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La formation musicale des élites

Quand des instruments de musique apparaissent au logis de notables, ou que ces derniers évoquent des réunions privées avec un moment musical, ou quand une trentaine de jeunes nobles jouent dans la nouvelle Académie du Concert, la question se pose de comprendre de quelle manière ces amateurs ont appris à jouer de la musique.

317 Elsa Liardet, Le livre dans la société Grenobloise au XVIIIe siècle : Études des bibliothèques de particuliers au travers des inven-

taires et ventes après décès, Mémoire de Master 2 d'histoire, Anne Béroujon (s-dir.), UPMF, Grenoble, 2010.

Geneviève Morin, Entre exigences de la pratique et science du droit : les livres conservés chez les procureurs grenoblois aux XVIIe

et XVIIIe siècles d'après les inventaires après décès, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en histoire pour l'obtention du grade de maître ès arts (M.A.), département d'histoire de la faculté de Lettres, Université de Laval, Québec, 2007.

318 Monique Briselet, L'Hôtel des Ducs de Lesdiguières à Grenoble (1595-1719). Comment ses structures et son organisation sont-

elles révélatrices de comportements, de modes de vie propres à Lesdiguières et à ses descendants ? Tomes I & II, mémoire de Maîtrise, s-dir. Bernard Bonnin, UPMF, Grenoble, 1987 ; à partir de : ADI 10 B 1160, inventaire dressé par Me Drogat (1677).

319 Maurice Badois, La fortune de trois officiers grenoblois à la fin du XVIIe siècle, Mémoire de Maîtrise, Grenoble, UPMF, 1969.

320 Inventaire après décès de la baronnie de Sassenage, des biens de Grenoble, des seigneuries d'Izeron et du Pont-en-Royans.

Chateau de Sassenage, 1680, Sassenage, Charles Louis Alphonse [auteur], Cote : R 26, p. 1-96. URL : http://www.e-corpus.org/notices/9365/gallery/

Musiques et musiciens

La scolarisation des jeunes hommes en collège

À la fin du XVIe siècle, Grenoble souffrait du manque d'un lieu de formation de qualité pour sa

jeunesse quand elle sortait des petites écoles 321 : 1606 – Délibérations consulaires (suite) –

Le 1er consul expose qu'il y aurait lieu de créer dans la ville un collège pour l'instruction de la jeunesse que les parents sont obligés de conduire à Tournon ou à Vienne : le Conseil renvoie cette création à l'époque où la ville aura quelques ressources (20 janvier).

En 1606, les Dominicains obtiennent de tenir collège gratuitement et avec une subvention de 1 100 livres par an de la municipalité 322. Mais il n'y a pas d'archives sur l'enseignement que ces

moines ont dispensé à la jeunesse grenobloise. Pour le XVIIe siècle, il faut chercher du côté des

Jésuites de la région. En effet, la crème des élites est déjà formée dans des collèges jésuites environ- nants. Alors que le collège des Dominicains végète et que son enseignement est jugé médiocre, les notables continuent à envoyer leurs enfants au collège des Jésuites de Tournon – ainsi Claude Expilly – ou de Vienne – tel Denis Salvaing de Boissieu 323. Le contenu de la formation en collège de

la jeunesse grenobloise ne s'éclairera véritablement que lorsque cette mission municipale sera reprise aux Dominicains et confiée aux Jésuites, compagnie qui s'était bien battue pour l'obtenir. Les Jésuites ouvrent le nouveau collège rue Neuve-de-Bonne le 11 novembre 1651 et mettent en pratique les conceptions pédagogiques de leur Compagnie.

Les représentations de pièces de théâtre associées à des danses et pièces de musique étaient au centre de la pédagogie des Jésuites dans toute l'Europe, comme à Paris où l'usage du théâtre et du ballet par les Jésuites est intense 324 :

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des représentations théâtrales sont régulièrement données dans les différents collèges parisiens

de plein exercice, les dix attachés à la faculté des arts de l’université de Paris, comme celui tenu par les jésuites (le collège de Clermont devenu Louis-le-Grand), avec un faste et un retentissement variables, où la musique et la danse peuvent prendre une large place. (...) Les conditions de ces représentations, leur publicité et les nombreux écrits qu’elles génèrent, enfin les acteurs et les milieux professionnels impliqués dans ces spectacles, sont successivement étudiés. La deuxième partie de la thèse est consacrée à un genre remarquable par sa continuité et son prestige, le ballet, l’élément le plus marquant et le plus polémique des spectacles de collège depuis le milieu du XVIIe siècle. (…) 325

Cette place donnée à la musique était pourtant en théorie interdite par leur règle d'enseignement, le Ratio Studiorum. La conséquence de cet interdit semble plutôt être la dissimulation des ensei- gnants et de l'enseignement de la musique, que la suppression de cette formation 326 :

Dans le domaine purement musical, les jésuites ont heureusement très vite transgressé les premiers règlements de la Compagnie, établis en 1560-61, peu favorables à l'utilisation de la musique comme moyen pédagogique. Un règlement de 1580 juge le chant fatiguant et peu utile et diminue encore sa place dans l'enseignement et, en 1587, le père Maggio, envoyé en France comme visiteur général, défend aux jésuites de chanter, de composer ou de diriger eux-mêmes de la musique. L'on sait le sort qui sera fait à ce règlement : pour les jésuites, la musique devint vite un formidable moyen d'édu- cation et même d'évangélisation, en particulier des peuplades d'Amérique latine (…).

Plus proche du Dauphiné, l'exemple de Lyon fournit des détails sur les spectacle offerts par les collégiens à Louis XIII lors de sa visite de 1622, comprenant une pièce de théâtre avec intermèdes musicaux et ballet, puis une pastorale avec ses danses et les instruments l'accompagnant 327 :

D’ailleurs, ces représentations musicales et chorégraphiques ne furent pas limitées au nord de la France. En l’honneur de la venue du roi Louis XIII à Lyon en 1622, les élèves du Collège de la Trinité donnèrent une pièce avec intermèdes (Philippe

Auguste, donteur des Rebelles en la journée de Bouvines). Le spectacle s’est terminé par un ballet, le Ballet des Chasseurs,

321 AMG, ISAP, BB 71, p. 108.

322 Edmond Maignien, Notice sur le couvent des dominicains (…), op. cit.

323 Auguste Prudhomme, L'enseignement secondaire à Grenoble avant la création du collège des Dominicains (1340-1606),

Grenoble, Allier et frères, 1901.

Henri-Jean Martin & Micheline Lecocq, Les registres du libraire Nicolas…, op. cit.

324 Marie Demeilliez, « Un plaisir sage et réglé ». Musiques et danses sur la scène des collèges parisiens (1640-1762), Thèse de

doctorat, Université Paris-Sorbonne, 2010, 678-682 p.

325 Site du SUDOC. Notice: Demeilliez Marie. Résumé de sa thèse. URL : http://www.sudoc.fr/155027735 (consulté le 11/11/2015). 326 Joëlle-Elmyre Doussot, Musique et société à Dijon…, op. cit., p. 112.

327 John S. Powell, L'air de cour et le théâtre de collège au XVIIe siècle. (p. 317-323), in Georgie Durosoir (coordination), poésie,

musique et société : L'air de cour en France au XVIIe siècle. Liège, Coll « Musique / Musicologie », éditions Mardaga, 2006.

à Grenoble au XVIIe siècle

inventé sans doute pour flatter l’amour de Louis XIII pour la chasse (…) Pendant cette même visite royale, le Collège de Lyon a donné la Pastorelle sur les victoires de la Pucelle d’Orléans pour honorer la Reine-Mère, Anne d’Autriche. Cette pastorale a été accompagnée par la musique des luths, clarions, violons, et les danses des pasteurs, des satyres et des nymphes. (...) Les comptes-rendus contemporains parlaient du rôle de la musique dans ces représentations en termes très vagues, et ils oublient de nous apprendre les noms des compositeurs et des interprètes, ni d’en conserver la partition musicale.

Pour le collège jésuite de Grenoble, notons en préalable les effectifs de ses collégiens, car leur nombre indique la part de la population grenobloise, et même dauphinoise, concernée par cette formation. Suivant les historiens consultés elle varie de 350 à 700 collégiens externes (l'internat ne sera ouvert qu'en 1729) ; or cette information démographique pèse différemment suivant le mode de calcul choisi 328.

À Grenoble également, la pédagogie mise en œuvre par les Jésuites utilise le principe de l'émula- tion entre les élèves qui sont mobilisés pour exposer leurs productions intellectuelles en public et pour monter régulièrement des spectacles de théâtre. Autant de prestations qui sont ouvertes à un public cultivé, sollicité par des affiches en latin et qui se presse à ces représentations. À partir de 1653, les grands élèves se mobilisent pour monter « le grand Acte », des « séances philosophiques, littéraires, dramatiques, véritables fêtes scolaires qui, chaque année, y attiraient les familles des élèves, et tout ce que la ville comptait d'esprits cultivés (...) » Dès 1655, des représentations théâ- trales ont lieu, la plupart en langue française, et non latine comme le prévoit pourtant le Ratio Studiorum (Ratio atque institutio studiorum Societatis Jesu) de la Compagnie. Dix titres des pièces jouées nous sont ainsi fournies jusqu'en 1755, connues grâces aux programmes imprimés à Grenoble, où l'on apprend que « quelques unes de ces pièces furent suivies de ballets ». Des ballets : donc des compositions associant poésie, danse et musique ! Quelle musique ? Quels musiciens accompagnaient les collégiens danseurs ? D'autres collégiens ou des musiciens de la ville ? Musique encore, peut-être, en 1667, pour la canonisation de Saint François de Sales, pour accompagner leur chevauchée quand « les élèves du collège organisent un carrousel mystique » 329 ? Le programme de

ces pièces donne souvent le nom des acteurs, c'est-à-dire des collégiens de l'année du spectacle :

1655 : Gratian, empereur.

1658 : Boèce.

1659 : La Victoire de la Paix.

1661 : Procope, martyr.

1664 : Le Travail, comédie.

1667 : organisation d'un carrousel mystique pour François de Sales.

Les études menées sur le collège jésuite de Grenoble n'ont pas mis au jour les preuves d'un ensei- gnement musical. Mais la production du spectacle de fin d'année suppose cet apprentissage. Aussi les élèves devaient-ils, peut-être en collaboration avec un maître de danse ou de musique, s'évertuer tout au long de l'année à l'écrire et en composer la musique, comme apprendre à le jouer et le danser. Ce qui constituait pour eux un riche apprentissage multiforme ; mais aussi l'assurance de maîtriser les arts de la déclamation, du chant, et de la danse, indispensables pour tenir bientôt leur rang dans la belle société et ses salons. Le carrousel, comme celui réalisé en 1666, étant un spectacle équestre, ajoutait le perfectionnement à l'art de monter, tout autant socialement nécessaire : à part l'escrime, la chasse et le jeu de hasard, les Jésuites développaient chez ces jeunes hommes toutes les qualités attendues pour leur avenir.

Quand Le Clair conçoit l'opération visant à démontrer la nuisance sonore du temple en 1685, outre qu'il s'arrange pour qu'il y ait foule de Grenoblois catholiques pour y chanter, il pense aussi à appeler les collégiens :

Les femmes commencèrent la première fois à faire leur partie de toute leur force aussy bien que les hommes et bon

328 Comment sont établis ces dénombrements ? S'agit-il du nombre de nouveaux collégiens entrant chaque année, ou du nombre total

de collégiens ? L'organisation en 2 cycles de 3 années du collège lui faisait garder chaque élève pendant 6 ans en moyenne. Si les nombres sont ceux du total des collégiens vus une année donnée, il faut diviser par 6 pour savoir quelle part de chaque génération entrait au collège : ce qui ferait entre 58 et 116 jeunes de chaque classe d'âge.

329 Joseph Pra (R. P.), Les Jésuites à Grenoble (1587-1763), Lyon, Paquet, 1901, p. 294-301.

Musiques et musiciens

nombres d'escoliers du collège ausquels j'avois fait congé pour venir chanter. 330

Ces jeunes garçons sont donc réputés savoir chanter et le faire bien, l'ayant probablement appris de leurs maîtres jésuites.

Mais les preuves manquent d'un tel enseignement. Les archives du collège masquent-elles volon- tairement la musique, interdite un siècle plus tôt ? 331 Les Jésuites savent enfreindre leurs propres

règles, puisque les spectacles sont souvent en langue française, alors que la même règle imposait le latin. S'ils dissimulent leur enseignement de la musique dans leurs programmes, il est logique qu'ils cachent tout autant d'éventuels maîtres de musique venus de la ville. Ce n'est pas forcément un esca- motage, peut-être seulement une organisation qui ne faisait pas apparaître la matière en tant que telle. Car la mathématique n'était pas non plus enseignée en tant que discipline à part, alors que la part de l'enseignement scientifique était pourtant en augmentation 332.

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