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Monastères : de la recherche de la qualité musicale à la tenue de concerts

En 1666, les Clarisses ont les moyens musicaux de chanter une messe en musique en l'honneur de François de Sales 176 :

174 François Boniel, La Béatification..., op. cit., p. 31. 175 Id., p. 29.

176 Claude-François Ménestrier, Relation des Ceremonies... op. cit., p. 34.

Musiques et musiciens

Les Dames Religieuses de Sainte Claire pour témoigner la part qu'elles prenoient aux honneurs que l'on rendoit à ce Saint firent chanter dans leur Eglise une Messe solemnelle avec Musique.

Les Visitandines de Sainte-Marie-d'en-Haut manifestent une grande exigence pour la qualité de leurs chants. Le monastère compte entre 33 et 40 sœurs choristes et une dizaine de sœurs associées ou converses. Ses moniales sélectionnent qui peut chanter et qui a de la voix 177 :

Les religieuses de chœur étaient employées à l'office du chœur pour y chanter ou dire les Heures. (...)

Le rang de sœurs associées permettait aux jeunes filles ayant une santé fragile d'entrer en religion. Pour elles la règle était plus douce que pour les sœurs choristes. Elles ne chantaient pas l'office, soit parce qu'elles n'en avaient pas la force, soit parce qu'elles manquaient de talent, c'est-à-dire de voix, dans la plupart des cas.

Il semble probable qu'au moins un monastère – Montfleury – ait intégré à son dispositif musical l'engagement d'un maître de musique extérieur pour la formation de ses sœurs. En 1639, les Domini- caines achètent un orgue : enthousiasmées par l'arrivée cet instrument, une partie des moniales obtient « d'apprendre la musique » pour en jouer, apprentissage qui implique logiquement la venue d'un maître donnant ses leçons 178 :

Alors, quelques religieuses demandèrent à leur supérieure la permission d'apprendre la musique afin de pouvoir en faire usage dans leur église, pour le service divin ; ce qu’elles obtinrent sans difficulté. Depuis cette époque, celles qui faisaient partie de la compagnie des musiciennes avaient coutume, le jour de l'anniversaire de la pose de l'orgue, jour où l'on célé- brait une messe pour les donateurs, d'offrir chacune une livre de cierges, et de faire ainsi une espèce de dédicace de leur musique à la sainte Vierge.

Il s'agit à ce moment, pour ce maître présumé, d'enseigner à jouer de l'orgue, mais pas obligatoi- rement de perfectionner la pratique du chant. Si l'on accepte le commentaire enthousiaste de Boniel – et sur ce terrain, il n'est pas seul à tresser de telles louanges – les dames de Montfleury avaient atteint en 1669 un haut niveau de qualité 179 :

On eut dit en verité que ces musiciennes Religieuses avoient reservé tout ce qu'elles avoient de plus doux, de plus delicat, de plus juste & de plus relevé dans leur concert, pour en cette occasion (qui leur estoit si agreable) imiter les Anges par leurs voix, comme elles les imitent par leurs actions.

En revanche, quand le bien réel musicien indépendant et compositeur Michel Farinel est employé comme maître de musique par ce monastère, peut-être dès 1670, ainsi que plus tard, par le couvent de Sainte-Cécile, c'est un choix audacieux de la part de ces établissements : Farinel, maître à danser, maître de violon et compositeur, n'est pas clerc. Sa mission de maître de musique au monastère n'est pas décrite. Nous supposons que les moniales espèrent que sa direction artistique améliorera encore leur niveau de chant et leur maîtrise de leur répertoire vocal et instrumental. Ce maître devra sans doute aussi préparer et diriger leurs concerts, ou même améliorer une technique de composition que certaines moniales pratiquaient déjà.

Dans les années 1680, l'évêque Le Camus entreprend une bataille contre ces moniales de Mont- fleury qui ne respectent aucune règle de clôture. Il ne s'agit pas de leur reprocher une conduite liber- tine, mais seulement de s'opposer à leur pratique de tenir leur couvent ouvert aux visiteurs et à leurs propres allées et venues, et d'y donner des sortes de concerts 180 :

M. de Grenoble apprit ensuite que ces dames sortaient sans scrupule de leur maison (…), sans parler des concerts de voix et d'instruments ;

Le Camus opère une visite officielle en 1683 et entame un procès contre ces Dominicaines. S'en suivent appels et contre appels au Pape et au roi. Les Dames rétorquent qu'elles se trouvent sans clôture depuis quatre siècles et que cet état ne nuit ni à leur chasteté ni à la pureté de leurs senti- ments. Les sœurs défendent leur tradition et, sans doute appuyées depuis la ville par leurs familles nobles, elles obtiennent en 1686 que le roi confirme à Montfleury le droit de vivre sans clôture.

177 Blandine Mousserin, Le Monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d'en-Haut de Grenoble : de la construction du couvent à l'ex-

pulsion des Visitandines. Religieuses et société urbaine, vol. 1 & 2. Mémoire de Maîtrise d'Histoire, s-dir. René Favier, UPMF Grenoble, 2004, p. 76-77.

178 Henri Maillefaud (de), Recherches historiques sur le Monastère royal ou Chapitre noble de Montfleury, près Grenoble, de l'ordre de

Saint-Dominique, Grenoble, Imprimerie Maisonville, 1857, 183 p. (p. 53).

179 François Boniel, La Béatification..., op. cit., p. 29.

180 Henri Maillefaud (de), Recherches historiques sur le Monastère royal..., op. cit., p. 92.

à Grenoble au XVIIe siècle

La musique continuera donc ! Quand en 1696, Claudine-Alexandrine Guérin de Tencin prend le voile à Montfleury, l'historien Adolphe Rochas (1816-1889) décrit ainsi le contexte du monas- tère 181 :

Les religieuses de Montfleury (…) recevaient des visites ; leur parloir était le rendez-vous de la meilleure compagnie de la ville ; on y jouait, on y faisait de la musique et de fines collations (…).

En 1696, Michel Farinel compose lui-même pour Montfleury. Il met en musique des vers spiri- tuels de Henri Guichard, sieur d'Hérapine, intendant des Bâtiments de Louis XIV et de Monsieur, mais installé à Grenoble à ce moment. Ce véritable petit oratorio est destinée aux concerts – aux récréations spirituelles – des Dames de Montfleury, dont Farinel est toujours, ou à nouveau, le maître de musique. Guichard, l'auteur, écrit aux Dames de Montfleury à propos de ses vers 182 :

(…) M. Farinel ayant trouvé ceux-là du sien m'a témoigné qu'il seroit bien aise de les mettre en Musique, pour les faire servir, MES DAMES, à vos recreations Spirituelles, & exercer les voix qu'il conduit dans votre Maison.

D'autres monastères féminins sont concernés par cette tentation de donner leurs musiques en concert. Les fêtes de 1667 pour François de Sales sont, d'après Ménestrier, l'occasion d'une sainte émulation entre les différents chœurs de moniales du côté du quartier Très-Cloîtres. Tant les Ursu- lines que les Bernardines, toutes ces moniales chantent fort bien leurs différents offices. Ménestrier ajoute un élément qui fait écho – en plus modeste et respectant la clôture – à ce que l'évêque repro- chait à Montfleury : il semble que les sœurs des Ursulines et celles de Sainte-Cécile chantaient, non dans leur chapelle ou leur cloître, mais à leur fenêtre, à l'intention de la ville, faisant une sorte de concert pour un probable public installé de l'autre côté des grilles 183 :

Les Dames de Sainte Ursule, & les Dames Bernardines de Sainte Cecile, qui sont voisines de ce Monastere, mirent aussi un si grand nombre de lumieres à leurs fenestres qu'on voyoit en mesme temps quatre Firmamens en terre, et ne se contentant pas de ces langues de feu, ny du son de leur cloches pour exprimer leur zele à honorer ce Saint, elles y joignirent des voix dignes du Ciel qu'elles representoient par tant de lumieres, & firent deux Concerts melodieux à leurs fenestres, les unes chantant le Te Deum, & les autres un excellent Motet dont les premières paroles sont celles-cy : Ecce triumphat Amor.

En 1624, grâce à un don du vicomte de Paquiers et à l'autorisation de Scarron, les fondatrices du monastère Sainte-Cécile peuvent louer une maison à Grenoble pour établir une communauté de bernardines, ordre des cisterciennes rénovées, dites bernardines de la divine Providence. Le couvent se construit et s'agrandit pendant tout le XVIIe siècle. À l'apogée de la communauté, en 1730, on

dénombre 36 sœurs ; au total 191 y sont accueillies de 1624 à 1788. La mère de Buissonrond est la première supérieure ; Louise de Ponçonas tient les novices. En 1630 Ponçonas devient la supérieure puis part à Paris en 1636 fonder une nouvelle communauté. Sous ces deux supérieures, les sœurs de Sainte-Cécile semblent avoir vécu dans une stricte discipline 184. Après 1636, se serait-il produit un

relâchement de la discipline ? Ou bien ces notes de musiques, bien éloignées d'une liturgie du plain- chant, témoignent-elles de l'essor d'un goût nouveau et d'une pratique accrue de la musique savante à Grenoble, même en ce lieu ? L'évolution paraît considérable, qui d'une stricte discipline cistercienne vers 1630, aboutit à l'engagement d'un maître de musique de la ville vers 1690.

Ainsi, en certaines circonstances, dans les salles ou les jardins de Montfleury, et aux portes ou aux grilles de quelques monastères de la ville, il est possible d'ouïr les plus musiciennes des reli- gieuses chanter ce que les témoins nomment des concerts, c'est-à-dire des chants très probablement polyphoniques, motets ou autres, a capella ou éventuellement accompagnés par quelques instru- ments.

181 Adolphe Rochas, Biographie du Dauphiné, 2 vol., Paris, 1856-1860.

182 Catherine Massip, Itinéraires d’un musicien européen : l’autobiographie de Michel Farinel (1649-1726), (p. 131-147), in Baldas-

sarre, Antonio (éd.) : Musik, Raum, Akkord, Bild : Festschrift zum 65. Geburtstag von Dorothea Baumann, Bern, P. Lang, 2012, p. 140.

183 Claude-François Ménestrier, Les Transfigurations..., op. cit., p. 27-28.

184 Béatrice Méténier, Le couvent Sainte-Cécile : domicile des Éditions Glénat, Grenoble, Glénat, 2009.

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