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Les dates de naissance des créances

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Les dates de naissance des créances

Renaud Noirot

To cite this version:

Renaud Noirot. Les dates de naissance des créances. Droit. Université René Descartes - Paris V, 2013. Français. �NNT : 2013PA05D016�. �tel-01215486�

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Université Paris Descartes

Faculté de droit

École doctorale de droit privé Thèse de doctorat en droit privé Soutenue le 28 novembre 2013

LES DATES DE NAISSANCE DES CRÉANCES 

 

 

Renaud N

OIROT

 

Sous la direction de : Madame Martine BEHAR-TOUCHAIS

Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Membres du jury : Monsieur Pascal ANCEL (rapporteur)

Professeur à l’Université du Luxembourg

Monsieur Jérôme FRANÇOIS

Professeur à l’Université Paris Descartes (Paris V)

Monsieur Emmanuel PUTMAN (rapporteur)

Professeur à l’Université Aix-Marseille 3

Madame Isabelle URBAIN-PARLÉANI

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Abréviations

AGO. Assemblée Générale Ordinaire. AGE. Assemblée Générale Extraordinaire.

AGS. Association pour la Gestion du régime de garantie des créances des Salariés. ATD. Avis à Tiers Détenteur.

ASSEDIC. Association pour l'Emploi Dans l'Industrie et le Commerce. BALO. Bulletin des Annonces Légales Obligatoires.

BIC. Bénéfices Industriels et Commerciaux.

BODACC. Bulletin Officiel Des Annonces Civiles et Commerciales. CA. Cour d’Appel.

CARPA. Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats. CEDH. Cour Européenne des Droits de l’Homme.

CGI. Code Général des Impôts.

CJCE. Cour de Justice de la Communauté Européenne CMF. Code Monétaire et Financier.

CNC. Conseil National de la Comptabilité.

CNRS. Centre National de la Recherche Scientifique. CPC. Code de Procédure Civile.

CRC. Comité de la Réglementation Comptable.

CVIM. Convention des Nations unies sur les contrats de Vente Internationale de Marchandises. EDF. Electricité de France.

EIRL. Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limité. IAS. International Accounting Standards.

IASB. International Accounting Standards Board. IFRS. International Financial Reporting Standards. IR. Impôt sur le Revenu.

JAL. Journal d’Annonces Légales. JO. Journal Officiel.

PACS. Pacte Civil de Solidarité. PCG. Plan Comptable Général.

PDEC. Principes Directeurs du Droit Européen des Contrats. PGD. Principe Général du Droit.

RCS. Registre du Commerce et des Sociétés.

RGCP. Règlement Général sur la Comptabilité Publique. SARL. Société à Responsabilité Limitée.

SCI. Société Civile Immobilière. SCP. Société Civile Professionnelle.

SIAGI. Société Interprofessionnelle Artisanale de Garantie d'Investissements. SICAF. Société d'Investissement à Capital Fixe.

SICAV. Société d'Investissement à Capital Variable. TGI. Tribunal de Grande Instance.

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SOMMAIRE

PARTIE 1 : LES CARENCES D’UNE APPROCHE JURIDIQUE DE LA DATE DE NAISSANCE DE LA CRÉANCE

TITRE 1 : CRITIQUE DE LA DATE DE NAISSANCE DE LA CRÉANCE FIXÉE AU STADE DE L’EXÉCUTION DU CONTRAT

Chapitre préliminaire : L’exposé des thèses en présence

Chapitre 1 : L’argumentation spécififique aux contrats à durée déterminée Chapitre 2 : L’argumentation spécifique aux contrats à durée indéterminée

TITRE 2 : CONSOLIDATION DE LA DATE DE NAISSANCE DE LA CRÉANCE FIXÉE AU STADE DE LA FORMATION DU CONTRAT

Chapitre 1 : Approche renouvelée d’un principe

Chapitre 2 : Approche renouvelée du « noyau de résistance »

PARTIE 2 : LES VIRTUALITÉS D’UNE APPROCHE ÉCONOMIQUE DE LA DATE DE NAISSANCE DE LA CRÉANCE

TITRE 1 : NOTION DE CRÉANCE ÉCONOMIQUE

Chapitre 1 : Constatation empirique d’une présence de la créance économique Chapitre 2 : Conceptualisation de la créance économique

Chapitre 3 : Complications de datation de la naissance de la créance économique

TITRE 2 : FONCTION DE LA CRÉANCE ÉCONOMIQUE

Chapitre 1 : La fonction de corrélation entre les produits et les charges Chapitre 2 : Le schème fonctionnel de la cession de contrat

TITRE 3 : DOMAINE DE LA CRÉANCE ÉCONOMIQUE

Chapitre 1 : La détermination du gage constitué par un patrimoine d’affectation

(5)

INTRODUCTION

1. Si dans son sens commun ou financier la créance correspond à une somme d’argent précise que le

créancier peut exiger de son débiteur, le sens juridique est plus vaste quant à lui. Au sens juridique, le droit de créance correspond au concept d’obligation1, un lien de droit2 entre deux personnes en vertu duquel le débiteur peut exiger de son créancier de donner, de faire ou de ne pas faire quelque chose3. La créance comporte donc trois éléments constitutifs : un créancier, un débiteur et un objet4.

2. La créance revêt une importance particulière en droit, car elle est l’un des deux éléments

constitutifs fondamentaux du système5 logique et cohérent que forme le droit privé6. Pour cette raison, la date de naissance de la créance, qui ne représente pas autre chose que son existence, implique nécessairement des enjeux majeurs en droit. Importants sur le plan théorique, ceux-ci se démultiplient sur le plan pratique. En effet, outre qu’elle concerne deux personnes, un créancier et un débiteur, la créance peut être appréhendée de deux façons par les règles de droit, en tant que lien conditionnant leur application, mais également en tant que bien objet de celle-ci7. Cela résulte de la

1

Les termes droit subjectif personnel, obligation, droit de créance, créance et dette, sont donc en principe tenus pour synonymes car ils renvoient tous au concept d’obligation, dans son ensemble ou à l’un de ses deux aspects actif ou passif, la créance ou la dette. Article 523 de l’avant-projet Catala : « Le droit personnel est celui du créancier d’une obligation à l’encontre de son débiteur ». Cependant, pour une proposition de distinction entre les concepts d’obligation et de créance, voir GHESTIN Jacques, BILLIAU Marc et LOISEAU Grégoire, Le régime des créances et des dettes, traité, LGDJ, 2005, n°1 s.. L’obligation serait un lien tandis que la créance serait un bien produit de l’obligation. En tant que lien de droit entre deux personnes, l’obligation serait incessible. La créance, cessible quant à elle, constitue l’anticipation du produit de l’obligation, l’exécution. Toutefois, nous peinons dans cette distinction à différencier les concepts d’obligation et de contrat. Pour cette raison sans doute, il apparaît difficile de percevoir la dichotomie proposée en dehors de la source contractuelle. Enfin, le rapport d’obligation nous semble céder à l’occasion d’une cession de contrat, quand bien même nous limiterions la cession efficace de contrat aux cessions légales de contrats, si bien que l’obligation nous apparaît au contraire cessible. Ce n’est alors pas la seule créance qui est transmise, mais le rapport de droit dans la globalité.

2

MARTY et RAYNAUD, Les obligations, t. 1, Les sources, 1988, n°1. La définition de l’obligation comme un lien de droit entre deux personnes est classique et remonte au droit romain (Institutes de Justinien et Digeste). Le lien était particulièrement concret en droit romain, le débiteur était lié à son créancier au sens propre et répondait de sa dette sur son corps physique. Il pouvait être réduit en esclavage en cas de défaut de paiement. De là provient sans doute la traditionnelle incessibilité de l’obligation. Aujourd’hui, la créance peut être cédée. Mais la conception romaine de l’obligation perdure à travers un principe d’incessibilité des dettes encore véhiculé par la force de l’habitude. De grands auteurs, en particulier Saleilles, ont pourtant mis en lumière le mouvement d’objectivité de l’obligation dont le centre de gravité ne serait plus situé sur les personnes du créancier ou du débiteur, mais sur l’objet de l’obligation. Il s’ensuit que la dette devrait être cessible au même titre que la créance.

3

Article 1101 du Code civil. Vocabulaire juridique Capitant, Puf, entrées obligation, créance et dette.

4

M. DE JUGLART, A. PIÉDELIÈVRE, S. PIÉDELIÈVRE, Cours de droit civil, Introduction, Personnes, Famille, Montchrestien, 1999, n°72.

5

Un système est une construction théorique cohérente (cnrtl.fr). Le droit privé vu comme un système constitue un ensemble de règles considéré sous le rapport de ce qui en fait la cohérence (Vocabulaire juridique CAPITANT).

6

Le système de droit privé se structure à l’échelle moléculaire par deux droits subjectifs fondamentaux, le droit réel et le droit personnel auquel correspond le concept de créance. La définition classique du droit subjectif est donnée par Jhering, un intérêt légitime juridiquement protégé (JHERING, L’esprit du droit romain, 1888, t. IV, p. 317 à 354, spéc. p. 323).Tandis que le droit subjectif réel procure un pouvoir sur une chose, le droit subjectif personnel crée un lien de droit entre deux personnes ou deux patrimoines. Cette présentation est certes simplifiée, mais elle a l’avantage de la clarté. Les droits subjectifs réel et personnel constituent les deux principaux droits patrimoniaux. Il existe des droits extrapatrimoniaux auxquels nous ne nous intéresserons pas. Quant aux droits patrimoniaux, ils comportent aujourd’hui également des droits intellectuels et des droits de la personnalité. Cependant, les droits subjectifs réel et personnel sont de loin les plus fréquents car ils sont les plus classiques et les plus naturels également. Sur la définition controversée du droit subjectif et leur classification, J. GHESTIN, G. GOUBEAUX, M. FABRE-MAGNAN, Introduction générale, traité de droit civil, LGDJ, 4ème éd., 1994, n°223 s.

7

Par exemple, l’existence du droit de créance conditionne la mise en œuvre d’une saisie par le créancier sur le patrimoine de son débiteur, mais la créance peut également être l’objet d’une telle saisie.

(6)

démonstration de Ginossar. Restructurant les droits subjectifs à l’aune d’une nouvelle vision de la propriété, l’auteur a démontré que la créance constituait également un bien objet de propriété1.

Malgré les nombreux enjeux pratiques que revêt la date de naissance de la créance dans le système de droit privé (I), son incohérence ne peut qu’être constatée (II). Tenter d’y remédier implique nécessairement de poser des jalons quant à la méthode adoptée (III).

I. Les enjeux de la date de naissance des créances

C’est à l’origine le droit des entreprises en difficulté qui a permis de mettre en évidence la complexité du droit quant à la date de naissance de la créance (A). La jurisprudence est foisonnante dans cette branche du droit qui utilise le critère de date de naissance de la créance pour identifier les créanciers pouvant bénéficier d’un régime de faveur. Mais le critère de date de naissance est également utilisé de façon explicite dans d’autres matières plus récentes (B). Il correspond en effet à la date d’existence de la créance. Or, nombre de règles du droit sont conditionnées par cette existence ou peuvent avoir la créance pour objet (C). Il s’ensuit que la date de naissance de la créance revêt une importance considérable à travers toutes les branches du droit privé.

A. Un critère initialement utilisé dans la priorité de paiement de l’ancien article 40 de la loi de 1985 en droit des entreprises en difficultés

3. En droit des entreprises en difficulté, la date de naissance de la créance permet de déterminer les

créanciers privilégiés. Ces créanciers sont affranchis de la discipline de la procédure. Leur créance peut être payée, ce qui implique que son paiement ne puisse donner lieu à restitution et que le créancier puisse poursuivre son paiement par le biais d’une voie d’exécution forcée en étant affranchi de la suspension des poursuites. Elle peut être garantie par la constitution d’une sûreté nouvelle. Elle n’a pas à être déclarée à l’ouverture de la procédure collective. Enfin, elle fait l’objet d’un classement privilégié pour le cas où le débiteur serait mis en liquidation judiciaire.

Avant la loi de 1985, le régime de faveur reposait sur la personnalité morale de la masse des créanciers. Faisant disparaître cette dernière, c’est la loi de 1985 qui a fait reposer ce privilège sur l’unique critère objectif de date de naissance de la créance. Le célèbre article 40 de la loi disposait

1

S. GINOSSAR, Droit réel, Propriété et créance, Élaboration d’un système rationnel des droits patrimoniaux, 1960, spéc. p. 39 s. L’auteur opère une nouvelle ventilation des droits patrimoniaux. La propriété n’est plus le droit réel par excellence, elle n’est que la traduction de l’appartenance des biens au patrimoine de la personne. Peuvent être objet de propriété les biens, les droits réel sur la chose d’autrui et les créances ou droits subjectifs personnels. Ces composantes peuvent toutes comporter une phase passive. Le patrimoine comporte donc à son passif à la fois des obligations personnelles et des obligations réelles qui reposent, non pas sur une personne nommément désignée, mais sur une personne en tant que propriétaire d’un bien. Pour un renouveau plus récent de l’analyse de la créance en tant que bien car appropriable par son titulaire et saisissable par les créanciers de celui-ci, P. BERLIOZ, La notion de bien, th. LGDJ, 2007, n°1017. En tant que bien, la créance peut être objet de subrogation réelle et venir se substituer à un autre bien, voir par exemple com. 6 oct. 2009, n°08-15048, P, D. 2009, 2485, obs. A. LIENHARD, JCP E 2010, p. 34, obs. M. CABRILLAC, JCP G 2009, n°51, 566, note A.-S. DALLEMAGNE, RD bancaire et fin. 2010, n°1, p. 43, D. LEGEAIS, RTD com. 2010, 201, A. MARTIN-SERF. L’article 520 de l’avant-projet Catala projetait de consacrer cet aspect bien de la créance : « Sont des biens (...) les choses corporelles ou incorporelles faisant l’objet d’une appropriation, ainsi que les droits réels et personnels... ».

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que « les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture sont payées à leur échéance... ». Si les créances postérieures étaient payées, les créances antérieures devaient à l’inverse être déclarées dans les deux mois de la publication de l’ouverture de la procédure collective sous peine de leur extinction. L’article 50 de la loi de 1985 disposait ainsi que, « à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au représentant des créanciers »1. Et l’ancien article 53 alinéa 3 de la loi de 1985 disposait que « les créances qui n’ont pas été déclarées et n’ont pas donné lieu à relevé de forclusion sont éteintes »2.

4. Bien que la logique de symétrie du système l’impose, on a pu se demander si l’origine antérieure

de la créance devant être déclarée sous peine d’extinction correspondait bien à la naissance postérieure de la créance bénéficiant du régime de faveur3.

La réforme du 26 juillet 2005 par la loi n°2005-845 du droit des entreprises en difficulté est venue confirmer par une symétrie terminologique qu’il s’agissait bien du même concept, la date de naissance de la créance utilisée comme critère pour déterminer les créances pouvant bénéficier du régime de faveur, les créances nées après le jugement d’ouverture, et celles n’en bénéficiant pas et soumises dès lors à la discipline de la procédure, les créances nées avant le jugement d’ouverture. Cette réforme est également venue opérer divers changements qui touchent aux régimes des créanciers antérieurs et postérieurs. Parmi les plus importants ici, les créances antérieures non déclarées ne sont plus éteintes, elles sont simplement inopposables à la procédure collective4. Cela permet notamment au créancier de ne pas perdre son recours contre d’éventuelles cautions. La priorité de paiement dont bénéficient les créanciers postérieurs accède au rang de privilège, ce qui permet au créancier d’invoquer le régime de faveur à l’occasion d’une seconde procédure collective de son débiteur. Pour cette raison, le vocable de « privilège de procédure » se trouve dorénavant utilisé pour désigner de façon plus générale le régime favorable des créanciers postérieurs.

5. Mais le changement engendré par la réforme qui importe le plus ici réside dans l’adjonction d’un

critère téléologique pour bénéficier du privilège de procédure précité. Il ne suffit plus que les créances soient nées régulièrement5 après l’ouverture de la procédure. Il faut qu’elles aient été utiles

1

Ancien article L. 621-43 du Code de commerce. Nouvel art. L. 622-24 du Code de commerce, mais l’article est aujourd’hui aménagé du fait de l’existence possible de créances postérieures non privilégiées par l’effet de l’adjonction du critère téléologique subjectif de finalité de la créance aux critères objectifs de régularité et de date de naissance de la créance.

2

Ancien art. L. 621-46 du Code de commerce. Nouvel art. L. 622-26 du Code de commerce, la sanction de l’extinction de la créance pour défaut de déclaration ayant disparu.

3

C. SAINT-ALARY-HOUIN, « La date de naissance des créances en droit des procédures collectives », Colloque CEDAG sur la date de naissance des créances, LPA 9 nov. 2004 n°224, p. 11.

4

La nature précise de la sanction fut précisée par l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008. Auparavant, la doctrine et la jurisprudence l’avaient cependant mise en évidence. Com. 3 nov. 2010 n°09-70312, P, D. 2010, 2645, A. LIENHARD, D. 2011, 2075, F.-X. LUCAS. Com. 16 oct. 2007 n°06-14681, P, D. 2007, 2734, A. LIENHARD, D. 2008, 2111, P. CROCQ, RLDC 2008/48, n°2950, M.-E. ANCEL. P.-M. LE CORRE, « Les créanciers antérieurs dans le projet de sauvegarde des entreprises », colloque CRAJEFE du 27 mars 2004, LPA 10 juin 2004 n°14. Un auteur soulève cependant qu’il reste de nombreux doutes et incertitudes quant au régime de cette sanction, tout spécialement quant à ses effets (P. PÉTEL, « Le nouveau droit des entreprises en difficulté, acte II, commentaire de l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008 », JCP G 2009 I 110).

5

La condition de régularité touche aux pouvoirs de la personne qui engage son entreprise, le jugement d’ouverture de la procédure qui délimite les pouvoirs du dirigeant étant publié au RCS. Ce critère a toujours existé en sus du critère de date de naissance de la créance. Comme ce dernier et contrairement au nouveau critère téléologique, il s’agit d’un critère objectif. Sur

(8)

à cette dernière1. Le critère de finalité de la créance, au contraire du critère de date de naissance de la créance, est un critère subjectif, car il nécessite d’apprécier si la raison ayant présidé à la naissance de la créance était ou non utile à la procédure collective. L’objectif de ce nouveau critère adjoint était de diminuer le volume des créanciers privilégiés, car certaines créances pesaient sur la procédure sans lui être utiles, ce qui pouvait mettre en péril les chances de redressement2.

Énonçant le privilège de procédure, le nouvel article L. 622-17 du Code de commerce dispose que « les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période sont payées à leur échéance »3. Bien que le critère téléologique soit en principe amené à diminuer le volume des créanciers privilégiés postérieurs, le critère de date de naissance de la créance conserve son importance. En effet, en toute occurrence, les créances nées antérieurement ne bénéficient pas du privilège de procédure et sont soumises à la discipline de cette dernière sans égard pour le critère téléologique. Aujourd’hui, avec le critère téléologique, certaines créances postérieures sont en plus également soumises à la discipline de cette procédure avec quelques aménagements, notamment quant à leur nécessité d’être déclarées4.

6. Le droit des entreprises en difficulté fut donc précurseur dans l’utilisation du critère de date de

naissance de la créance. Il a permis de mettre en lumière que la détermination de la date de naissance de la créance n’était pas toujours évidente et pouvait parfois poser des problèmes délicats. Preuve en est le contentieux et la jurisprudence foisonnants rendus sur le terrain de la date de naissance de la créance en la matière. C’est donc en quelque sorte la priorité de paiement de l’ancien article 40 qui a mis en évidence la nécessité d’une étude plus approfondie sur la date de naissance de la créance et a rendu nécessaire les présents travaux. Or, invité par le droit des procédures collectives à se pencher sur cette question, il est patent de remarquer que la date de naissance de la créance est utile dans bien d’autres domaines. Pour commencer, d’autres textes font également un usage explicite du critère de date de naissance de la créance.

B. Un critère ensuite utilisé par d’autres textes

7. Alors que le droit des procédures collectives avait de longue date mis en évidence la difficulté que

pouvait receler le critère de date de naissance de la créance, des textes récents l’explicitent et en font usage pour la mise en œuvre de mécanismes juridiques divers. Le critère de date de naissance de la

cette condition de régularité de la créance, voir notamment Denis Voinot, Droit économique des entreprises en difficulté, LGDJ 2007, n°323.

1

Sur le nouveau critère téléologique adjoint, voir notamment : F. PÉROCHON, Entreprises en difficulté, LGDJ, 2012, n°311, P.-M. LE CORRE, « Les nouvelles règles de fixation du passif », GP 10 sept. 2005, p. 17 spéc. n°7, P. PÉTEL, « Les créances postérieures », Rev. proc. Coll. 2006, p. 142, spéc. n°14 s.

2

Le problème était exposé par la Cour de cassation dans son rapport annuel de 2002 : Rapport annuel 2002 de la Cour de cassation p. 30. Sur cette question en doctrine, voir P. PÉTEL, « Pour une relecture de l'article L.621-32 du Code de commerce », in Mélanges Y. Guyon, 2003, p. 917 et s., spéc. p. 923.

3

Issu de la loi n°2005-845 du 26 juill. 2005 et modifié par l’ordonnance n°2008-1345 du 18 déc. 2008. Anciennement art. L. 621-32 du code de commerce.

4

L’article L. 622-24 al. 3 du Code de commerce aménage la procédure de déclaration pour les créances postérieures qui par définition n’étaient pas nées au jour de l’ouverture de la procédure collective.

(9)

créance est utilisé dans la déclaration d’insaisissabilité des immeubles de l’entrepreneur instaurée par une loi de 2003 (1), dans le cadre de la procédure de surendettement des particuliers, où le critère fut explicité en 2010 (2), et dans le cadre de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée instaurée en 2010 (3).

1/ Dans la déclaration d’insaisissabilité des immeubles de l’entrepreneur

8. La loi Dutreil du 1er août 2003 pour l’initiative économique est venue instaurer aux articles L. 526-1 et suivants du Code de commerce une déclaration d’insaisissabilité, initialement de la seule résidence principale de l’entrepreneur, mais étendue par la loi du 4 août 2008 à tout immeuble lui appartenant. Ce dispositif ne bénéficie qu’aux entrepreneurs1 et ne saurait être étendu aux dirigeants de personnes morales cautions solidaires des dettes de la société2. L’objectif était d’éviter que l’aventure entrepreneuriale n’aboutisse à priver l’entrepreneur de sa résidence principale. L’extension du dispositif apparaît dès lors excessive. Elle pourrait bien porter atteinte au crédit de l’entrepreneur et rendre l’aventure entrepreneuriale impossible faute de financement.

Le critère de date de naissance de la créance est utilisé en la matière par les textes pour déterminer les créanciers atteints par la déclaration d’insaisissabilité, ceux qui ne peuvent pas poursuivre leur paiement sur les immeubles déclarés insaisissables. L’article L. 526-1 précité du Code de commerce dispose que « cette déclaration, publiée au fichier immobilier (...) n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant ». Seuls les créanciers professionnels postérieurs sont donc concernés par cette déclaration. Les créanciers personnels et les créanciers professionnels antérieurs pourront poursuivre leur paiement sur les immeubles malgré la déclaration d’insaisissabilité. La date de naissance de la créance permet ici de faire le départ entre les créanciers professionnels concernés par la déclaration d’insaisissabilité et ceux qui ne le sont pas.

2/ Dans la procédure de surendettement des particuliers

9. La procédure de surendettement des particuliers3 n’est pas aussi développée qu’en matière commerciale. Les textes font cependant aujourd’hui usage du critère de date de naissance de la créance pour identifier les créanciers astreints à la discipline qu’elle impose lorsque « la décision déclarant la recevabilité de la demande emporte suspension et interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre des biens du débiteur ainsi que des cessions de rémunération consenties par celui-ci et portant sur les dettes autres qu'alimentaires ». Alors l’article L. 331-3-1 alinéa 2 du Code de la consommation, issu de la loi du 1er juillet 2010, vient ajouter à la suspension des poursuites précitées une interdiction « de payer en tout ou partie une créance (...) née

1

Commerçants, artisans, agents commerciaux, professions libérales, agriculteurs.

2

Rép. min. n°19589, JO Sénat Q du 27 oct. 2005.

3

La loi n°89-1010 du 31 déc. 1989 dite Neiertz, complétée par la loi n°2003-710 du 1er août 2003 et la loi n°2008-776 du 4 août 2008 ont institué une procédure de traitement conventionnel ou, en cas d’échec, judiciaire, des situations de surendettement des particuliers.

(10)

antérieurement à la suspension » et une interdiction « de désintéresser les cautions qui acquitteraient des créances nées antérieurement à la suspension »1.

3/ Dans l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL)

10. La date de naissance de la créance revêt une importance particulièrement marquée dans la

nouvelle institution de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée intégrée dans notre système juridique par la loi n°2010-874 du 27 juillet 2010.

L’adoption de l’EIRL consacre la pleine utilisation en droit de la notion de patrimoine d’affectation qui s’oppose à la théorie classique du patrimoine, celle d’Aubry et Rau qui identifie le patrimoine à la personne. Elle permet en effet à l’entrepreneur de scinder son patrimoine en deux au mépris du principe d’unité du patrimoine de la théorie d’Aubry et Rau. Le patrimoine n’est donc plus la personne, la notion se réduit dorénavant à une universalité de droit. Malgré tout, la notion de patrimoine général subsiste, car si le patrimoine d’affectation incorpore les droits et les obligations inhérents à l’activité professionnelle innervant le patrimoine affecté, tout le reste se trouve par défaut absorbé dans le patrimoine général de l’entrepreneur qui pourrait inclure des droits et des obligations issus d’une autre activité professionnelle non érigée en EIRL quant à elle.

La création d’une EIRL s’effectue par déclaration au RCS des biens affectés à l’activité qui constitueront le gage exclusif, mais unique des créanciers de cette activité. Les biens nécessaires à l’activité doivent nécessairement être affectés, tandis que les biens simplement utiles à l’activité font l’objet d’une affectation facultative comme l’énonce l’article L. 526-6 du code de commerce.

11. Le critère de date de naissance de la créance est utilisé par les textes pour déterminer les

créanciers auxquels la déclaration d’affectation sera opposable. Ainsi, l’article L. 526-12 du Code de commerce dispose que « La déclaration d'affectation (...) est opposable de plein droit aux créanciers dont les droits sont nés postérieurement à son dépôt ».

Il s’ensuit que les créanciers dont la créance est née après le dépôt de la déclaration d’affectation sont tenus de respecter le cloisonnement du patrimoine de l’entrepreneur. Les créanciers liés à l’activité professionnelle ne peuvent poursuivre leur paiement sur des biens non affectés à cette dernière. Inversement, les créanciers qui ne sont pas liés à l’activité professionnelle, les créanciers du patrimoine général, ne pourront pas poursuivre leur paiement sur les biens affectés dans le patrimoine d’affectation dédié à l’activité professionnelle. En revanche, les créanciers dont la créance est née avant la constitution de l’EIRL ne seront pas concernés par le cloisonnement et pourront indifféremment poursuivre tout bien de l’entrepreneur principal sans considération pour leur éventuelle affectation ou non au patrimoine dédié de l’EIRL.

Le critère de date de naissance de la créance est également explicité par la loi pour aménager un mécanisme d’opposition de l’affectation aux créanciers antérieurs. L’article L. 526-12 dispose dans ses alinéas 2 et 3 que la déclaration d’affectation « est opposable aux créanciers dont les droits sont

1

Ce texte faisant usage de la date de naissance de la créance est issu de la loi n°2010-737 du 1er juillet 2010. Ce critère n’était auparavant pas utilisé dans l’article.

(11)

nés antérieurement à son dépôt à la condition que l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée le mentionne dans la déclaration d'affectation et en informe les créanciers (...). Dans ce cas, les créanciers concernés peuvent former opposition à ce que la déclaration leur soit opposable (...). Une décision de justice rejette l'opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties, si l'entrepreneur individuel en offre et si elles sont jugées suffisantes ». Si la constitution du patrimoine affecté n’est pas opposable de plein droit aux créanciers professionnels dont la créance est antérieure, ces derniers peuvent malgré tout se voir opposer la constitution de l’EIRL si l’entrepreneur les informe personnellement1 de l’affectation de leur créance au patrimoine de l’EIRL. Ces créanciers bénéficient alors d’une mesure de protection de leur droit dont le gage se retrouve altéré. Un droit d’opposition leur est légalement aménagé afin qu’ils puissent obtenir des garanties supplémentaires s’ils estiment l’opération risquée pour le paiement futur de leur créance.

12. Le critère de date de naissance de la créance est également utilisé au moment de la dissolution du

patrimoine d’affectation ou lors de sa transmission par l’entrepreneur. À cette occasion, les créanciers professionnels antérieurs à l’événement disposent de deux mécanismes de protection prévus par les textes : un droit d’opposition similaire à celui vu précédemment à l’occasion de la constitution du patrimoine d’affectation, et une préservation du gage réciproque des créanciers. Dans l’hypothèse d’une cession, d’une donation ou d’un apport en société2 du patrimoine d’affectation de l’EIRL, l’article L. 526-17 III alinéa 3 dispose que « Les créanciers (...) dont la créance est antérieure (...) peuvent former opposition à la transmission du patrimoine affecté (...). Une décision de justice rejette l'opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties, si le cessionnaire ou le donataire en offre et si elles sont jugées suffisantes ». Les créances antérieures à la date de publicité au RCS de l’événement considéré peuvent donc former opposition à l’opération. A contrario, les créanciers dont la créance est postérieure à la cession, la donation ou l’apport en société, ne pourront pas bénéficier de la protection du droit d’opposition permettant d’obtenir le paiement immédiat, des garanties supplémentaires ou à défaut l’inopposabilité du transfert de l’universalité de droit3.

Dans l’hypothèse d’une dissolution du patrimoine affecté par renonciation ou par décès de l’entrepreneur sans que l’activité ne soit poursuivie, l’article L. 526-15 du Code de commerce renvoie aux créanciers déterminés à l’article L. 526-12 1° et 2° du Code de commerce pour disposer que ces « créanciers (...) conservent pour seul gage général celui qui était le leur au moment de la renonciation ou du décès ». Or les relations d’affaires ou autres situations juridiques entamées par le de cujus peuvent s’être poursuivies avec les héritiers. La date de naissance de la créance entrera dès lors nécessairement en compte, car seules les créances antérieures à la dissolution par renonciation ou par décès de l’entrepreneur bénéficieront de cette préservation de leur gage légalement consacrée.

1

CC, 10 juin 2010 n° 2010-607, validant la disposition d’opposition aux créanciers antérieurs au regard de la protection constitutionnelle de la propriété des créances (articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789) au motif que le droit est suffisamment protégé à « la condition que ces derniers soient personnellement informés de la déclaration d’affectation et de leur droit de former opposition ».

2

Dans le cas d’un apport en société, le patrimoine se dissout dans celui de la personne morale. La possibilité de création du patrimoine d’affectation de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée est réservée aux personnes physiques.

3

La sanction de l’inopposabilité et non pas de la nullité de l’opération risque d’être délicate à mettre en œuvre dans la mesure où l’entrepreneur n’est plus propriétaire des biens constitutifs du patrimoine affecté.

(12)

13. Cela se constate déjà avec cette toute dernière hypothèse en matière d’EIRL, il n’est pas

nécessaire que le critère de date de naissance de la créance soit explicité pour que son utilisation s’impose lors de la mise en œuvre de certains mécanismes juridiques. Derrière le critère de date de naissance de la créance se cache son existence. Or, celle-ci constitue la condition de mise en œuvre de nombreuses règles de droit. Elle peut en outre constituer l’objet sur lequel ces règles agissent. Rien d’étonnant, dès lors, que le critère de date de naissance revête une importance et une utilité particulièrement étendues. Il n’est ni possible ni utile de recenser toutes les hypothèses faisant usage du critère de date de naissance de la créance. Mais il est possible de fournir un échantillon à titre d’illustration.

C. Un critère incorporé dans la condition d’existence de la créance utilisée par de nombreux mécanismes juridiques

14. Selon une division aujourd’hui devenue classique, la créance peut être appréhendée par les règles

de droit en tant que lien ou en tant que bien.

1/ L’existence en tant que lien derrière le critère de date de naissance de la créance

15. Les mécanismes d’extinction mettent indirectement en œuvre la date de naissance de la créance,

car, pour être éteinte, encore faut-il que la créance existe. L’article 1235 du Code civil l’énonce clairement en disposant que « tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition ». Le paiement effectué avant la date de naissance de la créance pourra donc donner lieu à répétition de l’indu, ce qui n’est pas le cas du paiement effectué après naissance de la créance, mais avant son exigibilité comme l’énonce l’article 1186 du Code civil, « ce qui a été payé d’avance ne peut être répété ».

L’application ici de la date de naissance de la créance relève de la pure logique du système et peut être étendue à toute cause d’extinction de l’obligation énoncée à l’article 1234 du Code civil. Notamment, la compensation ne peut s’opérer que « lorsque deux personnes se trouvent débitrices l’une envers l’autre » comme l’énonce l’article 1289 du Code civil, ce qui suppose bien que les obligations réciproques existent au jour de la compensation. Certes, la seule existence ne suffit pas pour une compensation légale, il faut encore que les obligations réciproques soient liquides et exigibles1. Malgré tout, la compensation nécessite la naissance de la créance2. Cela suppose qu’en principe une compensation de dettes connexes, qui ne nécessite ni liquidité ni exigibilité des créances, soit au moins conditionnée par l’existence de celles-ci. Enfin, la subrogation, qui constitue un paiement, nécessite doublement l’existence de la créance, par le paiement qu’elle constitue, mais également par le transfert du bien qu’elle opère, le bien qu’incarne la créance.

1

J. FRANÇOIS, Les obligations, Régime général, traité, Economica, 2013, n°60 et 61.

2

(13)

16. La prescription aussi ne saurait courir sans l’existence antérieure du droit de créance, même si

elle ne court en principe pas avant la date d’exigibilité pouvant être postérieure à la date de naissance. Mais la réforme du droit de la prescription par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 utilise explicitement le critère de date de naissance de la créance pour limiter les effets dans le temps de la plupart des causes de suspension ou d’interruption du délai de prescription. À cette fin, elle instaure un « délai butoir » d’application générale qui court à compter de la date de naissance de la créance, mais qui n’atteint pas certaines causes spécifiques de suspension ou d’interruption. L’article 2232 alinéa 1er du Code civil dispose ainsi que « le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ». L’alinéa 2nd de l’article énumère les exceptions qui ne sont pas concernées par ce « délai butoir ».

17. La date de naissance de la créance est également utile en matière de protection conventionnelle

du lien de droit, en droit des sûretés1.

Le critère de date de naissance de la créance permet de déterminer l’étendue de l’engagement de la caution en cas de cautionnement d’une dette future. Le mécanisme mis en œuvre s’explique habituellement par la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement conceptualisée par Christian Mouly dans sa thèse2. Mais il n’est pas certain que la distinction corresponde à la réalité3. Elle conserve à tout le moins une valeur didactique4. D’après cette construction doctrinale, le cautionnement de dettes futures fait naître une obligation de couverture à exécution successive intuitu personae. Ce caractère intuitu personae implique que l’obligation cesse lorsqu’un protagoniste du rapport vient à changer, que ce soit la caution, le débiteur principal ou le créancier5. L’obligation de couverture peut également prendre fin par résiliation unilatérale lorsque le cautionnement était à durée indéterminée. La caution ne doit finalement couvrir que les dettes nées avant la fin de son obligation de couverture. C’est en effet la naissance des dettes durant la période de couverture qui génère l’obligation de règlement à la charge de la caution. N’étant pas intuitu personae, l’obligation de règlement persiste malgré le changement intervenu à condition d’être née avant celui-ci.

Le critère de date de naissance de la créance permet donc de définir les obligations que devra finalement couvrir la caution qui s’était engagée à garantir des dettes futures. Seules les dettes dont la date de naissance est antérieure à la fin de son obligation de couverture l’engageront.

1

Le lien de droit est également protégé légalement par l’action oblique de l’article 1166 du Code civil et l’action paulienne de l’article 1167 du Code civil. La jurisprudence exige pour l’exercice de l’action oblique que la créance soit certaine liquide et exigible, ce qui n’empêche qu’elle doive exister pour que l’action puisse être exercée. Ces conditions ne sont pas exigées pour l’action paulienne avec laquelle seule la condition d’existence de la créance et donc le critère de date de naissance est mise en œuvre, l’action doit avoir existé au jour de l’acte attaqué par la voie de l’action paulienne (F. TERRÉ, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Précis Dalloz, 11ème éd. 2013).

2

C. MOULY, Les causes d’extinction du cautionnement, Librairies techniques 1979, spéc. n°252 et s.

3

J. FRANÇOIS, Les sûretés personnelles, traité Économica, 2004, n°352. Voir également P. ANCEL, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », RTD civ. 1999, 771. Sans doute l’obligation de couverture incarne-t-elle en réalité la force obligatoire du contrat de cautionnement.

4

Pour un renouveau du concept d’obligation de couverture et son extension à d’autres domaines qu’au cautionnement, voir V. MAZEAUD Mazeaud, L’obligation de couverture, th. 2006.

5

(14)

Un mécanisme similaire est aujourd’hui appliqué en matière d’hypothèque. L’hypothèque à durée indéterminée constituée pour couvrir des dettes futures peut être résiliée unilatéralement. Alors seules les dettes nées avant la résiliation sont garanties par cette sûreté réelle. L’article 2423 alinéa 3 du Code civil dispose à cet égard que, « lorsqu'elle (l’hypothèque) est consentie pour sûreté d'une ou plusieurs créances futures et pour une durée indéterminée, le constituant peut à tout moment la résilier sauf pour lui à respecter un préavis de trois mois. Une fois résiliée, elle ne demeure que pour la garantie des créances nées antérieurement ».

18. En droit des régimes matrimoniaux, la date de naissance de la créance permet de déterminer si

son titulaire peut bénéficier du régime favorable des créanciers de la communauté. La dette doit être née durant le mariage, soit après sa célébration mais avant sa dissolution. La solution résulte de l’article 1409 du Code civil qui dispose que « La communauté se compose passivement (...) des (...) dettes nées pendant la communauté ». La dette née avant mariage ou après sa dissolution ne donne donc droit qu’à un recours sur les biens propres de l’époux1, tandis que la dette née durant le mariage permet au créancier de poursuivre les biens communs.

Mais la date de naissance de la créance sert également à déterminer l’actif commun, la créance constituant un bien pouvant en faire partie. Les textes ne sont pas aussi limpides que pour la détermination du passif de communauté, car, tandis que le passif ne comporte que des dettes, l’actif comporte d’autres biens que des créances. L’article 1401 du Code civil dispose que « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage »2. Or, la créance née durant le mariage fait partie des acquêts de communauté. Par exemple, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 31 octobre 2000 qualifie de dette commune l’indemnité de licenciement dont doit bénéficier un époux au motif qu’elle était « née pendant le mariage »3. Mais l’utilisation de la date de naissance de la créance pour identifier les créances composant la masse active de la communauté ne relève déjà plus de l’existence de la créance en tant que lien, mais en tant que bien.

2/ L’existence en tant que bien derrière le critère de date de naissance de la créance

19. Si l’obligation en tant que lien fait l’objet de mesures de protection de son paiement, l’obligation

en tant que lien fait l’objet de mesures de protection de sa substance4. Cette substance correspond à l’actif du patrimoine du débiteur qui en constitue le gage général conformément aux articles 2284 et 2285 du Code civil. La loi aménage des mesures de protection spécifiques lorsque le patrimoine du

1

À moins qu’elle ne soit née après mariage mais durant l’indivision post communautaire à l’occasion des biens communs devenus indivis, auquel cas les poursuites peuvent s’exercer directement sur les biens communs devenus indivis pour le paiement de cette dette, conformément à l’article 815-17 du Code civil.

2

La présentation est volontairement simplifiée car l’article 1401 du Code civil dispose ensuite que ces acquêts proviennent « tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ». Mais les observations que ces dispositions légales supposent nécessitent trop de développements explicatifs pour être abordés en guise d’introduction. Pour des précisions, cf. infra 2ème partie.

3

CA Paris 31 oct. 2000 JurisData 2000-126878, p. 4 de la décision.

4

Outre les mécanismes légaux prévus, la créance en tant que bien fait l’objet d’une protection constitutionnelle et conventionnelle au titre des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de l’article 1er du protocole n° 1 additionnel à la convention européenne des droits de l’homme (pour l’application à une créance, voir CEDH, 9 décembre 1994, Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreadis c/ Grèce).

(15)

débiteur fait l’objet de modifications d’ordre structurel ou plus rarement lorsqu’un bien de nature spécifique en constituant la substance essentielle sort du patrimoine du débiteur. Le droit d’opposition est la technique généralement utilisée en la matière. Le créancier s’oppose à l’opération effectuée par son débiteur, le régime subséquent variant selon le droit d’opposition concerné. Le droit d’opposition aménagé par le législateur en matière d’EIRL a déjà été évoqué, mais le droit des sociétés et la législation sur le fonds de commerce connaissent ce type de mesures de protection qui présupposent que la créance protégée par la mesure existe.

En matière de fusion, l’article L. 236-14 du Code de commerce aménage donc un droit d’opposition en disposant que « les créanciers (...) des sociétés participant à l'opération de fusion et dont la créance est antérieure à la publicité donnée au projet de fusion peuvent former opposition à celui-ci »1.

Un droit d’opposition est prévu selon des termes identiques à l’article L. 225-205 du Code de commerce pour protéger les créanciers de toute société en cas de réduction de capital non motivée par des pertes2.

En matière d’opérations réalisées sur un fonds de commerce, la loi aménage d’abord un mécanisme d’opposition au prix de vente du celui-ci. Le prix reste indisponible au profit des créanciers opposants durant les 10 jours suivant la vente. L’article L. 141-14 du Code de commerce prévoit ainsi que « tout créancier du précédent propriétaire, que sa créance soit ou non exigible, peut former (...) opposition au paiement du prix » dans les 10 jours suivant la publicité de la cession du fonds de commerce. Il s’ensuit que la date de naissance de la créance doit être antérieure à la publicité de cette cession pour que son titulaire puisse former opposition3.

Une protection est également prévue sous la forme d’une solidarité légale en cas d’apport en société du fonds de commerce. L’article L. 141-22 dispose ainsi que « tout créancier non-inscrit de l'associé apporteur fait connaître au greffe du tribunal de commerce de la situation du fonds, sa qualité de créancier et la somme qui lui est due » dans les 10 jours de la dernière publication. La société bénéficiaire de l’apport se trouve solidairement tenue des dettes ainsi déclarées de l’apporteur. Pour avoir la qualité de créancier, encore faut-il que la créance sur laquelle cette qualité repose soit née. Ce mécanisme de solidarité légale met donc nécessairement en œuvre le critère de date de naissance de la créance afin de déterminer les créanciers pouvant en bénéficier.

1

L’article poursuit en énonçant que « Une décision de justice rejette l'opposition ou ordonne, soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société absorbante en offre et si elles sont jugées suffisantes. À défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées, la fusion est inopposable à ce créancier. L'opposition formée par un créancier n'a pas pour effet d'interdire la poursuite des opérations de fusion ». L’article L. 236-14 du Code de commerce concerne la fusion de SA. Un droit d’opposition est prévu en des termes identiques pour les SARL.

2

Article L. 225-205 du Code de commerce pour une réduction de capital non motivée par des pertes dans les SA : « Lorsque l'assemblée approuve un projet de réduction du capital non motivée par des pertes, le représentant de la masse des obligataires et les créanciers dont la créance est antérieure à la date de dépôt au greffe du procès-verbal de délibération peuvent former opposition à la réduction, dans le délai fixé par décret en Conseil d'Etat ». En des termes similaires, voir l’article L. 223-34 du Code de commerce pour une réduction de capital non motivée par des pertes dans les SARL. Des auteurs observent l’inefficacité pratique de ce droit d’opposition à défaut de publicité organisée par la loi (H. HOVASSE et R. MORTIER, « La faille du droit d’opposition à réduction de capital », Bull. Joly Sociétés, 1er mars 2011 n°3 p. 278). Voir également l’article 229-2 du Code de commerce qui accorde un droit d’opposition en des termes similaires aux créanciers de la société européenne transférant son siège social dans un autre état membre de la Communauté européenne.

3

Com. 21 janv. 1974, n°72-14348, P, la créance doit simplement exister, être certaine. CA Paris 17 avr. 1945, GP 1945, 2, 157, peu importe que le terme soit postérieur à la cession du fonds de commerce, dès lors qu’elle existe avant, comme en dispose expressément l’article L. 141-14 du Code de commerce.

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La mise en location-gérance du fonds de commerce fait également l’objet de mesures de protection à l’égard des créanciers. L’article L. 144-6 du Code de commerce dispose qu’au moment de la mise en location-gérance « les dettes du loueur du fonds afférentes à l'exploitation du fonds peuvent être déclarées immédiatement exigibles par le tribunal de commerce de la situation du fonds, s'il estime que la location-gérance met en péril leur recouvrement ». Il faut que la date de naissance de la créance soit antérieure à la mise en location-gérance pour que la dette qu’elle constitue existe. Pour pouvoir être déclarée immédiatement exigible, pour que son paiement puisse être immédiatement réclamé, encore faut-il que la créance existe. L’article L. 144-7 du Code de commerce aménage une solidarité légale entre le loueur du fonds et le locataire gérant pour les six premiers mois de location-gérance en disposant que « jusqu'à la publication du contrat de location-location-gérance et pendant un délai de six mois à compter de cette publication, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation du fonds ». Le mécanisme de solidarité légale dépend donc de la date de naissance de la créance qui doit être antérieure à l’expiration d’un délai de six mois suivant la publicité de la mise en location-gérance. Comme il sera vu ci-après, l’expression « dettes contractées » ne vise pas exclusivement les dettes contractuelles, mais la naissance de toute dette, quelle que soit sa source. Enfin, si des mesures de protection sont prévues lors de la mise en location gérance, il en est également une de prévue à la fin ce celle-ci. L’article L. 144-9 du Code de commerce dispose ainsi que « la fin de la location-gérance rend immédiatement exigibles les dettes afférentes à l'exploitation du fonds ou de l'établissement artisanal, contractées par le locataire gérant pendant la durée de la gérance ». Comme il a déjà été observé, l’exigibilité immédiate ouvre la voie du paiement imminent et implique donc que les créances considérées existent déjà.

20. Protégée, l’obligation en tant que bien peut également constituer l’objet d’opérations juridiques

impliquant son transfert de propriété, du patrimoine de son titulaire qui en est le propriétaire vers celui d’une tierce personne qui en est alors l’ayant cause à titre particulier.

Le droit des voies d’exécution fait usage de la créance en tant que lien dans ses conditions de mise en œuvre1. Mais il peut surtout porter sur une créance en tant que bien à travers la saisie-attribution des créances. L’article L. 211-1 du Code de commerce dispose que « tout créancier (...) peut (...) saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent » et l’article L. 211-2 dispose que « l'acte de saisie emporte (...) attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie,(...) Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation ». Dès lors, pour être saisie, encore faut-il que la créance existe, car la saisie implique le transfert immédiat de la propriété de la créance. La date de naissance de la créance

1

Car celles-ci permettent d’obtenir le paiement, l’extinction non volontaire de l’obligation. L’utilisation du critère de date de naissance n’a cependant pas été évoquée précédemment car, bien que l’article L. 111-1 du Code des procédures civiles d’exécution accorde à « tout créancier » la faculté d’exercer des voies d’exécution forcées ou la prise de mesures conservatoires, l’article L. 111-2 du Code de commerce exige un titre exécutoire en plus d’une créance liquide et exigible pour les voies d’exécution forcées, si bien que le critère de date de naissance de la créance ne sera pas véritablement utile, puisqu’il sera absorbé par l’exigence d’un titre exécutoire. Et pour les mesures conservatoires, l’article L. 511-1 du Code de commerce exige « une créance paraissant fondée en son principe ». Cela implique l’existence de la créance et par conséquent l’utilisation du critère de date de naissance, mais sur le plan du probable, autrement dit la date de naissance de la créance dont l’existence serait probable. La probabilité d’existence de la créance cristallisera donc toutes les difficultés, d’une part, mais elle absorbera et masquera le critère de date de naissance de la créance qui deviendra alors inutile.

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appréhendée doit donc être antérieure au jour de la notification de la saisie au débiteur, à défaut de quoi la saisie frappe dans le vide1.

Pour des raisons différentes, le nantissement d’une créance peut également mettre en œuvre le critère de date de naissance de la créance lorsqu’il porte sur une créance future. L’article 2357 du Code civil dispose en effet que, « lorsque le nantissement a pour objet une créance future, le créancier nanti acquiert un droit sur la créance dès la naissance de celle-ci ». De la date de naissance de la créance nantie dépend alors l’acquisition du droit réel accessoire sur celle-ci par le créancier bénéficiant du nantissement. Cette date importera beaucoup par exemple en cas d’ouverture d’une procédure collective sur la personne ayant consenti le nantissement de créance. Si la créance nantie est née avant, alors le droit réel accessoire bénéficiera au créancier. Mais si la créance n’était pas encore née au jour du jugement d’ouverture, alors l’indisponibilité générale qu’elle engendre sur le patrimoine de celui qui y est soumis empêchera le nantissement de prendre effet.

C’est un raisonnement similaire qui s’applique en matière de cession de créance. Comme il sera vu, celle-ci peut porter sur une créance future conformément à l’article 1130 du Code civil, mais le transfert de propriété de la créance ne pourra s’opérer qu’au jour de sa naissance. Dès lors l’ouverture d’une procédure collective sur le cédant entre la signature de la cession et la naissance de la créance paralysera les effets de la cession2. La date de naissance de la créance aura donc une grande importance en la matière également.

21. Non exhaustifs, les enjeux pratiques de la date de naissance de la créance sont ici déjà nombreux.

Malgré son importance, la détermination de cette date présente des incohérences. Une même créance se voit attribuer des dates de naissance différentes selon la règle de droit mise en œuvre. Ce phénomène apparaît tout spécialement pour certaines créances.

II. L’incohérence de la date de naissance des créances

22. Le caractère transversal du concept de créance et l’ampleur des domaines dans lequel il est utilisé

nécessitent de focaliser la problématique sur une seule incohérence qui ouvre néanmoins des horizons suffisamment larges pour nécessiter un travail d’ampleur. Le choix sera porté sur l’incohérence du droit en matière de date de naissance de la créance monétaire de prix issue d’un contrat synallagmatique à titre onéreux.

L’incohérence provient d’une datation différente de cette même créance selon les branches du droit concernées, selon les règles de droit mettant en œuvre le critère de date de naissance de la créance ou nécessitant l’existence de la créance (A). Cette incohérence se trouve renforcée par des facteurs de complexification qui lui sont extérieurs (B), mais qui ont sans doute contribué à son enlisement au fil du temps à tel point que la controverse pourrait aujourd’hui sembler inextricable.

1

Cf. infra n°147 et s.

2

Cf. infra. La solution s’impose pour la cession de droit commun selon les formes de l’article 1690 du Code civil. Elle peut être mise en doute pour la cession de créance par bordereau Dailly du fait de la rédaction de l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier comme il sera vu ci-après.

(18)

A. L’incohérence de la date de naissance de la créance de prix

23. La date de naissance de la créance constitue un sujet beaucoup trop vaste pour que toutes les

problématiques et tous les phénomènes remarquables qui lui sont attachés soient traités simultanément. Ceux-ci ne présentent pas de liens suffisants pour qu’une unité d’ensemble puisse transparaître. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux actes du colloque organisé le 25 mars 2004 par Martine Behar-Touchais sur la date de naissance des créances1. Il est donc indispensable d’opérer un choix stratégique. Une problématique doit être choisie comme axe de démonstration en fonction de l’intérêt qu’elle suscite, mais également en fonction de la diversité des questions liées au thème général de la date de naissance de la créance que sa résolution nécessite d’aborder.

24. La cohérence du droit privé implique qu’une même créance recouvre une seule date de naissance,

quelles que soient les branches du droit dans lesquelles le critère de date de naissance est mis en œuvre. Tel n’est pourtant pas le cas. Il est tout spécialement une créance dont la date de naissance est fixée à des dates différentes selon le mécanisme de droit observé. Il s’agit de la créance de prix

fixée en argent dans un contrat synallagmatique à titre onéreux.

Le phénomène n’est pas passé inaperçu. Il donna lieu à des hésitations jurisprudentielles. Il divise encore aujourd’hui la doctrine. Et il n’a toujours pas reçu de réponse satisfaisante. Aucune des réponses envisagées n’appréhende l’ensemble des arguments exploitables.

Pour ces raisons, le choix de cette problématique s’impose. En effet, celles qui sont passées inaperçues ne représentent en réalité que peu d’enjeux ou ne sont pas inextricables au point de nécessiter une étude d’ampleur.

25. La créance de prix issue d’un contrat synallagmatique à titre onéreux concerne aussi bien le

contrat à exécution instantanée que le contrat à exécution successive ou échelonnée, qu’ils soient à durée déterminée ou indéterminée. Il peut s’agir du prix de vente d’un bien, du loyer dans le contrat de bail, de la redevance dans le contrat de crédit-bail, ou encore d’un abonnement à un service quelconque. En la matière, ni la jurisprudence ni la doctrine ne sont univoques. Plusieurs dates de naissance différentes sont consacrées pour cette même créance de prix d’une prestation, qu’il s’agisse d’un bien livré, d’une prestation de service accomplie ou encore de la jouissance d’un bien octroyé.

1

« La date de naissance des créances », colloque organisé par le CEDAG le 25 mars 2004 sous la direction de M. BEHAR-TOUCHAIS, LPA 9 nov. 2004, n°224 : « Rapport introductif » par E. PUTMAN, « La date de naissance des créances en droit des procédures collectives » par C. SAINT-ALARY-HOUIN, « La date de naissance des créances en droit du travail » par R. VATINET, « La date de naissance des créances en droit civil » par S. TORCK, « La date de naissance des créances en droit fiscal » par D. GUTMAN, « La date de naissance de la créance issue d’un contrat synallagmatique à exécution successive » par M. BEHAR-TOUCHAIS, « La date de naissance de la créance d’indemnisation » par P. JOURDAIN, « La date de naissance de la créance de recours de la caution solvens » par D. LEGEAIS, « Rapport de synthèse » par L. AYNÈS.

(19)

La date de naissance de cette même créance varie selon les hypothèses et selon les branches du droit concernées. Il s’ensuit l’incohérence du système de droit privé sur cette question et le discrédit des décisions de justice fondées dessus.

26. Le contrat est une espèce de convention1 ayant pour objet de créer une obligation ou de transférer la propriété d’un bien. Constituant le type de contrat le plus fréquent, le contrat synallagmatique a la particularité d’engendrer des obligations réciproques et interdépendantes2. Il découle de la fonction créatrice d’obligations du contrat consacrée par l’article 1101 du Code civil3, que les obligations contractuelles devraient naître à la date de formation du contrat. C’est d’ailleurs la solution qu’a pu reprendre la Cour de cassation à plusieurs occasions, énonçant sous forme d’attendu de principe que « les obligations contractuelles prennent naissance, sauf convention contraire, au jour de la conclusion du contrat »4. Emmanuel Putman5, Stéphane Torck6 et Nicolas Thomassin7 défendent ce principe avec ferveur, quel que soit le contrat concerné.

27. Malgré tout, des solutions de droit positif, reprises par une autre partie de la doctrine, déplacent la

date de naissance de la créance de prix du contrat synallagmatique à une date postérieure au jour de sa formation, au stade de l’exécution du contrat, période durant laquelle il a force obligatoire. En la matière, il y a lieu de distinguer d’après le contrat concerné. Il existe trois strates selon que le contrat est à exécution instantanée, à exécution successive ou encore plus spécifiquement à durée indéterminée.

28. Rares sont les auteurs et les solutions qui vont dans le sens d’une naissance postérieure au jour de

la formation du contrat pour les créances issues d’un contrat à exécution instantanée8 dont l’exemple topique demeure le contrat de vente. Une telle date de naissance serait en effet contraire à la lettre de l’article 1583 du Code civil qui dispose que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ». Malgré tout, la jurisprudence rendue en matière de détermination des créances pouvant bénéficier du privilège de procédure fixe la naissance de la créance de prix au jour de la livraison. À notre connaissance, seuls Gilles Endréo et Frédéric Baron considèrent qu’il s’agit là de la date de naissance de droit commun. À cet égard, ces

1

La convention est un accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes destiné à produire un effet de droit quelconque (vocabulaire Juridique CAPITANT, Puf).

2

Art. 1102 du Code civil. Voc. Juridique CAPITANT, Puf.

3

Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.

4

Civ. 1, 11 déc. 1985, n°84-15716, P. Civ. 1, 16 juill. 1986, n°84-12990, P. Com. 25 nov. 1986, n°85-11466, P.

5

Emmanuel Putman, La formation des créances, th. 1987, 1ère étude d’ensemble sur la formation des créances. L’auteur distingue la naissance de la créance (partie 1) de la perfection de la créance (partie 2). La date de naissance de la créance est étudiée à l’occasion de la 1ère partie.

6

S. TORCK, « La date de naissance des créances en droit civil, in actes du colloque sur la date de naissance des créances », in colloque CEDAG du 25 mars 2004, LPA 9 nov. 2004, n°224, p. 25.

7

N. THOMASSIN, La date de naissance des créances contractuelles, RTD com. 2007, p. 655.

8

Le contrat à exécution instantanée « donne naissance à des obligations susceptibles d’être exécutées en une seule fois comme la vente d’un objet, l’échange, le mandat portant sur une seule opération » (F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, Précis Dalloz, 11ème éd., 2013, n°70).

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