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1.8/ De la fonction sociale des forêts

1.8.5/ Des limites de la fonction sociale des forêts

Les forestiers et les gestionnaires des espaces boisés ouverts au public doivent trouver un équilibre pour assurer la sécurité des usagers et la pérennité des bois et de l'environnement naturel. L'accueil du public dans une forêt multifonctionnelle est donc une activité complexe puisqu'il existe de nombreuses catégories d'usagers qui ont des demandes et des pratiques parfois contradictoires avec la bonne gestion des espaces.

L'organisation de la fréquentation sociale dans un espace naturel boisé, ne peut pas être conçue sans prendre en compte l'aléa lié au milieu naturel, même s'il ne peut pas être totalement circonscrit (Moigneu, 2005 ; Reynaud, 2005). La sécurité des usagers est ainsi l'une des premières limites à leur accueil, et l'accès aux espaces boisés peut être déconseillé ou même interdit lorsque les risques sont trop importants. Les propriétaires et les forestiers soulignent souvent le manque de connaissance des usagers à propos de la forêt et leurs conséquences. La méconnaissance des règles de la propriété est souvent une source de conflit avec les propriétaires ou leurs représentants (Bary-Lenger, 1997 ; Pinaudeau, 1997). A cause de leurs lacunes, les pratiques d'une partie des usagers peuvent être inadaptées, malhonnêtes ou même dangereuses. Les forestiers doivent donc régulièrement rappeler les règles de sécurité et de bonne conduite (encadré n° 6, page 50).

L'équilibre du milieu naturel n'est pas toujours très bien compris par les personnes qui croient défendre la forêt, les animaux et leur bien-être alors que la nature a parfois des cotés rugueux et difficiles à assumer pour des citadins qui vivent dans des espaces anthropisés (Dereix, 1997). Ainsi, les usagers aiment voir des animaux et notamment les grands mammifères, mais la multiplication des sangliers, des chevreuils et des cerfs peut nuire aux peuplements forestiers. Les chasseurs ont donc une mauvaise image auprès du public qui les soupçonnent de trop prélever de gibiers, alors que les forestiers souhaitent parfois une diminution des populations animales (Boussin, 2008 ; Denispp, 2000 ; Mounet,

2007). Le plaisir visuel généré par l'image champêtre d'un ongulé, peut donc avoir pour corolaire une dégradation du milieu naturel, préjudiciable aux propriétaires, aux forestiers et finalement aux usagers.

Les limites à la fonction sociale des forêts peuvent être illustrées par certaines dualités. L'un des dilemmes sociaux liés à la fréquentation populaire des espaces boisés est causé par la diversité des pratiques et des demandes des usagers. Certains souhaitent avoir un libre accès aux forêts et y subir peu de contraintes, alors que d'autres sont plus enclins à considérer l'état de préservation du milieu naturel. Parfois, l'ouverture sans régulation des espaces naturels aux fréquentations populaires nuit aux milieux et aux écosystèmes, et la fonction sociale peut s'autodétruire. Dans d'autres cas, la mise en réserve des espaces naturels les rend inaccessibles aux usagers et la nature est alors protégée pour elle-même, hors de la présence humaine, et la fonction sociale disparaît de fait.

Aujourd'hui, dans les contextes urbains et périurbains, les zones en réserve biologique interdites au public, ne sont plus très rares. Ainsi, par exemple à Nantes, la « Petite Amazonie » n'est accessible que dans le cadre d'une visite guidée soumise à autorisation et, en Île-de-France, en forêt de Bondy (93), un espace Natura 2000 est interdit aux usagers. Ailleurs, des projets plus ou moins controversés existent, et à Alençon, certains protecteurs de la nature souhaiteraient limiter et même

Des pans d'histoire inaccessibles aux usagers ?

Les forêts poussent sur de longues périodes, et elles protègent les sols qu'elles recouvrent peu à peu d'une sorte de voile d'oubli. Des vestiges et des objets que personne ne voit, disparaissent alors des mémoires. Parce qu'elles sont boisées depuis très longtemps, certaines forêts domaniales sont de vrais conservatoires de l'histoire et des vestiges qui ailleurs, ont disparu sous les constructions urbaines ou sous le soc des charrues (Clémence, 2007).

Les forestiers connaissent certains pans de l'histoire que les populations locales ignorent. L'ONF a donc mis en place un sommier qui recense des zones historiques riches et sensibles. Dans les forêts concernées par la présence de vestiges anciens, l'ONF veille à ce que les parcelles recensées ne soient pas trop malmenées à l'occasion des travaux sylvicoles (Massé, 1996). En parallèle à ces mesures préventives, tous les ans, les forestiers interpellent des usagers qui utilisent des détecteurs de métaux. Ces usagers occasionnent parfois des dégâts alors qu'il est interdit de fouiller dans les espaces domaniaux sans autorisation officielle. Certaines informations relatives à la présence de ruines et de vestiges méritent donc d'être préservées pour éviter les tentations.

Malgré les mesures de précaution qui sont prises à différents niveaux, il arrive que des informations relatives à la localisation des vestiges anciens soient diffusées, mais ces communications restent tout de même assez rares (Signollet, Mansion, 2003).

La préservation des vestiges enfouis crée de facto une limite à la connaissance de l'histoire locale et à la fonction sociale des forêts.

interdire ponctuellement les fréquentations récréatives dans les zones naturelles humides des bords de la Sarthe (Cochard, 2011).

Dans le cadre des forêts publiques, la fonction productive crée peu de limites aux fréquentations populaires, par contre la préservation des habitats naturels et de la biodiversité entrainent quelquefois la prise de décisions qui limitent la fonction sociale. Ces constats sont probablement l'expression d'une prise de conscience de la prégnance des menaces et des dangers qui pèsent sur les milieux naturels, mais ils traduisent aussi une appréhension sectorisée des problèmes plutôt qu'une approche globale.

Conclusion du chapitre

Les forêts métropolitaines couvrent une grande partie du territoire national, et au-delà de leurs caractéristiques bio-géographiques, leurs symboles et leurs définitions sont en grande partie bâtis sur un socle culturel commun. Toutefois, les espaces boisés présentent de nombreuses particularités induites par leurs fonctions sociales et leurs caractéristiques foncières.

L'ambiance forestière est généralement créée par les choix productifs des propriétaires et des gestionnaires, mais l'évolution sociétale récente induit une grande prise en compte des fonctions environnementales et sociales qui conduisent parfois à modifier l'apparence de ces espaces (mise en défens, enclosure etc.).

Aujourd'hui, les populations ont de plus en plus besoin d'espaces naturels vastes et ouverts aux activités récréatives, et cette évolution couplée à un intérêt pour la fonction environnementale a généré des évolutions territoriales. Des réserves, des parcs régionaux et divers réseaux de protection des milieux ont été créés, et au-delà des difficultés et des critiques, ces créations répondent aussi à des demandes d'espaces de loisirs telles celles qui cherchent à favoriser le tourisme.

La fonction sociale des forêts repose sur la perception des paysages autant que sur les activités récréatives dans le milieu naturel. Les choix qui conduisent à favoriser ces pratiques sociales au détriment de la production, de la conservation des milieux et de la propriété privée engendrent parfois des débats. Les discussions et les controverses entre les usagers, les propriétaires, les forestiers et les collectivités participent donc à une meilleure gouvernance qui s'instaure quelquefois dans les territoires en même temps qu'une prise en compte toujours plus importante de la fonction environnementale (Barthod et al., 2003).

En un peu plus d'un siècle, la fonction sociale est devenue l'un des principaux objectifs de la gestion des forêts périurbaines. Ce rôle social serait d'autant plus important que les sociétés avancent dans un monde technologique qui est aussi, paradoxalement, de plus en plus

demandeur d'espaces naturels.

Actuellement, les forêts et leurs caractéristiques traditionnelles évoluent donc dans le cadre du développement durable dont les trois grands axes sont aussi ceux de la multifonctionnalité forestière. Il semble toutefois que l'étalement urbain intègre de façon non organisée, des espaces boisés dans les zones sous influence urbaine. Cette évolution pose questions quant à la prise en compte et au devenir des forêts dans les espaces périurbains.

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