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Les politiques éducatives en faveur des TIC

1.3 Les invariants des politiques éducatives en faveur des TIC

1.3.1 Les publications institutionnelles en lien avec les TIC

Pour notre travail d’enquête, nous avons recensé l’ensemble des rapports officiels traitant des technologies à l’École, produits par l’inspection générale de l’éducation nationale (IGEN), de 1999 à 201755. La régularité des publications démontre la volonté institutionnelle de généraliser et d’intensifier l’usage pédagogique des TIC.

- 1999 : 10 rapports ; un rapport sur Les technologies de l'information et de la

communication (septembre 1999) ;

- 2000 : 15 rapports ; deux rapports, l’un sur l’Enseignement de mise à niveau

en informatique en classe de seconde (janvier 2000) et le second sur L'enseignement à distance : sa contribution à la réussite des élèves (octobre

2000) ;

- 2001 : 22 rapports ; deux rapports : L'enseignement de mise à niveau en

informatique en classe de seconde (février 2001) etMise en place du brevet informatique et internet dans les collèges et les écoles au cours de l'année 2000-2001 (juillet 2001) ;

- 2002 : 25 rapports dont un sur L'École et les réseaux numériques (juillet

2002) ;

- 2003 : 21 rapports dont un, général, Rapport de l'inspection générale de

l'éducation nationale qui dresse le compte rendu de l'ensemble des missions

et travaux conduits par l'inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) au cours de l'année 2001-2002, et reprend à ce titre le travail de synthèse réalisé sur l’école et les réseaux numériques ;

- 2004 : 16 rapports dont celui sur Les politiques documentaires des

établissements scolaires (mai 2004) qui consacre une partie de la réflexion à

« la poursuite du développement des TICE »56 ;

55 Depuis l’année 1999, les rapports de l’inspection générale de l’éducation nationale sont disponibles en ligne : http://www.education.gouv.fr/pid267/les-rapports-igen.html, [consultation aout 2016].

56 Voir p. 25 de ce rapport : « La poursuite du développement des TICE : Même si les établissements du second degré sont déjà bien équipés en ordinateurs et que les débuts de l’informatique en milieu scolaire sont déjà lointains, l’intégration réelle ne fait que commencer. Dans un contexte de décentralisation accrue, des politiques ambitieuses se mettent en place sur certains territoires en concertation entre l’État

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- 2006 : 21 rapports dont l’un sur L'accompagnement à la scolarité : pour une

politique coordonnée, équitable et adossée aux technologies de l'information et de la communication (mai 2006) ;

- 2007 : 17 rapports dont l’un intitulé Contribution des nouvelles technologies

à l'évolution du système éducatif (mars 2007)57 ;

- 2008 : 7 rapports dont l’un Le travail des élèves en dehors de la classe - État

des lieux et conditions d'efficacité (octobre 2008) traite de la nécessité de « mieux utiliser les TICE et les ressources numériques » ;

- 2009 : 10 rapports dont aucun ne porte explicitement sur les technologies

éducatives, bien que celles-ci soient plusieurs fois mentionnées, par exemple, voir le rapport sur L'enseignement intégré de science et technologie (mai 2009) ou encore celui portant sur l’Expérimentation d'une épreuve pratique

au baccalauréat de la série S (novembre 2009) ;

- 2010 : 10 rapports dont l’un intitulé Modalités et espaces nouveaux pour

l'enseignement des langues (novembre 2010) et dans lequel est fait « un point utile sur l’usage des TICE et sur les divers dispositifs innovants mis en place par certains établissements, comme les y invitait une circulaire de

et les collectivités territoriales. De nombreux projets visent à fournir des hauts débits aux établissements scolaires. À court terme, l’accès aux ressources sera fluide, non seulement pour les textes, mais pour les images fixes ou animées. Cela ouvrira, enfin, des accès à de nouveaux services tels que la télévision numérique. […] Plus les pouvoirs publics engagent des expérimentations pour le développement de services en ligne, plus ils interviennent sur le terrain des ressources pédagogiques. Les initiatives en cours, telles que celles qui sont prises pour équiper chaque élève et chaque enseignant d’un ordinateur portable personnel et d’un ensemble de services numériques (départements des Landes, des Bouches-du-Rhône, de l’Isère, de la Savoie...) tracent-elles la voie ? Si tous les élèves sont équipés d’un portable, faudra-t-il d’autres micros dans l’établissement ? Peut-on au contraire imaginer que les pouvoirs publics vont faciliter un double équipement, un à domicile et un dans l’établissement et que les élèves évolueront de l’un à l’autre sans souci, retrouvant aisément leur « espace numérique de travail » ? ».

57 Voir la présentation de ce rapport : « dans le cadre de la cinquième vague d'audits de modernisation de l'État, les inspections générales de l'éducation nationale, l'inspection générale des finances et le conseil général des technologies de l'information se sont interrogés sur la part que pouvaient prendre les TIC dans la modernisation du système éducatif, au niveau tant de la gouvernance du système, des pratiques pédagogiques et des apprentissages que du marché des ressources. Le constat dressé est en demi-teinte. Il souligne que l'institution n'est pas en mesure de définir précisément ses attentes en matière de TICE, sauf à les limiter à l'acquisition du B2i par les élèves. Dès lors il ne saurait tirer un véritable parti de ces nouveaux outils. Les freins à l'usage restent nombreux, les disparités fortes et le marché peine à atteindre son niveau de viabilité. Il apparaît donc, en premier lieu, nécessaire de reconstituer d'abord un cadre de gouvernance national plus efficace. Celui-ci doit impliquer la direction pédagogique du ministère, chargée de concevoir et d'affirmer une politique d'ensemble, dont la mise en œuvre sera servie par des outils et des référentiels adaptés. La convergence des efforts de l'État et des collectivités territoriales est néanmoins décisive pour le développement des TICE et le rapport propose de faire du territoire académique un échelon de cohérence et un lieu de mutualisations de leurs initiatives respectives par le biais de plates-formes territoriales de services. […] ». Disponible en ligne :

http://www.education.gouv.fr/cid5019/contribution-des-nouvelles-technologies-a-l-evolution-du-systeme-educatif.html, [consultation février 2018].

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2006. A partir des visites effectuées dans ces derniers, le rapport souligne les apports spécifiques de chaque technologie étudiée : la baladodiffusion, les ENT, le tableau blanc interactif, la visioconférence et les divers outils d’aide à l’évaluation. ». Deux autres rapports parus en octobre 2010, l’un sur

la formation continue des enseignants (Évaluation de la politique de

formation continue des enseignants des premier et second degrés (sur la période 1998-2009) et le second sur les dispositifs d’aide et

d’accompagnement individualisés à l’école (Observation et évaluation de

l'ensemble des dispositifs d'aide individualisée et d'accompagnement à l'école, au collège et au lycée) évoquent le rôle des TICE ;

- 2011 : 16 rapports dont trois portent spécifiquement sur le numérique à

l’école : Le manuel scolaire à l'heure du numérique (juillet 2010), Le plan

École numérique rurale (juin 2011), Le plan Ordicollège dans le département de la Corrèze (novembre 2011) ;

- 2012 : 13 rapports dont deux Les manuels scolaires : situation et

perspectives (mars 2012)58 et Suivi de la mise en œuvre du plan de développement des usages du numérique à l'école (juillet 2012) poursuivent

la réflexion sur les apports du numérique éducatif et sur son développement ;

- 2013 : 30 rapports dont celui sur Le plan "Un collégien, un ordinateur

portable" dans le département des Landes (décembre 2012) et celui sur La structuration de la filière du numérique éducatif : un enjeu pédagogique et industriel (septembre 2013) qui présente la mission conjointe demandée à

plusieurs inspections générales ou ministères de « préparer la mise en œuvre

de la stratégie numérique présentée par le ministre de l’éducation nationale le 13 décembre 2012, notamment dans sa dimension industrielle »59 ;

58 Pour ce rapport sur les manuels scolaires, voir la présentation synthétique disponible en ligne :

http://www.education.gouv.fr/pid267/les-rapports-igen.html, [consultation janvier 2018] : « Lié à l’histoire de l’école républicaine, le manuel scolaire est un objet familier de nos classes. Il reste un outil indispensable de la mise en œuvre des programmes. Toutefois, à l’heure de la révolution numérique, au moment où l’école cherche les voies d’un enseignement plus personnalisé, la question du manuel, de sa forme, de son utilité et de son utilisation, se pose dans des conditions nouvelles […] Que signifie au siècle d’internet le manuel pensé du temps de Jules Ferry ? Les expérimentations de manuels numériques sont à cet égard riches d’enseignement. ».

59 Nous notons ici le rapport entre le nombre de rapports produits par l’institution (30) et le vote d’un texte législatif d’importance (2013 est la première année de la Loi de Refondation de l’Ecole de la République) : la publication de textes officiels vient appuyer et soutenir, quantitativement, la mise en acte des décisions politiques.

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- 2014 : 15 rapports, dont l’un, général, Bilan de la mise en œuvre de l'axe 2 -

lettre de mission 2013-2014 (septembre 2014) dresse, dans sa quatrième

partie, un bilan sur le numérique à l’école qui est l’une des trois grandes priorités de la refondation de l’École (réussir la scolarité obligatoire, valoriser l’enseignement professionnel, enseigner à l’heure du numérique) ;

- 2015 : 14 rapports dont l’un, Rapport sur l'utilisation pédagogique des

dotations en numérique (équipements et ressources) dans les écoles (Juillet

2015), établit un bilan d’évaluation des dotations en ressources numériques développées dans le cadre de la mission Fourgous. Outre l’évaluation d’un dispositif antérieur, ce rapport est également l’occasion de prioriser le développement des usages pédagogiques du numérique, tel que la Loi du 8 juillet 2013 le préconise : « la volonté de développer les usages du

numérique est portée par la loi du 8 juillet 2013. Dans cette perspective, il est apparu nécessaire de dresser un état des lieux de l'utilisation des outils numériques dans le premier degré. Deux questions ont semblé essentielles : quels sont les usages du numérique que l'on peut repérer, notamment ceux qui sont porteurs de perspectives pour l'avenir ? Comment favoriser le développement de ces usages par une stratégie pertinente d'équipement des écoles, par les ressources mises à la disposition des maîtres et des élèves, par la formation et par un pilotage efficace ? » ;

- 2016 : 22 rapports dont l’un, paru en février 2016, aborde Les besoins et

l'offre de formation aux métiers du numérique et la nécessité de former « du personnel qualifié, qui manque sur le marché du travail, et des enseignants compétents dans ce domaine »parce que « la transformation de la société et

des organisations induite par le numérique nécessite que les individus développent des compétences transversales ». Ce rapport souligne « l’interdépendance des degrés secondaire et supérieur : que ce soit pour les étudiant.e.s ou les enseignant.e.s, toute politique de développement de l’offre dans l’enseignement supérieur sera également fonction des politiques engagées dans le secondaire. ». Il est noté par ailleurs qu’il est indispensable

que « la politique active de réponse aux besoins économiques et sociaux

numériques s’appuie sur un appareil de formation initiale qui doit être en mesure de s’adapter aux évolutions futures, en organisant une offre de

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formation aux « sciences du numérique », agile et articulée entre enseignement secondaire et supérieur. » ;

- 2017 : 10 rapports dont l’un, nommé Repenser la forme scolaire à l'heure du

numérique : vers de nouvelles manières d'apprendre et d'enseigner (mai

2017), « cherche à caractériser les grandes tendances et évolutions des

pratiques pédagogiques liées à l’introduction des outils numériques dans les classes,quatre ans après la mise en place du Service public du numérique éducatif créé par la loi pour la refondation de l'École de la République. ».

L’inventaire complet des rapports institutionnels produits durant cette longue période met en évidence la permanence d’une politique qui se construit en faveur du déploiement massif des TIC dans l’éducation. Quelles que soient les lignes politiques représentées dans les différents gouvernements successifs, aucune ne remet en cause ni la nécessité ni le bienfait des technologies dans les classes. Comme le souligne Jean-François Cerisier en 2012 dans un billet de blog publié à l’occasion de la parution du second rapport Fourgous, « les rapports se succèdent et se ressemblent »60.

Compulser et étudier ces textes d’un genre particulier conduisent effectivement à observer un indéniable effet d’écho et de redondance.

Après l’habituel retour sur l’état de la recherche et/ou des pratiques à l’échelle nationale et internationale, les analyses constatent l’évolution irréversible d’une société en cours de mutation, de révolution ou de conversion numérique (Doueihi, 2008) ; elles regrettent le retard français et déplorent des usages numériques scolaires en deçà des attentes et des besoins pour que le système éducatif soit en mesure de relever les défis en cours ou à venir ; elles dressent des bilans en demi-teinte, saluent les efforts engagés et les progrès déjà faits mais soulignent ce qu’il reste encore à faire, ce qui permet d’introduire la liste, souvent longue, des recommandations ou des mesures à prendre.

Ces rapports se caractérisent par une communauté d’esprit et de registre de communication : d’un texte à l’autre, les TIC sont présentées simultanément comme nécessaires, inévitables et souhaitables ; l’expression écrite se veut scientifique, objective, évaluative et prospective. La publication institutionnelle vient ponctuer et

60 Cerisier, 2012, Rapport Fourgous : quatre prémisses fausses et un biais méthodologique ! [Billet de blog]. Disponible en ligne : http://blogs.univ-poitiers.fr/jf-cerisier/2012/04/10/rapport-fourgous-quatre-premisses-fausses-et-un-biais-methodologique/, [consultation aout 2017].

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soutenir les politiques engagées. Les rapports produits par la plus haute administration s’inscrivent dans une double mission, l’une d’évaluation et l’autre d’accompagnement des politiques conduites. Ces deux tendances cohabitent dans l’implicite de ces rapports ; à la lecture de ces textes, nous observons d’une part une logique évaluatrice qui se veut objective et transparente, et de l’autre une logique idéologique qui cherche à accompagner voire justifier la politique engagée, qui oscille elle-même entre pragmatisme, recherche d’efficacité et partis pris61. L’ambivalence définit ce type de textes qui jonglent et composent avec les contradictions qui leur sont inhérentes, comme le souligne Jean-François Cerisier en 2012 : « comme pour le premier rapport

Fourgous, un gros travail de recherche d’informations [a été effectué] et le rapport est très documenté. En revanche, le choix des sources est toujours opéré au service du propos tenu par l’auteur du rapport. Le moins que l’on puisse dire est que la dimension critique est absente. Pourquoi ce rapport, pourtant rédigé avec le concours d’experts, réitère-t-il ces erreurs d’analyse et de méthode avec un tel manque de discernement ? On peut formuler plusieurs hypothèses. La première qui me vient à l’esprit, c’est que cette idéologie qui associe les technologies numériques au progrès éducatif arrange aussi bien les experts que les politiques. ».

La communication écrite officielle nous semble être d’une importance significative mais elle est loin d’être exclusive. Elle est l’un des éléments d’un schéma d’organisation interne, propre à ces politiques et qui prend appui sur des leviers récurrents.