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La tablette tactile, un objet socio-technique à l’École

5.1 Tablettes grand public : présentation de l’objet technique

5.2.1 Une étude de cas préalable

Afin de documenter et accompagner nos observations sur le terrain d’enquête, nous avons élaboré un corpus relatif à l’utilisation de tablettes dans les collèges et lycées français. Ce corpus a été établi à partir des résultats d’une veille mise en place au moyen de l’outil Google Alerts, portant sur « tablettes et éducation » et de recherches en ligne sur les projets tablettes. La collecte des données a eu lieu de mars 2015 à septembre 2016, date de clôture de ce corpus pour traitement des données recueillies. La veille automatisée a été maintenue durant tout le travail de recherche (y compris durant la rédaction) à des fins informatives et d’actualisation mais sans traitement organisé ou systématique. Comme évoqué précédemment, malgré la volonté du ministère de répertorier les exemples pour valoriser et diffuser les bonnes pratiques, le nombre important de projets tablettes conduits à partir de 2013 et la dissémination des comptes-rendus sur les sites disciplinaires ou académiques empêchent un recensement aisé et complet des activités pédagogiques instrumentées (cf chapitre 2). Pour pallier le défaut de non représentativité de toutes les disciplines, de tous les projets et de tous les niveaux, nous nous sommes concentrée ici sur la manière dont les professeurs documentalistes appréhendent l’objet tablette et en apprécient les fonctionnalités techniques et matérielles.

Ce choix orienté vers le contexte pédagogique de l’information-documentation se justifie pour plusieurs raisons. Il est tout d’abord induit par notre expérience professionnelle et notre connaissance du métier. Nous avons déjà mis en exergue l’intérêt, pour le chercheur embarqué, de connaître les missions des professionnels et la façon dont elles s’exercent sur le terrain. Ce positionnement particulier au sein d’une profession, à la fois interne et externe, est selon nous un avantage. Il permet de

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diversifier les pistes d’analyse, sans toutefois entraver la neutralité scientifique attendue et exigée d’un chercheur (Becker, 2002). Bien que l’information-documentation ne soit pas une discipline scolaire avec un programme et des horaires spécifiques, elle est malgré tout officiellement reconnue comme un objet d’enseignement dans la circulaire de mission de mars 2017, qui précise que « le professeur documentaliste contribue aux

enseignements et dispositifs permettant l'acquisition d'une culture et d'une maîtrise de l'information par tous les élèves. Son enseignement s'inscrit dans une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe de terminale, dans la voie générale, technologique et professionnelle. »9. Choisir de porter notre regard sur les pratiques des professeurs documentalistes permet une observation diversifiée, qui englobe potentiellement toutes les disciplines scolaires puisque toutes sont concernées par la formation à la culture de l’information. La culture professionnelle de la transversalité et de l’interdisciplinarité, propre aux professeurs documentalistes et inscrite dans leurs missions, leur permet de travailler dans différents contextes pédagogiques, avec tous les niveaux de classes et toutes les disciplines (Chapron, 2012).

Le corpus retenu pour l’observation d’activités tablettes conduites dans le contexte de l’information-documentation prend appui sur des verbatim recueillis par observation directe à l’occasion d’une formation de professeurs documentalistes intéressés par le déploiement des tablettes en classe. Dans le cadre d’une observation participante (cf Annexe 3), nous avons suivi les échanges informels au sein d’un groupe de huit professeurs documentalistes expérimentés, intervenant tous dans la formation des futurs professeurs documentalistes et engagés dans un groupe de réflexion sur le thème des usages numériques pédagogiques dans le second degré. Le groupe de travail s’est réuni durant deux ans, de 2014 à 2016, à raison de trois regroupements annuels et est resté stable durant les deux années de fonctionnement, ce qui témoigne de la permanence de l’intérêt de ces professionnels pour le sujet des tablettes à l’École. Les données exploitées dans ce chapitre datent d’un travail que ce groupe a mené en mars 2016 autour des caractéristiques techniques des tablettes, de leurs avantages et inconvénients pour un usage individuel ou collectif dans un contexte scolaire. Nous avons complété ces données par la sélection de 7 synthèses rédigées par d’autres enseignants documentalistes ayant participé à des Travaux Académiques Mutualisés

9 France. Ministère de l’éducation nationale, DGESCO, 2017, Les missions des professeurs documentalistes Circulaire de mission n° 2017-051 du 28-3-2017. Disponible en ligne :

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(TRAAM) pour la période 2013-2015 et portant sur des projets tablettes, conduits en classe ou au CDI. Nous avons ensuite élargi l’observation aux scénarios pédagogiques mis en ligne sur la banque nationale de ressources « Edubase » qui regroupe des fiches pédagogiques à des fins de promotion et de mutualisation des pratiques10.

La recherche sur Edubase Documentation, réalisée en septembre 2016 avec le mot-clé « tablette », donne 28 résultats de fiches pédagogiques évoquant l’utilisation de tablettes dans un contexte info-documentaire. Les résultats, classés par ordre antéchronologique se répartissent ainsi :

- année 2016 : 1 fiche (académie de Nantes), niveau lycée professionnel ;

- année 2015 : 2 fiches (académies de Reims et de Nice), niveau collège ;

- année 2014 : 17 fiches, toutes de niveau collège : 9 fiches (académie de Nice) dont la plupart mentionnent les TRAAM, 4 fiches (académie de Limoges) ; 3 fiches (académie de Caen) ; 1 fiche (académie de Bordeaux) ;

- année 2013 : 6 fiches, dont 5 pour le niveau collège : 1 fiche (académie de Caen) ; 1 fiche (académie de Nice) ; 3 fiches (académie de Limoges) et une de niveau lycée professionnel (académie de Paris) ;

- année 2012 : 2 fiches (académie de Limoges), niveau collège. L’analyse des données chiffrées permet de relever les éléments suivants :

- les 28 fiches « tablettes » représentent environ 4 % des fiches disponibles sur la base de données à cette date (total de 688 fiches dans la base). Ainsi, quoique la forte médiatisation des projets tablettes et la publication de dossiers en ligne donnent à penser, le nombre de projets publiés par les enseignants demeure très faible ;

- 26 des 28 fiches « tablettes » portent sur le niveau collège, 2 fiches situent le travail en lycée professionnel et aucune fiche proposée ne traite d’utilisation de tablettes en lycée général et technologique. La

10 ÉDU'base, [2016], Une banque nationale de scénarios pédagogiques. Disponible en ligne :

http://eduscol.education.fr/cid57544/edu-base-une-banque-nationale-de-scenarios-pedagogiques.html,

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surreprésentation du niveau collège s’observe de manière générale sur cette base de données, avec une majorité de fiches portant sur les deux niveaux d’entrée et de fin de collège (6ème et 3ème)11

;

- bien que le niveau collège soit majoritairement représenté dans cette base nationale, les fiches « tablettes » ne représentent que 4,75 % des publications du niveau collège 12

;

- la publication des fiches a essentiellement lieu durant l’année 2014 qui regroupe à elle seule 60% des fiches « tablettes », avec cette même année, la forte représentation de deux académies, investies dans des projets qui donnent lieu à de nombreuses publications. Seules 6 académies sur 26 présentent des projets tablettes, avec deux académies très représentées (Nice et Limoges), la première rendant compte d’un projet académique mutualisé, pour la seconde, les publications nombreuses sont le fait d’une seule et même personne. C’est dire que la représentativité des académies est très inégale et qu’une minorité d’académies affiche au moins un projet tablette. Il apparaît que les publications sont, soit le fait d’un personnel très impliqué individuellement, soit le résultat de l’engagement des équipes dans un projet ponctuel et délimité dans le temps.

Au sein de l’académie de Dijon, dans le groupe de travail « usages pédagogiques du numérique », les mêmes grandes lignes se dessinent : une majorité de professeurs documentalistes exercent en collège (5 en collège, 2 en lycée général et 1 en lycée professionnel)13 ; un pic d’intérêt pour l’équipement en tablettes se remarque durant l’année 2014-2015 qui correspond au lancement du projet TED, fortement médiatisé dans cette académie et dans lequel sont personnellement engagés deux membres de ce groupe. Impliqués ou non dans TED, ces professeurs documentalistes sont tous porteurs d’un projet d’équipement de tablettes dans leurs établissements, ce qui tend à signifier -

11 547 fiches collège sur 688 ; 234 fiches lycée sur 688 ; 69 voie professionnelle sur 688 et 11 fiches pour le supérieur ; 159 fiches pour le niveau 6ème ; 106 pour les 5ème ; 120 pour les 4ème ; 156 pour les 3ème.

12 Sur le total des 547 fiches de niveau collège répertoriées dans la base, seules 26 mentionnent l’utilisation de tablettes.

13 Cette surreprésentation des personnels de collège s’explique au niveau local et national par le nombre des établissements : les collèges sont beaucoup plus nombreux que les lycées généraux ou professionnels. Voir notamment pour exemple les chiffres de l’académie de Dijon pour 2016-2017. Disponible en ligne :

http://cache.media.education.gouv.fr/file/Toute_l_actualite/05/9/2016-17_academie-en-chiffres_776059.pdf, [consultation janvier 2019].

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et sera ultérieurement vérifié - que l’engagement individuel est un élément clé des dynamiques professionnelles observées dans les établissements.

L’ensemble des données recueillies sur ces différentes sources donne à voir une totalité d’environ quarante projets pédagogiques avec tablettes. Les comptes-rendus rédigés et publiés sur les sites officiels ou bien retranscrits suite aux échanges verbaux, ont été traités au moyen d’une analyse de type lexicographique, dans le but de faire émerger les principales occurrences. Apparaissent ainsi les caractéristiques et fonctionnalités principales des tablettes, telles qu’elles sont citées par les acteurs de terrain14. De cette analyse de contenu, émergent de grandes tendances, communes à ces sources diversifiées.

Nous avons préalablement constitué un corpus de 70 entrées, considérées par les utilisateurs comme étant caractéristiques des tablettes. Dans un second temps, en prenant appui sur ce que les enseignants disent des atouts fonctionnels de l’objet technique et de la façon dont ils prévoient de l’utiliser dans leur contexte professionnel, nous avons réparti les valeurs recensées en deux grandes catégories, avantages ou inconvénients. Ce classement nous permet d’informer les discours et représentations autour de l’objet, ainsi que les pratiques professionnelles instrumentées.

Les caractéristiques des tablettes sont estimées globalement positives par les utilisateurs puisque nous avons répertorié 44 entrées considérées comme des avantages et moitié moins d’entrées jugées négativement. Sur les 44 entrées classées dans la catégorie des avantages, 6 à 7 portent exclusivement sur des fonctionnalités techniques de la tablette comme par exemple « mobile », « pluralité des fonctionnalités »,

«possibilité de prendre des photos en extérieur et de faire des films », « accéder à des contenus numériques en lien avec les objets physiques [réalité augmentée] ». Seulement

4 entrées font explicitement référence au contexte d’usage pédagogique : « travail de

groupe facilité », « travail en îlots », « nouveaux modes d’accès aux savoirs », « le respect du matériel par les élèves génère un climat de confiance et une attitude citoyenne ».

Dans la grande majorité des cas et pour toutes les autres valeurs relevées, les utilisateurs établissent explicitement une relation de cause à effet entre les atouts

14 Dans la présentation des résultats, les termes employés par les acteurs sont repris de manière littérale et transcrits au moyen des caractères typographiques usuels (guillemets et italique).

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techniques de l’objet et son intérêt pédagogique, comme en témoigne la répétition des termes « grâce à », du verbe « faciliter » ou des adjectifs « idéal », « approprié » ou

« adapté ». Dans la suite de notre analyse, nous exprimons cette relation de causalité

établie par les utilisateurs entre le technique et le pédagogique, au moyen du terme « techno-pédagogique ».