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Renforts de hauts instruments pour les offices extraordinaires

Toutes les fêtes civiques qui célèbrent un thème lié au pouvoir central ou provincial, intègrent une dimension et un moment religieux. L'office le plus fréquent est le Te Deum laudamus… qui repré- sente deux réalités pour l'Église romaine. C'est d'abord une simple prière, initialement de l'office des Matines, récitée, ou psalmodiée. Mais, depuis le XIIIe siècle au moins, le Te Deum peut aussi devenir

un office particulier, une action de grâce utilisée par les souverains d'Europe pour célébrer victoires militaires ou heureux événements, prenant alors une double dimension religieuse et politique. Dans ce second usage, le Te Deum est chanté avec plus d'éclat, en monodie ou en polyphonie, et il peut être accompagné de divers instruments de musique. Même si Louis XIV en a démultiplié l'usage à tout le royaume, la fonction du Te Deum lors des célébrations intégrant le religieux aux actes du pouvoir politique n'a rien d'un phénomène propre au Grand Siècle. L'antériorité de son usage se vérifie aussi à Grenoble. Quand Charles VIII quitte cette ville le 29 août 1494, et qu'il reprend le chemin de la guerre en Italie, l'écho de ses victoires raisonne ensuite en autant de Te Deum 163 :

La population de Grenoble l'accompagna de ses vœux dans cette folle expédition. Quelques membres du Parlement, qu'il avait emmenés avec lui, tenaient la ville au courant de la marche de l'armée royale et chaque nouveau succès y était célébré par des Te Deum, des fêtes publiques, des danses et des mascarades 1.

1. ADI, B 2905, f°s 197, 229-230. Cf. Chorier, II, 496.

Mais quel Te Deum et avec quelle musique ? Affiner la compréhension du type de Te Deum réalisé repose – mais bien fragilement – sur la présence ou non dans les sources d'expressions comme Te Deum chanté en musique. Parmi les célébrations grenobloises ayant une dimension musi- cale documentée, il en est 9 où le Te Deum est chanté, et parmi ces 9 Te Deum, 5 sont déclarés chantés en musique.

Comment interpréter cette locution, sans sources suffisamment explicites et sans plaquer pour Grenoble les résultats des recherches concernant d'autres villes ? Comment ne pas redouter l'emploi dans les sources d'expressions formulaires qui fausseraient l'approche de la réalité ?

Pour les pratiques musicales à Grenoble, la lecture des témoignages contemporains et celle des extraits de sources premières contenus dans les inventaires d'archives incite à distinguer 4 ou 5 modes d'interprétation des offices en général et du Te Deum en particulier. Cette typologie des termes, de la messe basse à l'office chanté avec symphonie reflète pour la liturgie une graduation du mode le plus simple jusqu'à sa mise en musique la plus élaborée :

161 Id., p. 250-251 ; ADI G 449, fol. 252 v°. Royer indique en note 2 :

« Le motet de l'Homme armé à 3 voix de Josquin Després a été imprimé dans le recueil de Petrucci en 1501. Le même composi- teur a écrit une messe sur ce thème à 4 voix qui fut publiée en 1534. […] Quant aux Jeremiae Lamentationes una cum Passione à 5 voix de Roland de Lassus, elles ont été éditées à Paris en 1585 par Le Roy et Ballard. […]. »

162 Henri-Jean Martin & Micheline Lecocq, Les registres du libraire Nicolas..., op. cit., p. 182. 163 Auguste Prudhomme, Histoire de Grenoble…, op. cit., p. 293.

Musiques et musiciens

offices sans chant – textes récités ou psalmodiés – dits conventuels, pour les ordres monastiques,

comme celui des Minimes, qui s'interdisent même le plain-chant ;

offices chantés : généralement en plain-chant, pour les autres monastères, comme pour le clergé sécu-

lier officiant, en ce cas, sans doute avec la psallette ;

offices solennellement chantés : peut-être aussi en plain-chant, avec la psallette, et dans un style –

lequel ? – ou avec un supplément d'effectif – des chantres ? – donnant ce caractère solennel ; à moins que l'adverbe solennellement n'implique rien de musical ni de liturgique, mais seulement le fait que la direction de l'office et celle du chant du Te Deum sont confiés à l'un des principaux prélats de la ville ?

offices – messes ou Te Deum – chantés en musique, ou en concert : sans doute par la psallette et des

chantres, ou par un chœur de moniales, et sur des partitions polyphoniques ;

offices ou Te Deum chantés en musique avec symphonie : comme le précédent type, mais avec un

effectif supplémentaire d'instruments, violons ou hautbois.

Deux exemples, tirés du récit de la fête de 1667 pour la canonisation de François de Sales, montrent cette graduation des types d'interprétations, à supposer que les mots ne soient pas choisis à la légère 164.

Dans ce premier cas « chanté par la musique » évoque le renfort de chanteurs, chantres et psal- lette :

Aussi-tost qu'il [l'étandard] arriva a la porte de l’Église du Monastere de la Visitation, où les Religieuses l'attendoient dans leur Chœur, avec des Cierges allumez en main, toutes les Cloches de la Ville sonnerent, & l'Artillerie de l'Arsenal fit la décharge aussi-tost que le Te Deum eût été entonné. Il fut chanté par la Musique ; (…).

Dans le second cas, le narrateur croit bon de préciser qu'il y eut « symphonie » en plus de la musique, ce qui suggère l'emploi d'instruments :

Le Vendredy 10. Septembre, l'Office fut fait tout le jour par Messieurs des Chanoines de Saint André, qui vinrent procession- nellement de leur Eglise en celle de ce Monastère ; le Concert de Musique & la Symphonie y furent excellens (…).

Cette interprétation des expressions en musique, en concert et avec symphonie qui qualifient les différents offices dans les relations contemporaines d'Allard, Boniel, La Baume ou Ménestrier, n'ac- cède certes pas au rang des certitudes. De surcroît, se pose la question de l'orgue. L'orgue intervient- il en accompagnement de ces chants sacrés, ou pour des intermèdes écrits ou improvisés, comme si son rôle allait de soi, sans que la nécessité ne s'impose aux chroniqueurs de le préciser ? Il arrive néanmoins qu'il soit évoqué, comme en 1669 à Montfleury 165 :

D'abord que le Bust fut devoilé, monsieur le Grand Vicaire entonna le Te Deum, lequel fut suivi de l'Orgue, dont on fut charmé, aprés quoy il fut chanté avec allegresse & en concert (…).

Faut-il prendre en cette circonstance le mot suivi dans le sens de succéder, ou d'accompagner ? Dans le premier cas, le Te Deum aurait été suivi d'une pièce pour orgues seules et, dans le second, ces orgues auraient accompagné les moniales chantant le Te Deum.

Des sources confortent-elles l'hypothèse d'un accompagnement instrumental des Te Deum ? Certaines descriptions indiquent la présence dans l'église de musiciens qui accompagnent le cortège en son entrée, puis en sa sortie vers les autres festivités, mais rien ne prouve qu'au moment du Te Deum ils jouent de leurs instruments. Cette ambiguïté demeure par exemple en 1688 166 :

[1688 : réjouissances pour la prise de Philisboug]

(…) deux hayes, au milieu desquelles passerent les Corps qui assisterent au Te Deum. Mrs de l'Hostel de Ville en Robes Consulaires furent les premiers à s'y trouver, avec leurs Valets de Ville & Pertuisaniers, & des Violons, & des Hautbois. (...) Si tost qu'ils furent placez, Mr le Cardinal le Camus, Evesque de Grenoble, avec sa Crosse, son Massier, & plusieurs Chanoines qui estoient allez le prendre, vint occuper sa place ordinaire sous son Dais, d'où il entonna le Te Deum.

164 Claude-François Ménestrier, Les Transfigurations sacrées…, op. cit., pp. 12, 18 & 34.

165 François Boniel, La Béatification de Sœur Rose de Sainte Marie de Lima, Religieuse du Tiers Ordre de Saint Dominique ; Solen-

nisée durant huit jours au Royal Monastère de Montfleuri, le mois de Iuillet mil six cens soixante-neuf. Grenoble, Philippe Charuys , s.d., p. 29.

166 Le Mercure Galant, décembre 1688, p. 38-48.

à Grenoble au XVIIe siècle

Heureusement, dans quelques rares cas, l'accompagnement instrumental est signifié, étayant alors l'hypothèse d'une plus riche musicalité pour ces exécutions du Te Deum. Dans le premier exemple, un tel accompagnement par une bande de violons apparaît très probable ; il est incontestable dans le second exemple où intervient la toute récente Académie du Concert, avec ses instrumentistes et son chœur mixte 167 :

[1610 – fêtes pour le sacre de Louis XIII]

À Raye l'Auvergnat, François le violon et leurs compagnons, 13 livres pour « la peine par eux prinse au Te Deum faict ez églizes de ceste ville au sacre et advènement du Roy Loys treiziesme, roy de France et de Navarre »

[1725 : réjouissances faites à l'occasion du mariage du roi]

(…) le Te Deum est chanté par l'Académie de musique, établie à Grenoble : « elle est remplie de gens de condition, d'un et d'autre sexe, et les voix et la symphonie s'y surpassèrent. »

Même attestée, cette présence instrumentale reste imprécise. Les musiciens recrutés pour le Te Deum sont multi-instrumentistes et rien ne confirme qu'ils ont joué en ces occasions du violon, du hautbois, ou les deux ensemble, voire d'autres instruments.

L'intervention de trompettes est prévue par de nombreuses compositions de musiques sacrées d'époque renaissance ou baroque, tel le Te Deum H. 146 de Marc-Antoine Charpentier (1692). Or les trompettes ne semblent figurer dans la fête de 1669 qu'en instrument d'extérieur et rien n'indique qu'elles entrent jouer dans l'église. Quant au concert d'instruments qui était déjà présent à l'intérieur, il joue bien dans l'église, mais le nom de ses instruments n'est pas détaillé 168 :

Quand on approcha de l'Arc de Triomphe [rue Très-Cloîtres], les Trompettes qui estoient logez au dessus, commencerent à fanfarer, et un Concert d'Instrumens receut la Procession dans l’Église (…) aprés quoy le Te Deum fut entonné par Monsieur le Doyen, & solemnellement chanté par une excellente Musique.

Il est plus difficile d'envisager, comme peut-être en 1698, que la musette – instrument de bal et de procession – soit associée aux hautbois pour jouer à Notre-Dame 169 :

[1698, 18 janvier – réjouissances pour la paix de Ryswick]

Tout le corps consulaire en grand costume, précédé de tambours, de pertuisaniers, des valets de ville à cheval et d'un orchestre de douze musiciens, hautbois bassons et musettes, se rendit sur la place Saint-André (…). Le lendemain dimanche, on alla en corps à Notre-Dame, pour assister au Te Deum (…).

Ces Te Deum chantés en musique sont ceux de 1610, 1660, 1667, 1688, 1693 et 1725. Du second XVIIe siècle essentiellement ? Oui, mais le mieux établi, documenté, comme un Te Deum accom-

pagné par des joueurs d'instruments est celui de 1610, pour le sacre de Louis XIII, au début du siècle.

Le Te Deum n'est pas le seul office religieux intégré aux fêtes civiques à bénéficier du renfort de la musique instrumentale. Il peut en aller de même pour des messes complètes, même si les exemples – deux seulement – en sont encore plus rares et les sources tout aussi fragiles. Dans le premier (1667), les violons participent clairement à la messe, accompagnant les chants, alors que pour le second (1701), l'information reste vague 170 :

[Fêtes de canonisation de Françoise de Sales. Le 25 mai 1667]

Entre les neuf & dix heures Messieurs les Penitens de Notre-Dame de Confalon partirent processionnellement de leur Chapelle en bel ordre, & en bon nombre. Le Maistre des Ceremonies estoit en teste avec sa cane, suivy de douze petits enfans vêtus en Anges (…). La Bande des douze Violons marchoit sur leurs pas (…). Messieurs les Penitens au nombre de cent soixante suivoient cette premiere Troupe sous leur Croix & leur Gonfanon. Estant arrivez à l’Eglise, Mr de Marnais

Conseiller Clerc, & l'un des plus anciens Recteur de cette Compagnie, celebra la Messe solemnellement, à laquelle la Musique, & les Violons répondirent ;

[1701, 4-7 avril : Entrée des ducs de Bourgogne et de Berry]

Le 5 avril, à Notre-Dame : « Il y eut musique à la messe ».

167 AMG, ISAP, CC 736, p. 154 ; AA 47 p. 44.

168 Claude-François Ménestrier, Les Transfigurations..., op. cit., p. 24.

169 Prudhomme, Histoire de Grenoble…, op. cit., p. 95-96 ; et AMG, ISAP, BB 18, p.169. 170 Claude-François Ménestrier, Les Transfigurations..., op. cit., p. 42-43.

Christophe Levantal, La route des Princes – Le voyage des ducs de Bourgogne et de Berry de la frontière espagnole jusqu'à Versailles (1701) d'après le Mercure Galant, Paris, Sicre Éditions, 2001, p. 204-209.

Musiques et musiciens Au final, c'est bien par le renfort d'instrumentistes toujours payés par la municipalité, que l'Église peut offrir aux puissants honorés et aux fidèles présents, messes et Te Deum aux sonorités enrichies, et ainsi augmenter l'éclat et la solennité de la cérémonie. Le premier exemple donné – mobilisant en 1610 la bande de Raye l'Auvergnat – est représentatif des pratiques du XVIIe siècle. Le second

exemple illustre le moment où, à partir de 1724, la vie de la musique se transforme, et les profes- sionnels associés aux amateurs sont regroupés en l'Académie du Concert.

Hélas ! il nous manque la substance de ces exécutions de musique religieuse, tant pour les instru- ments précis, les effectifs, les styles, que pour le nom du compositeur, lequel pouvait être un artiste de renom à l'échelle du royaume, ayant imprimé sa musique, aussi bien qu'un musicien local, orga- niste ou maître de chœur.

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