariales).

II. Une parole contre une autre

Les règles de preuve n’étant pas censées entraver « la mise en œuvre de pré-tentions légitimes en soi et socialement souhaitables »1071, la question se pose de savoir si l’absence d’allègement de la preuve en matière de harcèlement sexuel est conforme à l’objectif d’égalité effective entre les sexes poursuivi par la loi sur l’égalité1072.