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1.6/ La gestion sylvicole et ses conséquences sur l'apparence et l'ambiance des forêts

1.6.2/ L'aménagement forestier créateur de paysages et d'ambiances

Depuis longtemps, les hommes agissent sur la composition du couvert arboré. Au cours des siècles, les paysans et les forestiers ont donc modifié et même bouleversé la combinaison de quelques géofaciès et bioclimats stationnels (Demangeot, 2006 ; Dubois, et al., 2005 ; Houzard, 1981). Certaines essences ont été favorisées par les ouvertures lumineuses créées artificiellement par les activités humaines. Le chêne pédonculé est l'une de ces espèces qui a bénéficié de nouvelles conditions du milieu, car il est héliophile. Par contre, la lumière des espaces ouverts est moins favorable aux hêtres mésosciaphiles dont les jeunes plants ont besoin de conditions lumineuses moyennes (Houzard, 1980). Les paysages et les ambiances dans les forêts actuelles dépendent donc des choix productifs et des aménagements forestiers (photos n° 1 et n° 2, page 35).

Dans les espaces proches des villes où ils habitent, les usagers sont sensibles aux paysages dans lesquels ils se récréent, et ils sont généralement défenseurs des environnements dont l'apparence naturelle est préservée. Les citadins sont demandeurs d'espaces naturels, mais il est admis qu'ils maitrisent peu la gestion environnementale et forestière (Labrue, 2009 ; Léonard, 2003). Il est donc de la responsabilité des gestionnaires territoriaux ou forestiers de construire des paysages avec l'apparence de la naturalité (Fischesser, 2009). Toutefois, ces modes d'aménagement reflètent des choix politiques et sociaux (Kalaora, 1981), alors comment gérer la multifonctionnalité ? Veux-t-on stabiliser les fréquentations récréatives ou attirer d'autres publics ?

Les traitements en futaies équiennes impliquent des coupes de régénération et des coupes à blanc qui sont devenues intolérables aux yeux des urbains. Alors, dans un souci de bonne gestion mais aussi pour éviter les problèmes, les forestiers essaient d'anticiper les réactions des usagers avant d'entreprendre des coupes dans les forêts très fréquentées (Fischesser, 2009 ; Moigneu, 2005). Les ingénieurs forestiers ont ainsi adapté quelques mesures nouvelles pour atténuer la rigueur des coupes claires. Lors des opérations de régénération, ils laissent généralement des arbres dans les carrefours et sur les bords de routes ou des chemins pour ne pas casser les perspectives (Hubert, 2003 ; Moigneu, 2005). Puis, derrière ces écrans arborés qui sont censés préserver le paysage, les forestiers laissent quelques arbres morts et à cavité pour ménager la biodiversité dans les parcelles récoltées. Toutefois, malgré ces adaptations destinées à protéger l'environnement et à satisfaire les populations qui profitent des décors arborés, les futaies régulières sont toujours critiquées par les environnementalistes qui préféraient un autre mode de production (Génot, 2003 ; Fischesser,

2009). Au-delà des controverses relatives à la nécessité de produire du bois pour financer les fonctions environnementales et sociales, certains experts admettent que le mode de production pourrait évoluer de la futaie régulière à la futaie irrégulière. Or, dans le cas des forêts très structurées, ce changement de traitement est dépendant de facteurs biologiques et chronologiques longs et incompressibles. Les distorsions induites par l'ensoleillement sur les espèces d'arbres qui ont des besoins spécifiques en ombre ou en lumière entrainent des conséquences importantes sur la pousse des végétaux. Selon Maurice Bonneau (2005, page 271) : « Il faut simplement bien

prendre conscience que ce n'est au moins qu'après deux révolutions, soit deux fois 160 ans, au total 320 ans, que l'on aura remplacé sur la parcelle de 16 hectares, un peuplement d'âge uniforme par des peuplements d'âge échelonnés de 0 à 160 ans ». Ainsi, les gestionnaires

forestiers conçoivent leurs espaces de façon transgénérationnelles, alors que les demandes et les besoins des usagers ne s'abordent pas sur le même pas de temps. Les débats relatifs aux pratiques de gestion des forestiers et aux souhaits des environnementalistes montrent que les différences d'approche sont bien réelles. Aujourd'hui, au-delà des appréhensions et des controverses, dans le cadre de la gouvernance, des compromis semblent parfois s'élaborer entre les forestiers et les usagers (Barthod, 1996 ; Barthod et al., 2003).

Dans les forêts d'agrément des parcs suburbains, les relations entre les gestionnaires d'espace public et les usagers sont assez différentes de celles qui existent dans les forêts aux vocations environnementales ou multifonctionnelles plus affirmées. Dans les parcs suburbains, la qualité des biotopes représente des atouts, mais en général ce sont l'apparence des milieux et la satisfaction des usagers qui sont les buts recherchés. Dans ces espaces, la production sylvicole a peu d'importance mais le choix des essences végétales est parfois très étudié. Les forestiers ou les paysagistes en charge de ces forêts font des choix qui déterminent des ambiances variées et élaborées pour l'agrément et la récréation (Corajoud, 2002 ; Stefulesco, 1993). Les forestiers et les paysagistes ont parfois des approches environnementales différentes, mais dans les espaces publics périurbains, leurs objectifs sont assez similaires. Ils créent et gèrent des parcs et des forêts destinés à satisfaire les usagers. Les différents choix d'aménagements forestiers participent donc à la découverte et à la connaissance de la nature par les usagers qui s'intéressent aux végétaux et à leur disposition.

Les caractéristiques spatiales et environnementales des forêts contribuent donc de différentes manières à l'acquisition des codes culturels d'appréciation de la nature (Ballion, 1975 ; CERFISE, 1979). D'une façon assez paradoxale, il est possible que la fréquentation d'un parc boisé suburbain bien construit et bien présenté apporte une meilleure compréhension du milieu naturel qu'une

vaste forêt multifonctionnelle dont les caractéristiques de naturalité sont plus diversifiées mais plus dispersées et moins bien exposées.

Au-delà des conséquences de l'aménagement forestier qui influe sur la perception et la compréhension du milieu naturel par les usagers, le développement des fréquentations et du niveau d'information du public modifie en retour certains aspects de la fonction productive des espaces boisés. A l'avenir, un changement dans les choix et les méthodes de production pourrait ainsi être la conséquence d'une combinaison entre le développement de la demande des usagers et une meilleure gestion des problématiques sociales et environnementales (Buttoud, 2003).

L’ONF et les grands propriétaires fonciers ont longtemps privilégié les futaies régulières, mais ces choix ont parfois été remis en cause du fait des risques naturels (Génot, 2003 ; Kauffmann, 2010 ; Drouineau et al., 2000). Aujourd'hui, il est clairement admis par les biologistes et les forestiers que la diversité des essences et l'âge varié des peuplements forestiers permettent le maintien d’une grande biodiversité, et une meilleure résilience face aux problèmes climatiques et sanitaires. Ces constats à l'interface entre la production et son contexte environnemental semblent aller dans la

Photos 1 et 2 – Deux ambiances forestières différentes

(Source : Pascal Papillon - 2011) (Source : Pascal Papillon - 2011)

La nature des substrats et les choix productifs des forestiers créent des ambiances diverses comme en attestent ces deux photos prises en aout 2011 au cours de deux journées ensoleillées. La photo de gauche montre une allée dans la forêt domaniale de Blois. La futaie régulière et feuillue est parfaitement entretenue et pourtant elle laisse deviner la naturalité qui existe dans les parcelles. La photo de droite montre un chemin rural de la forêt de la Bazoge au nord du Mans. L'apparence de la futaie résineuse avec un taillis de feuillus en sous-bois laisse aussi deviner une importante naturalité, mais l'ambiance est très différente de celle qui existe dans une futaie feuillue.

A conditions climatiques égales, la futaie feuillue avec ses bas-coté herbeux semble plus fraiche et plus humide que la futaie de pins qui pousse sur un substrat sableux propice à la bruyère.

même direction que la demande des usagers relative à une meilleure prise en compte des milieux et des caractéristiques naturelles (Génot, 2003 ; Vallauri, 2003).

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