• Aucun résultat trouvé

Exposé de la naissance matérialiste 

Dans le document Les dates de naissance des créances (Page 43-46)

§1 : Une thèse fondée sur la jurisprudence du privilège de procédure 

A.  Exposé de la naissance matérialiste 

68. Avec la naissance matérialiste, la créance de prix naît de l’exécution de la contreprestation. Elle

tire son nom du fait générateur de la créance, le réel, le matériellement exécuté, la prestation caractéristique dont l’exécution ne peut véritablement être effacée. C’est la thèse qui trouve le plus d’assise en droit positif car elle comporte nombre d’arrêts rendus en droit des entreprises en difficulté.

Dans un récent arrêt du 27 septembre 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation consacre expressément l’analyse qui pouvait être faite auparavant de sa jurisprudence. Auparavant, elle se référait expressément à l’exécution de la contreprestation, mais elle ne consacrait pas in abstracto une naissance de la créance de prix au jour de l’exécution de la prestation caractéristique. C’est ce qu’elle fait dans cet arrêt : « Mais attendu, d'une part, que la date d'exigibilité de la commission ne se confond pas avec la date du fait générateur de la créance, qu'en conséquence la créance d'honoraires de résultat ne naît pas à la date du paiement, mais à celle de l'exécution de la prestation caractéristique »1.

Dans la jurisprudence antérieure, peut être par exemple cité un arrêt du 2 octobre 2001 concernant les honoraires d’un commissaire aux comptes, où l’arrêt d’appel est censuré pour ne pas avoir « distingué, pour déterminer la date à laquelle était née la créance d’honoraires du commissaire aux comptes, les prestations accomplies antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective et celles accomplies postérieurement »2.

Comme l’a remarqué Martine Behar-Touchais3, il semble que cette thèse ait été consacrée légalement par la réforme du 26 juillet 2005 du droit des entreprises en difficulté car l’article L. 622-17 du Code de commerce énonce que le privilège de procédure bénéficie notamment aux « créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture (...) en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période ».

69. Dans ce courant jurisprudentiel, la créance de prix naît de façon continue au fur et à mesure de

l’exécution de la prestation, elle ne naît pas aux termes d’exigibilité.

Certains arrêts ventilent les créances antérieures et postérieures en se basant sur l’échéance qui n’est autre que la date d’exigibilité de la créance4. Ainsi, les expressions « loyers échus postérieurement

1

Com. 27 sept. 2011, n°10-21277, P, D. 2011, 2398 A. LIENHARD, Act. Proc. Coll. 2011, n°264, note P. CAGNOLI, RLDC 2011, 88, n°4463, obs. J.-J. ANSAULT.

2

Com. 2 octobre 2001, n°98-22493, P, D. 2001, p. 800, note F. DERRIDA, D. 2001, 3118, obs. A. LIENHARD, Bull. Joly Stés, janv. 2002 p. 39, D. Vidal, JCP G 1999, I n°177, p. 1929, obs. P. PÉTEL, JCP E 2002, p. 181, note F. Pasqualini. De même, pour un expert judiciaire, com. 14 mars 1995 n°92-20228, P.

3

M. BEHAR-TOUCHAIS, « La date de naissance de la créance issue d’un contrat synallagmatique à exécution successive », in Colloque du CEDAG sur la date de naissance des créances, LPA, 9 nov. 2004 n°224 p. 41.

4

Cette confusion pousse parfois la Cour de cassation à écrire une chose et son contraire dans le même attendu, Com. 2 mars 1999, n°96-19743, inédit, LPA 2000, n°22, p. 21, note Ch. GALLET, Rev. Proc. Coll. 2000, p. 128, note F. MACORIG- VERNIER : « Mais attendu, d'une part, qu'il résulte de la combinaison des articles 47, alinéa 1er, et 37, alinéa 1er, de la loi du 25 janvier 1985 qu'un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture ne peut exercer d'action en résolution ou tendant à faire constater l'acquisition d'une clause résolutoire pour défaut de paiement d'une somme d'argent que s'il s'agit de sommes échues après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du débiteur et qui sont dues en vertu d'un contrat en cours au sens de l'article 37 de la loi précitée ; que la créance des époux A... pour les arrérages échus antérieurement et postérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire de Mme Y... ayant son origine dans le contrat de vente conclu antérieurement et celui-ci n'étant plus en cours au sens du texte précité, dès lors que le transfert de

au prononcé du redressement judiciaire »1 ou « loyers dus postérieurement au jugement d’ouverture »2 renvoient de toute évidence à la date d’échéance des loyers. Et la doctrine suit ce mouvement. Ainsi, pour Marie-Pierre Dumont Lefrand, « il est bien évident que les créances de loyers échus pendant la période d’observation seront toujours des créances postérieures visées par le privilège de l’art. L. 622-17 »3.

Mais il est des arrêts qui tranchent clairement l’hésitation entre l’exécution de la prestation et la date d’exigibilité pour systématiquement choisir la première et exclure la seconde. Les solutions précitées ne proviennent donc que d’un relâchement terminologique4 qui peut se retrouver lorsque le différentiel entre les deux dates ne représente pas un enjeu financier important. Lorsque celui-ci est important, les parties ne manquent pas d’exiger une ventilation de l’échéance entre le prix de l’exécution postérieure privilégié et le prix de l’exécution antérieure qui ne l’est pas. Tel était le cas dans un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 28 mai 2002 où il s’agissait du crédit-bail de biens immobiliers aux redevances semestrielles s’élevant à 800.000 F environ. L’ouverture de la procédure était intervenue en milieu de période et le mandataire avait payé intégralement la redevance arrivée à échéance après le jugement d’ouverture, mais afférent pour moitié à une période antérieure à celui-ci. Le représentant des créanciers avait demandé le remboursement de cette portion de redevance afférente à une période antérieure au redressement judiciaire. Faisant application de la thèse périodique d’une renaissance successive aux dates d’échéances, la cour d’appel l’avait débouté au motif que, « si le contrat est stipulé à terme échu, l'administrateur doit payer l'intégralité de l'échéance bien que le redressement judiciaire ait pu intervenir au cours de la période afférente à cette échéance ». L’arrêt est cassé au visa des articles 37, 40 et 50 de la Loi de 1985, la cour consacre ainsi la thèse matérialiste et rejette explicitement la date de l’exigibilité : « Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la redevance prévue par un contrat à exécution successive poursuivi par l'administrateur est une créance de la procédure pour la prestation afférente à la période postérieure au jugement d'ouverture et constitue une créance née antérieurement au jugement d'ouverture pour la prestation afférente à la période antérieure à ce jugement et soumise à déclaration au passif, peu important la date à laquelle la redevance est devenue exigible, la cour d'appel a violé les textes susvisés »5.

propriété de l'immeuble vendu s'était, en l'espèce, réalisé à compter du 1er décembre 1988, la résolution du contrat de vente pour non-paiement de ces arrérages ne pouvait qu'être écartée à défaut de constatation de la mise en œuvre de la clause résolutoire par une décision passée en force de chose jugée avant le jugement d'ouverture ».

1

Com. 9 avr. 1991, n°89-16742, P, D. 1993, 10, F. DERRIDA.

2

Com. 27 oct. 1998, n°95-21286, P.

3

M.-P. DUMONT-LEFRAND, Rép. civ. D., « Baux commerciaux », oct. 2013, n°337.

4

Pour un exemple de relâchement terminologique flagrant, com. 3 avr. 2001, n°98-13657, P, D. 2001, 1467, obs. A. LIENHARD. Il s’agissait d’un bail immobilier, les protagonistes avaient d’eux-mêmes appliqué la thèse matérialiste. La contestation portait sur le bénéfice du privilège de procédure, mais pour des raisons autres que la date de naissance de la créance, pour des raisons qui ne nous intéressent pas ici. Toujours est-il que la Cour n’a alors pas à focaliser son attention sur la date de naissance de la créance. Son relâchement terminologique dans le rappel des principes applicables en matière de privilège de procédure est dès lors intéressant. Elle se réfère à la thèse matérialiste dans l’attendu de rejet du premier moyen : « des loyers afférents à la période allant de… constituent des créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture ». Mais elle se réfère ensuite à la thèse périodique dans son rejet du second moyen : « le titulaire d'une créance de l'article 40… peut exercer librement son droit de poursuite individuelle pour obtenir le paiement des créances échues… ».

5

Com. 28 mai 2002, n°99-12275, P, LPA 2002, n°253, p. 18, note J.-L. COURTIER, D. 2002, 2124, A. LIENHARD, JCP. G 2003, II n°113 p. 348, obs. P. PÉTEL, RTD com. 2002, 724, A. MARTIN-SERF. Dans le même sens, com. 6 janv. 1998 n°95- 15407 P, JCP E 1998 I p. 654, note M. CABRILLAC, RTD civ. 1998, 368, obs. J. MESTRE, dans le cadre d’un plan de cession, cession judiciaire forcée d’un contrat de crédit-bail, la Cour autorise le crédit-bailleur à agir contre le cessionnaire pour obtenir paiement de la période postérieure à la cession, alors même que l’exigibilité était antérieure car le paiement était stipulé à termes à échoir, elle énonce en chapeau que « le cessionnaire est tenu des créances correspondant à la période de jouissance postérieure à la date ainsi fixée, peu important l'exigibilité de ces créances, antérieure à cette date ».Voir également dans le

De même, dans un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 janvier 20101, il s’agissait d’un contrat de crédit-bail souscrit avant et poursuivi après le jugement d’ouverture de la procédure collective. La cour d’appel avait débouté le crédit-bailleur de sa demande en paiement au motif que le contrat avait été souscrit antérieurement, sous-entendant par là que la créance de loyer était née au seul jour du contrat pour tous les termes à échoir. L’arrêt est cassé pour violation de l’art. L. 621-32 car « la créance relative aux loyers du crédit-bail dus pour la période de jouissance suivant l'ouverture du redressement judiciaire constituait une créance née régulièrement après le jugement d'ouverture, qui n'était pas soumise à l'obligation de déclaration, et ne pouvait donc être éteinte ». La doctrine approuve cette solution2.

Au surplus, nombre de décisions, sans trancher la question, se réfèrent terminologiquement « aux loyers afférents à la période »3 de redressement judiciaire pour déterminer les « créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture » devant bénéficier du privilège de l’art. L. 622-17 du Code de commerce. Des arrêts encore plus précis énoncent que « les loyers dus… en contrepartie de la jouissance des véhicules pendant la période considérée constituaient une créance née régulièrement après le jugement d’ouverture »4. Il en va de même pour les créances de salaires qui naissent au fur et à mesure du travail effectué, ainsi que les créances légales qui leurs sont

même sens, tranchant entre exigibilité et exécution de la contreprestation, com. 27 févr. 2007 n°05-19619, inédit, Bull. Joly 2007 p. 833, com.8 janv. 2008 n°07-16688, inédit, FD, pour la ventilation de la créance de prime d’assurance, ou encore com. 15 oct. 2002, n°99-18914, inédit, Loyers et copr. 2002, n°285, Ph.-H. BRAULT.

1

Com. 12 janv. 2010 n°08-21456, P, D. 2010, 1820, F.-X. LUCAS et P.-M. LE CORRE, Rev. proc. coll. 2010, p. 52, comm. F. PÉROCHON, Rev. proc. coll. 2012, p. 72, note C. SAINT-ALARY-HOUIN. Dans le même sens, via une compensation, com. 20 mars 2001 n°98-14124, P, D. 2001, 1391, A. LIENHARD, JCP G 2001 I 360 p. 2041, obs. M. CABRILLAC et Ph. PÉTEL, JCP E 2002 n°224, M. KÉITA, RTD com. 2001, 765, obs. A.-L. MARTIN-SERF, la créance de restitution du dépôt de garantie se compense avec les seuls loyers correspondant à la période postérieure au jugement d’ouverture car elle est exigible en vertu du privilège de procédure, tandis que la créance correspondant à la période antérieure ne l’est plus en vertu de la suspension des poursuites. L’échéance est donc elle-même ventilée, mais elle n’est pas utilisée. Voir également com. 18 sept. 2007, n°05-14618, P, où, dans le cadre du transfert des contrats de travail avec un fonds de commerce, le nouvel employeur avait été contraint de payer les salariés pour des créances exigibles après le transfert, mais avait pu poursuivre l’employeur initial car celui-ci avait présidé à la naissance desdites créances et devait dès lors rembourser « la part correspondant au temps pendant lequel les salariés ont été » à son service. Encore, com. 14 oct. 1997, n°95-10418, inédit, où la Cour se réfère aux « prestations fournies » pour identifier la « créance antérieure ». Com. 17 nov. 2009 n°08-19537, F P+B, Resp. civ. et assur. 2010, comm. 57, note F. LEDUC, Rev. proc. coll. 2010, p. 51, note Ph. ROUSSEL-GALLE, où la Cour approuve les juges du fond d’avoir ventilé une échéance de prime d’assurance, « fraction de primes relative à la période postérieure » ayant été payée par le liquidateur.

2

F. DERRIDA, note sous Com. 9 avr. 1991, P, D. 1993, 10, où l’auteur rappelle qu’il ne faut pas confondre naissance et exigibilité de la créance, mais applique maladroitement cette distinction à la qualification de contrat en cours, au demeurant sans distinguer selon qu’il s’agit ou non de la prestation caractéristique. En l’espèce, effectivement la dette était antérieure et les échéances postérieures ne constituaient pas des naissances successives de créances mais des dates successives de remboursement du prix de l’immeuble transféré. Cependant, c’est parce que la propriété de l’immeuble avait été transférée avant l’ouverture de la procédure que le contrat n’était plus en cours. Il l’aurait été si cette propriété avait été retardée au complet paiement du prix car alors la prestation caractéristique du contrat n’aurait pas été épuisée au jour de l’ouverture de la procédure, alors même que cela n’aurait rien changé à la nature des échéances postérieures du remboursement du prix, dates d’exigibilité et non pas de naissance.

3

Com. 3 avr. 2001 n°98-13657, inédit, D. 2001, 1467, A. LIENHARD. Dans le même sens, com. 3 avr. 1990, n°88-19807, P : « les factures de loyers afférentes à la période… correspondent à une créance... née postérieurement au jugement arrêtant le plan de continuation et antérieurement à l'ouverture du second redressement judiciaire ». La cour de cassation utilise cette fois- ci cette date de naissance pour déterminer les créances qui ne bénéficient pas du privilège de procédure en ce qu’elles se situent dans une période intercalaire, entre deux procédures collectives successives.

4

Com. 16 oct. 1990 n°89-12930, P. Idem, Com. 12 janv. 2010 n°08-21456, P, D. 2010, 1820, F.-X. LUCAS et P.-M. LE CORRE, Rev. proc. coll. 2010, p. 52, F. PÉROCHON, Rev. proc. coll. 2012, p. 72, C. SAINT-ALARY-HOUIN, « la créance relative aux loyers du crédit-bail dus pour la période de jouissance suivant l’ouverture du redressement judiciaire constituait une créance née régulièrement après le jugement d’ouverture, qui n’était pas soumise à l’obligation de déclaration ». Cassation de l’arrêt d’appel qui avait fixé la naissance de la créance d’échéances de crédit-bail, tant échues qu’à échoir, au jour du contrat. L’enjeu résidait dans les conséquences d’une déclaration de créance irrégulière car effectuée par une personne ne disposant pas d’un pouvoir spécial ; la cour d’appel avait déduit l’extinction de la créance en relevant qu’elle aurait dû être déclarée, ce pourquoi elle doit au passage soulever que la créance dont il s’agit est bien une créance antérieure soumise à l’obligation de déclaration. L’arrêt est cassé car il s’agissait d’une créance postérieure non soumise à déclaration, pour laquelle le caractère irrégulier de la déclaration n’emportait aucun effet.

accessoires, que ce soit les indemnités de congés payés1 versées lorsque le salarié prend lesdits congés pour lui assurer un salaire durant ses vacances, ou encore les créances de cotisations sociales recouvrées par l’URSSAF. Peu importe les dates de déclaration, d’exigibilité ou de paiement desdites créances, les « salaires perçus pour une période de travail antérieure à l’ouverture de la procédure collective… {constituent} une créance… née antérieurement au jugement d’ouverture »2.

Enfin, la loi elle-même a fait ce choix entre exécution de la contreprestation et exigibilité au sujet du bail commercial qui fait l’objet de dispositions textuelles spécifiques. L’art. 38 de la loi du 25 janvier 1985 disposait originellement que « Le bailleur ne peut introduire ou poursuivre une action en résiliation du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise pour défaut de paiement des loyers que s'il s'agit des loyers échus depuis plus de trois mois après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire ». Il s’ensuivait que la jurisprudence appliquait la date d’échéance et non pas la date d’exécution de la prestation. Suite à cela, la réforme de 1994 est venue modifier le texte qui dispose depuis qu’à « compter du jugement d'ouverture, le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ou la résiliation de plein droit du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise pour défaut de paiement des loyers et des charges afférents à une occupation postérieure audit jugement. Cette action ne peut être introduite moins de deux mois après le jugement d'ouverture »3. Entre les dates d’exigibilité et la date d’exécution de la prestation, le législateur a donc fait son choix pour la date d’exécution de la contreprestation.

Dans le document Les dates de naissance des créances (Page 43-46)

Outline

Documents relatifs