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Chapitre 2 – Les espaces périurbains et leurs forêts

2.5/ Les particularités des usages récréatifs dans les parcs suburbains

En contraste avec les espaces bâtis urbains, le paysage naturel et boisé a une apparence dynamique. Les couleurs, les formes et les odeurs marquent les saisons et ces changements synchronisent les usagers aux cycles naturels en contribuant à la qualité de la vie dans les espaces périurbains. Les riverains et les populations qui visitent ou passent à proximité des bois dans le cadre de leurs pérégrinations, peuvent donc être sensibilisés et récréés par l'évolution douce du décor dans lequel ils évoluent régulièrement (Loiseau et al., 1993 ; Le Breton, 2000).

Les usagers des forêts périurbaines sont majoritairement des citadins qui ressentent un fort besoin d’espaces naturels qui leur renvoient une image idéalisée de naturalité, de vitalité et de bien-être. Habituellement, les espaces boisés situés près des villes sont les plus fréquentés et ils subissent une importante pression populaire (Moigneu, 2005 ; ONF, 2011a). Les forêts publiques accueillent depuis longtemps des usagers, mais depuis quelques décennies, la demande d'espaces naturels accessibles au public est devenue très importante. De nombreuses collectivités territoriales ont donc investi dans des équipements de proximité tels que des parcs suburbains, pour satisfaire leurs populations.

Dans ces espaces boisés ouverts au public, des équipements spécifiques à la fonction sociale ont souvent été installés (panneaux didactiques, parkings, etc.). Les investissements sont réalisés pour satisfaire les usagers et pérenniser les niveaux de visites, parfois, ils servent à rétablir les équilibres des espaces naturels soumis à de trop fortes pressions. Ces aménagements sont normalement plus lourds dans les espaces suburbains que dans les périphéries éloignées (Kalaora, 1981). Près des villes, des aires de jeux et des centres d'accueil tels que des Maisons de la randonnée ou des chemins ruraux peuvent être créés. En 1999, en Île-de-France, une Maison des forestiers juniors a été installée en forêt de Bondy (93) pour accueillir le public et participer au rétablissement des équilibres du milieu naturel qui avait été dégradés par des usages inadaptés (Langrade et al., 1999). Par contre, la Maison de la forêt créée en 2013 à l'Arche de la nature au Mans, est uniquement destinée à l'accueil, à l'information et au confort des usagers.

Dans les forêts plus éloignées des agglomérations, les investissements destinés aux visiteurs sont relativement légers, ils concernent les bancs, les tables de pique-nique, les petits abris et occasionnellement des parcours de santé, des belvédères et des tables d'orientation. Ces

équipements implantés dans les forêts éloignées des villes sont généralement peu envahissants et ils permettent aux espaces boisés de garder une naturalité apparente (Aubépart, 1996 ; Kalaora, 1981 ; Moigneu, 2005). Le niveau d'investissements pour préserver ou équiper les forêts est donc plus important dans le contexte suburbain que dans les espaces lointains, car il dépend de la demande et de la pression des visiteurs sur le milieu.

Dans les espaces les plus fréquentés, les forestiers doivent gérer l'accueil tout en régénérant les plantations et en préservant l'environnement. Pour limiter le piétinement, ils créent parfois des terrasses, des rambardes et des cheminements sur caillebotis. L'un de leurs dilemmes est de satisfaire des visiteurs en quête d'espaces ouverts, tout en les canalisant sur des aires et des parcours prévus à cet effet.

Les problématiques liées aux équipements, aux fréquentations récréatives et à leurs conséquences sur le milieu naturel sont donc, souvent corrélées à leur éloignement à la ville. Hormis les hauts- lieux touristiques qui attirent de très nombreuses personnes en des endroits très localisés et susceptibles d'être sur-fréquentés, d'une façon générale, les parcelles boisées les plus éloignées des agglomérations subissent moins de problèmes de surfréquentations (Moigneu, 2005).

Dans les parcs et les forêts suburbaines où la fonction récréative est privilégiée, des clairières et des plaines de jeux peuvent être aménagées au détriment de la naturalité et du couvert forestier. Les gestionnaires de ces espaces font alors un travail d'équilibre ; les usagers sont nombreux et ils souhaitent profiter de la nature, la forêt doit donc être aménagée tout en gardant des caractéristiques naturelles. Près des villes, compte tenu du nombre important de visiteurs, cette dualité de la demande d'espaces naturels et aménagés, est plus sensible que dans les périphéries lointaines. Elle nécessite plus d'investissements et d'entretien que la préservation des boisements productifs et des halliers naturels que n'apprécient pas la plupart des usagers (Kalaora, 1981 ; Lawrence, Carter, 2009 ; Léonard, 2003).

Les grands parcs et les forêts suburbaines sont des équipements multifonctionnels qui deviennent ponctuellement des espaces festifs, sportifs et culturels. La vocation première des forêts n'est pas de servir de terrain de réunion à de grandes manifestations, mais grâce à leurs vastes clairières, à leurs dessertes et à leurs parkings, elles accueillent de nombreux évènements populaires. Ainsi, dans certaines forêts périurbaines, des compétitions, des expositions et les fêtes centrées autour de la nature sont organisées. Lors de ces réunions événementielles, la proximité entre les agglomérations et les vastes étendues des parcs boisés se combine à la proposition festive pour créer de vrais succès populaires (encadré n° 7, page 72).

compétitions qui font participer les sportifs confirmés et les amateurs locaux est un phénomène national. Les marathons et les semi-marathons se sont beaucoup développés dans le contexte urbain (Blin, 2012), mais il existe aussi une multitude de courses en ligne ou en boucle qui passent par les voies et les chemins forestiers. La plupart de ces évènements sportifs sont organisés ou soutenus par les collectivités locales qui montrent ainsi la qualité de leurs territoires et le dynamisme de leurs populations (Augustin, 2011).

A coté des activités sportives, le développement des besoins de nature révèle de façon plus ou moins formelle qu'une partie de la population cherche des racines et des valeurs sûres et saines dans les territoires où elle habite. Ces besoins ne s'appuient pas toujours sur des constats historiques ou des recommandations scientifiques (Aspe, 2008), mais ils permettent d'attirer des foules qui viennent assister à des fêtes qui ont la nature pour thème principal ou secondaire.

Dans les parcs et les forêts d'agrément des grandes villes, des fêtes de l'eau, des énergies renouvelables ou du cheval sont régulièrement organisées et elles séduisent un public nombreux. Ces évènements festifs sont aussi basés sur les produits du terroir et l'alimentation traditionnelle et naturelle qui sont très en vogue actuellement. Les fêtes du miel, des pommes et des châtaignes ou même de l'âne et du cochon créent donc des évènements dominicaux dans les espaces naturels où elles sont organisées.

Les forêts périurbaines et le succès des compétitions populaires

Au Mans, le cross Ouest-France est organisé tous les ans dans les espaces forestiers suburbains de l'Arche de la nature (cf. chapitre 4.4.1). Avec près de 15 000 participants, c'est le plus grand cross de France. La proximité de la ville, les moyens de transports et la disponibilité spatiale de la forêt et de ses clairières permettent l'organisation et la réussite de ce type de compétition qui est obligatoirement couru dans le milieu naturel.

Des évènements sportifs organisés dans les forêts périurbaines peuvent aussi se courir sur route et c'est le cas de la course Alençon-Médavy. Cette compétition en ligne, part du centre ville d'Alençon et se termine 15 kilomètres plus loin, au carrefour de la croix Médavy, au cœur de la forêt domaniale d'Écouves. La particularité de cette course réside dans les cinq derniers kilomètres qui sont une longue montée vers le point haut de la forêt à 391 mètres d'altitude. Plus de 300 bénévoles encadrent les milliers de participants inscrits au départ de cette compétition. Le public est toujours nombreux le long des 15 kilomètres du parcours. Cette course réputée séduit les sportifs locaux ainsi que des compétiteurs étrangers qui viennent parfois de très loin.

Les organisateurs locaux cherchent à vanter ce parcours atypique et, par une sorte de dérision, ils précisent que cette course débute dans un centre-ville pour arriver « au milieu de nulle part »¹. En réalité, le décor forestier contribue au succès de l'évènement. La forêt et sa topographie rendent la course possible et intéressante, et en retour la compétition apporte une notoriété supplémentaire à l'environnement boisé d'Alençon.

¹ http://www.alencon-medavy.fr/MEDAVY_WEB/

Lors de ces évènements, les citadins et les habitants des espaces périurbains découvrent ou approfondissent leurs connaissances du milieu forestier. Des professionnels des métiers de la forêt montrent leur savoir faire. Ainsi par exemple, à l'Arche de la nature près du Mans, lors des fêtes de la forêt, des opérations d'abattage acrobatique et le débardage à cheval étonnent et intéressent le public. L'ensemble de ces activités festives et spectaculaires familiarise les usagers avec les fonctions traditionnelles de la forêt, et certaines démonstrations contribuent à apaiser les éventuelles tensions qui pourraient naitre entre les populations locales et les forestiers.

Le lien entre le milieu naturel et les usagers est aussi entretenu par les bénévoles et les salariés des associations de protection de la nature telles que la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ou l'Association faune flore de l'Ouest (AFFO) qui connaissent bien les forêts périurbaines et animent des réunions d'informations en diverses occasions. Tous les ans, lors des festivités organisées dans les espaces périurbains des villes telles que Alençon, Blois et le Mans, les naturalistes des associations de protection de la nature, et les professionnels des établissements tels que les PNR et les musées d'Histoire naturelle, renseignent des milliers de personnes. Les visiteurs sont informés de la présence de diverses espèces animales et végétales sensibles dans les forêts locales. Ces informations relatives à l'existence ou au retour d'animaux et de végétaux assez rares et peu visibles créent une image valorisante pour le territoire. Le public découvre avec plaisir un milieu naturel local suffisamment sain et préservé pour permettre la présence et la reproduction d'animaux tels les castors, les cigognes noires ou les moules perlières d'eau douce qui sont réputés sensibles à la pollution et aux agressions anthropiques.

Les informations et les connaissances acquises grâce aux animations et aux activités festives organisées dans les espaces naturels suburbains ont des conséquences sur l'ensemble des pratiques, car elles créent des envies ou des motivations à fréquenter les forêts périurbaines.

L'intérêt du public pour les espaces naturels est ainsi influencé et renforcé par la culture et par le niveau de naturalité des espaces. L'observation et l'analyse des guides de découverte et des pratiques montrent clairement que la présence de végétaux et d'animaux originaux ou communs tels que des canards ou des écureuils déterminent des visites spécifiques (Albouy, 2006 ; Fuller et al., 2007 ; Reynès, 1998 ; Signollet, Mansion, 2003). Par exemple, lors de leurs sorties quasi-quotidiennes, des parents traversent la ville pour se rendre dans des parcs suburbains, répondant ainsi aux désirs de leurs enfants qui veulent voir et parfois nourrir des animaux en liberté (canards, poissons etc.) sur les étangs et les rivières des espaces boisés. Quant aux adultes et aux retraités, ils sont souvent plus intéressés que les enfants par les végétaux tels que le muguet, les orchidées et par toutes sortes de plantes et de fleurs sauvages poussant dans les parcs et forêts périurbaines.

A grande échelle, dans les espaces naturels proches de la ville, les écosystèmes accessibles au public sont très variés, et cette diversité combinée à la proximité des populations, influe sur l'attrait et le niveau de fréquentation du milieu naturel par les populations locales (Arnould et al., 2011 ; Cochard, 2011 ; Fuller et al., 2007).

Les élus et les personnels des collectivités territoriales souhaitent généralement que les parcs et les forêts d'agrément qu'ils ont contribué à ouvrir ou à créer soient des succès populaires. Cependant, la forte présence des usagers induit nécessairement des modifications de l'équilibre naturel qui peuvent entrainer une dégradation du milieu. Parfois, d'importants investissements et aménagements doivent donc être réalisés dans les espaces naturels suburbains afin qu'ils conservent les caractéristiques de naturalité qui séduisent le public. Quant aux forêts plus éloignées des villes, leur apparente naturalité est préservée grâce à des équipements légers qui déterminent des visites moins nombreuses ou plus spécifiques (cf. chapitre 6.2) L'attrait des parcs suburbains semble donc contribuer à une limitation de la pression sociale et récréative dans les forêts plus éloignées de la ville (Aubépart, 1996).

Les forestiers et les gestionnaires des forêts périurbaines doivent donc gérer de multiples contradictions pour maintenir le milieu naturel ou pour donner une apparence de naturalité à certaines clairières ou parcelles particulièrement fréquentées.

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