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Contrôle de la Ménestrandise ou métier de statut local ?

L'histoire d'un certain nombre de villes du royaume est assez documentée pour que certains histo- riens puissent affirmer que leurs musiciens étaient organisés par la Ménestrandise comme de « véri- tables succursales de la corporation de Paris ». À suivre Eugène d'Auriac, cet essaimage est réalisé dès les XVIe siècle à Amiens, Abbeville, Orléans, Blois, Tours, et même Bordeaux, puis Toulouse à

partir de 1609 ; nous n'oublions pas d'ajouter Moulins, déjà présenté 371.

Qu'en est-il de la situation du métier des musiciens grenoblois ? Faute d'information directe, posi- tive ou négative, trois éléments sont à mettre en relation pour établir une tentative de réponse.

D'abord, le contexte de la ville ne correspond pas à ce type de structuration des métiers, comme l'écrit A. Prudhomme : « Grenoble ne fut jamais une « ville de jurande » (…) jusqu'à l'édit de 1691 (...) » 372.

Bernard Bonnin développe dans le même sens, à propos des ateliers artisanaux traditionnels 373 : (…) tous les caractères de l'artisanat de l'époque, affectés cependant d'une originalité partagée avec toute la province, le refus d'accepter, malgré les instructions de Colbert, puis les efforts des intendants dans la première moitié du XVIIIe siècle,

une réglementation précise de la production et une organisation généralisée en jurandes – sur 41 métiers, vers 1700, fort peu sont des métiers jurés, et en 1776, 14 seulement le sont.

Peu enclins aux métiers jurés, type dont relève la Ménestrandise, les artisans de Grenoble s'orga- nisent donc en majorité en métiers libres, réglés, et en fait contrôlés par les autorités locales, qui valident par lettre patente les statuts que déposent tout au long du XVIIe siècle nombre de profes-

sions ayant à s'organiser 374.

1609 – Délibérations consulaires (suite) –

(...) les maîtres tailleurs demandent la vérification des lettres de maîtrise qu'ils ont obtenues de S. M. au mois d'octobre dernier : la ville ne s'y oppose pas, à condition que les tailleurs qui ont actuellement boutique resteront en exercice, que leur nombre ne sera pas diminué et qu'il sera loisible « à chacun qui se trouvera de la quallité et capacité requises de se faire recevoir à la maîtrise sans les charges de frais, et que reception et passation des maistres se fera en la présence des consuls » (13 nov.) ;

370 Les départs de Mondon et Perier sont énoncés par : Maignien, Les artistes…, op. cit.

371 Eugène d'Auriac, La corporation des ménétriers et le roi des violons, Paris, E. Dentu, 1880, p. 51. 372 Auguste Prudhomme, Histoire de Grenoble …, op. cit., p. 150.

373 Bernard Bonnin, De Lesdiguières à la Révolution, in Vital Chomel (dir.), Histoire de Grenoble, Toulouse, Privat, 1976, p. 148. 374 AMG, ISAP, BB 76, p. 112.

Musiques et musiciens Plus tardif, mais demeurant dans la même logique, ce second exemple concernant les selliers explicite mieux l'organisation interne de ce métier, avec l'apprentissage et l'obtention de la maîtrise 375 :

1657-1670 – Délibérations consulaires (suite) –

1666 – (...) - les selliers de la ville demandent à être organisés en maîtrise : « ceux qui sont à présent seront les maistres, et ceux d'avenir feront un apprentissage de quatre ans et feront un chef d'œuvre avant que pouvoir estre receus ; » lettres patentes leur donnant satisfaction (Vincennes, sept. 1664, f° 491 v°) ;

Aucune démarche de ce type n'apparaît dans les mêmes sources concernant les joueurs d'instru- ments.

Avec les édits de 1691 et des années suivantes, le gouvernement royal instaure des offices de syndics pour les métiers, suite à quoi les artisans doivent élire leur syndic chaque année et le présenter au lieutenant général de police. Ainsi évoluent et sont codifiées les règles de fonctionne- ment des métiers et notamment les modalités d'accession au statut de maître dans chacun d'eux. À qui se penche sur l'inventaire de la série BB d'administration communale, il est aisé d'observer l'an- nonce de ces différentes formes d'organisation pour de nombreux métiers ; mais pas pour ceux de la musique. Les joueurs d'instruments et maîtres à danser de Grenoble n'auraient eu ni jurande – pas de Ménestrandise – ni statut réglé de métier ? Prudhomme semble fermer cette hypothèse, du moins pour le XVIIIe siècle 376 :

Les professions qui n'avaient pas de statuts réguliers, s'en firent rédiger par le lieutenant général de police.

Ensuite, une telle structure socio-économique n'est pas sans laisser de traces. Si les musiciens de la ville avaient été tenus par la Ménestrandise, il se serait trouvé à Grenoble un lieutenant du roi des joueurs d'instruments, pour faire appliquer les règles et lever amendes et cotisations. Or jamais les termes de Ménestrandise, ou de lieutenant du roi ne figurent dans les nombreux extraits des sources premières rapportées par Maignien dans Les artistes ni par Prudhomme dans ses Inventaires. Notons encore que l'installation d'une nouvelle institution n'est pas sans bousculer l'organisation précédente et est propice à quelques affrontements réglés en justice. Ce fut le cas à Lyon quand, à trois reprises – en 1517, 1625 et 1657 –, le roi de la Ménestrandise tenta d'établir une lieutenance dans la cité : les joueurs d'instruments, ainsi que la municipalité, s'y opposèrent et les sources locales gardent les traces de ce confit juridique 377 :

Guillaume Dumanoir avait obtenu en 1657 (…) la charge de Roy des violons. Cet honneur et un succès qu'il venait d'obtenir sur les maître de danse lui firent juger le moment propice pour étendre sa domination. À cet effet il délégua ses pouvoirs à un nommé Pierre Raymond, dit La Violette, maître joueur d'instruments de Lyon, qui ne craignit pas de tenter un nouvel et dernier effort contre ses confrères. Le procès battait son plein en 1660, entre : « le Prévost des marchands et les Echevins de

la Ville de Lyon intervenant dans l'instance entre Pierre Raymond dit La Violette maistre joueur d'instrumens de ladite Ville, et la communauté des maistres joueurs d'instrumens au sujet de prétendues lettres de lieutenant de Roy des Violons de la Ville de Lyon, obtenues par ledit Raymond, qui vouloit s'y faire recevoir en cette qualité. »

Rien de tel à Grenoble, même si les Reymond ou Raymond La Violette – de la même famille, ou simplement homonymes ? – y sont bien présents : il n'apparaît pas que des Reymond, ni que d'autres musiciens, aient tenté de représenter le roi de la Ménestrandise dans la capitale du Dauphiné.

Enfin, quand, présent à Paris, le musicien grenoblois Michel Farinel demande une lieutenance à son ami Guillaume Dumanoir, roi des musiciens de la Ménestrandise, il semble obtenir successive- ment celle de Montpellier en 1673, puis celle de Nîmes en 1676. Alors pourquoi pas celle de Grenoble ? Non que la place fût prise, puisque nous n'avons remarqué aucune trace d'une telle lieu- tenance. Avertis par les résistances lyonnaises, Dumanoir et Farinel auraient-ils préféré une autre région ? Ou bien simplement choisir une autre ville que Grenoble semblait d'un rapport financier plus avantageux.

375 AMG, ISAP, BB 111, p. 157.

376 Auguste Prudhomme, Histoire de Grenoble …, op. cit., p. 151.

377 Georges Tricou, « Les Musiciens Lyonnais et le Roy des violons ». Revue Musicale de Lyon, vol. 1, 1903-1904, p. 148-150.

à Grenoble au XVIIe siècle

Au final, il est peu probable que la Ménestrandise ait étendu son organisation à Grenoble au XVIIe siècle, et tant qu'aucune source nouvelle n'infirmera cette hypothèse, nous considérerons que

les musiciens de Grenoble de ce temps ne relèvent pas du Roy des violons.

La pratique individuelle d'un métier lié à la musique

Pour les mêmes raisons que l'organisation statutaire de leur métier demeure ignorée, le détail de la formation et de la carrière des musiciens grenoblois reste dans l'ombre, de l'apprentissage du métier à l'accès à la maîtrise. Il existe cependant quelques maigres éclairages sur certains aspects de la réalité locale du métier et sur la variété des formes de son exercice.

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