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La preuve du harcèlement sexuel

C. Haute vraisemblance

Le droit fédéral exige en principe que les faits soient prouvés avec certitude (art. 8 CC)1012. La preuve d’un fait est certaine, lorsque le juge, en se basant sur des éléments objectifs, n’a pas de doutes sérieux quant à son existence1013. La présence d’un doute léger étant inévitable, le Tribunal fédéral utilise parfois l’expression de « vraisemblance confinant à la certitude »1014. Le législateur fé-déral autorise dans certains cas le juge à se contenter de la vraisemblance1015. La

1008 Tribunal du travail de Unterrheinthal, 12.3.01, JAR 2002 p. 352.

1009 Tribunal du district de Lausanne, 30.10.97, n. p., p. 14 ; Tribunal du travail de Unterrheinthal, 12.3.01, JAR 2002 p. 353 ; Commission fédérale de recours en matière du personnel fédéral, 2.7.03. p. 10.

1010 Hohl (1991, pp. 150, 158 ; 2001, p. 209 n° 1094) considère que le nombre des degrés de preuve qu’un tribunal peut être amené à utiliser peut être réduit à deux : la certitude et la (haute) vrai-semblance. Selon l’autrice (1991, pp. 154-155 ; 2001, p. 207 n° 1086), le Tribunal fédéral utilise indifféremment les termes de « vraisemblance », de « simple vraisemblance », de « vraisemblance prépondérante », ou de « très haute vraisemblance ». Pour un avis contraire, voir par exemple Schmid (1996, n° 18, 20 ad art. 8 CC) et Vogel (2001, p. 257 n° 25, 26a) qui traitent séparément de la « Glaubhaftmachung » et de la « Überwiegende Wahrscheinlichkeit ».

1011 Hohl, 2001, p. 200 n° 1059-1060, p. 211 n° 1100. Le degré de la preuve est considéré comme une notion de droit fédéral non écrit ou comme un aspect de l’art. 8 CC : Meier, 1989, p. 77 ; Schmid, 1996, n° 16 ad art. 8 CC ; Hohl, 2001, p. 200 n° 1058. La question de savoir si le degré de la preuve exigé par le droit fédéral est atteint dans un cas concret relève du droit cantonal de l’appréciation des preuves : Hohl, 1991, pp. 146-147 ; Steiger-Sackmann, 2000, n° 23. Au sujet de la distinction entre le degré de la preuve et l’appréciation des preuves : Meier, 1989, p. 57 ; Hohl, 1991, pp. 126, 154 ; Schmid, 1996, n° 15 ad art. 8 CC.

1012 Hohl, 2001, p. 199 n° 1057, p. 201 n° 1063.

1013 Hohl, 2001, pp. 209-210 n° 1095. « Als Regelbeweismass gilt, dass der Beweis erbracht ist, wenn der Richter aufgrund objektiver Gesichtspunkte von der Verwirklichung einer Tatsache überzeugt ist und allfällig vorhandene Zweifel nicht als erheblich erschienen, was deutlich mehr sein muss als eine bloss überwiegende Wahrscheinlichkeit ». Schmid, 1996, n° 17 ad art. 8 CC. Voir aussi : Meier, 1989, p. 63 ; Steiger-Sackmann, 2000, n° 22 ad art. 6 LEg.

1014 ATF 96 II 314 (JT 1971 I 544 cons. 1b) ; Schmid, 1996, n° 17 ad art. 8 CC ; Hohl, 2001, pp. 209-210 n° 1095 ; Vogel, 2001, p. 256 n° 24.

1015 Schmid, 1996, n° 21 ad art. 8 CC ; Hohl, 2001, p. 202 n° 1065 ; Vogel, 2001, p. 256 n° 25, qui mentionnent, par exemple, les cas où un enfant a été conçu avant le mariage ou pendant la sus-pension de la vie commune (la paternité du mari est présumée lorsqu’il est rendu vraisemblable qu’il a cohabité avec sa femme à l’époque de la conception, art. 256b al. 2 CC).

loi sur l’égalité prévoit par exemple à son article 6 qu’une personne qui se prévaut d’une discrimination dans l’attribution des tâches, l’aménagement des conditions de travail, la rémunération, la formation, le perfectionnement professionnel, la promotion ou la résiliation des rapports de travail, doit la rendre vraisemblable1016. Selon le Tribunal fédéral, un fait est rendu vrai-semblable lorsque le juge dispose d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués lui paraissent vraisemblables, sans qu’il soit toutefois exclu que l’état de fait puisse être différent1017. On ne saurait fixer un taux de probabilité correspondant à la vraisemblance1018.

L’exclusion volontaire du harcèlement sexuel du champ d’application de l’art. 6 LEg1019, sur laquelle nous reviendrons dans la section suivante, laisse penser qu’une preuve complète est nécessaire en la matière1020. La jurispru-dence du Tribunal fédéral relative au degré de la preuve autorise toutefois le juge à se satisfaire d’un haut degré de vraisemblance lorsqu’une preuve com-plète est par nature impossible1021. La preuve du harcèlement sexuel étant par nature difficile à apporter, comme relevé dans la section précédente, Cossali Sauvin considère qu’il n’existe aucune raison d’exiger davantage qu’un haut degré de vraisemblance1022. En matière de congés abusifs, où le problème se pose de manière très semblable, le Tribunal fédéral se contente par exemple d’un tel degré de preuve1023. « Que le législateur ait refusé d’étendre

l’allè-1016 Exemple cité par Hohl, 2001, p. 202 n° 1065 ; Vogel, 2001, p. 256 n° 26. La règle particulière prévue par l’art. 6 LEg est exposée infra pp. 170 ss.

1017 ATF 104 Ia 413 ; ATF 120 II 398 (JT 1995 I 571), auxquels se réfère la doctrine suivante : Habscheid, 1990, p. 381 n° 635 ; Conseil fédéral, 1993, p. 1215 ; Schmid, 1996, n° 20 ad art. 8 CC ; Steiger-Sackmann, 1996, p. 118 ; Cossali Sauvin, 1997, p. 10 ; Venturelli, 1998, p. 669 ; Cossali Sauvin, 1999, p. 77 ; Steiger-Sackmann, 2000, n. 49 ad art 6 LEg ; Arioli/Furrer Iseli, 2000 , p. 117 n° 283 ; Vogel, 2001, p. 257 n° 26.

1018 Meier, 1989, p. 61 ; Hohl, 1991, pp. 129, 130, 149, 154, 156 ; 2001, pp. 208-209 n. 1092.

1019 Kaufmann, 2000, n° 71 ad art. 4 LEg

1020 Art. 6 LEg a contrario. Dans ce sens par exemple : Arioli/Furrer Iseli, 2000, p. 117 n° 284.

1021 Hohl, 2001, p. 210 n° 1098. A titre d’illustration, voir l’ATF 107 II 269 (JT 1981 I 446) consacrant une preuve facilitée en matière de causalité naturelle. Exemple mentionné (parmi d’autres) par la doctrine suivante : Schmid, 1996, n° 18 ad art. 8 CC ; Steiger-Sackmann, 1996, p. 115 ; 2000, n° 22 ad art. 6 LEg ; Hohl, 2001, p. 203 n° 1070 ; Vogel, 2001, p. 257 n° 26a. Voir également Hohl (1991, p. 137) qui renvoie à la jurisprudence fédérale applicable à la preuve des relations sexuelles dans le cadre d’une action en divorce ou en paternité (« le législateur fédéral (…) n’a pu exiger en pareille matière une preuve directe, les relations sexuelles étant par essence un fait de nature si intime que cette preuve est exclue sauf dans des cas tout à fait exceptionnels » ATF 43 II 564).

1022 Cossali Sauvin, 1997, p. 11. Dans le même sens, Fankauser (2001, p. 8) semble considérer qu’une « vraisemblance prépondérante » puisse suffire en matière de harcèlement sexuel.

1023 « La preuve ayant pour objet des éléments subjectifs – à savoir le réel motif de l’employeur –, elle est difficile à rapporter » SJ 1993 p. 360 (qui se réfère à Brunner/Bühler/Waeber, 1996, n° 2 ad art. 336 CO). « Le seul avenir (…), pour l’application concrète de cette disposition, réside dans

gement du fardeau de la preuve (…) au harcèlement sexuel ne signifie (…) pas qu’il faille appliquer l’art. 8 CC plus strictement en matière d’égalité que dans d’autres domaines du droit du contrat de travail »1024. « Toutefois, le juge se contentera d’un degré de vraisemblance moins élevé là où l’article 6 LEg s’applique qu’en cas de (…) harcèlement sexuel »1025. La question doit ainsi être tranchée par la jurisprudence.

L’étude de la jurisprudence relative au degré de la preuve du harcèle-ment sexuel montre que les tribunaux exigent une « preuve complète »1026, une « vraisemblance confinant à la certitude »1027, une « très grande vraisem-blance »1028, une « haute vraisemblance »1029 ou un « degré élevé de vraisem-blance »1030. Le Tribunal administratif du canton de Genève s’est prononcé de la manière suivante :

« Il n’y a pas lieu, en matière de harcèlement sexuel, d’admettre un allège-ment du fardeau de la preuve qui permettrait de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel dès que la victime apporterait un faisceau d’indices le rendant vraisemblable. Toutefois, la difficulté de la preuve en ce domaine commande de reconnaître l’existence d’un acte de harcèlement sexuel sur la base d’un faisceau d’indices sérieux et convergents1031. »

Un jugement du Tribunal des prud’hommes de Genève rappelle que

« dans le cadre de la Loi sur l’égalité, en matière de harcèlement sexuel, la

une interprétation extensive par les tribunaux des règles en vigueur en matière de preuve : il est souhaitable qu’ils se fondent sur des faisceaux d’indices ou sur une très grande vraisemblance résultant de l’ensemble des circonstances et qu’ils utilisent de manière optimale la maxime d’office au sens de CO 343 IV » JAR 1993 pp. 270-271.

1024 Cossali Sauvin, 1997, p. 11.

1025 Cossali Sauvin, 1999, p. 79.

1026 Tribunal supérieur du Canton de Bâle-Campagne, 10.4.01, n. p., p. 6.

1027 Tribunal des prud’hommes de Genève, 29.11.88, JAR 1989 p. 175 (après avoir déclaré se satisfaire d’une « vraisemblance confinant à la certitude » – la preuve stricte du harcèlement sexuel ne pouvant être exigée dans tous les cas – le Tribunal juge que les déclarations de la demande-resse paraissaient « pour le moins vraisemblables »). Jugement auquel se réfère ce même Tribu-nal dans un jugement du 27.7.98, n. p., p. 12 (« une vraisemblance confinant à la certitude doit suffire ») et au sujet duquel Emmenegger (1999, p. 177) relève : (…) das Genfer Arbeitsgericht spricht von einer « vraisemblance confinant à la certitude ». Tatsächlich begnügte es sich aber mit der Glaubhaftmachung (…). » Voir aussi un jugement du Tribunal du travail de Zurich, 30.4.92, JAR 1993 p. 167 : « Sicherheit grenzende Wahrscheinlichkeit », passage cité par Vögeli, 1996, p. 123 ; Emmenegger, 1999, p. 177.

1028 Tribunal des prud’hommes de Genève, 21.11.91, JAR 1992 p. 170.

1029 Tribunal des prud’hommes de Genève, 15.4.98, n. p., p. 10 (« un comportement indélicat à conno-tation sexuelle (…) paraît (…) hautement invraisemblable »).

1030 Tribunal du district d’Arlesheim, 21.1.99, n. p., p. 9 (« Ist ein direkter Beweis nicht möglich, darf der Richter seine Überzeugung auf (…) einen höheren Grad der Wahrscheinlichkeit stützen »).

1031 Tribunal administratif du canton de Genève, 9.12.03, n. p., p. 25.

vraisemblance ne suffit pas »1032. Selon les juges genevois, toutefois, la vrai-semblance prépondérante est suffisante dans le cadre d’un recours contre une décision de la Caisse de Chômage infligeant des journées de suspension pour être sans travail par sa faute1033. Lorsque la question de savoir s’il y a eu ou non harcèlement sexuel se pose dans le cadre d’un procès pour licenciement abusif ou discriminatoire, il suffit que le harcèlement soit rendu vraisem- blable, la preuve du motif du congé étant soumise à l’allègement prévu à l’art. 6 LEg1034. Ainsi, comme l’explique le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, « des faits de harcèlement sexuel en relation avec un licenciement ne doivent effectivement pas être prouvés, ils ne doivent être rendus que vraisemblables »1035.

1032 « (…), raison pour laquelle le Bureau (de l’égalité) n’a pas pu être aussi catégorique, quand bien même, selon lui, les éléments caractéristiques du harcèlement sexuel sont réunis », Tribunal des prud’hommes de Genève, 20.4.98, n. p., p. 5. La Chambre d’appel semble aussi écarter la vrai-semblance lorsqu’elle explique, dans un arrêt du 7.9.99. (n. p., p. 20), « force est de constater que X n’a pas établi à satisfaction (art. 8 CCS) la discrimination alléguée (…) Par surabondance de droit, la Chambre d’appel examinera également sous l’angle de la vraisemblance les allégations de l’appelante ».

1033 L’autorité administrative appelée à revoir la décision de suspension de la Caisse de chômage a donc pu se fonder sur le préavis du Bureau cantonal de l’égalité constatant que les éléments ca-ractéristiques du harcèlement sexuel étaient réunis. « L’autorité de recours a ainsi considéré que le harcèlement sexuel était un juste motif de résiliation au sens de l’art. 337 al. 2 CO et a admis le recours et annulé la décision de la Caisse de chômage » ; Tribunal des prud’hommes de Genève, 20.4.98, n. p., p. 4.

1034 Se référant à cette disposition, le Tribunal des prud’hommes de Genève relève dans un jugement (n. p.) du 27.7.98 : « une vraisemblance confinant à la certitude doit suffire et ce d’autant plus lorsque le motif du congé abusif repose sur un comportement discriminatoire tel qu’un harcèle-ment sexuel », p. 12. « En l’espèce la demanderesse a démontré, selon un degré de vraisemblance suffisant, qu’elle avait subi un harcèlement sexuel de la part de Y et que son opposition à ce comportement inopportun avait motivé de façon prépondérante son licenciement », p. 16. « La demanderesse a rendu pour le moins vraisemblable la réalité du harcèlement sexuel allégué, ainsi que le lien de causalité prépondérant entre ses refus aux avances de Y et son licencie-ment », p. 18. Voir aussi la jurisprudence suivante : Tribunal des prud’hommes de Genève, 3.8.98, n. p., pp. 11-14 (vraisemblance du harcèlement examinée dans le cadre des prétentions fondées sur l’art. 5 al. 2 LEg) ; Tribunal du district d’Arlesheim, 21.9.99, n. p., p. 13 (« Die Klägerin muss le-diglich glaubhaft machen, dass ihr infolge der sexuellen Belästigung (…) gekündet worden ist ») ; Tribunal des prud’hommes de Genève, 19.02.99, n. p., p. 5 (« la demanderesse a démontré, selon un degré de vraisemblance suffisant, qu’elle avait subi un harcèlement sexuel de Y, son supé-rieur hiérarchique, et que le comportement importun de ce dernier a rendu à tel point difficile et pénible l’ambiance de travail qu’elle a été forcée de démissionner ») ; Tribunal des prud’hommes de Genève, 22.5.00, n. p., pp. 17-18 (« les enquêtes n’ont pas (…) rendu vraisemblable, que Y avait (…) tenté (…) d’embrasser la demanderesse et que le véritable motif du congé résiderait dans le refus de cette dernière de céder à ses avances »).

1035 Décision non publiée, 16.12.02, p. 13. (La recourante déclare « avoir été victime de harcèlement sexuel. Dans ce cas, selon l’art. 6 LEg, l’allègement du fardeau de la preuve doit être appliqué puisqu’il s’agit de la résiliation des rapports de service », p. 9).