• Aucun résultat trouvé

Méthodologie pour la recherche : l’enquête de terrain

4.4 Limites et contraintes de la méthodologie mise en œuvre

La présentation de notre méthodologie d’enquête serait incomplète sans l’évocation honnête des difficultés rencontrées ou des limites de certains de nos choix.

4.4.1 Le positionnement du chercheur

L’essentiel de notre activité sur le terrain a été de recueillir des données multiples et variées, au moyen de méthodesdiverses d’observation directe ou indirecte. La variété assumée des modes d’observation n’apas empêché quelques difficultés pour s’adapter au mieux aux situations, aux publics ou aux objectifs de l’observation.

Deuxième partie Chapitre 4 : Méthodologie pour la recherche

Au début du travail d’enquête, lors de l’observation de l’activité des élèves, nous souhaitions nous positionner comme observatrice participante et user de notre expérience d’enseignante pour intégrer l’activité d’enseignement-apprentissage. L’objectif était d’être au plus près de l’activité des élèves, de les accompagner dans leur activité, de répondre à leurs questions, de circuler entre les groupes, d’observer leurs difficultés ou leurs facilités. Dans le même temps, nous avions le souci d’être au plus près de l’activité de l’enseignant, afin d’expérimenter par nous-même, les difficultés ou facilités de la tâche conduite. Pour chacune des situations, nous souhaitions découvrir les interrogations et micro-prises de décision qui ne cessent de se produire au cours d’une activité de classe. La difficulté de tenir ce positionnement nous est très rapidement apparue, dès la première séance observée-participée de mise en service des tablettes avec une classe de 6ème. Sollicitée par de nombreux élèves et accaparée par la situation, il nous a été impossible de conserver un regard extérieur, global et surplombant qui nous permette d’observer l’ensemble des activités. Cette expérience nous a permis de reconsidérer le positionnement que nous avions initialement choisi. Nous avons dès lors adopté une posture d’observation directe, silencieuse et « embarquée ».

Malgré la décision de ne pas agir en tant qu’observatrice participante, le public élève et les situations de classe nous étant familiers, nous avons quelques fois involontairement quitté la position d’observatrice silencieuse. Ce qui nous est tout d’abord apparu comme une rupture du cadre méthodologique choisi, s’est avéré par la suite, lors du traitement de nos données, porteur d’informations utiles et exploitables. Nous avons ainsi observé que nous étions contrainte de sortir de notre position d’observatrice, pour répondre à une demande d’aide exprimée explicitement par les élèves ou les enseignants. Ces demandes sont toujours intervenues quand émergeaient chez les acteurs un sentiment de difficulté ; et nous avons pu constater que ces difficultés, vécues et exprimées par les élèves ou les enseignants, se produisaient systématiquement en lien avec des défaillances techniques. Nous avons également constaté que l’observation participante, si elle nous isolait de l’ensemble de l’activité, avait en revanche pour avantage de nous permettre de recueillir des données d’observation plus riches et plus précises, du fait de l’interaction rapprochée avec un seul élève. Les quelques moments de rupture dans le positionnement du chercheur sont de cette façon devenus significatifs ou porteurs d’enseignements.

Deuxième partie Chapitre 4 : Méthodologie pour la recherche

4.4.2 La discontinuité des observations

Outre la discontinuité parfois constatée dans le positionnement du chercheur, nous avons également dû composer avec une certaine discontinuité des observations. Les contraintes propres au terrain d’enquête ont rendu difficile l’observation de classes autres que le niveau 6ème alors que l’un de nos objectifs était de comparer les pratiques des élèves selon les classes et les âges.

La méthode d’observation de type longitudinal, bien que recherchée et souhaitée, a été contrariée par le dispositif expérimental : alors que nous souhaitions observer l’évolution des pratiques des mêmes élèves sur le temps long de l’expérimentation (deux ans), la transformation du mode d’équipement en cours d’expérimentation (passage de l’individuel au collectif) nous a empêchée de suivre les mêmes élèves et d’établir des comparaisons dans le temps, puisque les élèves de 6ème de la première année de l’expérimentation ont été répartis dans diverses classes de 5ème au début de la deuxième année45. Au début de l’année 2014-2015, le renouvellement complet du public observé ne nous a pas permis d’évaluer une potentielle progression de l’aisance et de compétences des élèves, au cours des deux années de l’expérimentation. De la même façon, l’une des intentions initiales qui était de mesurer l’éventuelle modification des représentations des élèves vis-à-vis des tablettes, entre l’année 1 et l’année 2, n’a pas pu être menée à bien46.

Au cours de la deuxième année de l’expérimentation, notre méthodologie d’enquête a dû évoluer à cause de l’indisponibilité du matériel expérimental : durant plusieurs semaines, les tablettes ont été retirées du collège pour maintenance, mise à jour et résolution de divers dysfonctionnements. Faute de pouvoir, comme prévu, observer de manière directe les pratiques instrumentées, nous avons dû modifier notre méthode d’observation. Au moyen de l’observation indirecte et d’entretiens semi-directifs auprès des élèves, nous nous sommes momentanément recentrée sur l’étude des espoirs, déceptions et représentations de la technologie.

45 Lorsque l’équipement est devenu collectif, la contrainte de maintenir ensemble une cohorte classe a été levée, ce qui a facilité la constitution des classes pour l’équipe de direction, qui a alors pu recomposer des classes en regroupant ou séparant des élèves, selon d’autres critères que ceux de l’équipement tablettes.

46 Nous avions pour intention préalable de mener des observations directes et indirectes en année 1 de l’expérimentation et de les reconduire sous la même forme en année 2, pour mesurer les évolutions.

Deuxième partie Chapitre 4 : Méthodologie pour la recherche

4.4.3 Les contraintes techniques et administratives

Dans plusieurs situations d’observation, au cours de l’enquête, il a pu nous manquer le soutien d’outils techniques.

Nous avons opéré l’observation du forum Basecamp de façon manuelle, sans outils d’aspiration de site, de lexicographie ou de cartographie qui auraient pu permettre de gagner du temps ou d’approfondir l’exploitation des données recueillies.

Nous avons renoncé à enregistrer les entretiens menés avec les élèves et les enseignants, en raison des lourdeurs administratives que cela aurait impliqué47. En remplacement des autorisations écrites, nous avons assuré le cadre déontologique de notre enquête au moyen de la confiance obtenue sur le terrain et de la garantie de l’anonymisation des personnes et des données. Pour pallier l’enregistrement, nous avons utilisé un carnet d’entretien et pris des notes les plus documentées possibles : détails sur ce qui se passe autour de nous, temps de l’entretien, signalisation au moyen de caractères typographiques des informations données spontanément par les élèves et ajouts de commentaires sur ce que fait l’élève48. Nous sommes consciente que la retranscription, malgré nos efforts de précision et d’objectivité, reflète en partie nos représentations ou intérêts personnels. Mais nous savons aussi désormais que l’absence de matériel peut avoir pour avantage de rendre plus transparente la position du chercheur, sans créer une artificialité de situation qui pourrait jouer un rôle de filtre ou de biais. Une fois l’expérience d’entretien terminée, nous savons aussi que le choix de conduire les entretiens dans un espace commun, dans lequel l’activité de la classe continue, était un choix intéressant car il a permis des interactions utiles.

L’enquête de terrain menée et la méthodologie mise en œuvre s’appuient sur une démarche ethnographique qui cherche à recueillir tout type de données et à les croiser. Les différents modes d’observation mobilisés pendant l’étude ont « pour objectif final

de trouver une signification sociologique aux données recueillies, de les classer et de mesurer leur degré de généralité. » (Peretz, 2004, p. 7). L'observation des différents

47 S’agissant des mineurs, il aurait fallu obtenir des autorisations écrites de tous les parents des enfants enquêtés.

Deuxième partie Chapitre 4 : Méthodologie pour la recherche

terrains, chacun spécifiques et donc a priori peu comparables entre eux, nous permet cependant, par la diversification des points de vue, de rechercher des éléments communs, transposables et généralisables. Par la combinaison des terrains et des données collectées auprès de plusieurs acteurs, nous cherchons à étudier l'appropriation de la tablette TED / Sqool, par les enseignants et par les élèves.

Les élèves, pourtant concernés à premier titre, au moins équivalent à celui des enseignants, sont trop rarement interrogés. Seuls les chercheurs, qui se rendent sur les terrains d’enquête avec des méthodes d’investigation ethnographique, se préoccupent des pratiques des élèves, formelles ou informelles, réelles ou imaginaires, et de la manière dont ceux-ci aimeraient apprendre, vivre et travailler à l’École49. Nous l’avons déjà souligné, les grandes enquêtes ou consultations sur le numérique éducatif, bien qu’étant conduites à grande échelle et sur de larges échantillons, ont toujours les enseignants pour seul public d’enquête. C’est révélateur selon nous de la place accordée aux élèves dans notre système, qui, bien que plaçant « l’élève au centre »50 dans les textes ou discours officiels, lui accorde dans la réalité des faits, une importance secondaire. Le numérique à l’École est désormais considéré comme une obligation pour tous, et tous, élèves et enseignants, doivent l’utiliser. Mais si l’institution se préoccupe d’évaluer l’évolution des pratiques instrumentées des enseignants, identifiant au passage les freins et les leviers d’une généralisation des TIC à l’École, elle cherche trop rarement à mesurer l’activité spécifique des élèves.

L’observation des pratiques de tous les acteurs de l’expérimentation permet donc d’une part d'enrichir l’étude mais aussi de placer la notion de dispositif expérimental au cœur de la réflexion. En effet, considérant que le dispositif expérimental n'est pas neutre, de même que la technique n'est pas neutre, nous cherchons à mesurer l'effet induit par le dispositif expérimental et ses effets sur la genèse ou le développement de pratiques instrumentées de tous les acteurs impliqués dans le projet étudié. Ce faisant, le travail d’enquête a pour ambition de participer à une réflexion qui permettrait d’intégrer davantage les élèves dans la réflexion sur la construction des politiques éducatives et sur les prescriptions qui en découlent.

49 Voir notamment les travaux de Cédric Fluckiger, d’Anne Cordier ou d’Elizabeth Schneider.