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Avant le rangement en bibliothèque : l'achat

En amont de la détention de livres de musique dans les bibliothèques publiques et privées, se situe l'acte d'achat chez les libraires locaux, ou celui d'une commande dans d'autres villes. À moins que des marchands ambulants ne viennent répondre directement à quelque demande, le libraire et imprimeur est un maillon essentiel de la connaissance de la vie musicale. Sans lui, point de livre de musique pour en connaître et en jouer, ni de papier, d'encre ou de plume pour en composer 301 :

Pendant le XVIIe siècle, où le commerce et l'industrie ne se trouvaient point subdivisés, comme de nos jours, en tant de

branches et de spécialités diverses, la profession de libraire, à Grenoble, embrassait tout à la fois la vente des produits de la typographie, la confection de la reliure, la papeterie et le cartonnage. Ainsi trouve-t-on souvent dans les litteræ des comptes de la ville, le nom d'un libraire inscrit pour fournitures de registres blancs, rames de papier, plumes, encres et reliures de livres ; en outre dans les grandes fêtes et réjouissances, et lorsqu'arrivait à Grenoble un personnage important, c'était à son libraire que le conseil de ville avait recours pour revêtir de mille couleurs et décorer l'arc de triomphe qu'il faisait dresser devant la porte du visiteur.

Nous savions déjà que le livre de musique, avec ses portées de notes, n'était pas imprimé à Grenoble. Concernant le commerce du livre, la grande étude menée sur les registres du libraire Nicolas porte sur 1 850 titres différents faisant 20 000 exemplaires reçus et débités en 25 ans. Il s'y confirme la passion des Grenoblois pour le théâtre à partir de 1646 – d'abord la tragédie, puis la comédie et la tragi-comédie – et que le commerce du livre de musique fait figure de parent pauvre. Il

299 Pierre Monnier & Jean Sgard, Les Plaisirs de La Tronche…, op. cit., p. 21.

300 Charles Freynet, « Correspondance inédite des Marquis de Valbonnais… », op. cit., p. 265.

301 Edmond Maignien, L'Imprimerie, les Imprimeurs et les Libraires à Grenoble du XVe au XVIIIe siècle, Grenoble, Impr. Gabriel

Dupont, 1884, p. XVIII.

à Grenoble au XVIIe siècle

est vrai qu'on ne connaît pas le contenu de toutes les balles expédiées, ni toutes les ventes au détail : seules sont inscrites celles faites à crédit. Demeurant inconnus, des livres de musique ont pu être achetés chez Nicolas par qui payait comptant. Hors Nicolas, il y a aussi eu d'autres dynasties de libraires, les Charvys et les Faure, mais on ne connaît pas le détail de leurs ventes 302.

Les livres se rapportant à la musique et qu'affichent les répertoires de Nicolas, ce sont quelques œuvres classées « divers » : des ballets et des pastorales, pièces écrites pour contenir assurément danses et musiques 303 :

Divers – Ballet des Incurables, en 1646.

Comédies de ballet, en 1651.

Bien qu'à partir de 1640 la pastorale soit presque abandonnée, nous en trouvons quatre sur les registres : P. du Ryer, Amarillis (1650).

G. Gilbert, Les amours d'Ovide, pastorale héroïque (1663).

J. Millet, Pastorale et tragi-comédie de la Janin (1648), pièce locale, jouée à Grenoble, souvent vendue jusqu'en 1651 ;

Pastorale de la constance (1635), vendue en 1654.

(...)

Sur le niveau social des acheteurs de pièces de théâtre, je n'ai rien à modifier aux très intéressantes observations que les auteurs ont faites sur la clientèle de Nicolas. Elle se compose surtout de gens de robe, conseillers au Parlement et avocats ; ajoutons les membres de la noblesse et quelques ecclésiastiques tels l'évêque de la ville (tout Corneille, ...), un abbé (La Clarimonde), et un chanoine (Tartuffe).

Ces pièces sont donc entrées dans les bibliothèques privées ; mais pour quel usage : simple lecture, interprétation collective du texte, ou exécution des danses et de la musique ?

Dans les bibliothèques privées du XVII

e

siècle

En dehors d'un recueil d'opéras et de ballets trouvé au château de Bardonnenche, il n'y a guère dans ces bibliothèques de livres de musique révélés par les archives.

Étrangement, Claude Expilly (1561-1636), que nous savons être l'auteur de deux mascarades et deux ballets, n'aurait pas eu ses propres ouvrages dans sa bibliothèque. Sur ses rayonnages, ne figurent pour la musique que deux recueils comportant des chansons, et une comédie italienne, dont rien n'assure qu'elle contenait des parties musicales 304 :

• Pièce 1. Des sonnets de sa composition : 30 ? Prières, chansons, stances, sonnets…

• Pièce 32. « Recueil de quelques vers amoureux, édition dernière revue et augmentée, à Paris, par

Philippe Patisson imprimeur, (…) 1606, avec privilège du Roy, in 8°, par S. Bertaut. Stances élégies, chansons, sonnets, mascarades, castels. »

• Pièce 112. « Impresa d'amore, comedia nuova de sig. Ottavio Glorotio eccelentiss. dottor di leggi, in

Messina nella i temperia di Pietro Brea [?], 1605, in 12, 212 p. »

L'ancienne bibliothèque du premier président de la Chambre des Comptes de Dauphiné, Denis de Salvaing de Boissieu (1600-1683) a été cataloguée pour sa mise en vente, et ce catalogue fut imprimé en 1897 305.

Des ouvrages liés à la musique s'y trouvent. Dans la catégorie Belles-Lettres, Poésies en langage vulgaire du Dauphiné figurent :

582 – La pastorale de la constance de Philin et Margoton, par J. Millet. Grenoble E. Raban, 1635.

302 Henri-Jean Martin et Micheline Lecocq, Livres et lecteurs à Grenoble…, op. cit..

Les livres de comptes des Nicolas portent les cotes H 962 à 967 du fonds de l'Hôpital de Grenoble.

303 Raymond Lebègue, « Le commerce des pièces de théâtre à Grenoble de 1645 à 1668 ». XVIIe Siècle, année 1977, n° 116, p. 62-

65. Compte rendu pour le théâtre de : Henri-Jean Martin et Micheline Lecocq, Les registres du libraire Nicolas…, p. 100-118.

304 Louis Royer, Notes sur la Bibliothèque de Claude Expilly. Ms BMG R 10 325.

305 Catalogue d'une importante bibliothèque composée d'ouvrages anciens, rares et précieux – Ancienne bibliothèque de D. de

Salvaing de Boissieu – Conseiller du roi en tous ses Conseils. Premier président de la Chambre des Comptes de Dauphiné – 1600-1683. Grenoble, Librairie Dauphinoise, B. Falque et Félix Perrin, 1897.

Musiques et musiciens

583 – Pastorale et tragicomédie de Janin, représentée dans la ville de Grenoble, dédiée à Mgr le

président Pourroy. A Grenoble, chez Edouard R. Dumon, imprimeur, rue Brocherie, près la place

Mal-Conseil. 1676.

Les vendeurs ont classé dans la catégorie Art dramatique :

607 – La Silvanire ou la morte-vive, tragicomédie pastorale. – Autres œuvres lyriques du sr Mairet.

Paris, Targa, 1631.

608 – La Clorise de Baro, pastoralle (en vers). Paris, F. Pomeray, 1632.

610 – Le courtisan parfait, tragicomédie, par D. C. L. B. T. (Louis de Gilbert, dauphinois). Grenoble,

J. Nicolas, 1668.

La famille des Simiane de La Coste dispose d'une maison à la campagne, à Saint-Martin-d'Hères. Grande famille de conseillers ou présidents au Parlement : François, est président du Parlement de 1655 à 1683. Son frère Alphonse de Simiane de La Coste (1629-1681) a été installé à l'Église, où il est abbé de Saint-Firmin, prieuré clunisien proche de Gap, et de l'abbaye de Saint-Chignan-de-la- Corne en Languedoc. Il est davantage connu comme habitant de Grenoble, très savant, grand libertin et fort assidu des salons. Lors de son inventaire après décès étudié par Marie-Laure Rey 306, on

apprend qu'à son domicile urbain dans l'hôtel particulier de son frère François, rue Neuve de Bonne, où il disposait du second étage, on n'a trouvé qu'un pauvre mobilier et deux tableaux. En revanche, dans le logis de famille, la maison de Saint-Martin-d'Hères – aussi propriété de François – se trou- vait une imposante bibliothèque de 2 515 volumes. Si l'on y trouve quelques traités sur les offices divins, avec peut-être des indications sur la manière – y compris musicale ? – de conduire la messe 307, on trouve ensuite 5 ouvrages sur la peinture, 6 sur l'architecture et enfin seulement 2 sur la

musique :

N° 1223 : Recueil des airs de cour, [auteur non identifié], in 12.

n° 1224 : Serres [sic 308], Traité de l'harmonie universelle, in 8.

Les airs de cour – si Alphonse savait chanter – sont les bienvenus pour les réunions de salon ; mais les instruments de musique sont absents.

Louis Royer a étudié l'inventaire après décès de Gaspard de Livache (1635-1700), avocat au Parlement du Dauphiné : « Gaspard de Livache appartenait à la religion réformée. (…) Il s'était converti au catholicisme après la révocation de l'édit de Nantes ». Un de ses frères au contraire avait émigré avec ses enfants. Sa bibliothèque est ici décrite en une liste tapuscrite de 87 références : œuvres d'Anciens, histoire, histoire contemporaine, récits de voyage, de guerre, poésie, Molière, Voiture, La Fontaine, pièces galantes, Le Mercure François, etc. : 87 références au total, quasi pas de religion et rien sur la musique. Mais d'autres notes de Royer signalent ensuite la présence de livres de tragi-comédies 309 :

Amalasonte, tragi-comédie, (coupe de fruits) à Paris, chez Guillaume de Luyne, 1658.

Le Feint, tragi-comédie, (coupe de fruits) à Paris, chez Guillaume de Luyne, 1658.

Le mariage de Cambise, tragi-comédie, (coupe de fruits) à Paris, chez Guillaume de Luyne, 1659.

Ode sur la Paix, (coupe de fruits) à Paris, chez Augustin Courbé, 1660.

La comédie sans comédie, par le sieur Quinault, (coupe de fleurs) à Paris, chez Augustin Courbé,

1659.

Stantonice, tragi-comédie, (coupe de fruits) à Paris, chez Guillaume de Luyne, 1661.

306 Marie-Laure Rey, La bibliothèque d'un ecclésiastique grenoblois au XVIIe siècle. Catalogue des livres possédés à sa mort par

Alphonse de Simiane de La Coste. 1629-1681, mémoire de Maîtrise, s-dir. Jacques Solé, tome I & II, UPMF, Grenoble, 1992.

307 Marie-Laure Rey a relevé :

n° 128 : Bona (Jean), De psalmonia, 1653, 1663, in 12 n° 129 : Bona (Jean), De rebus liturgica, 1672, 1674, in 4 n° 135 : Savonarole (Girolamo), Oratio Dominica, in 12

n° 136 : Le théophile paroissial de la messe de paroisse (révérent P. Bonaventure BASSEAN, capucin), 1649, in 8. n° 137 : Traité des anciennes cérémonies, 1646, 1662, 1673, in 12

308 Je n'ai pas trouvé de Serres ayant écrit un traité de musique au XVIIe siècle. Ce traité est plus probablement de Marin Mersennes.

309 Louis Royer, Notes sur la bibliothèque d'un avocat au Parlement du Dauphiné au XVIIe siècle. 84 pièces. BMG R. 10324.

à Grenoble au XVIIe siècle

Les tragi-comédies incorporent-elles de la musique ? Pour l'unique comédie, la réponse semble affirmative. Si l'on en croit l'article de Wikipédia sur Quinaut 310, « la Comédie sans comédie,

contient une pastorale, une comédie, une tragédie et une tragi-comédie » ; or la pastorale est aussi un genre musical 311.

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