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Les politiques éducatives en faveur des TIC

1.2 L’action politique pour promouvoir l’usage des TIC à l’École

1.2.1 L’informatique scolaire, le temps de l’insertion

- De 1970 à 1980

La première période identifiée s’étend de 1970 à 1980 et s’ouvre par le séminaire organisé par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement

21 Moatti, 2010, Le numérique éducatif (1977-2009) : « L’école, telle que nous la connaissons, a plus d’un siècle d’existence, son informatisation ne se généralise que depuis vingt ans. », p. 15.

22 Voir par exemple les propos de Baron, Bruillard & Drot-Delange, 2015, Informatique en éducation : perspectives curriculaires et didactiques, Presses universitaires Blaise Pascal : « La France a été parmi les premiers pays industrialisé à reconnaître, à la fin des années 60, la nécessité d'introduire l'informatique dans son système éducatif afin de transmettre ces nouvelles connaissances aux nouvelles générations. Ce choix a fait l'objet d'une série de remises en question […]. ».

23 Moatti, 2010, op.cit. : « Les continuités et ruptures ne sont pas immédiatement visibles par les témoins directs. Il faut que le chercheur s’immerge longuement dans la masse documentaire et qu’il décrive les documents et les cheminements de leurs auteurs pour qu’une explication puise être ensuite formulée. La description reste un bel outil d’aide à l’analyse. Décrire les faits simples, puis la complexité de leur enchaînement […] permet d’en décomposer les éléments constitutifs. », p. 21.

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économiques) sur l’informatique à l’École et la circulaire ministérielle qui précise les objectifs et conditions de cette introduction24. La politique menée par la France diffère de celles conduites dans les autres pays industrialisés à la même époque : si les objectifs d’informatisation de la société et de l’École sont identiques, les moyens choisis sont autres. Alors que d’autres États prennent appui sur les informaticiens, le gouvernement français estime que l’informatique scolaire pose des questions éminemment pédagogiques et décide dès lors de s’appuyer prioritairement sur les enseignants et de les former. Emilien Pélisset, Président de l'association Enseignement Public et Informatique (EPI)25 relève l’originalité du positionnement national : « l'originalité de

l'expérience française tient surtout à l'attitude des responsables, le chargé de mission à l'informatique et le comité pédagogique qu'il anime au Ministère de l'Éducation nationale : les problèmes posés par l'introduction de l'informatique sont pédagogiques, leur solution est affaire d'enseignants ; l'expérience débutera donc par une sérieuse formation informatique d'enseignants plongés dans la réalité industrielle des constructeurs d'ordinateurs. […] Le plus souvent, à l'étranger, il en alla autrement ; on tira de l'essor de l'informatique et des ordinateurs, la nécessité d'introduire, dans les établissements scolaires, les informaticiens, leurs machines et leurs programmes. »26.

Au début des années 70, le choix est donc fait de ne pas enseigner l’informatique comme un sujet distinct ni comme une discipline indépendante - ce qui à l’époque aurait signifié pratiquer un langage de programmation - mais plutôt d’introduire l’informatique dans toutes disciplines scolaires (Baron, Bruillard & Drot-Delange, 2015, op.cit.). Cette orientation première qui choisit de prendre appui sur les enseignants de toutes les disciplines, justifie le premier grand plan de formation des enseignants. Quatre-vingt d’entre eux sont sélectionnés pour participer à une formation

24 Voir la circulaire 70-232 du 21 mai 1970, parue au Bulletin officiel de l’éducation nationale (BOEN) n° 22 du 28 mai 1970.

25 Présentation de l’EPI : « L'association Enseignement Public et Informatique, association pionnière fondée en 1971, continue de militer pour l'évolution du service public d'enseignement et de formation à la promotion duquel elle reste attachée. Conformément à ses statuts, elle veut faire de l'informatique, et des technologies de l'information et de la communication en général, un facteur de progrès et un instrument de démocratisation. Depuis sa création, elle demande que priorité absolue soit accordée à la formation des maîtres, inséparable des indispensables recherches pédagogiques et des moyens en matériels et en logiciels. Il reste encore beaucoup à faire dans ces différents domaines. ». Disponible en ligne :

https://www.epi.asso.fr/association/epi_presentation.htm, [consultation janvier 2015].

26 Pelisset, 1985, 2002, Pour une histoire de l’informatique dans l’enseignement français : premiers jalons, EPI. Disponible en ligne : https://www.epi.asso.fr/revue/histo/h85ep.htm, [consultation octobre 2015].

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longue, prévue pour un an et organisée sur le principe d’un regroupement national27. En même temps que ce plan de formation débute un plan d’équipement des lycées, appelé a

postériori « l’expérience des 58 lycées »28. En 1978, paraît le célèbre rapport Nora-Minc sur l’informatisation de la société, qui préconise à Valéry Giscard D’Estaing, Président de la République, d’engager « une politique volontariste, [de] desserrer l’étau

hiérarchique au sein de l’État, [d’] éviter un développement accentuant les inégalités sociales et [de] décentraliser les centres de décisions. »(Moatti, 2010). En réponse aux objectifs fixés par les deux rédacteurs du rapport, alors inspecteurs généraux des finances, le Président demande à son gouvernement d’élaborer un grand plan informatique pour moderniser et accroître l’efficacité de l’économie et de la société françaises. L’ « opération 10 000 micros ordinateurs » qui vise à généraliser l’équipement des lycées, est lancée dans ce contexte.

Cette première période, riche en initiatives, en annonces et en investissements financiers, se clôture par la parution d’un nouveau rapport, spécifiquement consacré à l’éducation et l’informatisation de la société (Rapport Simon, 1980) et par le lancement d’un Plan pour l’éducation, annoncé par le ministre de l’éducation nationale, à l’occasion d’un discours, emphatiquement titré « Informatique et enseignement : le mariage du siècle »29.

- De 1981 à 1990

La deuxième période d’informatisation de l’École débute avec le changement de Président de la République et de gouvernement. La formation des enseignants se

27 A l’occasion du regroupement national, en 1971, les stagiaires créent l'association Enseignement Public et Informatique (E.P.I.), association toujours existante et toujours très active sur les questions de l’informatique à l’école. Nombre des informations relatives à l’histoire de l’informatique scolaire sont issues des archives mises en ligne par cette association, à laquelle participent Baron et Bruillard, reconnus parmi les chercheurs spécialisés de ce domaine.

28 Pelisset, 1985, 2002, Pour une histoire de l’informatique dans l’enseignement français : premiers jalons, EPI. op. cit. De 1972 à 1976, contrairement aux objectifs initiaux plus ambitieux, seulement 58 lycées ont pu être équipés d’ordinateurs : « En septembre 1975, le Ministre de l'Éducation nationale supprime brutalement la Mission à l'informatique. Les difficultés économiques entraînent un plan d'austérité et un budget de rigueur pour l'Éducation nationale en 1976. ».

29 Discours dans lequel le ministre de l’éducation Christian Beullac défend la nécessité d’enseigner l’informatique à tous les jeunes Français, annonce qui constitue ainsi selon les historiens de la période, les prémisses du plan suivant, lancé en 1985 (plan Informatique Pour Tous). Voir Le mariage du siècle: éducation et informatique, Actes du colloque du mardi 25 novembre 1980 organisé par la section française de l'Institut International de Communications (IIC) et l'association TELEQUAL. (extrait). Disponible en ligne : http://epi.asso.fr/revue/histo/h80beullac.htm, [consultation septembre 2017].

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poursuit, sur le principe d’une formation plus légère que précédemment mais aussi beaucoup plus étendue, associée également à un nouveau grand plan d’équipement, le « Plan 100 000 micros ordinateurs et 100 000 enseignants », annoncé en 1983 par le ministre Alain Savary (Pélisset, op.cit.).

Si les principes demeurent identiques et reposent sur les mêmes fondamentaux que sont la formation des enseignants et l’équipement des établissements scolaires, le changement important d’échelle (passage de l’objectif de 10 000 à 100 000 en quelques années) est particulièrement significatif des ambitions et des attentes de l’État français. Le train de l’innovation est en marche et il va vite, de plus en plus vite. Le point culminant de cette période est le « Plan Informatique pour Tous » (Plan IPT), présenté en janvier 1985 par le Premier ministre Laurent Fabius.

Qualifié en 1985 de « pari exceptionnel » et de « nouveau progrès » par Emilien Pelisset, le Plan IPT est, rétrospectivement, considéré comme un échec partiel. En effet, bien que ce plan très ambitieux soit le premier et « le seul à prévoir l’équipement

systématique de tous les établissements, depuis la maternelle jusqu’à l’université », les

choix politiques effectués se heurtent à des résistances internes (Pouts-Lajus & Riche-Magnier, 2000)30. L’équipement massif et soudain des établissements, imposé aux enseignants « invités à intégrer l’informatique dans toutes les disciplines sans réel

mûrissement des usages ni de la réflexion pédagogique » génère la mise à distance

progressive des ordinateurs « repoussés aux marges du système, dans les centres de

documentation ou les enseignements optionnels, sans affecter directement les méthodes pédagogiques ni la logique interne des disciplines. » (Pouts-Lajus & Riche-Magnier, op. cit.).

Il est probable que la prise de conscience de l’échec de ces politiques descendantes, partant du haut vers le bas (parfois désignées par l’anglicisme top down), fortement hiérarchiques, centralisées et centralisatrices, n’ait pas été immédiate. La remise en question de ces choix politiques trop orientés vers l’équipement et sans réflexion suffisante sur les pratiques et les usages, intervient a posteriori, une fois effectué le constat tardif d’une trop faible intégration des objets techniques dans les pratiques professionnelles.

30 Pouts-Lajus & Riche-Magnier, 2000, Les nouvelles technologies dans l’enseignement : ruptures et continuité In Van Zanten (Dir.), L’Ecole, l’état des savoirs, Editions La Découverte, p. 189-196.

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Outre ce problème de massification forcée et trop rapide - le temps long des usages s’entrechoquant avec le temps court des innovations et des politiques à conduire - apparaissent également des difficultés liées au coût d’entretien des matériels, plus onéreux qu’anticipé : « la question de l’obsolescence des matériels pousse les

établissements à dépenser des sommes faramineuses dans le renouvellement des matériels, des systèmes d’exploitation, des logiciels […]. De plus, les éditeurs de logiciels font face à des difficultés certaines car les établissements disposent de budget de plus en plus faible pour s’équiper et ne rencontrent pas nécessairement chez les enseignants de besoins particuliers. » (Plantard, 2015). « Pari exceptionnel » changé en « morne souvenir » (Plantard, op. cit.), le Plan IPT symbolise les erreurs politiques de

cette décennie. Premier grand investissement, il devient représentatif de ce qu’il ne faut pas faire, de même qu’il est pour les chercheurs et les décideurs suivants, un repère, un point de référence et de comparaison à partir duquel il est utile de jauger l’efficacité des politiques menées31.

Comme précédemment, la décennie 1980-1990 s’achève par la production d’un rapport sur « les technologies nouvelles pour l’enseignement technique », remis en 1990 par Monique Grandbastien qui regroupe de nombreuses propositions issues « de

l'analyse des modes de fonctionnement de ces dernières années »32. Nous soulignons ici quelques-unes des préconisations qui nous semblent intéressantes, non seulement dans ce contexte précis des années 90 mais aussi dans le contexte actuel de la décennie 2010.

31 Dans les textes que nous avons consultés, la référence à ce plan est très fréquente et est utilisée comme repère ou comparaison, comme le montrent notamment les exemples suivants : IFE, 2012, Pédagogie + numérique = apprentissage 2.0, Dossier d’actualité de l’Ifé : « En France, la question de l’équipement des établissements a été prise en considération dès 1985 avec le plan Informatique Pour Tous qui avait pour vocation d’équiper en ordinateurs les établissements. Cette logique d’équipement perdure […] ». Disponible en ligne : http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/79-novembre-2012.pdf, [consultation octobre 2015] ; ou encore Pouts-Lajus, 2000, op.cit. « L’invitation à adopter de nouveaux outils technologiques est aujourd’hui, pour le système éducatif, beaucoup plus pressante qu’elle ne l’était en 1985 ».

32 Grandbastien, 1990, Extraits du rapport : « Faire de la décennie 90 celle de la consolidation, de l'intégration des technologies nouvelles dans le système éducatif. Capitaliser les acquis, les diffuser, les mettre au service des grands objectifs du système éducatif. […] L'historique que nous venons de faire et l'analyse des modes de fonctionnement de ces dernières années nous amènent à suggérer quelques principes à respecter ». Disponible en ligne : https://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00001044/document, [consultation janvier 2015].

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Le premier principe exposé est celui de la nécessité de faire des choix et de définir des priorités pour permettre la conduite de politiques réalistes et efficaces33. Viennent ensuite :

- l’importance de la formation initiale et continue de tous les personnels ainsi

que le développement de la recherche pédagogique, jugée insuffisante ; l’association des praticiens de terrain et des chercheurs devant favoriser l’actualisation des connaissances au plus près des évolutions rapides du secteur34 ;

- la nécessaire clarification de la place et du rôle de l’informatique dans les

enseignements et la conception d’une démarche de progression qui garantisse « une cohérence horizontale entre les différentes approches et les

différentes utilisations qui sont proposées pour les technologies nouvelles à chaque moment de la scolarité » ;

- le développement des partenariats, des initiatives locales, l’appui sur les

projets des établissements afin d’être au plus près des dynamiques de terrain ; la mutualisation, et le partage des expériences ;

- l’évaluation systématique des expérimentations (définition d’objectifs

initiaux, d’évaluations intermédiaires et finales) pour « permettre de

préparer les documents pédagogiques et formations qui lors de nouvelles opérations à grande échelle devraient précéder ou accompagner la mise en place, mais ne pas être à construire comme cela s'est souvent produit dans les opérations passées » ainsi que pour éviter les généralisations massives

trop précoces : « aller vers les généralisations par changement d'échelle

progressif, obtenir des résultats significatifs pour une généralisation progressive » ;

33 Monique Grandbastien écrit ainsi dans le rapport publié en 1990 : « ces orientations doivent d'abord être explicitement affirmées au niveau politique. Leur mise en œuvre suppose évidemment qu'un certain nombre d'objectifs soient clairement choisis. Tout n'est pas possible simultanément, non seulement pour des raisons de coût, mais aussi à cause du manque de ressources humaines, certaines priorités doivent donc être retenues. ».

34 Grandbastien, 1990, op. cit. : « dans le domaine de l'informatique comme auxiliaire pédagogique, nous avons vu que les recherches systématiques nécessaires à l'exploration d'un champ aussi nouveau n'avaient pas été menées ou pas menées à leur terme avec la rigueur nécessaire, il est donc indispensable d'entreprendre un vigoureux effort de recherche, effort qui ne peut être conduit qu'avec la participation active d'enseignants du terrain et de chercheurs. ».

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- garantir une cohérence de tous les niveaux et de tous les acteurs par une

coordination du plus haut niveau (ministère et secrétariat d’État).

Si nous nous attardons sur ce document, c’est pour la pertinence toujours actuelle de ses recommandations et pour son intérêt analytique : il est le premier texte qui vient documenter une politique déjà mise en œuvre. Il ouvre ainsi la voie aux nombreux autres rapports qui ponctuent chaque grande étape de l’informatisation à l’école. Il est le premier de cette catégorie émergente de textes, commandés et validés par l’institution, et qui cherchent à établir un pont entre les choix politiques nationaux et les actions locales de terrain, entre les décideurs et les « petits acteurs », avec à leur interface, les chercheurs placés comme observateurs et évaluateurs scientifiques des changements décidés.