• Aucun résultat trouvé

Le paiement du prix avant l’exécution de la contreprestation 

Dans le document Les dates de naissance des créances (Page 65-68)

§2 : La thèse périodique dualiste 

Section 1 : Des thèses lacunaires

A.   La possibilité d’un paiement antérieur 

1/  Le paiement du prix avant l’exécution de la contreprestation 

100. Le paiement avant exécution de la contreprestation montre que la créance qu’il éteint était

nécessairement née avant ladite exécution. Cela invalide la thèse matérialiste, mais n’atteint pas la thèse périodique dans laquelle la créance de prix naît également avant exécution de la prestation, successivement au début de chaque période contractuelle. Cet obstacle d’un paiement possible avant exécution n’a pas échappé à Messieurs Mestre, Putman et Billiau1.

Des exemples variés peuvent être cités, tant pour les contrats à exécution instantanée que pour les contrats à exécution successive (a) et un exemple particulier peut recevoir une attention spécifique, celui du pas de porte (b).

a) Une pratique courante et variée

101. Il est vrai que l’article 1651 du Code civil dispose que le paiement du prix s’effectue au jour de

la livraison. Mais il ne s’agit là que d’une date d’exigibilité par défaut à laquelle les parties peuvent déroger. Il faut prendre garde à cet égard de ne pas confondre naissance et exigibilité de la créance2. L’article 1613 du Code civil le confirme car il opère un renversement de cet ordre d’exécution en cas de faillite ou de déconfiture de l’acheteur3. Dans cette hypothèse, le vendeur peut refuser de livrer la chose, quand bien même un délai de paiement aurait été initialement octroyé, ce qui implique bien que l’ordre d’exécution s’en trouve renversé et que l’acheteur en faillite se doit de payer le prix s’il veut recevoir livraison de la chose qu’il a commandée.

102. Dans les contrats à exécution instantanée, le paiement avant exécution de la prestation fait

partie du quotidien.

Chacun a pu en faire l’expérience en prenant l’avion, le train, le tramway, le bus ou le métro car le billet est nécessairement acheté avant le voyage. Les voyageurs sont d’ailleurs incités à acheter leurs billets d’autant plus tôt que les tarifs qui leur sont proposés sont plus intéressants (Easy Jet, IDTGV,…). Il en va de même pour les achats par correspondance, notamment ceux nombreux effectués sur internet4, qui sont généralement payés à la commande et non à la livraison, parfois sans doute avant même que le produit ne soit fabriqué si le fournisseur fonctionne en flux tendus.

1

J. MESTRE, E. PUTMAN, M. BILLIAU, Droit spécial des sûretés réelles, traité LGDJ 1998, n°755.

2

E. PUTMAN, th. op. cit n°212, rappelé par S. TORCK, article op. cit. n° 23 in fine.

3

La terminologie est certes obsolète. Il n’en reste pas moins que l’article conserve sa valeur sur le plan des principes.

4

Sur le volume chaque jour plus important des achats instantanés en ligne : P. LE TOURNEAU, Contrats informatiques et électroniques, Dalloz Référence, 2012/2013, p. 333. et s., spéc. p. 339.

Peuvent être également citées en exemple les ventes avec clause de réserve de propriété où, structurellement, la prestation caractéristique du transfert de propriété ne peut s’opérer sans le paiement du prix.

Tel est également le cas de certains titres financiers négociables dont le transfert de propriété ne peut s’opérer qu’après paiement intégral du prix par l’acquéreur1. Cela ne signifie pas pour autant que les parties ne soient pas engagées avant exécution de la première prestation. Ainsi, pour le dernier exemple, l’art. L. 211-17-1 du Code monétaire et financier précise que « l’acheteur et le vendeur (...) sont, dès l’exécution de l’ordre, définitivement engagés, le premier à payer, le second à livrer ».

103. Dans les contrats à exécution successive, le paiement avant exécution de la contre-prestation

est également fréquent au point que chacun a pu pareillement en faire l’expérience au quotidien. Ainsi, dans les contrats d’assurance ou de mutuelle, les paiements se font souvent annuellement par tacite reconduction en début d’année. La prime d’assurance est donc payée avant l’année de couverture qu’elle recouvre.

De même, chacun a pu faire l’expérience du paiement de son loyer en début de mois pour le mois à venir, c’est-à-dire d’un paiement à terme à échoir. On trouve d’ailleurs sur les sites internet2 à vocation pratique des définitions du bail et du crédit-bail qui sous-entendent clairement cette possibilité.

Même dans le bail, rien n’empêche les parties de prévoir la location d’un bien sur plusieurs années avec le paiement immédiat de tout le loyer correspondant. Tel était le cas dans un arrêt du Conseil d’État du 18 juin 1971, une entreprise avait consenti un bail de plusieurs années prévoyant l’exigibilité immédiate du total des loyers. Le Conseil d’État valide en l’espèce l’imposition immédiate de tous ces loyers payés en une seule fois3.

104. Concernant la sous-catégorie des contrats à exécution échelonnée, de nombreux prestataires de

services proposent des tarifs dégressifs à mesure que vous achetez dès à présent un volume de plus en plus grand de prestations à venir : cabines de bronzage, spa, salons de massage ou d’esthétique. Dans tous les cas, vous payez immédiatement des prestations qui ne vous seront fournies que postérieurement. Il en va de même pour les abonnements en salle de sport ou des adhésions à des clubs de sport, vous payez immédiatement votre abonnement ou votre adhésion annuelle, avant même d’avoir commencé à utiliser les installations sportives de salle4 ou du Club.

1

Art. L. 211-17 CMF.

2

Déficréation.com (http://www.deficreation.com/modules.php?name=Encyclopedia&op=content&tid=566): « le crédit-bail étant juridiquement une location, les loyers sont payables d’avance, c’est-à-dire en début de période, c’est ce qu’on appelle payable à “terme à échoir“, à la différence des crédits classiques dont les échéances sont payés à termes échu ». Cette définition est erronée puisque les parties peuvent aussi bien stipuler un paiement à terme à échoir qu’un paiement à terme échu. Les praticiens ont la fâcheuse tendance de confondre habitude pratique et réalité juridique. Cela a l’avantage ici de montrer à quel point la pratique du paiement du loyer à termes à échoir, c’est-à-dire avant l’octroi de la jouissance des locaux, doit être fréquente en pratique.

3

CE 18 juin 1971 n°76927. Aujourd’hui, il n’y aurait plus imposition immédiate de tous les loyers, la loi de finances pour 1979 ayant aligné le fiscal sur le comptable en la matière avec l’adoption de l’article 38 du CGI.

4

Quand bien même vous choisiriez un paiement mensuel, les prestations sont immédiatement payées pour l’année à venir car, dans la pratique, ce n’est pas un achat à tempérament qui est alors effectué, il vous est adjoint un contrat de prêt à votre contrat d’abonnement, vous empruntez auprès d’un établissement de crédit qui paie quant à lui l’intégralité de l’abonnement annuel à la salle de sport. Il en résulte qu’en cas de faillite et de fermeture de la salle en cours d’année, vous ne pouvez pour autant échapper

Tel est également le cas des abonnements téléphoniques. Vous payez à SFR ou à Orange en début de mois votre abonnement pour le mois à venir, même si vous payez en sus les consommations du mois passé qui n’étaient pas incluses dans le forfait1.

Dans la même veine, il est rare que l’avocat ou le commissaire aux comptes accomplissent leurs prestations sans avoir reçu au préalable des provisions sur honoraires qui ne sont pas autre chose que des paiements partiels effectués généralement avant tout commencement d’exécution de la prestation.

Les textes viennent parfois confirmer de façon incidente la possibilité d’un paiement avant exécution de la prestation. Ainsi, afin de protéger le profane contre le professionnel, le Code de la construction et de l’habitation protège l’acheteur d’un immeuble en état futur d’achèvement en limitant le montant des paiements versés avant l’achèvement de la construction2, ce qui signifie bien qu’à défaut de telles dispositions des paiements plus importants, voire un paiement intégral, seraient possibles.

b) L’exemple spécifique du pas-de-porte

105. Interdit pour les baux civils, mais licite pour les baux commerciaux, le pas-de-porte s’entend

d’une « somme versée par le preneur au bailleur en une seule fois au moment de son entrée dans les lieux »3 et qui ne doit pas être confondue avec le dépôt de garantie ou le cautionnement.

Or, selon l’interprétation que fera le juge de la commune volonté des parties4, ce pas-de-porte pourra être qualifié d’indemnité ou de complément de loyers. La différence de qualification emporte des conséquences au niveau de l’application de la législation sur les baux commerciaux, mais aussi aux niveaux comptable et fiscal. Qualifié de complément de loyer5, il devra en être tenu compte pour le calcul du loyer révisé ou celui de l’indemnité d’éviction6. En tant qu’indemnité, le pas-de-porte a pour fonction d’indemniser la perte d’un élément du patrimoine du bailleur et constitue corrélativement l’acquisition d’un élément incorporel pour le preneur. Il s’ensuit que, du point de vue fiscal et comptable, le pas-de-porte constitue une immobilisation côté preneur et une indemnisation non imposable côté bailleur. Au contraire, lorsqu’il constitue un complément de loyer, le pas-de- porte est imposable7 au titre des revenus fonciers côté bailleur et déductible au titre des charges côté preneur.

aux paiements des mensualités à venir au prétexte que la prestation ne vous est plus octroyée, car votre créancier n’est plus la salle de sport qui ne fournit plus de prestation, mais l’établissement de crédit qui vous a bien quant à lui prêté l’intégralité de la somme nécessaire au paiement de votre abonnement annuel et à l’égard duquel ne peut être opposé l’inexécution de la prestation au contrat principal.

1

Téléphonie non incluse dans le forfait, chaines de télévision et locations de vidéos non incluses dans votre forfait.

2

L’art. R. 261-14 du Code de la construction et de l’habitation dispose que « les paiements et les dépôts ne peuvent excéder » 35% du prix à l’achèvement des fondations, 70% à la mise hors d’eau…

3

A. D’ANDIGNÉ-MORAND, Baux commerciaux, industriels et artisanaux, Delmas 2012, n°702.

4

Cass 12 mars 1958, Rev. loyers 1958 p. 287. Pour l’interprétation, la fixation au jour du contrat d’un loyer inférieur à la valeur locative constitue un indice important : Rép. min. n°13109, JOAN 4 juill. 1994, 3416.

5

Com. 29 mars 1966, Rev. loyers 1966 p. 470 et CA Paris 29 nov. 1966 JCP G 1966 IV 66.

6

CA Paris 19 mars 1962 AJPI 1962 p. 663 et com. 27 oct. 1966 Rev. loyers 1967 p. 37.

7

CE 24 févr. 1978 RJF 1978, 348, obs. Verny, CE 29 sept. 1989 n°68212, CE 10 oct. 1979, n°15483, CE 17 juin 1985, Dr. fisc. 1986, n°893 p. 586. CE 4 oct. 1978 JCl loyer ZB 10-1 n°17.

106. Ce qui intéresse ici, c’est le pas-de-porte en tant que complément de loyer. Il constitue en effet

une « modalité de fixation du loyer »1 et représente le paiement immédiat d’une partie de la jouissance postérieure, autrement dit un paiement antérieur aux dates proposées par les thèses matérialiste et périodique2, avant l’occupation postérieure et avant chaque début de période fixée au contrat pour le paiement des loyers.

Il est paradoxal de remarquer que la pratique, qui pencherait davantage pour la thèse d’une naissance au stade de l’exécution du contrat de bail, est elle-même à l’origine du pas-de-porte qui montre au contraire que la créance de loyers naît avant l’exécution du contrat de bail, au moment où le pas-de- porte est payé.

C’est que les thèses contemporaines sont en réalité erronées, les loyers naissent avant l’occupation et avant les dates de début de période contractuelle fixée pour leur paiement. Il n’est d’ailleurs pas que le paiement antérieur de la créance qui peut le démontrer, la menace d’extinction ou d’inefficacité recèlent en effet des vertus identiques au paiement en matière de révélation de la date de naissance de la créance.

Dans le document Les dates de naissance des créances (Page 65-68)

Outline

Documents relatifs