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Filiations : quelle continuité avec l’écriture encyclopédique et les Bestiaires ?

savants et populaires

1. Filiations : quelle continuité avec l’écriture encyclopédique et les Bestiaires ?

Entre l’écriture encyclopédique et les livres de chasse, la complicité et plus encore la filiation sont évidentes, depuis l’Antiquité et les premiers traités cynégétiques de Xénophon, Arrian ou encore Oppien. Mais c’est au Moyen Âge que s’est opérée la synthèse entre la matière cynégétique et les apports de l’encyclopédisme. Armand Strubel, dans La poétique de

la chasse, souligne ainsi le rôle de l’Espagne wisigothique ainsi que de la France du XIIIe

siècle dans ce processus de maturation618 : d’Isidore de Séville à Jean Corbechon, en passant par Vincent de Beauvais et Thomas de Cantimpré, les « interférences619 » entre l’écriture cynégétique et l’écriture encyclopédique sont effectivement une constante620 et doivent donc être pris en compte dans le cadre d’une réflexion portant sur la perception du sauvage dans les livres de chasse.

Ainsi, de nombreuses natures du loup, caractéristiques des Bestiaires et des encyclopédies des XIIe et XIIIe siècles, réapparaissent dans les livres de chasse du siècle suivant, où le loup incarne toujours la férocité, « la violence et la sauvagerie, le mal sous son aspect brutal621 ». Dans le chapitre X du Livre de chasse de Gaston Phébus, l’on retrouve un certain nombre de traits traditionnellement associés au loup, tels que sa malice, sa fausseté caractéristique ou plus généralement sa « mauvaise nature622 » ; la mention des chaleurs de la louve est reprise, de même que la morsure prétendument venimeuse du fauve, ainsi que sa propension à l’anthropophagie. L’on retrouve également, toujours chez Gaston Phébus, le lien entre le loup et la rage opéré par Isidore de Séville, la concentration sur l’avant de la force physique de l’animal, ainsi que l’habitude qu’on lui attribue de chasser loin de ses petits.

Dans le chapitre 78 du Le livre des deduis du Roy Modus, où la Reine Ratio prend en charge l’exposé des « propriétés du leu pour faire essample », celui-ci est présenté comme le mauvais berger, avatar du faux prophète hérité du Physiologus :

La condicion du leu et propriété est que de sa nature il destruit les brebis. Je entent par ches leurs cheus qui ont les biens de sainte eglise, qui ont la cure des ames, qui deusent estre pastours et ils sont leus.

[HENRI DE FERRIERES, Le Livre des deduis, chapitre 78 p. 150623.]

618 Ibid, p. 45-46.

619 Ibid, p. 46 : « Les interférences entre littérature cynégétique et encyclopédisme naturaliste resteront constantes », du XIIIe au XIVe siècle.

620 L’on notera d’ailleurs l’influence exercée par Le livre dou Trésor de Brunetto Latini sur le Livre de chasse de Gaston Phébus. Cf. TUCOO-CHALA P., « L’art de la pédagogie dans le Livre de chasse de Gaston Fébus », dans

La chasse au Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 1980, p. 19.

621 Ibid, p. 84.

622 GASTON PHEBUS, Le livre de chasse…op. cit., p. 99.

623 HENRI DE FERRIERES, Les Livres du roy Modus et de la royne Ratio, éd. G. Tilander, Paris, Société des anciens textes français, 1932, vol. 1.

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Dans la lignée des Bestiaires, l’exposé de la nature est immédiatement suivi d’une glose (« Je entent par ches ») : en effet, Le Livre des deduis doit beaucoup plus à ce genre littéraire que le Livre de chasse de Gaston Phébus, allant même jusqu’à se présenter comme un « Bestiaire éclaté624 » dans lequel se trouvent disséminés les propos techniques de Modus et les interprétations moralisantes de la Ratio.

En effet, dans les livres de chasse comme dans la tradition des bestiaires et des encyclopédies, tout est affaire d’ordenance, d’organisation des savoirs pour mieux en transmettre la matière. Le terme est d’ailleurs récurrent dans Le Livre des deduis et ce dès le préambule en vers, où il est question des « ordenances de Modus » (v. 108) et du livre comme travail d’ordenance (« Il [Modus] ordena tous les deduis » v. 109). Le verbe est d’ailleurs répété jusque dans la dernière strophe de ce prologue versifié : « Que Modus avoit ordené » (v. 150). Précisons également que le second chapitre du livre est entièrement consacré à présenter « la matière de quoi cest livres est fait », fonctionnant ainsi comme une table des matières, intégralement reproduite dans le manuscrit français 12399 de la BNF.

Ce souci de l’agencement de la matière, entre guide pratique et guide spirituel, livre de chasse et de morale, constitue un héritage à la fois de la structure binaire voire dualiste des Bestiaires, mais aussi de l’écriture encyclopédique, caractérisée par le souci constant d’apprivoiser une matière foisonnante pour la rendre lisible. D’ailleurs, le fantasme encyclopédiste d’une écriture totalisante a hanté les auteurs de livres de chasse au XIVe siècle, eux qui considéraient l’exhaustivité comme « condition de la perfection technique625 ». Dans ces conditions, l’on comprend qu’ils furent eux aussi tentés de « recenser la totalité et la multiplicité626 » des connaissances disponibles à une époque donnée. Ainsi le Livre des

Deduis repose-t-il sur une forte structure signifiante, basée sur l’opposition fondamentale

entre les cinq bestes rouges ou douces (cerf, biche, daim, chevreuil, lièvre) et les cinq bestes

noires ou puantes (sanglier, truie, loup, goupil, loutre), mais aussi sur la façon dont elles

peuvent être prises par le veneur. Après quoi, l’on traite de fauconnerie avant l’entrée en texte du Songe de Pestilence, sorte de psychomachie édifiante mais tout à fait dans l’air du temps, en cette époque de crise des valeurs martiales liées à la féodalité627. La répartition de la parole

624 STRUBEL A. « La chasse à senefiance : Henri de Ferrières et la moralisation du traité cynégétique », dans La

chasse au Moyen Âge : sociétés, traités, symboles, éd. A. Paravicini Bagliani et B. Van den Abeele, Turnhout,

Brepols (coll. « Micrologus’ library 5 »), 2000, p. 222.

625 STRUBEL A. et DE SAULNIER C., La poétique de la chasse…op. cit., p. 18.

626 Ibid., p. 18.

627 « Si est toute chevalerie / Destruite, perdue et honnie », rappelle l’auteur aux v. 27-8 de son préambule en vers.

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entre Modus et Ratio, mais aussi entre savoir pratique et allégorique, se fait ainsi en fonction de la dichotomie affichée entre bestes rouges et bestes noires, autour de laquelle se constitue toute une organisation symbolique de la matière cynégétique autour des nombres. En effet, les dix bêtes présentées, cinq rouges et cinq noires, forment une tetraktys à laquelle correspondent sept628 façons de les chasser629.

Dans le Livre de chasse de Gaston Phébus, on retrouve la même dichotomie et le même souci d’organiser le savoir et de s’expliquer à ce propos. Dès le prologue, l’auteur prévient qu’il parlera d’abord des bêtes douces, qu’il énumère avant de lister les bêtes fauves qu’il a choisi de présenter. Le second livre est quant à lui consacré aux chiens de chasse, avant que les troisième et quatrième ne reviennent plus en détails sur les techniques de chasse et de piégeage : dans cette partie, l’ordre des gibiers présentés dans le premier livre est repris de façon symétrique. Du point de vue microstructural, les notices elles-mêmes obéissent à une organisation plus ou moins cohérente, la présentation du loup commençant par un long développement sur ses amours avant qu’il ne soit logiquement question du traitement de la progéniture. Puis l’auteur s’attarde sur le régime alimentaire et les modes de prédation du loup, avant que la notice ne s’achève sur un paragraphe hétérogène regroupant des considérations sur les rapports entre l’homme et le loup, voire chien et le loup, pour finir sur la question de l’utilité du loup mort (pharmacopée et vêtements)630.

Cette attention quasi maniaque à la hiérarchisation de la matière cynégétique s’intègre toutefois dans un souci plus général de clarté didactique, dont le corrélat n’est autre que l’importance affichée du langage et des noms : dans la lignée d’Isidore de Séville d’ailleurs, le comte de Foix se laisse d’ailleurs aller à quelque étymologie fantaisiste lorsqu’il évoque les loups-garous, qu’il confond avec les loups anthropophages :

Il y en a d’aucuns qui menjuent les enfanz et aucunne foiz les hommes […] Et ceulx apelle l’en lous garouls, quar on s’en doit garder.

[GASTON PHEBUS, Le livre de chasse, chapitre X p. 96.]

Incarnée par les figures de Modus et Ratio dans Le livre des deduis, la dialectique entre parole et action est en réalité au cœur des enjeux liés à l’écriture cynégétique. À ce titre, le vocabulaire de la chasse, qui constitue presque une langue en soi631, occupe une place

628 Chiffre sacré de la perfection et de l’aboutissement.

629 D’ailleurs, il n’est peut-être pas anodin qu’ enri de Ferrières choisisse de présenter ensuite non pas sept mais huit types de pièges, comme pour signifier que cette chasse n’est pas digne du chiffre de la perfection.

630 STRUBEL A. et DE SAULNIER C., La poétique de la chasse…op. cit., p. 72.

631 En effet, Gaston Phébus n’hésite pas à expliquer à son lecteur les mots difficiles faisant partie de ce vocabulaire, comme s’il s’agissait là de se familiariser avec une véritable langue étrangère. Par exemple au chapitre XL : « le sousgorgon, c’est une char qui est depuis le bout de la hampe par-dessus la gorge jusqu’au

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essentielle dans les livres de chasse, non seulement de par sa variété et sa richesse mais aussi du fait de la sacralisation du mot juste chez le veneur écrivain. Ainsi le premier chapitre du

Livre des deduis est-il consacré à la question de savoir « comment l’en doit parler de

venerie632 », laquelle semble tenir une place centrale dans le « mestier de venerie » :

parole bien prononchiee procede de science, especiaument puis que la manière des parolles sont ordenees selon le mestier de venerie

[HENRI DE FERRIERES, Le Livre des deduis, chapitre 4 p. 15.]

En effet, l’initiation de l’aprentis passe avant tout par la maîtrise du vocabulaire lié non pas tant à l’activité cynégétique qu’aux mœurs des animaux, dont il s’agit de connaître toutes les subtilités de langage. Ainsi se trouvent listées toutes les façons de décrire l’alimentation du gibier, selon les espèces :

Aucuns dient que il pessent, les autres que il menguent, les autres que il pasturent, les autres que il viandent, les autres que il broutent ;

[HENRI DE FERRIERES, Le Livre des deduis, chapitre 4 p. 15-6.]

Modus procède de cette façon aussi pour les différentes manières de parler des excréments des animaux, entre espreintes de loutre, fumees de cerf et crotes de lapin633. Puis il en fait de même avec les pieds des différents gibiers, leur pelage ainsi que les diverses manières de qualifier la tête des animaux chassés :

Quant est a deviser les testes, l’une est appelee teste rengiee, l’autre est appelee teste bien nee et bien trochiee, l’autre est dite teste contrefaite

[HENRI DE FERRIERES, Le Livre des deduis, chapitre 4 p. 17.]

Modus répond de façon précise et systématique à la question posée dans la rubrique, faisant ainsi une « véritable fixation sur la propriété du langage634 », comme pour éloigner le spectre de la confusion : celui-ci semble ainsi s’imposer comme le péché capital du veneur qui ne respecterait pas l’ordenance des mots selon Modus : « se la parole n’estoit par moi

ordenee, ce seroit confusion a celui qui la diroit635 ». Le chapitre se clôt d’ailleurs sur une ultime recommandation, signe que l’apprentissage de la langue cynégétique accompagnera l’aprentis tout au long de sa formation comme un jalon essentiel :

Et sachiés que il y a molt d’autres paroles qui seront dites cha après selon le mestier de venerie, qu’i te fait apprendre et retenir, ou tu aroies confusion de ceulz du mestier.

[HENRI DE FERRIERES, Le Livre des deduis, chapitre 4 p. 17.]

gouetron ». Pour plus de précisions, cf. TUCOO-CHALA P., « L’art de la pédagogie dans le Livre de chasse… op.

cit., p. 27.

632 HENRI DE FERRIERES, Les Livres du roy Modus et de la royne Ratio…op. cit., vol. 1, p. 14.

633 Ibid., chapitre 4 p. 16.

634 STRUBEL A. et DE SAULNIER C., La poétique de la chasse…op. cit., p.74.

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La menace de la confusion, qui semble planer au-dessus de chaque veneur comme une épée de Damoclès, serait-elle le corrélat d’un possible ensauvagement du veneur au contact de son gibier ? L’on sait combien les motifs de chasse inversée sont importants dans l’imaginaire médiéval, de l’animal guide issu de la matière celtique au gibier devenant chasseur dans la littérature satirique ou dans les marges à drôleries de certains manuscrits636. Dans cette perspective, la richesse de la langue cynégétique et l’habileté du veneur à la manier constitue quelque chose comme un rempart contre la sauvagerie : le raffinement de la langue viedrait-il au secours du chasseur menacé de retomber dans l’animalité, au contact du sauvage ? Toujours est-il que

reconnaître, c’est savoir nommer, et avant de passer à l’action brutale de la poursuite […], c’est un travail d’exégèse et de nomenclature qui désigne le veneur expert637.

Montaigne disait que « nous tenons les uns aux autres que par la parole638 », ce qui ne manque pas de pertinence ici, au-delà même de la perspective isidorienne en vertu de laquelle la variété du vocabulaire vient coller au plus près de celle de la réalité des choses. En effet, la chasse étant avant toute chose une activité collective, la communication reste un élément essentiel que le veneur ne doit pas négliger, au risque de sombrer voire de faire sombrer la communauté dans une sauvage confusion, comme il est dit en conclusion du chapitre quatre du Livre des deduis.

Dans cette perspective, le veneur écrivain veille toujours à faire usage d’un vocabulaire approprié, quitte à générer des leitmotivs destinés à s’imprimer dans l’esprit du lecteur ou de l’aprentis : ainsi le loup est-il systématiquement « malicieux » (« un loup est si malicieux », « il est bien si malicieux639 ») et « cauteleux » (« sont si cauteleus640 »), suivant une nomenclature proche du système de représentations en place déjà dans la tradition des Bestiaires.

Dans son traitement même de la matière sauvage, dans son attachement au langage et à l’idée du mot juste, l’écriture cynégétique est donc largement tributaire de la tradition encyclopédique : contre la menace de la confusion comme une forme de sauvagerie menaçante, aussi bien que par souci de communication, s’exprime un souci de l’autre qui est

636 FISCH-HARTLEY A., « La chasse inversée dans les marges à drôleries des manuscrits gothiques », dans La

chasse au Moyen Âge : sociétés, traités, symboles…op. cit., p. 111-128.

637 STRUBEL A. et DE SAULNIER C., La poétique de la chasse…op. cit., p.74.

638 MONTAIGNE, Essais, Livre I, « Des menteurs ».

639 GASTON PHEBUS, Le livre de chasse…op. cit., chapitre 55 p. 238.

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aussi le lecteur, sans cesse interpellé voire mis en scène dans une fiction dialogique au sein du

Livre des Deduis, où chaque paragraphe commence par la question d’un apprenti à laquelle

Modus s’attache à répondre comme un maître d’école. Gaston Phébus se place également en position de magister dès le prologue du Livre de Chasse, ce qui transparaît dans la miniature figurant au folio 13 du manuscrit BNF français 616, où l’on voit le comte de Foix entouré de ses disciples641 :

Figure 33 : Gaston Phébus et veneurs Gaston Phébus, Livre de la Chasse BNF, fr. 616 (Paris, XVe s.), fol. 13.

Entre topos d’humilité et mise en scène de soi, cette miniature rompt délibérément avec l’iconographie traditionnelle des prologues, où l’on voit plus souvent l’auteur remettre docilement son livre à son commanditaire. Ici, Jean sans Peur, dont on pense raisonnablement qu’il commanda le manuscrit 616, s’efface derrière l’horizon d’attente d’un livre destiné non pas tant à orner la bibliothèque d’un prince qu’à servir de véritable manuel pratique à quelques veneurs fortunés.

Au-delà des convenances et des politesses, « autorité, efficacité, exactitude642 » sont donc les maîtres mots de l’écriture cynégétique qui, pour satisfaire à ses exigences et contenir toujours mieux la sauvagerie débordante qui pourrait bien l’atteindre, doit sans cesse se renouveler et repenser l’écriture des savoirs.

641 Sur ce thème, cf. STRUBEL A., « Ecrire la chasse : le prologue du Livre de chasse de Gaston Febus », dans Le

Moyen Âge, 95, 1989, p. 491-502.

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2. Renouvellements

Des traités cynégétiques aux livres de chasse du XIVe siècle, « ce qui change, c’est l’esprit643 » ; un esprit nourri de la langue vernaculaire, d’ornementations littéraires voire de la mise en vers d’un propos qui pourtant se veut de plus en plus empirique :

Les livres de chasse renouvellent radicalement le regard porté sur la nature : exactitude documentaire, expérience et observation, étude des mœurs, précision concrète des méthodes de pistage, de dressage, de capture, de fabrication d’instruments ou de soins des maladies, tout cela traduit une évolution de la pensée dont averroïsme et ockhamisme seraient le volet spéculatif.

[STRUBEL A. et DE SAULNIER C., La poétique de la chasse, p. 9.]

Le XIVe siècle a d’ailleurs vu se développer d’une façon remarquable la littérature pratique et scientifique, décomplexée vis-à-vis de l’autorité livresque dont elle continue certes à faire son miel, mais un miel « mille fleurs » issu d’un savoir plus concret et souvent plus précis. Ainsi le Livre de chasse de Gaston Phébus est-il le fruit d’un « dosage subtil d’apports personnels et de savoir livresque644 » : certes, l’animal sauvage n’y est pas toujours décrit de façon systématique comme dans un manuel moderne d’histoire naturelle, et la majorité des chapitres consacrés aux animaux chassés commencent par le refrain

est assez commune beste, si ne me convient ja dire de sa faisson, quar pou de genz sont qui bien n’en aient ve 645

[GASTON PHEBUS, Le livre de chasse, chapitre 10 p. 92.]

Gaston Phébus récupère ainsi les natures traditionnellement attachées aux animaux pour les compléter, en précisant par exemple que les chaleurs de la louve ne durent pas forcément douze jours comme on l’a tant lu, mais entre dix et douze jours. Quant au motif traditionnel des mâles suivant la louve, l’auteur de Livre de chasse complète le propos en expliquant que ce manège dure précisément entre six et huit jours. Par ailleurs, le veneur écrivain s’intéresse à des caractères de l’animal sauvage qui n’avaient auparavant retenu ni l’attention des auteurs de bestiaires ni celle des encyclopédistes. Ainsi en est-il du passage, chez le loup, des dents de lait aux dents définitives ; de même au sujet de l’expulsion des jeunes après leur première année passée dans leur meute natale. Il est également précisé que la gestation dure neuf semaines, ce que l’on ne retrouve dans aucun bestiaire, sans compter que Gaston Phébus s’attarde volontiers sur des traits méconnus du loup, tels que sa sociabilité

643 Ibid., p. 50.

644 Ibid., p. 88.

645 Remarquons toutefois que les « estranges bestes » telles que le renne, le daim et le bouquetin font quant à elles l’objet d’une description précise et méthodique, nourrie de comparaisons avec des animaux mieux connus du public visé par Gaston Phébus.

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caractéristique ou son attitude à l’égard des chiens ou des pièges. Cette attention nouvelle à ce qui ressemble à de l’éthologie manifeste une volonté de regarder, donc de décrire l’animal autrement, afin de le considérer pour lui-même ou du moins comme un « objet concret646 ». La violente diatribe dirigée contre l’imagination, laquelle trouve sa place au cœur du prologue du Livre de chasse, ne s’inscrit-elle d’ailleurs pas dans cette perspective de rénovation du système de perception-représentation de l’animal sauvage ?

En effet, Gaston Phébus prend nettement ses distances avec la tradition, notamment dans sa notice consacrée au loup où « le savoir n’est pas rejeté, mais justifié par un raisonnement : on ne se contente pas du symbolisme647 ». L’auteur reprend par exemple l’idée bien connue selon laquelle la louve choisit toujours de s’accoupler avec le mâle le plus laid, tout en lui cherchant une justification plus naturelle :

Et c’est la vérité que la louve se prent au plus let et au plus mescheant. Pour ce qu’il a plus travaillé et plus jeuné que n’ont les autres, est il plus povre, plus

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