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Les politiques éducatives en faveur des TIC

1.3 Les invariants des politiques éducatives en faveur des TIC

1.3.2 Les leviers des politiques éducatives en faveur des TIC

Les leviers que nous identifions sont au nombre de quatre, ils fonctionnent en interdépendance les uns des autres, sans pouvoir être dissociés.

61 Voir la présentation du 40ème colloque national organisé par l’Association française des acteurs de l'éducation (AFAE), à Lyon en mars 2018 intitulé « Politique(s) de l’éducation : des idéologies au pragmatisme ? » : « Le champ lui-même du politique se laisse de plus en plus difficilement caractériser par les lignes de force anciennes. Les lieux de décision paraissent multiples et parfois incertains. Le reflux des grandes idéologies conduit à douter de leur valeur explicative, et l’on voit apparaître le souhait d’approches plus pragmatiques. Sur quoi se fondent aujourd’hui les politiques éducatives ? Entre idéologies et constats scientifiques, sociaux ou économiques, comment se construisent les partis pris (et les prises de parti) en matière de politique de l’éducation ? ». Disponible en ligne : http://ife.ens-lyon.fr/vst/AgendaColloques/DetailColloque.php?parent=actu&id=1894, [date consultation février 2018].

Première partie Chapitre 1 : Les politiques éducatives en faveur des TIC

1) Les politiques éducatives en faveur des TIC se construisent tout d’abord au moyen de l’appareil législatif. Les lois de programmation et d’orientation (ou plus récemment de refondation) de l’École, suivies de circulaires de mise en application, inscrivent les choix dans la durée, en accordant aux technologies une place difficilement contestable et peu aisément remise en cause. L’inscription dans le Code de l’Éducation pérennise de fait un engagement de l’État et met le numérique éducatif à l’abri des revers de fortune provoqués par les changements présidentiels et gouvernementaux.

Ainsi, en 2017, bien que le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer émette publiquement des doutes, dès sa nomination, sur l’intérêt d’un équipement massif et individuel en tablettes, il ne lui est pas possible de remettre en cause l’une des trois priorités définies par la loi de 2013 : le numérique éducatif est et reste une priorité nationale, qu’il faut porter, même si les moyens choisis pour le faire peuvent être différents62.

2) Le grand nombre de plans d’actions et de mesures - depuis le premier plan « Informatique pour tous » jusqu’au dernier en date le « plan numérique éducatif » - lancés à renfort de milliards de francs ou d’euros est représentatif de l’engagement de l’État. L’ensemble de ces plans constitue ce que nous nommons l’appareil financier. En effet, malgré un contexte de crise, de récession ou d’incertitude économique et bien que la réduction ou l’optimisation des coûts publics soient un leitmotiv, l’investissement consenti par l’État demeure le signal fort d’un engagement nécessaire et accepté.

62 Entretien avec le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, le Parisien, 13/11/2017 : « Francis Janou (journaliste) : On n'entend plus parler du plan numérique, mis en place par le précédent gouvernement pour équiper les collèges et les écoles… Réponse de J-M Blanquer : L'école doit faire une place importante aux technologies avec discernement. L'équipement en tablettes n'est pas l'alpha et l'oméga de ce qu'il y a à faire. Je ne pense pas que l'école doive aller vers le tout-numérique. Il doit être utilisé différemment selon les âges de la vie, et notre objectif doit d'abord être de bien former les professeurs sur ce sujet. J'ai sur mon bureau des rapports de santé sur l'addiction aux écrans, la perte de concentration des enfants, l'affaiblissement des pratiques de lecture et des exercices physiques. Jusqu'à 7 ans, les écrans doivent être présents au minimum, sans toutefois qu'on s'en interdise l'usage, de manière ciblée. ». Disponible en ligne : http://www.leparisien.fr/societe/jean-michel-blanquer-l-autorite-doit-etre-retablie-dans-le-systeme-scolaire-13-11-2017-7389060.php, [consultation novembre 2017]. En complément de la logique d’équipement au collège avec laquelle il prend des distances, le Ministre Blanquer évoque en février 2018, la possibilité de créer un enseignement en « Humanités numériques et scientifiques » de deux heures hebdomadaires au niveau de Lycée. Disponible en ligne :

http://www.liberation.fr/france/2018/02/13/blanquer-rend-ses-arbitrages_1629509, [consultation février 2018].

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3) En complémentarité de la production des textes réglementaires et pour servir les politiques définies, l’État se dote progressivement d’un appareil administratif qui vient en soutien des appareils législatif et financier. Ce soutien des instances, des services et des postes à responsabilité spécifiquement créés, est explicite comme le montre la présentation qui est faite de la Direction du numérique pour l’éducation (Eduscol)63.

4) Il apparaît enfin que l’un des leviers mobilisés pour construire et porter les politiques, est l’appareil discursif, qui agit en interrelation étroite et efficace avec tous les autres.

L’abondance des rapports institutionnels et leur référence appuyée aux experts construisent une légitimation des choix politiques, idéologiques et économiques. Depuis la fin des années 1990, cette légitimation intervient également en amont du propos officiel : avec le développement d’Internet qui facilite à la fois l’exposition des projets et le recueil de l’avis de citoyens, chaque grande réforme éducative est précédée d’une consultation nationale64. Pour porter et emporter l’adhésion des acteurs professionnels et du public citoyen, une communication de grande envergure est ainsi mise en place : création de sites internet dédiés aux débats publics, production de rapports institutionnels, communications orales des décideurs largement relayés dans la presse ou sur les sites ministériels.

A ceci s’ajoute la dimension nettement performative (Austin, 1991) des discours officiels, qui s’observe en différents temps et espaces de l’énonciation. Pour exemple et

63 Eduscol, 2015 : « La Direction du numérique pour l’éducation (DNE créée en mars 2014 pour participer à faire entrer l’école dans l’ère du numérique. […] Rattachée au ministère de l’éducation nationale, [elle] contribue à définir et assurer la mise en place et le déploiement du service public du numérique éducatif […]. Elle assure des missions de veille, de prospection et de communication pour accompagner les pratiques et valoriser les innovations. Dans les académies, ce sont les Délégations au numérique éducatif (DANE) en lien avec les Recteurs et les Directeurs académiques des services de l’éducation nationale (DASEN) qui sont chargés d’appliquer la stratégie du ministère de l’éducation nationale en matière de politique numérique. ».

64 Pour exemples, voir la Loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, aboutissement de la concertation pour la refondation de l’école de la République lancée en juillet 2012 par le premier ministre Vincent Peillon ; le Plan numérique pour l’éducation lancé en mai 2015 par le Président François Hollande à l’issue de la concertation nationale sur le numérique éducatif et, pour la réforme du baccalauréat prévue en 2021, ouverture d’une consultation de tous les acteurs de la communauté éducative à partir de novembre 2017 et d’une consultation en ligne auprès des lycéens en décembre 2017. Sources diverses disponibles en ligne : http://www.vie- publique.fr/actualite/panorama/texte-vote/loi-du-23-avril-2005-orientation-programme-pour-avenir-ecole.html; http://ecolenumerique.education.gouv.fr/plan-numerique-pour-l-education/;

http://www.letudiant.fr/bac/reforme-du-bac-le-ministere-vous-demande-votre-avis.html, [consultation janvier 2018].

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illustration, nous relevons qu’au lancement du plan numérique de l’éducation, le slogan adopté par l’Éducation nationale est « faire entrer l’école dans l’ère du numérique », bannière changée quelques mois plus tard en « L’école change avec le numérique »65. Il

apparaît ici que « dire c’est faire » ou que « vouloir équivaut à pouvoir » : l’accélération du temps à l’ère moderne (Rosa, 2012) se révèle par une juxtaposition volontaire et organisée des temps de la volonté, de la parole et de l’action. Vouloir faire entrer l’école dans le numérique suffirait à produire un résultat immédiat et positif ; à peine formulées les décisions politiques deviendraient action et changement réussis66.

Les discours de différentes natures et d’origines diverses (politiques et citoyennes) se combinent ainsi au service d’une politique qui mobilise concomitamment les leviers législatif, administratif, financier et discursif, selon un rythme qui lui est spécifique.

D’un côté, nous observons une « accélération du tempo politique, une pression

du court-terme contradictoire avec le projet éducatif lui-même [et] des changements en dents de scie (souvent liés à des marqueurs politiques) »67 et d’autre part nous relevons l’existence d’un temps long et la constance d’un engagement volontariste en faveur des technologies à l’École. Au-delà d’un « cycle de vie » des plans successifs et d’une forme d’ « obsolescence programmée » des politiques, apparaissent ainsi des invariants qui traversent l’histoire des technologies à l’École, également structurée autour de deux logiques essentielles et continûment observées : une logique d’équipement et une logique de formation.

65 Sur Eduscol, en complément de la présentation de Direction du numérique éducatif, nous pouvons aussi lire « le ministère change avec le numérique. ».

66 Pour illustration de cette tendance performative des écrits officiels, voir l’introduction du rapport de la mission Fourgous 2, février 2012 : « À la suite de mon premier rapport « Réussir l’école numérique », une réelle prise de conscience de la nécessité d’accélérer la modernisation de l’École s’est produite. Les acteurs éducatifs ont compris les enjeux sociétaux, économiques et technologiques. Les pouvoirs publics se sont mobilisés (et se mobilisent) et l’équipement des écoles et établissements scolaires s’est amélioré. L’opération École numérique rurale (ENR), engagée par le gouvernement, a permis d’améliorer fortement l’équipement des écoles rurales et ainsi de lutter contre les inégalités territoriales. Le plan de développement des usages du numérique à l’École, lancé fin 2010 avec la mise en place des « chèques ressources », a permis de favoriser l’utilisation des outils technologiques... ».

67 Voir la présentation du 40ème colloque national organisé par l’Association française des acteurs de l'éducation (AFAE), à Lyon en mars 2018, nommé « Politique(s) de l’éducation : des idéologies au

pragmatisme ? ». Disponible en ligne :

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