• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 – L'évaluation des fréquentations récréatives des forêts

3.3/ Les enquêtes basées sur des données connues et réutilisées

Les enquêtes sur les pratiques récréatives et les relations émotionnelles qui lient la population aux forêts, ne sont pas limitées aux enquêtes d'opinion et aux observations sociologiques. Des enquêtes thématiques peuvent apporter des éclairages particuliers sur les contextes géographiques et culturels, et depuis quelques années les chercheurs font des méta-enquêtes qui permettent de définir et de catégoriser l'ensemble des problématiques de la fonction sociale des forêts. Les enquêtes thématiques et les méta-enquêtes ont en commun une approche originale des données qui sont souvent collectées indirectement plutôt que par l'interview des usagers. Les chercheurs évaluent les pratiques et les perceptions des usagers sur un thème précis ou des aspects globaux de la fonction sociale des forêts à travers des données telles que des articles de presse ou des corpus d'enquêtes.

3.3.1/ Les enquêtes thématiques globales ou spécifiques

Plusieurs enquêtes ont été consacrées à l'histoire et à la problématique des fréquentations et des usages récréatifs à travers l'analyse et la classification des articles de presse anciens ou modernes. Ces travaux éclairent les origines des loisirs dans certains massifs forestiers locaux ou sur des thèmes relatifs à certaines tendances et innovations sociales.

L'importance des développements paysagers et récréatifs liés à la forêt provençale a ainsi été analysée à travers les articles du bulletin associatif le Chêne (Chalvet, 2003). Les articles de 1912 ne sont pas dénués d'intérêt et ils aident à comprendre certaines configurations actuelles dans les espaces urbains et dans les périphéries boisées. L'enquête basée sur l'étude de ce bulletin d'une association marseillaise décrit des citadins rêvant de ville-campagne. L'enquête montre l'évolution des perceptions de la population et des édiles, sous l'action de certaines élites qui ont permis de faire basculer les forêts de l’Estérel et des Maures d'une fonction peu productive à une fonction paysagère génératrice de retombées touristiques.

Avec une méthode similaire, l'évolution du rôle social de la forêt de Soignes35 à été observé et

analysé, à travers les articles de journaux locaux qui montrent le passage d'une fonction

35 La forêt de Soignes est située au sud-est de Bruxelles, et elle a souvent fait l'objet d'études et de publications dans des revues françaises car son contexte socio-environnemental est assez proche de celui de la France.

essentiellement productive à une fonction sociale (Billen, 1996 ; Corvol-Dessert, 2003). Les articles de presse retracent dans leur historicité le développement des sorties scolaires éducatives, puis des loisirs qui ont été favorisés par l'arrivée du chemin de fer. La fonction esthétique des sylves est attestée par la présence des artistes peintres qui ont influencé les usagers et les journalistes. Le rôle social de cette forêt est aussi révélé par les débats générés par l'évolution forestière et les projets de promotion immobilière.

Ces enquêtes thématiques et ciblées sur la fonction sociale dans des massifs boisés ont aussi un rôle épistémologique. Elles expliquent rétrospectivement comment l'environnement actuel a pu être façonné et préservé pour des loisirs qui ont été originellement initiés par une population éduquée et favorisée. Les enquêtes thématiques basées sur des coupures de presse ne sont toutefois pas réservées à des rétrospectives historiques, elles peuvent aussi concerner la période contemporaine. Pour cerner la variété des relations entre la société humaine et les forêts, des chercheurs ont élaboré une enquête basée sur le nombre de dépêches de l'Agence France presse (AFP) et d'articles du journal Le Monde sur le thème de la forêt (Arnould, Piveteau, 1999). Pour la période de 1992 à 1996, 500 dépêches AFP ont été recensées, 60 % d'entre elles concernaient son aspect environnemental. Tandis que dans Le Monde, de 1987 à 1996, 60 articles par an ont eu la forêt pour thème principal, 52 % concernaient les questions d'environnement, 34 % ses aspects économiques et 13 % les loisirs. Les forêts périurbaines n'étaient pas abordées de manière particulière.

Plus récemment, d'autres enquêtes thématiques ont été faites sur la comparaison des articles du Monde avec les sujets d'actualités traités dans les journaux télévisés de TF1 (Boutefeu, 2007). Une différence de niveau culturel entre les deux médias est perceptible, mais l'enquête a surtout montré la prégnance de l'aspect évènementiel de la presse à travers des sujets tels que les incendies ou les grandes thématiques environnementales et sociales comme la déforestation. Quand l'actualité n'est pas très importante, la forêt est aussi l'objet de « marronniers » tels que la collecte et la vente du muguet le 1er mai ou le brame du cerf en automne. En parallèle à ces travaux journalistiques aux enjeux parfois anodins, l'exploitation du bois qui est souvent la première fonction de la forêt ne représentait que 15 % du corpus étudié.

Ces enquêtes thématiques ont permis d'établir que la forêt est surtout présentée par les journalistes d'un point de vue environnemental, et qu'au regard de l'ensemble des articles ou des sujets abordés, elle dispose d'un capital sympathie important auprès du public.

D'autres recherches peuvent être ciblées sur des thèmes très spécifiques. C'est notamment le cas de l'enquête menée par Georges Plaisance (1985) au sujet des forêts et de la santé humaine. Ce forestier a compilé et analysé de façon thématique un ensemble d'études scientifiques qui montrent

toutes les facettes hygiéniques et curatives connues au sujet de la forêt. Des centaines d'études ont été ciblées aux sujets des actions mécaniques, physiques, chimiques et radiatives des forêts. Les travaux de Plaisance concluent sans ambigüité sur le rôle positif des forêts en matière de prévention sanitaire. Aujourd'hui, certains aspects de cette étude semblent datés, car dans le dernier quart du XXe siècle, les thérapies modernes ont nettement évolué et supplanté les médecines traditionnelles tandis que les méta-données à l'origine de cette recherche thématique n'ont pas été actualisées. La recherche de Plaisance était donc innovante mais probablement décalée par rapport aux préoccupations de son époque.

Ces quelques exemples montrent que les enquêtes axées sur des thématiques précises peuvent révéler, grâce à la réutilisation de données connues ou déjà exploitées, des aspects particuliers et parfois les dynamiques des représentations sociales au sujet des forêts. La présentation de ces enquêtes thématiques illustre la diversité des possibilités offertes aux chercheurs d'analyser, de comprendre et de montrer les évolutions sociales sur des sujets précis.

Les corpus à la base de nouvelles recherches peuvent aussi être exclusivement constitués par des enquêtes sociologiques dont les résultats sont déjà publiés. Ils permettent alors de comprendre l'évolution des problématiques sociales liées aux activités récréatives à travers le regard des scientifiques qui ont interrogé la réalité de leurs époques.

3.3.2/ Les méta-enquêtes sur la fonction sociale des forêts

Au cours des cinquante dernières années, la constitution d'un corpus d'enquêtes sociologiques a permis une évolution méthodologique qui fait maintenant considérer les enquêtes comme des données pour bâtir des méta-enquêtes.

Dès 1997, ce type de recherche a été mené en Suisse. Les chercheurs ont analysé les méthodes et les préoccupations au sujet de la fonction sociale des forêts grâce à un corpus d'enquête réalisées en Suisse, en Allemagne et en Autriche (Schmithüsen et al, 1997). Dans leur article paru dans le Journal forestier suisse, les auteurs analysent 63 enquêtes qui font clairement apparaître l'évolution des préoccupations sociales à travers un glissement de la méthodologie relative aux enquêtes ciblées sur la fonction récréative et les loisirs. Les enquêtes faites sur de petites populations interrogées en forêt, laissent peu à peu la place aux enquêtes téléphoniques réalisées sur des échelles plus vastes. En parallèle, à l'évolution des lieux et des méthodes, les problématiques ont évolué et dans les années quatre-vingt, les questions de coûts et de valeurs sont apparues.

En France, des méta-enquêtes ont été réalisées en parallèle à un programme de recherche européen LIFE, sur la fréquentation et la gestion des forêts périurbaines (Urban Woods for

People, 2005). Elles décrivent globalement la même évolution que dans les pays voisins (Deuffic et al., 2004 ; Lewis et al., 2005). Ces méta-enquêtes sont établies à partir de plusieurs centaines d'enquêtes, dont une soixante sont analysées en profondeur. L'analyse croisée des enquêtes, de leurs thèmes et de leurs résultats montrent que selon les premières recherches quantitatives françaises, les critères sociaux et les niveaux culturels étaient d'importants déterminants des fréquentations et des types d'usage.

Les méta-enquêtes permettent aussi de remarquer la faiblesse du nombre de travaux de recherche pendant les années quatre-vingt, puis leur renouveau dans les années quatre-vingt-dix. Les grands instituts et les sociétés privées tels que BVA, le CREDOC ou l'IFEN, ont été alternativement sollicités par la commande publique pour faire des enquêtes et ils ont permis d'affiner les connaissances mais aussi les techniques et les cibles. Grâce à ces enquêtes, toutes les thématiques peuvent être abordées et compilées. L'analyse de ces compilations montre les différences d'appréhension des chercheurs qui tantôt scrutent le milieu naturel où évoluent les usagers, et tantôt observent et analysent le comportement humain avant celui du milieu naturel.

Au-delà des activités récréatives classiques (la promenade, le sport, etc.) qui font quasi- systématiquement l'objet de recherche dans toutes les enquêtes sur la fonction sociale des forêts, les méta-enquêtes peuvent théoriquement permettre de remarquer les sujets émergents ou ceux qui sont peu étudiés malgré leur intérêt social. Ces enquêtes ont notamment rappelé le rôle, souvent oublié, de soupape tenu par certaines forêts ouvertes aux exclus et aux jeunes. Les grandes enquêtes quantitatives ne mentionnent pas toujours l'existence de ces parcelles forestières qui sont des territoires où les pressions peuvent être évacuées de façon moins problématique qu'en ville (Lewis et al., 2005).

Cependant, il ne faut pas exagérer cet aspect révélateur des méta-enquêtes car elles comportent les mêmes lacunes que celles des bases de données existantes. Si les phénomènes sociaux sont peu ou mal évalués par les enquêtes quantitatives et qualitatives, les méta-enquêtes ne produisent pas de données nouvelles qui permettraient de mieux comprendre les pratiques et les usagers. Il apparaît ainsi clairement que les enquêtes françaises ont sous-estimé le rôle sanitaire des forêts qui est par contre, un thème important dans certaines bases de données étrangères (cf. chapitre 8.5).

Malgré ces limites, les méta-enquêtes sont utiles, car elles permettent une analyse réflexive sur les enquêtes traditionnelles. Elles ont notamment révélé la modification de la nature des établissements chargés des enquêtes. Une augmentation du rôle des bureaux d'études privés a été constatée, et il semble que ces établissements prennent le pas sur la recherche et les enquêtes académiques (Deuffic et al., 2004). A travers ces méta-enquêtes, ce sont donc les évolutions des pratiques des usagers, et du regard de la société sur elle-même et ses forêts, qui sont évalués et analysés.

Outline

Documents relatifs