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Méthodologie pour la recherche : l’enquête de terrain

4.1 Les méthodes et le calendrier de l’observation

4.1.2 Le calendrier de l’observation

Au début de la recherche, le projet expérimental nous est apparu comme étant tout à fait cadré, préalablement existant et peu modulable ou évolutif. En effet, les nombreux éléments de l’expérimentation sont déjà définis, selon une organisation précédemment énoncée (voir chapitre 3). Les acteurs, le nombre de collèges participants, les modes d’équipement, les différentes étapes du projet, avec l’entrée progressive des établissements dans l’expérimentation, sont connus dès le début. Hormis le fait qu’ils ont fait acte de candidature, une fois sélectionnés, les collèges retenus n’ont pas de prise sur l’organisation générale : ils ne choisissent pas la date à laquelle ils entrent ou sortent du projet, et ne sont pas décisionnaires ni du mode d’équipement ni de la technologie dont ils sont dotés. La structure globale de l’expérimentation semble ainsi être écrite de façon tout à la fois stable et transparente.

Pourtant, dès notre entrée sur le terrain d’enquête principal et le premier recueil de données, nous avons rencontré des difficultés pour comprendre un projet expérimental plus étendu, plus discontinu et plus opaque que nous ne l’avions prévu. Le calendrier nous est apparu opaque du fait de notre position de chercheur : nous suivions l’expérimentation mais sans en être partie prenante en tant qu’actrice. Nous n’étions pas destinataire des informations, qu’il fallait dès lors récupérer, une par une, au fur et à mesure qu’émergeaient nos besoins d’explicitation et de compréhension de ce qui était en train de se dérouler. Afin d’être en capacité d’appréhender l’expérimentation de la manière la plus complète possible, telle qu’elle se déployait dans différentes temporalités et à différents niveaux (un premier niveau global, à l’échelle de tous les établissements et un second, particulier, sur le terrain d’enquête), nous avons dû rassembler et ré-agencer les composantes de l’expérimentation.

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Grâce à l’analyse du terrain et pour les besoins de l’étude, nous avons ainsi reconstruit un calendrier expérimental qui intègre quatre types de données perçues comme pertinentes.

Le premier concerne les différentes périodes du projet. Différentes temporalités se superposent tout au long de l’expérimentation. Sont ainsi juxtaposés le calendrier scolaire (de septembre à juin), le calendrier civil et le calendrier de déploiement du matériel lui-même lié au calendrier de production des tablettes. Ce dernier est indépendant des autres et suit son propre cheminement : à certains moments les calendriers, expérimental, civil et scolaire se rejoignent mais à d’autres moments ils sont dissociés6. Les temporalités des différents acteurs ne sont pas non plus synchrones : comme nous le verrons, les réponses industrielles de production technique et logicielle ne peuvent pas suivre le rythme des demandes pédagogiques.

Le deuxième intègre les informations relatives aux différents collèges participants et à leurs périodes d’entrée dans l’expérimentation et de sortie, parfois plus précoce que prévue.

Le troisième type de données intègre les différentes technologies : durant toute l’expérimentation, les différentes versions des tablettes ont perduré, voire cohabité dans certains établissements, dont le collège de terrain. Le nom générique donné à la tablette éducative recouvre des réalités diverses, de même que varient les situations d’équipement à l’intérieur des établissements car l’équipement matériel de chacun des établissements dépend de la période à laquelle ils entrent dans le projet.

Nous avons également cherché à relever les différents modes d’équipement puisque les établissements choisis ont exploité les tablettes soit en mode collectif, soit en mode individuel. Mais au cours de l’expérimentation, certains collèges ont changé de mode d’équipement initial et d’autres sont restés à l’identique. Dans le cas du collège de terrain, l’établissement est passé d’un équipement de type individuel lors de la première

6 Par exemple, livraison de la V2 en janvier 2014, donc en plein milieu d’année scolaire, ou bien à l’inverse, concomitance des calendriers avec livraison de la nouvelle tablette Sqool en septembre 2014.

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année d’expérimentation à un équipement de type collectif pour la deuxième et dernière année de sa participation à l’expérimentation7.

Afin de faciliter le repérage des grandes étapes du projet expérimental et pour réussir à situer notre terrain d’enquête au sein du dispositif expérimental, nous avons donc reconstruit un calendrier, dans l’objectif principal de clarifier les situations et de faire surgir des ressemblances ou dissonances entre le terrain d’enquête choisi et les autres terrains expérimentaux, selon une logique d’échantillonnage mise en œuvre pour spécifier et comparer. Effectué tout au long du travail de recherche, cet exercice a été maintes fois modifié. Au terme du processus de structuration des données, nous avons déterminé quatre grandes phases dans le projet expérimental, que nous avons nommées au moyen d’appellations représentatives du processus d’expérimentation. Certaines de ces phases du processus expérimental sont subdivisées en plusieurs périodes8, à chaque fois qu’apparaissent des changements que nous avons estimés significatifs : changements d’échelle, de technologie ou de modes d’équipement.

La phase préparatoire correspond à la première année du projet expérimental

durant l’année scolaire 2012-2013 et au pré-lancement du projet finalisé, de septembre 2012 à juillet 2013. C’est une phase d’élaboration et de test pour permettre de rendre le projet opérationnel, scindée en deux périodes : la période 09, de septembre 2012 à mars 2013 : réponse de l’appel à projet dans le cadre du programme d’investissements d'avenir ; version prototype d’une tablette V0 en cours d’élaboration. Une fois le projet retenu, de décembre 2012 à mars 2013, c’est l’élaboration concrète de l’expérimentation : choix des « collèges pilotes », définition du cahier des charges et du rôle de chacun des acteurs.

Cette période se poursuit par une période de test sur un échantillon expérimental réduit de deux collèges, équipés de tablettes en mars 2013 : la période 1, de mars 2013 à

7 Pour les éléments spécifiques à l’expérimentation TED (vocabulaire, dénomination des versions de tablettes, présentation des modalités d’équipement etc.), se référer au lexique TED présenté dans l’annexe 2.

8 Certaines phases ne sont pas subdivisées (les phases dites de renforcement ou de préfiguration la troisième), les autres phases sont chacune subdivisées en deux périodes. Voir le calendrier expérimental présenté plus en détail dans les lignes suivantes.

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juin 2013, est celle des premiers tests et du lancement à petite échelle de l’expérimentation, sur seulement deux collèges volontaires.

La phase de déploiement est la deuxième année du projet, durant l’année

scolaire 2013-2014, de juin-juillet 2013 à juin-juillet 2014. Le collège de terrain entre dans l’expérimentation en juin 2013, dès le début de cette phase de déploiement du projet TED. Cette année scolaire 2013-2014 correspond à la première année d’expérimentation effective pour les treize collèges supplémentaires retenus, dont fait partie notre terrain d’enquête privilégié. Cette deuxième phase est découpée en deux périodes : la période 2, de juin 2013 à décembre 2013 est celle du lancement du projet : quelques-uns des collèges choisis10 sont dotés d’une première vague d’équipement, les élèves et leurs enseignants sont équipés d’une tablette version 1 (V1) qui n’est déjà plus un prototype ; le nombre de tablettes distribuées dans les établissements est identique (200 tablettes par collège) mais les modes d’équipement, individuel ou collectif, diffèrent. La période 3, de janvier 2014 à septembre 2014, est une étape d’extension du projet : les dix établissements déjà entrés dans l’expérimentation sont dotés de 200 tablettes version 2 (V2) et cinq collèges supplémentaires entrent dans l’expérimentation, équipés d’emblée de V2.

Selon les périodes d’entrée dans le dispositif expérimental et selon les modes d’équipement choisi, les situations diffèrent de manière sensible. Dans le cas du collège de terrain, nous observons, durant cette troisième période, la coexistence de trois équipements différents : les élèves de 6ème sont équipés de V1 (mises à jour), les classes de 5ème et de 4ème - entrantes dans le projet - sont équipées de V2 et les enseignants sont équipés de V0 (la version prototype). Dans le collège de terrain, en plus de la coexistence de technologies différentes, des modes d’équipement différents coexistent également sur cette période : les classes de 6ème, de 5ème et de 4ème (deux classes par niveau) restent équipées en individuel et à partir de janvier 2014, le collège est doté d’un chariot de V1 (type classe mobile mise à disposition au CDI) pour une utilisation collective avec les élèves du collège qui ne sont pas équipés en individuel.

La phase de renforcement correspond à la troisième et dernière année de

l’expérimentation pendant l’année scolaire 2014-2015, de septembre 2014 à septembre

10 Huit collèges de plus que les deux collèges initiaux, ce qui amène à un sous-total de dix collèges pour les quinze collèges retenus.

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2015. Cette phase est importante à plusieurs titres. Du point de vue du projet expérimental, elle correspond au développement et à l’intégration d’une nouvelle technologie, la tablette Sqool, tablette entièrement refondue et renommée, qui a pu être mise au point grâce aux retours précédents du terrain. C’est la dernière année du projet et c’est en même temps son point culminant puisqu’à cette nouvelle technologie est associée une assiette expérimentale beaucoup plus réduite : seulement un tiers des collèges expérimentaux initiaux sont choisis durant cette période pour tester l’intégration de la nouvelle tablette11. Le consortium vise à gagner en efficacité : le choix est fait de concentrer les efforts d’équipement et de suivi, sur un terrain moins étendu, et plus homogène du point de vue de l’implication dans le projet expérimental. Ainsi, seuls les quelques établissements qui ont signifié un réel intérêt pour les tablettes, sont équipés de la nouvelle technologie. Durant cette phase que nous avons appelée « de renforcement », l’objectif du consortium est aussi de gagner en qualité, pour aboutir à un produit industriel stabilisé et efficient, suffisamment opérationnel pour permettre à la société qui le développe de candidater, et si possible de remporter, les appels à projets prévus dans le cadre du plan numérique éducatif. L’entreprise qui développe les tablettes veut être prête pour participer à la généralisation, programmée par le gouvernement français, d’un équipement individuel en tablette de tous les élèves à partir de la classe de 5ème, conformément à la programmation du Plan numérique éducatif (PNE).

Du point de vue de la recherche, cette période est également très importante : elle correspond au maintien du collège de terrain dans l’expérimentation, même s’il poursuit l’expérimentation avec une dotation en équipement récent bien moindre que les quatre autres collèges retenus12 ; c’est aussi un temps d’observation régulier sur le

11 Différentes solutions d’équipement ont été envisagées : soit une dotation en nombre égal pour chacun des quinze collèges engagés dans l’expérimentation (c’est-à-dire un équipement de type classe mobile soit environ 40 tablettes par établissement), soit un équipement plus massif car concentré sur quelques collèges. Le choix des collèges retenus s’effectuerait en fonction des utilisations enregistrées, de l’antériorité dans le projet, de l’investissement actuel dans le projet – du désir de continuer l’expérimentation car certains collèges montrent des signes d’essoufflement voire de désengagement. En juillet 2014 est prise la décision suivante : cinq collèges, dont le collège de terrain, choisis en fonction des critères cités ci-dessus, expérimenteront la nouvelle tablette. Ces cinq établissements nouvellement retenus fonctionnent désormais selon un mode d’équipement unique : le mode collectif.

12 Quatre établissements sont dotés de plusieurs chariots de tablettes Sqool (type classe mobile), pour le collège de terrain un seul chariot est prévu. Le maintien (à moindre échelle) dans l’expérimentation s’explique par la conjonction de deux éléments contradictoires : l’investissement important du coordonnateur du projet et de l’équipe de direction, mais bien qu’important, cet investissement ne suffit pas à compenser la faible utilisation des tablettes au sein de l’établissement. L’équipement maintenu mais en nombre moindre est conforme à une double logique de récompense-sanction (récompense des efforts

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terrain d’enquête. En 2014-2015, nous avons obtenu une décharge partielle de service d’enseignement, ce qui nous permet d’aller fréquemment dans l’établissement.

La conjonction de ces éléments - point culminant du projet expérimental et temps fort de la recherche - explique que les données de terrain recueillies sont beaucoup plus nombreuses durant cette période que dans d’autres périodes.

A l’issue de cette troisième phase, c’est à dire en juillet 2015, pour les cinq derniers collèges participants au projet, l’expérimentation TED se termine du fait de la fin de l’année scolaire13. Pour les acteurs utilisateurs, c’est-à-dire les élèves et les enseignants, tout ce qui constituait le projet expérimental s’arrête : plus de nouvel équipement, plus de maintenance, plus de formation, plus d’activité sur le Basecamp qui n’est plus alimenté à partir d’octobre 2015 et ferme de manière définitive en juin 201614.

Pourtant, bien que le cycle expérimental soit clos selon les limites temporelles fixées dès le début du projet, nous distinguons une quatrième phase qui se situe dans la continuité de l’expérimentation TED, tant au niveau local que national.

La phase de préfiguration est ainsi nommée car elle se situe hors

expérimentation et se déroule de septembre 2015 à juin 2016, au moment où le ministère de l’éducation nationale lance la préparation du Plan numérique éducatif qui prévoit à terme l’équipement de tous les collèges et de toutes les classes à partir de la 5ème. A l’échelle du département, les collèges qui ont participé à l’expérimentation conservent le matériel dont ils ont été dotés et peuvent continuer à l’utiliser s’ils le souhaitent15. Sept collèges sont par ailleurs officiellement retenus pour être

fournis par une partie de l’équipe mais sanction du trop faible investissement de l’ensemble). Dans le collège de terrain, durant cette période continuent donc de coexister deux technologies différentes : un chariot de V2 et un nouveau chariot de V3 (Sqool).

13 La date officielle de fin de l’expérimentation est octobre 2015 mais le calendrier scolaire s’achevant en juin - juillet 2015, c’est la fin effective de l’expérimentation.

14 A partir d’octobre 2015, le forum Basecamp laisse place à l’ouverture d’un site internet public dédié à la commercialisation de la tablette Sqool.

15 Certains d’entre eux, qui sont restés équipés avec une ancienne version de la tablette TED, demandent à rendre un matériel qui ne les satisfait pas ou qu’ils n’utilisent pas.

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préfigurateurs du Plan numérique16. Ces collèges sont équipés de tablettes Sqool pour le niveau 5ème. Parmi ces collèges retenus localement pour préparer le plan national, certains avaient fait partie de l’expérimentation TED. Pour ceux-ci, quel que soit le mode d’équipement qu’ils ont expérimenté auparavant, le mode d’équipement est individuel, en conformité avec le choix du plan numérique national.

En septembre 2016, une convention de partenariat est signée au ministère de l’éducation nationale entre les sociétés Worldline - Unowhy qui développent la tablette Sqool et la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem. Ce partenariat s’articule autour d’un plan d’actions sur une période de vingt-quatre mois, autour de cinq grands axes de collaboration17. L’observation du projet expérimental TED, tel qu’il s’est déroulé dans le contexte précis d’un établissement (le collège de terrain) et dans un contexte plus global (l’ensemble des collèges retenus), depuis son lancement jusqu’à sa fin et au-delà, nous a permis de faire apparaître une articulation entre expérimentation locale et expérimentation nationale.

Un autre calendrier, celui de la recherche, se superpose au calendrier expérimental et en suit les grands mouvements. L’entrée sur le terrain d’enquête principal débute en mars 2013 et s’achève en juin 2016, soit un an après la fin de l’expérimentation. Notre entrée sur les autres terrains d’enquête s’opère plus tardivement, en mars 2014, un an après le début de l’enquête. Ce délai s’explique par le fait que la recherche d’autres terrains d’observation s’est faite dans un second temps, en complément du terrain principal et pour comparaison avec celui-ci, selon la méthode de triangulation précédemment évoquée (Becker, 2002).

Durant l’année scolaire 2013-2014 qui est la première année de l’expérimentation, de septembre 2013 à juillet 2014, nous effectuons 11 visites sur le terrain d’enquête. La moyenne est de 2 à 3 visites toutes les 6 ou 7 semaines, ce qui correspond à la durée comprise entre les périodes de vacances scolaires. Deux périodes font exception : l’une, comprise entre les congés de Toussaint et de Noël est plus

16 Voir la liste des collèges préfigurateurs. Disponible en ligne :

http://cache.media.education.gouv.fr/file/05-mai/87/5/Liste_colleges_connectes_420875.pdf, [consultation novembre 2016].

17 Voir le communiqué de presse. Disponible en ligne : http://www.unowhy.com/wp-content/uploads/2017/04/CP-Unowhy-Worldline-21092016.pdf, [consultation novembre 2016].

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chargée en activité avec 5 visites sur le terrain et la seconde, comprise entre les congés d’hiver et les congés de printemps où aucune visite n’est faite18.

En 2014-2015, deuxième et dernière année de l’expérimentation pour le collège de terrain et année de décharge pour nous, nous effectuons le double de visites : 21 visites sur le terrain d’enquête, soit 4 visites en septembre octobre, 6 en novembre -décembre, 7 en janvier - février, 1 en mars - avril et 3 en mai - juillet. Comme l’année précédente, les périodes les plus intenses vont de Toussaint jusqu’en février, avec un net tassement de l’activité du terrain et donc de l’activité d’observation, durant les mois de mars - avril. Nous notons une légère reprise de l’activité en toute fin d’année scolaire qui est la période de bilan des activités conduites et de préparation de l’année suivante, la rédaction des synthèses finales pouvant expliquer cette légère intensification.

Pendant l’année scolaire 2015-2016, année post-expérimentation, nous avons continué à aller sur le terrain d’enquête, bien que moins régulièrement, afin de poursuivre l’étude de la temporalité des usages et des processus d’expérimentation-innovation. Nous avons effectué 5 visites dont 2 en novembre - décembre, 1 en décembre - février et 2 en fin d’année scolaire, en juin 2016 pour relever des données de bilan de fréquentation et d’activités avec ou sans tablettes19.