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L’insuffisance des arguments de droit positif 

Dans le document Les dates de naissance des créances (Page 156-159)

§ 2 : Interprétation renouvelée de la cession de contrat 

A.   L’argumentation déficiente au soutien d’une naissance successive des créances 

1/   L’insuffisance des arguments de droit positif 

233. La jurisprudence citée comporte des arrêts non significatifs d’une naissance successive, voire en

sens contraire (a). La seule jurisprudence qui pourrait finalement être retenue à l’appui d’une naissance successive des créances réside dans celle du transfert du bail commercial dont le statut légal particulier en atténue néanmoins grandement la portée quant à la date de naissance de la créance (b).

a) La jurisprudence obsolète ou en sens contraire

234. Laurent Aynès fait usage de la jurisprudence rendue en matière de cautionnement2. La thèse de Christian Mouly réceptionnée par la jurisprudence y distingue les obligations de couverture des

1

Cf. infra n°912 et s.

2

obligations de règlement, la caution n’étant définitivement tenue qu’à la naissance de l’obligation de règlement. Or, celle-ci ne naît qu’avec la survenance de l’obligation principale couverte. Il s’ensuit qu’en théorie, si la caution demeure tenue après le changement d’un protagoniste au rapport de cautionnement, après extinction de son obligation de couverture, c’est que la créance couverte était née avant ce changement.

235. L’auteur cite un arrêt du 26 octobre 1999 de la chambre commerciale de la cour de cassation où

la caution était déchargée des échéances postérieures à la cession de l’immeuble sur lequel un bail avait été octroyé, les loyers étant couverts par le cautionnement1. L’absence de couverture des loyers postérieure impliquait leur naissance postérieure. Mais cette jurisprudence est aujourd’hui dépassée. La solution a depuis changé avec un arrêt d’Assemblée plénière du 6 décembre 20042. Dans cet arrêt, la créance à l’égard de la caution est transmise comme accessoire de la créance de loyers transférée à l’acquéreur de l’immeuble. À solution contraire, inférence contraire. Il doit en être induit aujourd’hui une naissance instantanée au jour du contrat de la créance de tous les termes de loyers du contrat de bail. Pléthore d’autres arrêts rendus en matière de cautionnement montrent clairement que les créances naissent pour le tout au jour du contrat dans les contrats en durée déterminée3.

236. Monsieur Aynès cite également un arrêt qui apparaît totalement étranger à la cession de contrat.

Dans une espèce du 16 juillet 1986, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation avait eu à faire le départ entre les associés successifs d’une société civile4. Les sommes demandées concernaient le prix de marchés de constructions immobilières ainsi que des dettes de responsabilité. Les associés sont indéfiniment responsables des dettes sociales conformément à l’article 1863 du Code civil. Avant 1978, la répartition de cette responsabilité indéfinie entre associés successifs se faisait logiquement en fonction de la date de naissance de la créance5.

Il n’y avait toutefois pas en l’espèce cession de contrat entre les associés successifs de la société civile, encore moins cession des contrats passés par cette dernière qui conserve une personnalité juridique autonome et distincte des associés qui la composent.

Au surplus, quand bien même il y aurait eu cession de contrat, la solution adoptée par l’arrêt irait à l’encontre d’une naissance successive des créances que cherche à démontrer Monsieur Aynès. En effet, seuls les associés antérieurs à la cession de parts sociale étaient tenus, ce qui impliquerait que les créances étaient nées avant la cession de titres, au jour du contrat, et non pas après au stade de son exécution.

1

Com. 26 oct. 1999, n°97-15794, P, D. 2000, 155, C. LARROUMET, JCP E II 416, O. GOUT, JCP G 2000 II 10320, J. CASEY, LPA 3 avr. 2000, p. 17, M. KÉITA, RD bancaire et fin. 2000, p. 16, D. LEGEAIS, RTD civ. 2000, 679, R. LIBCHABER, D. 2000, 224, L. AYNÈS, Def. 2000, art. 37151, p. 480, S. PIEDELIÈVRE.

2

AP, 6 déc. 2004, n°03-10713, P, JCP G 2005 II 10010, S. PIEDELIÈVRE, JCP G 2005 I 135, P. SIMLER, D. 2005, 227, L. AYNÈS, Def. 2005, art. 38142, p. 64, E. SAVAUX, RTD com. 2005, 51, J. MONÉGER, LPA 2005, n°61, p. 7, D. HOUTCIEFF, RD bancaire et fin. 2005 n°37, p. 17, D. LEGEAIS, Rev. loyers 2005, n°583, p. 4, L. AYNÈS.

3

Cf. infra n°367.

4

Civ. 1, 16 juill. 1986, n°84-16631, P.

5

b) La jurisprudence spécifique sur la cession du bail commercial

237. En matière de transfert du bail commercial, depuis un arrêt de principe de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 12 juillet 1988, le cédant n’est en principe plus tenu des échéances postérieures à la cession, il ne l’est qu’en cas de clause du contrat de bail stipulant la garantie solidaire des preneurs successifs1. La libération du cédant pour les échéances postérieures pourrait effectivement aller dans le sens d’une naissance successive des créances. Les échéances postérieures constitueraient des créances nées successivement et directement sur la tête du cessionnaire, ce pourquoi le cédant ne saurait être tenu à leur paiement, puisqu’elles ne sont jamais nées sur sa tête.

238. Il est toutefois bien connu que la loi et la jurisprudence facilitent au mieux la cession du fonds

de commerce, y inclus du bail commercial qui en constitue un élément clé. Or, la libération du cédant pour les échéances postérieures à sa cession contribue à faciliter cette cession de l’activité économique. Il y va ici en quelque sorte d’un ordre public économique d’un intérêt supérieur aux intérêts individuels des parties. Il n’est donc pas si évident que cette jurisprudence implique nécessairement une naissance successive des créances. D’une part, le caractère spécifique de la matière et le statut des baux commerciaux pourrait expliquer une solution peu orthodoxe fondée sur la technique de la fiction juridique. D’autre part, l’ordre public économique qui justifie cette solution pourrait impliquer une libération du cédant quand bien même les échéances postérieures constitueraient une créance transmise au cessionnaire sans libération expresse du cédant par le créancier bailleur.

239. Pour conforter cette jurisprudence rendue sur le terrain du bail commercial, Laurent Aynès

invoque également deux arrêts où la caution est dispensée de couvrir les échéances postérieures au bail commercial cédé. Ceci confirmerait en effet que les échéances postérieures n’étaient pas nées avant la cession car sinon la caution aurait dû les couvrir.

Cependant, ces arrêts cités en matière de cautionnement font aujourd’hui figure d’exception. Comme il sera vu au prochain chapitre, la plupart des arrêts rendus en la matière impliquent au contraire une naissance unique au jour du contrat de toutes les échéances postérieures, la caution restant tenue jusqu’à la survenance du terme du contrat lorsque celui-ci est à durée déterminée2. Mais cette jurisprudence tend à faire penser qu’il en irait différemment en matière de cautionnement à durée indéterminée3, ce pourquoi elle ne sera abordée de façon plus approfondie qu’au chapitre suivant consacré à la date de naissance dans ces contrats à durée indéterminée4.

1

Civ. 3, 12 juill. 1988, n°86-15759, P. Voir aussi les confirmations postérieures, civ. 3, 15 janv. 1992 n°90-11289 inédit, civ. 3, 12 avr. 1995, n°92-21541, P, civ. 3, 4 mars 1998, n°95-21560, P, JCP G 1998, IV p. 1895, civ. 3, 11 mai 1995, n°93-11410, P, com. 26 oct. 1999, n°97-14866, inédit. La garantie solidaire des preneurs successifs est aujourd’hui une clause de style du contrat de bail commercial. L’interdiction de cession sans accord du bailleur était devenue une clause de style, mais le Code de commerce est venu la paralyser à son article L. 125-16 lorsque la cession du bail est concomitante à la cession du fonds de commerce (J.-P. BLATTER, Droit des baux commerciaux, traité, 5ème éd., Le Moniteur, 2012, n°196 s.).

2 Cf. infra n°367. 3 Cf. infra n°370. 4 Cf. infra n°366 et s.

Les solutions rendues en droit du cautionnement contredisent donc celles rendues en matière de garantie du cédant dans le transfert du bail commercial sur le terrain de la date de naissance du contrat à durée déterminée, une naissance instantanée et pour le tout au jour du contrat pour la première, une naissance successive pour la seconde. Le seul moyen de les concilier, c’est, nous semble-t-il, de ne pas faire reposer la cession du rapport contractuel sur une naissance successive des créances, mais sur une cession simultanée des obligations nées du contrat, donc de faire sauter le verrou du principe d’incessibilité des dettes en droit français comme il sera vu.

240. Le droit positif invoqué par l’auteur au soutien d’une naissance successive des créances n’est

donc pas très concluant. Rien de surprenant dans la mesure où nous avions déjà démontré que la thèse matérialiste comme la thèse périodique devaient être réfutées sur le terrain du droit commun, hors le cas du droit des entreprises en difficulté, à tout le moins en dehors du cas plus compliqué des contrats à durée indéterminée. Mais il n’est pas que les arguments de droit positif qui sont insuffisants, la réflexion théorique comporte également des failles.

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