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La remise en cause du principe d’incessibilité des dettes 

Dans le document Les dates de naissance des créances (Page 164-169)

§ 2 : Interprétation renouvelée de la cession de contrat 

B.   Une naissance successive dépendante du principe d’incessibilité des dettes 

2/  La remise en cause du principe d’incessibilité des dettes 

253. La remise en cause du principe d’incessibilité des dettes n’est pas la consécration du principe de

cessibilité des dettes. Dans la mesure où nous aborderons la cession de contrat et le principe d’incessibilité des dettes en seconde partie à l’occasion du concept nouveau de créance économique dont la consécration y sera proposée, les présents développements se cantonneront au strict minimum pour convaincre du caractère erroné du principe d’incessibilité des dettes. Il est donc renvoyé aux développements de seconde partie pour une analyse plus fouillée1.

254. Pour écarter d’emblée le principe d’incessibilité des dettes, il apparaît très efficace de constater

que la thèse même de Laurent Aynès comporte en arrière plan l’idée d’un transfert de dette incompatible avec celle soutenue par l’auteur au premier plan d’une naissance successive des créances. En effet, de deux choses l’une, soit les créances et les dettes naissent successivement, ce pourquoi le cessionnaire se retrouve tenu des créances et des dettes prétendument nées après la cession de contrat, soit il s’opère avec la cession de contrat un transfert des créances et des dettes préalablement nées pour le tout sur la dette du cédant. L’idée de transfert des créances et des dettes est donc incompatible avec celle d’une naissance successive des créances et des dettes.

Quittant la partie de la thèse de Monsieur Aynès qui traite spécifiquement de la naissance des créances, l’idée de transfert d’obligations inhérente à la cession de contrat apparaît, certes de façon sous-jacente, mais néanmoins de façon très marquée. L’auteur expose ainsi que « le fondement de la transmission globale des droits et obligations nées du contrat se trouve alors précisé : c’est la relation causale entre les obligations et les droits »2. Non seulement l’idée de transmission est présente, mais l’idée de naissance des créances au jour du contrat l’est également. Certains intitulés sont révélateurs en la matière puisqu’il est question de « transmission active de l’obligation principale », de « transmission imposée par la loi », de « transmissions volontaires », de « transmission passive de l’obligation principale »3. Et l’auteur explique pour ce dernier que « le transfert de cette obligation s’accompagne nécessairement du transfert de la créance de loyers… ». Cela signifie nécessairement qu’il n’existerait qu’une seule créance de jouissance des locaux et qu’une seule créance de loyers, les deux créances étant transmises activement et passivement au jour de la cession de contrat.

Il n’y a qu’une seule explication à tout ceci, la naissance successive des créances n’est en la matière qu’un artifice pratique et esthétique. En réalité, la cession de contrat implique naturellement le transfert des obligations essentielles et principales issues du contrat et nées au jour de celui-ci.

255. La limitation du domaine de la thèse de Monsieur Aynès pose également problème au regard de

la seule justification réelle à la naissance successive des créances, le principe d’incessibilité des dettes. En effet, l’auteur limite l’institution de la cession de contrat aux seuls contrats à exécution successive, qu’ils soient à durée déterminée ou indéterminée.

1

Cf. infra n°941 et s.

2

L. AYNÈS, La cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes, th. 1984, Economica, p. 76 et 77.

3

Pourtant, le principe d’incessibilité des dettes se veut par nature commun à toutes les dettes quel que soit le contrat dont elles sont issues. Or, la cession de contrats à exécution instantanée dont la prestation caractéristique n’est pas encore épuisée existe. Preuve en est que ces contrats sont des contrats en cours en droit des entreprises en difficultés et qu’ils peuvent dès lors faire l’objet d’une cession judiciaire forcée à l’occasion d’un plan de cession s’ils sont nécessaires à l’exercice de l’activité, tel par exemple de la cession d’un contrat de vente de vin dont les bouteilles n’avaient pas encore été livrées1.

En outre, il a été démontré à la précédente section le caractère erroné de la naissance successive des créances en matière de contrat à durée déterminée. Que ce soit en tant que lien ou en tant que bien, il est certain que la créance issue d’un contrat à durée déterminée naît pour le tout au jour du contrat. Dès lors, la cession de contrat fondée sur la naissance successive des créances telle qu’exposée en apparence par Monsieur Aynès ne serait valable que pour les contrats à durée indéterminée. Outre que la thèse se retrouverait ainsi avec un rayonnement particulièrement réduit dans la mesure où la plupart des contrats sont aujourd’hui à durée déterminée, ce cantonnement à une catégorie de contrat est incompatible avec le caractère général du principe d’incessibilité des dettes sur lequel repose la naissance successive des créances. Si ce principe ne peut pas jouer pour les contrats à durée déterminée, c’est qu’il n’existe pas et qu’il ne peut donc pas servir de pilier à la naissance successive des créances, y compris dans l’hypothèse des contrats à durée indéterminée.

256. Des arrêts montrent l’existence de la cession de dettes. Par exemple, dans le cadre d’un plan de

cession, le cessionnaire doit payer les remboursements d’emprunts contractés pour l’acquisition de matériel par lui récupéré, mais nanti pour garantir le remboursement des emprunts2. Or, il est certain que la créance de remboursement du prêt naît au jour de la remise des fonds3. Dès lors, si le cessionnaire est tenu en lieu et place du cédant, c’est bien, nous semble-t-il, que la dette lui a été transmise avec le contrat de prêt.

257. Dans son article sur la date de naissance des créances contractuelles, Nicolas Thomassin4 va dans ce sens. Partisan d’une naissance pour le tout au jour du contrat, il explique la cession de contrat par une cession partielle des créances et des dettes nées au jour du contrat. L’auteur n’a pu étendre sa pensée dans le cadre restreint d’un article. Nous aurons l’occasion en seconde partie de voir les

1

Cf. infra n°931 et s.

2

Com. 13 avr. 1999, n°97-11383, P, D. 2000, 257, P. LIPINSKI, Def. 1999, art. 37023, J.-P. SÉNÉCHAL, JCP E 1999, n°39, p. 1533, M. CABRILLAC, RTD com. 1999, 964, C. SAINT-ALARY-HOUIN, RTD com. 2000, 177, A. MARTIN-SERF : « Attendu que le contrat de prêt des fonds intégralement remis à l'emprunteur avant l'ouverture de sa procédure collective n'est pas un contrat en cours au sens du premier des textes susvisés et ne peut être cédé au titre des contrats visés à l'article 86 de la loi du 25 janvier 1985 ; que, bien que le cessionnaire soit tenu, en application du dernier des textes susvisés, de payer les échéances de remboursement du prêt postérieures à la cession du matériel nanti, la caution solidaire des engagements de l'emprunteur demeure tenue, dans les mêmes conditions que celui-ci, de rembourser, sous déduction des sommes versées par le cessionnaire, l'intégralité de l'emprunt dont les échéances constituent des créances nées avant l'ouverture de la procédure collective ». La Cour ne dit pas que le contrat n’est pas transféré, elle dit qu’il ne l’est pas sur le terrain de l’article 86, mais qu’il l’est sur celui de l’article 93 de la loi de 1985. Nous verrons finalement en deuxième partie pourquoi ce contrat ne saurait être un contrat en cours au sens de l’article 86 de la loi, qui utilise une autre acception de la créance, tout comme le régime prévilégié de l’article 40, duquel il est complémentaire et indissociable (cf. infra n°1167 et s.). Voir également, dans le même sens, com. 12 oct. 1993, n°91-17128, P.

3

Sur cette question, cf. infra n°465 et s.

4

N. THOMASSIN, « La date de naissance des créances contractuelles », RTD com. 2007, 655 : « une obligation unique va devenir activement plurale », « une même obligation aura ainsi deux titulaires actifs », « division de l’obligation… par laquelle plusieurs personnes sont co-créancières ».

modalités de ce transfert des créances et des dettes nées du contrat1, en particulier la détermination de la quotité cédée en réalité étrangère avec les dates d’échéances stipulées2.

258. Les développements qui précèdent apparaissent suffisants pour réfuter la thèse d’une naissance

successive des créances dans le cadre de la cession de contrat. Des développements plus consistants seront consacrés au principe d’incessibilité des dettes en seconde partie3. Anachronique et n’existant en réalité plus aujourd’hui, la cession de contrat incorpore une cession des dettes et des créances réciproques nées du contrat4. Pour achever d’expliquer les mécanismes de la cession de contrat, il importera de déterminer dans quelles portions cette cession partielle des créances et des dettes principales s’effectue5. Cela relève de l’utilisation du concept nouveau de créance économique dont la consécration sera proposée en seconde partie, ce pourquoi il sera revenu sur ces points et sur la cession de contrat de façon plus générale à cette occasion6. Il suffit pour le moment de conserver à l’esprit que la cession de contrat ne permet pas de prouver une naissance successive des créances, qu’elle ne donne pas d’assise, ni à la thèse matérialiste, ni à la thèse périodique. Ces thèses d’une naissance de la créance de prix reportée au stade de l’exécution du contrat sont en réalité inutiles pour expliquer le mécanisme de la cession de contrat.

Conclusion de section, des thèses inutiles :

259. La jurisprudence qui refuse l’exécution forcée du paiement du prix ainsi que l’institution de la

cession de contrat constituent des phénomènes qui en apparence renforcent l’idée d’une naissance de la créance de prix au stade de l’exécution du contrat. Pour cette raison, il n’était pas possible d’ignorer ces deux thématiques. Il convenait au contraire d’aller au-delà des apparences et de pénétrer au cœur de ces deux phénomènes afin de déterminer s’ils impliquent effectivement une naissance successive des créances. Tel n’est en réalité pas le cas. Les thèses d’une naissance de la créance de prix reportée au stade de l’exécution sont en réalité inutiles pour expliquer tant l’institution de la cession de contrat que la jurisprudence refusant l’exécution forcée du paiement du prix en cas de refus de la prestation par le client.

Le refus d’exécution forcée n’implique pas l’absence de naissance de la créance. Il cache sa

réfaction. Ce n’est pas que la créance n’était pas au jour du jugement, c’est qu’elle n’est plus. Née a

priori, elle s’est trouvée effacée ou réduite a posteriori. Le principe de naissance pour le tout au jour du contrat n’est pas remis en cause par les arrêts étudiés qui refusent l’exécution forcée du paiement du prix ou qui qualifient “d’indemnité due en vertu d’une clause pénale“ le paiement du prix effectué malgré l’absence de prestation fournie, ce en vertu d’une stipulation expresses du contrat.

1 Cf. infra n°916 et s. 2 Cf. infra n°982 et s. 3 Cf. infra n°941 et s. 4 Cf. infra n°948 et s. 5 Cf. infra n°982 et s. 6 Cf. infra n°912 et s.

Quant à la cession de contrat, la thèse d’une naissance successive des créances est certes séduisante car d’apparence simple, mais elle n’est pas fondée au regard du droit positif et elle recèle en son sein des incohérences d’ordre conceptuel. Il est plus vraisemblable que la cession de contrat cache en réalité un transfert des créances et des dettes principales prévues au contrat et qui incarnent celui-ci. Le prétendu obstacle de l’incessibilité des dettes, qui sert de justification à leur naissance successive, n’a en réalité pas lieu d’être. La cession de contrat et la cessibilité des dettes seront de nouveau

abordés en seconde partie1, ce pourquoi les développements se sont cantonnés ici au strict minimum nécessaire à la démonstration.

Conclusion de chapitre, l’argumentation spécifique aux contrats à durée déterminée :

260. Nous avons exposé la diversité des thèses d’une naissance de la créance reportée au stade de

l’exécution du contrat. Celles-ci concernent des domaines variés, mais aussi proposent des dates de naissance et des modes de naissance différents, selon qu’elles se focalisent sur la seule créance de prix ou qu’elles englobent également la créance de contreprestation. Ecartant d’emblée les thèses à l’évidence incohérentes, deux thèses devant être soumises à un examen plus fouillé ont pu être identifiées, la thèse périodique, où à la fois la créance de prestation et la créance de prix renaissent cycliquement à chaque début de période, et la thèse matérialiste, où la créance de prix naît au fur et à mesure de l’exécution de la contreprestation, ce sans préoccupation pour la créance de prestation. Ces thèses n’ont toutefois pas supporté la confrontation au droit positif en dehors de la jurisprudence rendue sur le terrain du privilège de procédure de l’ancien article 40 de la loi de 1985. D’un côté la créance peut être exigible, éteinte, ou bénéficier d’une protection antérieure aux dates de naissance proposées. D’un autre côté elle peut faire l’objet d’une saisie ou d’une cession efficace antérieure aux dates de naissance proposées. Or, il s’agit dans tous les cas de la mise en œuvre de mécanismes dont il est certain qu’ils sont consubstantiels du concept de créance lui-même et qu’ils mettent dès lors en œuvre l’authentique concept de créance et sa véritable date de naissance, contrairement au privilège de procédure précité pour lequel cette certitude n’est a priori pas acquise. En effet, ce concept ne peut pas mourir avant d’exister, à défaut de quoi c’est l’existence même du concept qui se trouve reniée et avec elle les soubassements du système de droit privé.

Il ne restait qu’à lever le voile de l’illusion d’une naissance reportée au stade de l’exécution du contrat générée par des cas de refus d’exécution forcée de paiement de la créance de prix ainsi que par l’institution de la cession de contrat. À l’examen, ces deux phénomènes ne nécessitent pas la naissance successive de la créance, le refus d’exécution forcée cachant un cas de réfaction de l’obligation et la cession de contrat incorporant un transfert des créances et des dettes principales nées du contrat.

261. Il en ressort la réfutation certaine des thèses contemporaines périodique et matérialiste dans les contrats à exécution instantanée et à durée déterminée. Dans le contrat à exécution

instantané tel la vente, la créance de prix naît au jour du contrat et non pas au jour de la livraison.

1

Dans le contrat à exécution successive à durée déterminée tel le bail, la créance de prix naît pour le tout au jour du contrat et non pas au fur et à mesure de l’exécution de la contreprestation ou encore à chaque début de période définie au contrat par la stipulation du terme nonobstant la date de survenance de celui-ci.

262. Mais cette certitude disparaît complètement pour le cas des contrats à durée indéterminée.

Pour eux, l’observation du droit positif ne permet pas de trancher la question de la date de naissance des créances qui en sont issues.

Contre toute attente, y compris la notre, nous avons fini par acquérir la conviction que les créances d’un contrat à durée indéterminée naissent également pour le tout au jour de la formation du contrat, qu’elles incorporent dès l’origine toute la potentialité future de l’exécution du contrat.

Ainsi, par exemple, la cession de la créance de loyers issue d’un contrat à durée indéterminée, serait pareillement efficace à celle issue d’un contrat à durée déterminée en cas d’ouverture d’une procédure collective, l’effet réel de la procédure n’atteindrait pas les termes postérieurs de loyers qui auraient d’ores et déjà quitté le patrimoine du cédant. Ce n’est qu’une conviction, aucun arrêt ne vient la conforter de façon tangible, mais aucun arrêt ne vient non plus contredire cette conviction. Cette conviction ne résulte pas d’une prise de position arbitraire. Elle est le fruit d’un recul et d’une vision d’ensemble acquise sur le thème général de la date de naissance de la créance, mais également sur la nature et la physionomie du concept de créance. Cette conviction ne fut pas la première approche qui s’imposa à nous, loin de là. Elle est le fruit de la réflexion et du travail accompli au fil du temps sur la date de naissance de la créance, un travail et une réflexion qui ne se limitèrent pas aux seuls contrats synallagmatiques, ni même à la seule source contractuelle d’obligations.

Il importe dès lors d’aborder à présent l’argumentation spécifique aux contrats à durée indéterminée où nous n’entendrons pas prouver de façon irréfutable, mais convaincre uniquement de la réfuation des thèses contemporaine, d’une absence de naissances successives d’une pluralité de créances, mais au contraire d’une naissance pour le tout au jour du contrat malgré la durée indéterminée de ces contrats. On l’aura pressenti, cette rhétorique ne se limitera pas à la matière contractuelle et trouvera une source d’inspiration dans la matière extracontractuelle car le concept d’obligation est un concept transversal de tout le droit privé qui n’est pas limité au contrat.

Chapitre 2 : L’argumentation spécifique aux contrats à durée

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