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Les voyageurs et leurs récits

Jérôme Dorival 95 rapporte que quelques visiteurs étrangers, qui ont publié le récit de leur voyage,

ont témoigné de musiques vues et entendues à Lyon. De passage en 1664, l'abbé Locatelli 96 rapporte

avoir vu et écouté un ensemble à cordes de 80 musiciens environ. J.-Fr. Uffenbach 97 étant à Lyon en

1715, raconte la tenue de concerts hebdomadaires réunissant 40 instrumentistes amateurs, pour la plupart commerçants, de qualité remarquable, et comptant dans leur effectif deux femmes gambistes. Aucun de ces voyageurs n'est venu à Grenoble.

On trouve quand même deux autres voyageurs venus en Dauphiné. Le premier, Étienne Clavière, avocat au Parlement de Paris, fit un voyage en Dauphiné en 1620 ; il consigna ses observations dans un livre intitulé Floridorum liber singularis, imprimé à Paris en 1621. Gustave Vellein en donne une traduction d'après un manuscrit de la bibliothèque de Grenoble 98. Jean Serroy indique qu'il y

témoigne de la vie brillante de la société. 99 :

On y trouve la vie élégante et opulente de nos Parisiens, que l'on considère les équipages des Grands ou leur brillant cortège et la longue série de leurs protégés.

Le second est Élie Brackenhoffer, jeune strasbourgeois, qui s'est offert un voyage en Suisse, France et Italie avant d'embrasser la carrière de magistrat. Il a tenu son journal de voyage, dont le centre d'intérêt portait sur les monuments. Allant de Genève à Lyon, il s'est arrêté à Chambéry, Grenoble et Vizille en 1643 : malheureusement en pleine épidémie de peste, comme il le déplore pour les contraintes de déplacement rencontrées à Vizille. Ces temps étaient-ils de ce fait peu propices aux plaisirs musicaux ? À Grenoble, il mentionne qu'il est descendu au logis Sainte-Barbe, auberge fréquentée par les Allemands, ce qui lui a coûté 6 francs ; il a visité le jardin de l'évêque, à un quart d'heure de la ville, et l'a trouvé magnifique 100. Jean Serroy nous dit de Brackenhoffer qu'il

est resté quelques semaines à Grenoble durant l'été 1643 et qu'il a écrit de Grenoble 101 :

qu'il s'y trouve beaucoup de noblesse, à cause de la cour du Parlement, et l'on peut y apprendre plus d'élégance et de poli- tesse qu'en aucune ville de France.

Louis-Antoine Caraccioli (1719-1803), grand voyageur en Europe et écrivain multiforme, laisse des récits de ses voyages. Quand il passe en Dauphiné au cours du second XVIIIe siècle, il

mentionne la région dans son chapitre « Du Dauphiné ». Bref chapitre, qui ne compte que 2 pages sur Grenoble, où l'auteur nous livre ses jugements sur les habitants 102 :

Grenoble est le séjour de la meilleure société (...) Si la dissipation n'avoit pas pris un ascendant sur les esprits, Grenoble seroit une des villes où l'on cultiveroit les sciences avec plus de succès.

Cette dissipation laisse imaginer l'observation d'un goût marqué pour des choses de l'esprit plus légères que celle des sciences, mais aucun élément concret, ni musical, ne vient étayer le propos.

Le célèbre Pierre Choderlos de Laclos est au 7e régiment d’artillerie de Toul en 1763, à Stras-

bourg de 1765 à 1769, à Grenoble de 1769 à 1775, puis à Besançon de 1775 à 1776. Ses éventuelles observations sur la musique sortiraient du cadre chronologique fixé.

95 Jérôme Dorival (dir.), Les concerts à Lyon au XVIIe siècle, publication de la journée d’études dirigée par Jérôme Dorival, qui s’est

déroulée le lundi 14 octobre 2002 au Musée Gadagne à Lyon, 93 p., Lyon, Musée Gadagne, 2004.

96 Sébastien Locatelli, Voyage de France : mœurs et coutumes françaises (1664-1665), préfacé et annoté par Alphonse Vautier, Paris, Alphonse Picard, 1905.

97 J.-Fr. Uffenbach, Tagebuch meiner Reise in Frankreich [Journal de mon voyage en France], 1715. Voyage en France. [T. Ier :] 1643-1644. [T. II :] 1644-1646. Traduit d'après le manuscrit du Musée historique de Strasbourg, par Henry Lehr. Nancy, Berger-Le- vrault, 1925-1927.

98 Gustave Vellein, Voyage d'Étienne Clavière en Dauphiné en 1620, Grenoble, Imprimerie Allier frères, 1911.

99 Jean Serroy, « La vie littéraire…, », op. cit.

100 Élie Brackenhoffer, Voyage en France 1643-1644. Traduit d'après le manuscrit du Musée historique de Strasbourg par Henry Lehr.

Paris, Berger-Levrault, 1925.

101 Jean Serroy, « La vie littéraire…, op. cit..

102 Louis-Antoine de Caraccioli, Voyage de la raison en Europe, Amsterdam et Paris : rue Serpente, 1788. (consulté le 15/10/2015)

Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81810c), p. 463-464.

Musiques et musiciens

Les célébrités locales auteurs de mémoires

Jean de Beins (1577-1653), enfant de Paris, devient militaire puis effectue l'essentiel de sa carrière d'ingénieur des fortifications et de cartographe royal dans l'espace alpin et particulièrement en Dauphiné. Le plus souvent sur les routes pour réaliser ses cartes, il a dû passer cependant quelque temps à Grenoble puisqu'il a dessiné les plans de la nouvelle enceinte de la ville : il a dû apercevoir sa vie sociale. Mais s'il a cartographié ses voyages de géographe, il n'a laissé ni récit de ses voyages, ni mémoires.

D'origine noble et dauphinoise, le diplomate Abel Servien (1593-1659), au temps de sa jeunesse, est élève à l'école du chapitre de Notre-Dame de Grenoble, puis effectue ses études à Vienne, Valence et enfin Orléans. Il passe à peine l'année 1617 comme membre du Parlement de Grenoble et quitte aussitôt la ville pour se fixer à Paris en 1618. Ses souvenirs de la vie dauphinoise n'auraient guère concerné que l'enfance ; de toute manière, il n'a pas laissé de mémoires. C'est du côté de son père Antoine qu'il serait plus intéressant d'approfondir les recherches. Antoine Servien (mort en 1621), seigneur de Biviers, élu consul de Grenoble le 2 janvier 1583, avocat consistorial au parle- ment du Dauphiné la même année, pourvu d'une charge de conseiller honoraire au parlement de Grenoble par lettre du 16 février 1603, pourrait-il avoir laissé quelque témoignage des musiques grenobloises ?

Que le sieur Bénédict-Louis de Pontis (1583-1670), petit noble mais grand soldat, soit remercié d'avoir laissé – enfin ! – des mémoires, publiés en 1676 103. Originaire de Pontis dans la Vallée de

l’Ubaye, il traverse Grenoble et le Dauphiné à plusieurs reprises, il est plusieurs fois en relation avec Lesdiguières puis Créquy, se trouve parfois en contact conflictuel avec des représentants du Parle- ment de Grenoble. Mais dans ses mémoires, il n'est point de place pour autre chose que ses faits d'armes, la défense de son honneur, ses démêlés avec les grands et ses efforts pour faire carrière. Ses moments de vie en société ou de simple repos du guerrier ne sont jamais évoqués et la musique n'ap- partient manifestement pas à son univers.

Il en va différemment pour un mousquetaire, que sa vie militaire errante a conduit à passer en Dauphiné, et qui a aussi laissé des mémoires. Le chevalier de Quincy (v. 1678-1749) était manifeste- ment bon musicien et ne craignait pas, au fil de ses étapes, de mettre en pratique ses talents musi- caux devant la bonne société locale, de préférence si elle était féminine.

Ses récits ont le double intérêt d'illustrer le niveau de pratique musicale, au chant ou à l'instru- ment, d'une partie de ce corps de militaires, et d'esquisser la vie sociale rencontrée dans les demeures qui accueillaient ces officiers, ou dans la vie de la Cour en campagne 104 :

–- 1699 –- Pendant notre séjour à Nemours, nous donnions de temps en temps des concerts aux dames ; souvent des seigneurs de la cour venoient exprès de Fontainebleau pour les entendre. Ce concert étoit parfaitement bien exécuté ; il étoit composé d'une quinzaine de mousquetaires : les uns chantoient, et les autres jouoient des instruments. J'avois fait en très peu de temps un si grand progrès dans la basse de viole, que j'étois des concertants, et que j'accompagnois toujours à côté du clavecin. (…)

–- à Troyes, le 18 mai 1701 –- Pendant le séjour que nous y fîmes, nous donnâmes un concert aux dames, où j'accompagnai de ma basse de viole, que je faisois porter sur mon petit équipage. Le comte d'Albaret et son cousin le chevalier Solari, Piémontois, étoient des acteurs, le premier du clavecin, dont il jouoit parfaitement bien, et le second du violon. Nous avions de belles voix dans la compagnie, entre autres De Jean, qui est mort étant maréchal de camp. (…)

–- août 1701, près de Liège –- Enfin, après plusieurs marches et plusieurs séjours, nous arrivâmes à Hotton, village du pays de Liège, à sept bonnes lieues de cette ville et à deux petites de Marche-en-Famine, où toute la Maison du Roi campa le long de la rivière de l'Ourthe, qui prend sa source près de Salm et qui va se jeter dans la Meuse au-dessus de Liège. Nous restâmes dans ce camp deux mois, dans une tranquillité parfaite. Deux fois la semaine, nous nous assemblions chez M. le marquis de…, qui commandoit la Maison du Roi ; nous y faisions des concerts, qui étoient composés de voix et de toutes sortes d'instruments. Les jours qu'il n'y avoit point de concert, nous allions nous promener dans les environs du camp, tantôt

103 Louis de Pontis, Mémoires (1676), édition critique par Andrée Villard, avec la totalité des modifications de 1678, Paris, Honoré

Champion, 2000.

104 Quincy (chevalier de), Mémoires du chevalier de Quincy, publiés par Léon Lecestre, tome premier : 1690-1703, Paris, Renouard,

1898, p 119, 129-130, 159, 189.

à Grenoble au XVIIe siècle à pied et tantôt à cheval. (…)

Or Quincy est passé par Grenoble et Vizille, puis il n'a noté – hélas ! – que ce qui suit :

–- avril 1702 –- Grenoble. — Le 5, à Grenoble, où nous séjournâmes le 6. Grenoble est la capitale du Dauphiné, située sur l'Isère; il y a un évêché, un parlement et une chambre des comptes ; elle a pris son nom de l'empereur Gratien. Les évêques prennent le titre de prince de Grenoble. La Grande-Chartreuse, chef de l'ordre, est à trois lieues de cette ville, aussi bien que la Fontaine-qui-Brûle.

Vizille. — Le 7, à Vizille, petite ville renommée par le séjour qu'y faisoit le connétable de Lesdiguières, où il fit bâtir un superbe palais, qui est abandonné aujourd'hui. Ce château étoit digne de ce grand homme, qui étoit comme le roi du Dauphiné. (…)

Pour ces deux cités, comme pour Turin où il passe le 19 avril, sans davantage parler de musique, il ne s'agit que d'étapes pour son déplacement d'alors vers l'Italie, et non de séjours laissant place aux divertissements musicaux.

Par chance, l'un des principaux responsables de la police de la cité et de l'organisation de ses fêtes civiques a laissé ses mémoires. L'aide-major de la milice de la ville de Grenoble, Antoine Le Clair, n'est pas une célébrité, mais un précieux et rare auteur local de mémoires 105. La musique est évoquée

dans son récit, les musiciens décrits pour quelques manifestations civiques, le chant collectif est parfois utilisé lors des conflits politico-religieux, et de précieux détails sont fournis, comme nous le verrons bientôt.

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