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- Ce qu’en disent les élèves

Tous les grands plans d’équipement, que l’équipement attribué aux élèves soit individuel ou collectif29, ont pour objectif principal et affiché l’amélioration des performances des élèves et plus particulièrement des plus faibles. Or, les bilans d’expérimentations laissent entrevoir que les inégalités scolaires et les différences de niveaux de réussite restent au mieux constantes et au pire s’aggravent, avec des écarts qui se creusent entre les meilleurs élèves et les plus faibles. A la fin d’une des premières expérimentations conduites à la fin des années 1990 dans un collège rural, il est constaté que les bons élèves, motivés et investis dans le travail scolaire profitent des outils mis à leur disposition pour améliorer leurs performances ; les élèves moyennement investis et motivés font également des progrès mais les élèves les moins intéressés par la tâche

28 Reuter, 2011, Rapport sur les Expérimentations liées à l’article 34 de la Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005. Disponible en ligne :

http://www.hce.education.fr/gallery_files/site/21/117.pdf, [consultation octobre 2017].

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scolaire ne tirent aucun profit des outils technologiques mis à disposition30. Le compte-rendu de cette opération « De la maison au collège » souligne ainsi que « l’amélioration

des performances scolaires est fonction de la motivation pour le travail scolaire et de la curiosité. Les élèves motivés et curieux posent des questions, demandent de l’aide, font des recherches et améliorent nettement leurs performances scolaires. Les élèves moyennement motivés ont aussi fait des progrès sensibles. Par contre, les élèves non motivés par le travail scolaire n’ont pas amélioré leurs performances. Les élèves ont à leur disposition un outil mais ils ne peuvent en tirer profit pour leurs résultats scolaires que s’ils ont envie d’améliorer ces derniers. ».

Les relations entre performance scolaire et motivation des élèves sont désormais bien documentées mais la motivation demeure complexe à appréhender et à mesurer puisqu’il existe différentes formes de motivation, extrinsèque ou intrinsèque (Amadieu & Tricot, 2014). Il est d’autre part prouvé que les technologies peuvent améliorer les performances scolaires sans pour autant améliorer la motivation ou inversement : « des tâches d’apprentissage avec des technologies peuvent améliorer les performances d’apprentissage sans pour autant améliorer la motivation des apprenants, mais encore une fois il n’est pas toujours facile de savoir de quelle motivation il est question. »31. En outre, la motivation et la performance scolaire peuvent être perçues par les apprenants eux-mêmes comme étant améliorées sans que la réalité de cette appréciation ne soit scientifiquement prouvée, au moyen de méthodes rigoureuses et standardisées : « une

étude conduite en 2011 (Ferrer, Belvis et Pamies) menée auprès d’élèves de 10-11 ans indique que les tablettes utilisées en classe et à la maison permettraient de réduire certaines inégalités entre élèves. Ceux qui sont en difficulté scolaire jugent que les tablettes contribuent à une amélioration de leur niveau scolaire mais il est important de noter que ces premiers résultats restent critiquables et présentent plusieurs limites. »

(Amadieu & Tricot, op. cit.).

L’expérimentation « De la maison au collège » a également mis en évidence le fait que certains élèves ressentent l’objet mis à leur disposition comme « une obligation

à travailler », avec pour conséquence de les éloigner de l’objet : soit ils le délaissent et

30 Bilan de l’opération « De la maison au collège » conduite en 1998 dans un collège de la Vienne. Disponible en ligne : http://ww2.ac-poitiers.fr/meip/IMG/pdf/V31ABrou.pdf, [consultation novembre 2014].

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s’en désintéressent, soit ils mettent en place des stratégies d’évitement ou de détournement. Les défaillances techniques ou les oublis de matériel sont utilisés comme justifications, a posteriori, de cet évitement. Le détournement-contournement de la contrainte scolaire se manifeste par une utilisation au domicile différente de celle initialement prévue : les élèves se servent de l’objet pour jouer et communiquer plutôt que pour travailler. Ce détournement ludique est fréquemment observé dans d’autres expérimentations32 et constitue l’une des principales raisons de remise en cause des équipements massifs et systématiques. Outre le fait que le faible usage scolaire ne parvient pas à justifier de coûteux financements, d’autres limites sont mises en évidence : certaines familles se retrouvent très richement dotées lorsque l’équipement par la collectivité vient doubler un équipement personnel déjà existant, ce qui renforce dès lors les inégalités préexistantes. L’efficacité pédagogique du dispositif d’équipement et le retour sur l’investissement financier collectif sont dès lors jugés insuffisants. Les doutes importants relatifs à l’intérêt d’un équipement massif conduisent ainsi à préconiser des évolutions des dispositifs initiaux. Pour exemple, suite à un audit réalisé en janvier 2014 à propos de l’opération Ordina13, il est recommandé de cibler davantage les équipements (zones d’éducation prioritaires, familles non équipées et amélioration des équipements des collèges) et d’abandonner le principe de généralisation systématique des équipements, au profit d’une démarche là encore plus

« ciblée, basée sur l’expérimentation puis la diffusion progressive après évaluation. »33.

Il convient ici de souligner, que malgré ces constats récurrents, les préconisations rédigées dans ces rapports d’évaluation, ne sont pas mises en œuvre lors des expérimentations suivantes. Bien que les évaluations soient valorisées dans le processus d’expérimentation - les bilans devant servir à identifier les « bonnes pratiques » comme à corriger les erreurs d’appréciation - la lecture attentive des comptes-rendus de projets expérimentaux nous a permis de constater que les

32 Voir le rapport complet de l’opération Ordina13, réalisé par Laure Ciosi, chargée d’études et de recherches à Transverscité, association d’études et de recherches interdisciplinaires en milieu urbain, Evaluation des usages pédagogiques et valorisation du dispositif Ordina 13, 2009. Disponible en ligne :

http://www.transverscite.org/IMG/pdf/rapport_final_transverscite_evaluation_du_dispositif_ordina13.pdf , [consultation décembre 2017].

33 En 2014, un cabinet d’audit mandaté par le conseil général des Bouches-du-Rhône pour évaluer l’opération Ordina13 aboutit au même constat d’absence de consensus sur l’impact du don d’ordinateurs sur les performances scolaires : études trop peu nombreuses, problèmes de nature méthodologique et résultats contradictoires. Disponible en ligne : http://www.provenceducation.com/?p=24508, [consultation novembre 2014, lien inactif en décembre 2017 lors de nouvelle consultation].

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conclusions ne sont pas prises en compte. L’analyse des expérimentations et des bilans d’évaluation successifs nous permet d’observer de manière constante que :

- l’action précède la réflexion ;

- l’investissement financier précède l’engagement des acteurs ;

- et la généralisation précède la mise en place partielle et progressive des équipements.

- Ce qu’en disent les enseignants

Les retours d’expérimentations démontrent que l’effet motivation et investissement des enseignants est, comme pour les élèves, difficilement évaluable et surtout déjà préalablement réparti : les enseignants déjà intéressés par l’intégration des objets technologiques dans leurs pratiques professionnelles s’efforcent de prendre en main l’objet ; les autres demeurent dans un relatif statu quo, sans évolutions significatives dans leur manière d’enseigner ou de concevoir l’activité en classe34. En 2008, la Sofrès établit un bilan mitigé du plan « Un collégien, un ordinateur portable » mené en 2001 dans les Landes et souligne notamment que si les enseignants sont attachés à cette opération innovante, seule une minorité en profite pour se renouveler35. Peu d’enseignants d’autre part donnent des devoirs scolaires à réaliser avec le matériel mis à disposition, ce qui a pour possible conséquence le renforcement - involontaire - du désinvestissement scolaire des élèves pour les objets dont ils sont dotés36.

Un « effet discipline » est également fréquemment observé : les enseignants de certaines disciplines scolaires (mathématiques, technologie, physique-chimie, sciences de la vie et de la terre, éducation musicale) investissent davantage les objets technologiques que ceux d’autres disciplines (lettres, langues)37. De manière globale, en

34 Nous parlons de « relatif statu quo » car toutes les enquêtes d’usages, notamment les enquêtes PROFETIC, montrent une augmentation nette des usages professionnels des outils technologiques. Toutefois, malgré cette progression des pratiques, la grande majorité des enseignants utilise la technologie à des fins professionnelles personnelles (c’est à dire par exemple pour préparer les cours) et un tout petit pourcentage l’utilise régulièrement en classe.

35 Cette information est mentionnée dans le Rapport de l’IGEN, paru en 2011 et traitant de l’évaluation du plan Ordicollège en Corrèze ; cette évaluation est l’occasion pour les rédacteurs du rapport, de revenir sur les expérimentations antérieures.

36 Voir l’audit réalisé autour de l’opération Ordina13.

37 DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), 2015, Le numérique au service de l'apprentissage des élèves : premières observations du dispositif "Collèges connectés".

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dehors de nettes différences d’engagement selon les matières enseignées, l’ensemble des bilans montre qu’il faut du temps pour que les enseignants se saisissent des outils (rapport Ordicollège, 2011).

Cette question du temps est primordiale dans le contexte des pratiques pédagogiques instrumentées (et plus généralement dans le contexte des usages) : il faut un temps long pour que l’ensemble des enseignants s’approprient les objets mais il est également constaté que ceux qui utilisent la technologie en classe - quelle que soit leur discipline d’enseignement - consacrent un temps important à la préparation de l’activité instrumentée : « d’une manière générale et quelle que soit la discipline, un important travail de préparation a été effectué par le professeur. » (Rapport Ordicollège, 2011).

Si le temps de préparation est rallongé, il apparaît aussi qu’un enseignant sur deux juge que leur travail de surveillance des élèves est alourdi, du fait de la tendance des élèves à détourner les matériels mis à disposition, à des fins ludiques plutôt que scolaires (Sofrès, 2008). Un travail alourdi et rallongé, associé à la lenteur avérée du processus d’appropriation comparativement à la rapidité de changement des matériels, créent ainsi un choc de temporalités : « il est clair que la grande majorité des enseignants d’une

part ne recourt que rarement aux ordinateurs portables affirmant préférer se servir des postes fixes plus fiables, et d’autre part n’utilise presque pas la tablette numérique, voire pour certains la rejettent. Outre le fait que le dernier équipement est très récent, plusieurs raisons peuvent en expliquer la sous-utilisation : la méconnaissance des ressources installées dans les machines […] et enfin le changement rapide des matériels qui oblige les enseignants, à peine se sont-ils adaptés à un mode de fonctionnement, à modifier pratique et supports pour utiliser un autre type d’appareil. »

(Rapport Ordicollège).

S’entrechoquent également les attentes des enseignants et les pratiques réelles des élèves, « générant un malentendu jamais clairement explicité » qui explique en partie la faible utilisation des matériels et entrave le développement des ordinateurs au service des apprentissages : « la présence des ordinateurs portables dans l’environnement scolaire induit donc un malentendu, jamais clairement explicité entre

les types d’utilisation envisagés par les professeurs et par les élèves. Lever ce

Disponible en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid85556/le-numerique-au-service-de-l-apprentissage-des-eleves-premieres-observations-du-dispositif-colleges-connectes.html, [consultation février 2015].

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malentendu est une condition nécessaire au développement de l’usage de l’ordinateur au service des apprentissages. » (Rapport Ordicollège).

Les bilans relèvent aussi l’effet particulièrement négatif des dysfonctionnements matériels, logiciels ou logistiques : pannes à répétition, cohabitation de plusieurs technologies, enseignants équipés plusieurs mois après leurs élèves, tels sont les problèmes cités en écho dans divers comptes-rendus.

- Ce qu’en disent les familles

La totalité des plans massifs d’équipement individuel et collectif vise la réduction de la fracture numérique, la compensation des inégalités familiales ou territoriales et l’adaptation de l’École au monde moderne38.

Les parents d’élèves, quant à eux, attendent de ces dotations en matériel, l’amélioration des performances scolaires de leurs enfants et une réduction du poids des cartables. Or il est constaté que les élèves transportent leur tablette ou ordinateur en plus de leurs cahiers et de leurs manuels scolaires, ce qui augmente encore le poids des cartables, à défaut de l’alléger comme espéré. Pour contourner cet effet indésirable et non anticipé initialement, certains établissements en viennent à rédiger des chartes d’utilisation qui stipulent que les collégiens ne doivent emmener leur tablette au collège que sur demande explicite d’un professeur et quand il est prévu que la tablette soit utilisée (plan Ordi 60). Mais comme le montrent les bilans recensés dans l’un des rapports (Ordicollège, 2011), les matériels sont peu utilisés pour de multiples raisons et la légèreté des objets n’augmente pas les utilisations (les tablettes remplaçant

38 Pour exemple, voir notamment le plan Ordina 13 (2003) conduit par le conseil général des Bouches-du- Rhône, qui prévoit un plan d’équipement qualifié « de complet et ambitieux et qui dépasse le seul équipement des élèves ». Au moment du lancement de ce plan d’envergure, le sénateur et président du conseil général des Bouches-du-Rhône souligne que « l’adaptation au monde d’aujourd’hui et égalité des chances face à cette évolution, est le double objectif que poursuit le Département en lançant cette initiative. Toutes les familles des collégiens ne disposent pas des ressources suffisantes leur permettant d’accéder à l’informatique et aux moyens de communication qui lui sont liés, puisque seuls 40% des foyers français disposent aujourd’hui d’un ordinateur à domicile. Le conseil général des Bouches du Rhône a décidé ne pas ignorer cette réalité, d’autant plus présente dans une société où l’ordinateur est devenu un outil de travail quotidien et où l’utilisation des technologies de l’information et de la communication est fortement répandue », in Education et devenir. Disponible en ligne :

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progressivement les ordinateurs portables dans plusieurs expérimentations : Ordicollège en Corrèze, Ordi 35, Ordi 6039).

L’explication la plus plausible est sans doute à chercher dans les limitations multiples et volontaires qui encadrent l’utilisation de ces objets dans le cadre scolaire. Les ordinateurs ou tablettes sont partout interdits d’utilisation dans la cour ou dans les couloirs et, dans les deux tiers des établissements observés, l’utilisation en salle d’étude est également interdite ; si elle est permise, c’est sous contrôle étroit des surveillants et à condition d’un travail donné par les enseignants (charte élève de l’opération Ordi 60, département de l’Oise)40. Les contraintes posées pour un usage hors la classe, cumulées à la faible utilisation des matériels pendant le temps de classe, réduisent ainsi considérablement les occasions d’utiliser ces matériels à l’école. Ainsi, parce que les équipements sont peu utilisés et qu’ils viennent inutilement s’ajouter aux matériels « traditionnels » plus utilisés, des réglementations internes incitent à laisser les nouveaux matériels à domicile, ce qui ne peut évidemment pas avoir pour effet d’augmenter les utilisations en classe…

Par ailleurs, constatant le détournement ludique que leurs enfants opèrent, les parents s’inquiètent des nouvelles responsabilités de contrôle parental qui leur incombent à domicile : ils doivent désormais aussi surveiller les temps de connexion et les consultations en ligne, contraintes ressenties d’autant plus fortement quand les matériels n’ont pas été librement choisis par les parents mais ont été « imposés » par l’institution scolaire41.

39 Initié en 2004, le plan Ordi 35 évolue à partir de 2010-2011 : avec la montée de l’équipement personnel des familles, les ordinateurs distribués sont redéployés dans les établissements scolaires et en 2014 seuls les élèves boursiers de 6ème sont dotés d’un ordinateur portable. Voir sur le café pédagogique. Disponible

en ligne :

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2005/01/index070105_TerritoiresLIlleetVilainemetenro uteOrdi35_.aspx, [consultation novembre 2014]. Lancé par le conseil général de l’Oise en 2009 le plan Ordi 60 qui prévoyait de doter tous les élèves d’un ordinateur portable se transforme en dotation de tablettes tactiles à partir de 2013 où près de 11 000 tablettes sont remises aux classes de 6eme des 80 collèges publics et privés du département et s’achève en 2015. Disponible en ligne :

https://educavox.fr/toutes-les-breves/Ordi 60-saison-6-les-tablettes-dans-les-colleges-de-l-oise, http://www.leparisien.fr/espace-premium/oise-60/ordi-60-c-est-fini-11-07-2015-4935983.php, [nouvelle consultation février 2018].

40 Conseil général de l’Oise, 2014, Ordi 60 : guide utilisateur. Disponible en ligne :

http://simoneveil.clg.ac-amiens.fr/Files/Ordi 60_2014_guide_utilisateur.pdf, [consultation janvier 2015].

41 Rinaudo, Turban, Delalande & Ohana, 2008, Des ordinateurs portables, des collégiens, des professeurs, des parents : rapport de recherche sur le dispositif ordi 35 2005-2007, CREAD, Marsouin. Disponible en ligne : https://www.marsouin.org/IMG/pdf/ordi_35_RAPPORT.pdf, [consultation novembre 2014], p. 54-61.

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Dès lors, les parents interrogés regrettent à la fois la faible utilisation des matériels à des fins scolaires et les promesses non tenues d’allégement du poids des cartables42.

Enfin, un audit mandaté par les fédérations de parents d’élèves dix ans après l’opération Ordina13 (Bouches-du-Rhône, janvier 2014) précise que si l’équipement collectif des collèges est approuvé par la communauté éducative, il demeure très peu connu des parents.