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En pratique, il est souvent évoqué un « paiement d’avance » Mais il ne s’agit pas d’un paiement

Dans le document Les dates de naissance des créances (Page 62-65)

§2 : La thèse périodique dualiste 

Section 1 : Des thèses lacunaires

A.   La possibilité d’un paiement antérieur 

98. En pratique, il est souvent évoqué un « paiement d’avance » Mais il ne s’agit pas d’un paiement

avant la naissance de la créance de prix qu’il éteint3. Le paiement d’avance signifie simplement qu’il a lieu avant l’exécution de la contreprestation. C’est ce qu’il ressort des définitions de l’acompte et

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Un arrêt peut être cité pour illustrer cette impossibilité de paiement avant naissance de la créance, soc. 7 mars 2007, n°05- 45511, P-R, D. 2007, 945, A. FABRE, C. LEFRANC-HAMONIAUX, JCP G 2007, II 10077, D. CORRIGNAN-CARSIN, RLDA 2007/17 n°1045, Ch. NEAU-LEDUC. Il s’agissait du paiement d’une clause de non-concurrence qui avait été exécutée par le salarié postérieurement à la rupture de son contrat de travail. L’employeur arguait que cette obligation de non-concurrence avait déjà fait l’objet d’un paiement tout au long du contrat de travail sous la forme d’un surplus de salaire. La cour écarte cet argument au motif que le paiement ne peut intervenir avant la rupture du contrat : « Attendu que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d’indemniser la salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d’une obligation qui limite ses possibilités d’exercer un autre emploi ; que son montant ne peut dépendre uniquement de la durée d’exécution du contrat ni son paiement intervenir avant la rupture ». Or, si le paiement ne pouvait intervenir avant la rupture, c’est parce que cette dernière constitue la date de naissance de la créance d’indemnité de non-concurrence et qu’un paiement ne saurait intervenir avant la naissance du droit qu’il est censé éteindre.

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POTHIER, Traité des obligations, 1821, rééd. Dalloz-Syrey 2011, n°494.

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Dans ce sens pourtant, A. SÉRIAUX, « Conception juridique d’une opération économique, le paiement », RTD civ. 2004 p. 225, spéc. n°4. Partisan de la thèse matérialiste, l’auteur va courageusement jusqu’au bout de son raisonnement et estime que le paiement peut avoir lieu avant la naissance de la créance pour éteindre une créance future : « La chronologie ne fait ici rien à l'affaire (...) d'ordinaire, le solvens réglera une dette passée... mais rien n'empêche qu'il se libère d'avance d'une dette future, comme il advient en cas de versement d'un acompte ». Courageuse, l’affirmation n’en est pas moins contre-nature, ce qui ne va pas sans conséquences. Plus loin, l’auteur laisse entrevoir des failles. Alors qu’il se basait essentiellement sur le paiement d’avance pour affirmer qu’il pouvait avoir lieu avant paiement, définissant plus loin l’acompte, l’auteur évoque l’exigibilité : « dans sa pureté, l’acompte est l’acquittement anticipé d’une dette non encore née ou, à tout le moins, non encore exigible ». Enfin, au sujet du paiement subrogatoire, l’auteur écrit que « c’est, à l’arrière-plan, l’existence de cette dette qui justifie tout à la fois l’idée de paiement et celle de subrogation ». Ainsi, lorsque la vigilance diminue, la nature revient, le paiement suppose la dette.

de l’avance au Vocabulaire Capitant. Le paiement d’avance ne donne pas lieu à répétition de l’indu1, ce qui montre bien que ce paiement n’est pas effectué avant la naissance de la créance.

Des auteurs ont toutefois tenté de contourner cette vérité première en qualifiant de gage le paiement avant exécution de la contreprestation. Pour eux, le paiement avant exécution ne serait pas un véritable paiement extinctif d’un droit de créance. Mourlon2 proposait déjà en 1865 d’analyser le paiement d’avance en gage sui generis : « ce n’est point, à proprement parler un payement... il n’y a là véritablement qu’un gage sui generis. C’est un gage irrégulier…, ce n’est positivement qu’une sûreté accompagnée de certains avantages… ». Pareille analyse fut par la suite reprise par Berthaux dans une thèse de 19143. L’idée se retrouve plus récemment sous la plume de Catherine Golhen4 dans sa thèse de 2006, sur les contrats dits à exécution successive où l’auteur propose de qualifier de gage espèce le paiement effectué d’avance. L’argument ne convainc pas.

D’une part, sur le plan théorique, cette proposition force la volonté des parties. Lorsqu’elles effectuent un paiement d’avance, elles entendent éteindre leur dette, certes sous la condition résolutoire de bien recevoir la prestation promise en contrepartie, mais qui dit résolution dit anéantissement, destruction de la créance préalablement née et non pas son absence de naissance. En effectuant ce paiement, il est fictif d’affirmer que les parties aient la volonté de constituer un gage ou de consentir un prêt5 à leur fournisseur ou prestataire. D’ailleurs, la jurisprudence ne qualifie pas le paiement d’acte juridique, mais de fait6, et il est peu probable qu’il en aille différemment pour le paiement d’avance que la jurisprudence qualifie bien de paiement partiel7, qualification reprise par la doctrine8, et non pas de gage ou de prêt.

D’autre part, ces propositions supposent l’existence, dans l’intervalle, d’une dette en sens inverse, d’une dette de restitution du fournisseur à l’égard de son client, dont l’exigibilité est suspendue, et qui viendra s’éteindre par compensation avec la créance de prix lorsqu’elle naîtra. Or, cette créance

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Com. 13 nov. 2001 n°99-14791, inédit : « Attendu … que… le paiement d’avance, fût-il forcé, de tout ou partie de la créance… ne pouvait donner lieu à répétition, malgré le terme prévu par la plan d’apurement du passif… ».

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F. MOURLON, note sous cass. 28 mars 1865, D. 1865,1,201.

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C. BERTHAUX, Des garanties du bailleur de locaux affectés au Commerce pour le paiement de ses loyers (en présence de la Loi du 17 mars 1909), th. 1914, p. 23 et 24.

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C. GOLHEN, th. op. cit. n°348.

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Si tel était le cas, l’opération économiquement inverse, à savoir une vente à tempérament, constituerait également un prêt, ce qui n’est pas le cas, la vente à tempérament ne peut être considérée comme une « opération de crédit » car il n’y a pas correspondance avec les définitions légales des articles L.313-1 du Code monétaire et financier et L.311-2 al.2 du Code de la consommation5. Si la pratique parle parfois de crédit fournisseur, cela ne représente certainement pas une réalité juridique, mais plutôt une sorte d’équivalent économique du paiement d’avance.

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Malgré un rappel récent sur la nature juridique du paiement en fait et non pas en acte juridique (Civ. 1, 16 sept. 2010 n°09- 13947, F P+B+I, JCP G. 2010, 1040, n°15, G. LOISEAU, RDC 2011, p. 103, R. LIBCHABER, Contrats, conc. Consom. 2010, comm. 266 n°12, L. LEVENEUR), il peut être considéré que la question reste controversée car si le régime de la preuve dont il était question renvoie à la nature de fait, les conditions de capacité collent certes mieux quant à elles à la notion d’acte juridique. Il nous semble malgré tout que le paiement constitue un fait juridique car les circonstances et l’état d’esprit des parties correspondent mieux à la réalisation d’un simple fait qu’à celle d’un acte juridique. Sur cette controverse quant à la nature juridique du paiement : N. CATALA, La nature juridique du paiement, th. 1960 et G. LOISEAU, « Réflexion sur la nature juridique du paiement », JCP G 2006 I 171. Quoi qu’il en soit il ne nous semble pas que cette controverse quant à la nature juridique du paiement interfère sur nos propos, quelle que soit la nature du paiement, celui-ci suppose la préexistence de la dette qu’il est censé éteindre, la naissance antérieure de la créance.

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Civ. 3, 7 juill. 2010 n°09-15081, RD imm. 2010 p. 556, O. TOURNAFOND : « en cas de résolution d’une vente, la restitution du prix perçu par le vendeur est la contrepartie de la chose remise par l’acquéreur et qu’ainsi, seul celui auquel la chose est rendue doit restituer à celui-ci le prix qu’il en a reçu ». Etait en jeu la personne pouvant recevoir la restitution des acomptes versés suite à l’annulation d’une chaine de contrats. La cour qualifie ici des acomptes reçus de « prix perçu », donc d’un paiement partiel et non d’une sorte de prêt sui generis avant naissance des créances.

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J. FRANÇOIS, Les obligations, Régime général, traité Économica 3ème éd. 2013, n°16. M.-L. MATHIEU-IZROCHE et S. BENILSI, « Paiement », Rép. Dalloz 2013, n°50 : « L’acompte est un paiement partiel… ».

de restitution de l’acompte versé du client sur son fournisseur n’a pas d’existence en droit positif. Ainsi, dans l’hypothèse de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du fournisseur, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l’occasion d’expliquer que les créances du client sur le fournisseur consécutives des versements antérieurs de ces acomptes n’avaient pas à être déclarées car elles ne constituaient en réalité que des modalités de paiement des contrats continués et exécutés par la suite1. En vérité, si ces créances n’eurent pas à être déclarées et ne furent pas éteintes pour défaut de déclaration à l’ouverture de la procédure collective, c’est simplement parce que ces « créances » de restitution d’acompte n’existaient pas. Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 novembre 20052 peut également être cité dans ce sens. Il s’agissait toujours de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du fournisseur. Le versement des acomptes était antérieur, tandis qu’un jugement prononçant la caducité du contrat et la restitution desdits acomptes était postérieur à l’ouverture de la procédure collective. Si le paiement des acomptes avait seul suffi à donner naissance à une créance du client sur son fournisseur, alors la dette de restitution aurait été née du versement desdits acomptes, avant l’ouverture de la procédure et n’aurait ainsi pas pu bénéficier du privilège de procédure de l’ancien article 40. Tel ne fut pas le cas, la créance de restitution des acomptes était née du jugement postérieur prononçant la caducité du contrat et devait dès lors bénéficier du privilège de l’ancien article 40 en tant que créance postérieure. Il résulte bien des deux arrêts précités qu’aucune créance ne naît en sens inverse du client sur son fournisseur en cas de versement d’acompte. Une telle créance ne naît qu’en cas d’anéantissement ou de réfaction du contrat par le fait d’un jugement. Dès lors, si le versement des acomptes ne fait pas naître de créance, c’est bien qu’ils sont constitutifs d’un paiement partiel extinctif de la créance de prix.

99. Comme l’écrivent Messieurs Ghestin, Billiau et Loiseau3, en « bref, si “tout payement suppose une dette“, l’exécution de toute dette constitue un paiement ». Nier la nécessité d’existence de la créance avant son extinction heurte de plein fouet la cohérence générale du droit privé français. Il est donc possible de s’appuyer avec certitude sur l’extinction de la créance pour montrer son existence antérieure. L’exigibilité de la créance constitue l’antichambre du paiement. À ce titre, elle peut être assimilée à ce dernier comme révélateur de l’existence préalable du droit de créance. Il en va de même de la menace d’extinction ou d’inefficacité du droit. En effet, pour être menacé dans son existence ou son efficacité, encore faut-il que le droit existe.

Pour réfuter les thèses d’une naissance reportée au stade de l’exécution du contrat, il suffit de démontrer la possibilité d’un paiement ou assimilé antérieur aux dates de naissance de la créance de prix véhiculées par ces thèses. L’utilisation des trois révélateurs de l’existence de la créance assimilés à son paiement permet d’aller dans ce sens.

La possibilité d’un paiement du prix avant l’exécution de la prestation dénie la thèse matérialiste qui fait naître le prix de ladite exécution (1). L’obligation de déclarer les échéances antérieures en droit des entreprises en difficulté montre bien que la créance existait avant la survenance de ces échéances successives et dénie par là même la thèse périodique (2). Surtout, la possibilité historique d’exiger le

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Com. 28 janv. 1997, n°93-21857, P, JurisData 1997-000316 ; JCP E 1997, pan. 284 ; JCP G 1997, IV 626, D. aff. 1997, 419.

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Com. 15 nov. 2005, n°04-16416, P, D. 2005, 3012, A. LIENHARD.

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paiement de toutes les échéances du bail commercial postérieures à l’ouverture de la procédure collective prouve sans l’ombre d’un doute que les loyers successifs du contrat de bail correspondent à une seule créance née au jour du contrat (3).

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