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L’argumentation spécifique aux contrats à durée indéterminée

Dans le document Les dates de naissance des créances (Page 169-173)

§ 2 : Interprétation renouvelée de la cession de contrat 

Chapitre 2 L’argumentation spécifique aux contrats à durée indéterminée

263. Il n’est pas possible d’éluder la question de la date de naissance des créances issues d’un contrat

à durée indéterminée, car une partie de la problématique quant à la date de naissance des créances se cristallise sur ce contrat. Les partisans de la thèse périodique dualiste arguent des particularités que présente le contrat à durée indéterminée pour soutenir que les créances naissent successivement au stade de l’exécution du contrat quant à lui. Il est vrai que la physionomie de ce contrat et l’absence de connaissance a priori de sa durée d’exécution, se prêtent mal à une naissance pour le tout au jour du contrat.

Contrairement aux contrats à durée déterminée, l’observation du droit positif ne permet pas

véritablement de trancher la question de la date de naissance des créances issues d’un contrat à durée indéterminée. Seule une opinion peut être forgée.

L’opinion que nous nous sommes forgée en la matière n’est pas celle qui pourrait s’imposer a priori, ce n’est pas celle soutenue par les partisans de la thèse périodique dualiste, une renaissance à chaque début de période contractuelle indiquée par la stipulation du terme nonobstant la date exacte de celui- ci. Néanmoins, elle est le fruit d’une longue maturation et d’une longue observation du concept juridique de la créance et de son mode de naissance, ce sans se cantonner à la créance de prix et sans se cantonner à la source contractuelle. D’après nous, les créances issues d’un contrat à durée

indéterminée naissent pour le tout au jour du contrat, qu’il s’agisse de la créance de prestation ou

de la créance de prix corrélative. Les thèses contemporaines d’une naissance successive de la créance, que ce soit la thèse matérialiste ou la thèse périodique, devraient être écartées, y compris pour les contrats à durée indéterminée. La thèse classique d’une naissance au jour du contrat s’en trouve consacrée à nouveau. En effet, d’un côté, l’essence du concept de créance permet cette naissance pour le tout alors même que la durée du contrat et le contenu des prestations ne sont pas connus. D’un autre côté, une solution identique de celle existante de façon incontestable en matière de contrats à durée déterminée s’impose d’après nous.

264. Pour éluder la question des contrats à durée indéterminée, il aurait pu être argué de leur

caractère marginal, des contrats à durée indéterminée ne se présentant que rarement, la plupart étant à durée déterminée. Tel n’est cependant pas le cas, la survenance de contrats à durée indéterminée n’est en réalité pas épisodique. Parmi les plus fréquents doit être cité le contrat de travail pour lequel le contrat à durée indéterminée constitue le principe, le contrat à durée déterminée n’étant que l’exception. Mais d’autres types de contrats peuvent être cités qui sont fréquemment à durée indéterminée tels le compte courant1, le mandat, le contrat d’agent commercial, le contrat d’exercice libéral2, ou encore l’ouverture de crédit3. De façon moins fréquente, peuvent également être à durée

1

Par exemple, com 26 janv. 2010 n° 09-65086, P, RTD com. 2010, 762, D. LEGEAIS, GP 9 et 10 juill. 2010, A.-C. ROUAUD, Banque et droit 2010, n°131, p. 18, T. BONNEAU.

2

Ex., pour un médecin, civ. 1, 18 oct. 2005, n°03-12064, P.

3

Art. L. 313-12 CMF qui prévoit de façon incidente cette possibilité en aménageant le mode de rupture, préavis minimum de deux mois, sauf en cas de comportement grave du client. Voir également pour un exemple, com. 24 janv. 2006 n°02-11989, P, D. 2006, 499, A. LIENHARD, où il était question de « crédits à court terme à durée indéterminée ».

indéterminée le contrat de franchise sans exclusivité1, le contrat de concession exclusive2, ou encore le commodat lorsqu’aucun délai naturel ne s’impose3. D’ailleurs, le Code de la consommation interdit à son article R. 132-14 certaines clauses abusives qui ne concernent que les contrats à durée indéterminée, ce qui montre que ces derniers ne sont pas si rares.

En outre, en principe, la poursuite d’un contrat à durée déterminée au-delà du terme génère un nouveau contrat démuni de terme, donc un contrat à durée indéterminée. Un texte spécial le prévoit parfois expressément comme pour le contrat d’agent commercial5 ou pour la convention d’indivision6. Mais il s’agit d’un principe général7 consacré par la jurisprudence8 et qui n’est écarté que dans l’hypothèse d’un texte spécial comme en matière de baux d’habitation dont le statut prévoit une durée pour les contrats renouvelés9. Il s’ensuit qu’il puisse arriver que le contrat devienne un contrat à durée indéterminée sans même que les parties en aient conscience.

Plus surprenant, indépendament de la survenance du terme, un contrat à durée déterminée peut transmuter en contrat à durée indéterminée à l’insu des parties, éventuellement. Par exemple, en droit du travail, les contrats à durée déterminée sont assez souvent requalifiés en contrat à durée indéterminée10. En droit de l’action sociale, les contrats d’hébergement de personnes âgées deviennent automatiquement à durée indéterminée au-delà de six mois quelle que soit la durée initialement prévue au contrat11. En droit de la consommation, l’art. L. 136-1 du Code de la consommation12 prévoit comme sanction la transformation en contrat à durée indéterminée lorsque le

1

D’après Jean-Paul Clément, seulement 5% des contrats de franchise sont à durée indéterminée (J.-P. CLÉMENT, La franchise commerciale et industrielle, Entreprise moderne d’édition, 1981, p. 54),. La durée déterminée des contrats est d’usage en la matière, afin d’assurer au franchisé la sécurité juridique nécessaire à l’amortissement de ses investissements (art. 5.3 du Code de déontologie européen). Il n’en reste pas moins que les contrats de franchise à durée indéterminée existent.

2

Ex., com 28 janv. 2008 n°06-17748, P, com. 6 mars 2007 n°05-13991, P, D. 2007, 1010, E. CHEVRIER.

3

Sinon le commodat est à contrat à durée déterminée à terme incertain dont la durée correspond au temps nécessaire pour l’utilisation de la chose prêtée.

4

« 10° Soumettre, dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation à un délai de préavis plus long pour... le consommateur que pour le professionnel... 11° Subordonner, dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation par... le consommateur au versement d’une indemnité au profit du professionnel ».

5

Art. L. 134-11 du Code de commerce : « est réputé transformé en un contrat à durée indéterminée ».

6

L’art. 1873-3 du Code civil dispose que la convention d’indivision peut être à durée déterminée ou indéterminée et renvoie aux dispositions des art. 815 et suivants du code civil de l’indivision légale en cas de poursuite de l’indivision après le terme convenu dont on sait que toute personne peut en sortir à tout moment, ce qui correspond bien au régime des contrats à durée indéterminée.

7

Art. 7.106 des PDEC.

8

Civ. 1, 15 nov. 2005, n°02-21366, P, D. 2006, 587, M. MEKKI, RDC 2006, 696, Y.-M. LAITHIER, RTD civ. 2006, 114, J. MESTRE et B. FAGES, Contrats, conc ; consom. 2006, comm. 43, L. LEVENEUR, RLDC 2006/25, n°1012, F. BUY : « Attendu que, sauf disposition ou volonté contraire, la tacite reconduction d’un contrat de durée déterminée, dont le terme extinctif a produit ses effets, donne naissance à un nouveau contrat, de durée indéterminée, et dont les autres éléments ne sont pas nécessairement identiques ». De même, par exemple, dans le cas d’un contrat de franchise, com. 18 févr. 1992, n°90-13425, inédit, GP 1992, 2, pan. 170.

9

Loi du 6 juill. 1989.

10

Soc. 10 nov. 2009, n°08-40088, P, où il s’agissait d’une succession de 13 contrats à durée déterminée sur une période de 5 ans. La requalification à eu pour conséquence que l’employeur devait payer les périodes intermédiaires car le salarié s’était tenu à la disposition de l’entreprise utilisatrice.

11

Art. L. 342-2 du Code de l’action sociale et des familles : « lorsqu’une personne est hébergée, sur la base d’un contrat à durée déterminée, au-delà d’une période de six mois consécutifs, le contrat est transformé de plein droit en contrat à durée indéterminée et soumis aux dispositions » spécifiques à ce type de contrat.

12

Cette sanction implique évidemment que le consommateur puisse mettre fin au contrat à tout moment contrairement à ce qui se serait passé si le contrat à durée indéterminée avait été reconduit. Le 2ème alinéa de l’article rappelle cette « transformation » du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée en rappelant qu’en cas de rupture les acomptes éventuellement versés doivent être restitués : « Lorsque cette information ne lui a pas été adressée conformément aux dispositions du premier alinéa, le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat, à tout moment à compter de la date de reconduction ». Remarquons qu’il y a lieu de ne pas confondre la tacite reconduction, qui s’opère en fait sans qu’une clause ne l’ait prévue et qui implique que le contrat se poursuit sous la forme d’un contrat à durée indéterminée, et la clause de tacite reconduction qui prévoit généralement le renouvellement du contrat avec son terme, donc en contrat à durée déterminée.

professionnel ne respecte pas son obligation d’information consistant à rappeler au consommateur, à l’approche de la date anniversaire de son contrat, de s’opposer à la reconduction de son contrat à durée déterminée lorsqu’une clause prévoit cette dernière.

Enfin, il peut arriver qu’un même contrat puisse, selon les circonstances, être qualifié à durée déterminée, à durée déterminée mais à terme incertain, ou encore à durée indéterminée. Tel est le cas du commodat1.

L’examen de la date de naissance des créances issues d’un contrat à durée indéterminée n’est donc pas dénuée d’intérêt pratique car les contrats à durée indéterminée font partie du paysage juridique. On peut citer par exemple un arrêt du 30 juin 2004 de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation où il s’agissait d’un contrat de location à durée indéterminée d’un coffre-fort2 ou encore une autre affaire où il s’agissait d’une location-gérance de fonds de commerce à durée indéterminée3. Les conventions de compte courant sont souvent à durée indéterminée4. Dans un arrêt un peu plus ancien du 31 mai 1994 de la chambre commerciale de la Cour de cassation, il s’agissait d’un contrat de concession de la gestion d’un restaurant d’entreprise à durée indéterminée5.

265. Si notre position d’une naissance de la créance de prix issue d’un contrat à durée indéterminée

peut a priori surprendre, un arrêt peut néanmoins être interprété dans ce sens. Il s’agit d’un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation du 16 mai 1938. Dans cet arrêt, la Haute juridiction fait bénéficier à la compagnie d’assurance du défunt du bénéfice du privilège de séparation des patrimoines pour les primes d’assurance du contrat postérieures au décès du défunt, prouvant ainsi leur naissance antérieure.

Consacrant sa solution, la Cour énonce dans cet arrêt : « mais attendu qu’en signant la police, l’assuré s’était obligé et avait obligé les ayants cause à titre universel, à s’acquitter le montant de toutes les cotisations jusqu’à la date convenue pour l’expiration du contrat ou jusqu’à sa résiliation ; que l’obligation ainsi engendrée par le contrat conservait son unité, bien que son exécution dût avoir lieu par paiements successifs à termes périodiques »6.

Les Hauts magistrats précisent bien que la fin du contrat peut provenir de sa résiliation, à savoir de sa résiliation unilatérale. Cela indique que le contrat aurait pu être à durée indéterminée. En toute hypothèse, la faculté de résiliation unilatérale et l’impossibilité de connaître le contenu global des obligations au jour de la signature du contrat qu’elle implique constituent les arguments majeurs des partisans d’une naissance successive d’une pluralité de créances dans les contrats à durée indéterminée. Il s’ensuit que, pour la Cour, il n’y avait pas de différence à faire selon que la

1

Civ. 1, 3 juin 2010 n°09-14633, P, RTD civ. 2010, 557, B. FAGES, JCP G 2010 I 1146, M. MEKKI, AJDI 2011, F. DE LA VAISSIÈRE : « Attendu que l’obligation pour le preneur de rendre la chose prêtée après s’en être servi est de l’essence même du commodat ; que lorsqu’aucun terme n’a été convenu pour le prêt d’une chose d’un usage permanent, sans qu’un terme naturel soit prévisible, le prêteur est en droit d’y mettre fin à tout moment, en respectant un délai de préavis raisonnable... ».

2

Civ. 1, 30 juin 2004, n°01-00475, P, D. 2005, 1828, D. MAZEAUD, RTD civ. 2004, 749, P.-Y. GAUTIER, RTD civ. 2005, 126, J. MESTRE et B. FAGES, RDC 2005, 275, P. STOFFEL-MUNCK, Contrats, conc., consom. 2004, comm. 151, L. LEVENEUR. La redevance était en outre fixée autoritairement chaque année par la banque. Dans l’affaire, le client est débouté de son action pour abus dans la fixation du prix car il pouvait justement résilier le contrat à n’importe quel moment.

3

Com. 10 nov. 2009 n°08-21175, inédit.

4

Par exemple, com. 26 janv. 2010 n°09-65086, P, op. cit. n°264.

5

Com. 31 mai 1994, n°92-12548, P.

6

créance était née d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée, elle était de toutes les façons née pour le tout au jour du contrat et toutes les échéances postérieures au décès devaient à ce titre bénéficier du privilège de séparation des patrimoines.

Certes, l’arrêt est ancien. Certes, la solution ne serait plus la même droit positif, car le contrat d’assurance est aujourd’hui davantage réglementé et standardisé quant à sa durée. D’une part, il s’agit généralement d’un contrat à durée déterminée renouvelable par tacite reconduction. D’autre part, le sort du contrat en cas de décès de l’assuré fait aujourd’hui l’objet de dispositions spéciales édictées à l’article L. 121-10 du Code des assurances. Mais tout cela ne change rien à l’apport

théorique de la solution alors consacrée par la Cour de cassation quant à la date de naissance et

quant au mode de naissance de la créance de prix issue du contrat à durée indéterminée, une naissance pour le tout au jour du contrat.

266. Il existe en doctrine une véritable résistance instinctive à reconnaître une naissance pour le tout

au jour du contrat lorsque celui-ci est à durée indéterminée et à affirmer une naissance successive des créances issues de ce type de contrat.

Ainsi, dans sa thèse sur l’exigibilité des créances, pour distinguer les concepts de naissance et d’exigibilité de la créance, Benoît Grimonprez prend parti sur la date de naissance des créances contractuelles en défendant la thèse classique d’une naissance des obligations issues des contrats à exécution successive pour le tout au jour du contrat, ce sur 50 pages de sa thèse. L’auteur finit néanmoins par concéder une exception, celle des contrats à durée indéterminée. Il ne développe cette exception que sur une demie page en reprenant en substance les propos de Pascal Ancel et de Martine Behar-Touchais. Mais l’auteur pressent tout de même qu’il pourrait en être différemment en admettant en note de bas de page que, peut-être, dans ces contrats, l’obligation n’est « tout simplement pas liquide... ». Ayant beaucoup réfléchi à la question, l’auteur pressent malgré tout que, peut-être, la créance est-elle déjà née, mais n’est-elle tout simplement pas encore liquide. C’est dire le malaise que suscite la date de naissance des créances issues d’un contrat à durée indéterminée. Cette résistance instinctive de la doctrine provient d’après nous de la considération essentielle que l’obligation issue du contrat à durée indéterminée n’est pas encore figée dans son « contenu global », comme le relèvent tous les auteurs partisans la thèse contemporaine périodique d’une naissance successive de la créance. Pire, non seulement le montant global n’est pas connu, mais en plus il n’est pas figé dans l’absolu au jour du contrat car son quantum pourra évoluer en fonction d’événements futurs. Autrement dit, l’obligation évoluera dans sa valeur, mais également dans sa substance. Excepté l’argument de droit positif nuançable de la résiliation unilatérale et efficace de la caution d’un contrat à durée indéterminée, c’est sur ce point théorique tiré de la physionomie du contrat à durée indéterminée que se fonde la position des auteurs partisans d’une naissance successive de la créance.

Ainsi, Pascal Ancel explique que, « faute de connaître au départ la durée de ces contrats, qui peuvent être résiliés..., il paraît en effet difficile de dire que, dès le départ, le bailleur... est titulaire d’une créance globale de loyers dont l’exécution seule serait échelonnée dans le temps… Tout au plus a-t-il … un “germe de créance“ »1. Réservant la thèse d’une naissance successive aux seuls

1

contrats à durée indéterminée, Martine Behar-Touchais1 s’interroge pareillement, « comment pourrait-on concevoir que toutes les obligations nées d'un contrat à durée indéterminée naissent au jour de la conclusion du contrat, alors qu'on ne sait pas combien de temps durera le contrat puisque l'on peut y mettre fin par la volonté ? ». La même idée se retrouve a contrario chez Georges Brière de l’Isle, qui se cantonne également aux contrats à durée indéterminée, qui explique qu’au contraire, pour les contrats à durée déterminée, « la détermination de la durée clôt en quelque sorte le contrat et lui donne son unité... chacune des parties peut calculer à l’avance l’étendue de ses obligations, la valeur respective des prestations »2. François Terré nous semble également en ce sens3.

Pour cette raison, il convient en matière de contrats à durée indéterminée de commencer par l’aspect théorique avant d’examiner l’aspect technique et pratique, car la véritable force de la thèse d’une naissance successive se trouve sur le terrain de la réflexion théorique. Cette force repose sur l’idée

qu’a priori il n’est pas concevable que la créance puisse naître pour le tout au jour du contrat.

Comblant d’emblée cette absence d’explication théorique, il sera ensuite possible d’observer sous un angle nouveau les arguments techniques invoqués par les auteurs partisans d’une naissance successive de la créance.

267. C’est par la nature particulière des obligations issues du contrat à durée indéterminée, des

obligations à objet à formation progressive, que leur naissance pour le tout au jour du contrat s’explique sur le plan théorique et conceptuel (section 1). Partant de cette explication, les phénomènes techniquement invoqués par les auteurs partisans d’une naissance successive de la créance peuvent en réalité s’expliquer par autre chose que cette naissance successive, si bien que ce fondement traditionnel s’avère en réalité inutile (section 2).

Section 1 : Proposition du fondement nouveau d’un objet à formation

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