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Chapitre 3 – L'évaluation des fréquentations récréatives des forêts

3.1/ Les prémices de l'évaluation des activités récréatives en forêt

A la fin du XIXe siècle, la forêt de Fontainebleau est un endroit où les élites se montrent, les modes vestimentaires et usuels distinguent les bourgeois des gens des classes plus ordinaires. Les activités de loisirs de plein air deviennent un marqueur social. Le Touring club de France et le Club alpin français contribuent au dynamisme de ces activités qui valorisent leurs adeptes. Puis, c'est la mode du vélo qui est à l'époque un objet nouveau et onéreux, et l'organisation indirecte de cette pratique récréative initie une sorte de comptage. Ainsi, à la gare de Fontainebleau, le soir de la Pentecôte 1898, entre 18 et 20 heures, 1 000 usagers sur le chemin du retour font enregistrer leur vélo pour Paris (Kalaora, 1981).

Au début du XXe siècle, un peu à l'écart des très grandes villes, dans la Sarthe, l'Inspecteur principal des Eaux et Forêts, Potel s'intéresse aux pratiques sociales et récréatives des usagers dans les forêts dont il a la charge. Dans ses articles pour le bulletin de la Société d'agriculture de la Sarthe, Potel (1929) décrit le calme et la poésie des forêts, face aux séductions et aux exigences de la vie moderne. Il parle des promeneurs dans la forêt de Perseigne, et des touristes en automobile qui lui semblent habituels bien qu'il les trouve peu nombreux. Son administration avait déjà été sollicitée pour entretenir et baliser les chemins forestier, et Potel note qu'à la belle saison, la forêt est fréquentée par « d'assez nombreux écoliers parisiens » en vacances dans la région.

En province, pendant l'Entre-deux-guerres, les forêts étaient déjà connues comme des espaces récréatifs, et certains forestiers essayaient de partager leur savoir et leur intérêt pour le milieu naturel. Ainsi, le forestier sarthois Roger Blais a publié plusieurs livres de vulgarisation sur la forêt dont les francs succès de commercialisation révèlent l'intérêt du public de l'époque, pour ce sujet. Les usagers avaient déjà besoin de la forêt « pour s'y reposer, s'y humaniser, l'humaniser » (Bloch- Raymond, 1992, page 44).

Après la Seconde Guerre mondiale, les évolutions sociales se sont accélérées et les usagers sont devenus beaucoup plus nombreux. Les forestiers ont été confrontés à une augmentation importante du nombre de visiteurs venus se récréer dans les espaces boisés. Au début des années cinquante, Schaeffer (1951) décrit les usagers dominicaux qui viennent « en masse » en forêt. Schaeffer classifie ces visiteurs, il décrit le public populaire, les touristes, les intellectuels, les artistes et les naturalistes. Selon ce forestier, les intellectuels ont des idées ineptes, car inspirées de Rousseau, tandis que les autres sont assez ignorants du monde de la forêt. Alors, dans ces circonstances, il préconise une stratégie pour les forestiers qui doivent cibler les esthètes connus pour leur ascendant social, et leur capacité à diffuser les (bonnes) connaissances dans la population.

parfois passionnés, mais Schaeffer montre aussi que la prise en compte d'une demande populaire est un sujet sérieux. Ce forestier a donc proposé d'adapter les abattages et les vidanges de parcelles pour ne pas heurter les sensibilités citadines qui doivent être respectées.

Dans les années soixante, les loisirs se développent énormément, et parmi les espaces les plus exposés, les forêts des bords de mer connaissent d'importantes affluences saisonnières. Dans les Pays-de-la-Loire, l'avenir des forêts dunaires suscite des travaux et des réflexions chez les forestiers qui doivent concilier l'affluence, la préservation et le renouvellement de l'espace naturel boisé. En 1964, Rivaillon décrit ses inquiétudes de forestier, face à l'arrivée des touristes qu'il voit tel un flot quasi dévastateur, et il promeut les notions de « densité limite » ou de « charge limite » pour concilier les fréquentations des usagers-touristes avec le maintien du couvert boisé dans un espace fragile (Rivaillon, 1964).

Dans le cadre des fortes affluences dans les forêts périurbaines, le forestier et Ingénieur en chef du Génie rural et des eaux et forêts (G.R.E.F.), Betolaud observe les pratiques et l'afflux des usagers en forêt. Il décrit les loisirs qui deviennent une nécessité vitale pour des citadins pressés et stressés, car ils peuvent réparer « par la distraction ou par l'évasion, les dégâts psychophysiologiques que

peuvent provoquer une technique insuffisamment humanisée, un défaut d'acclimatation à un milieu urbain proliférant...» (Betolaud, 1968, p 536).

Dés les années soixante, les observations des forestiers ont clairement montré que les pratiques récréatives dans les espaces boisés génèrent des bénéfices directs et indirects pour les populations et pour les territoires. Depuis longtemps, la proximité et la fréquentation des espaces boisés étaient intuitivement et empiriquement connues pour leurs contributions au bien-être et à la santé des usagers, tout en favorisant les plus-values immobilières (Bartet, 1996). Cependant, les forestiers et les sociologues manquaient d'éléments pour calculer le rapport coûts/bénéfices des usages et des perceptions liés à la présence et aux rôles des forêts dans une société en évolution rapide (Betolaud, 1968 ; Kalaora, 1981).

Pour répondre à ces problématiques nouvelles et pour estimer financièrement leurs coûts et leurs conséquences sociales autant qu'environnementales, il est clairement apparu qu'il fallait quantifier cette fonction récréative, connaître sa valeur et ses différents aspects sociaux.

Alors que dans le cadre géographique nord-américain, des recherches quantitatives ont déjà été largement développées, en France, à la fin des années soixante, plusieurs projets et travaux d'enquête sont envisagés. Lindeckert (1969) publie dans la Revue forestière française un article sur l'évaluation des usages récréatifs en Amérique du nord. Il montre les avantages de la quantification qui lui semblent nombreux, car ils permettent aux forestiers de s'organiser et d'aménager leurs forêts en

tenant compte des prévisions d'affluence. Le calcul économique semble s'imposer pour évaluer la fonction sociale, le territoire boisé est utilisé ou consommé dans le cadre de la récréation et tout doit être calculé. Grâce à l'approche statistique, les ingénieurs estiment la distance, le temps, le coût et l'argent dépensés par les usagers pour aller en forêt pendant leurs loisirs. Ces calculs permettent d'évaluer la valeur de la fonction récréative au niveau national. A l'échelon individuel, le bilan comptable de la fonction récréative s'établit en comparant les satisfactions des usagers avec les dépenses engagées pour les activités de loisirs. Par contre, pour le forestier, c'est le manque à gagner sur les productions traditionnelles qui permet d'estimer le coût de la fonction récréative.

L'enquête financière de Lindeckert était peut-être trop en avance sur son époque, et elle n'a semble t-il pas fait beaucoup d'émules. Par contre, à la même époque, les grandes enquêtes sociologiques sont apparues pour permettre de comprendre et d'estimer quantitativement l'importance de la fonction sociale.

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