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Maître de musique pour des monastères à Grenoble

Michel Farinel affirme dans son autobiographie qu'il est engagé par le monastère de Montfleury comme maître de musique et Catherine Massip reprend sans commentaire cette information. Notons cependant qu'il n'est pas d'autre source pour établir le fait que la propre autobiographie du musi- cien 451 :

Nous fûmes a Lisbonne, ou je fis entendre mes premiers Conçerts a la Reine de Portugal. Quelques temps apres nôtre retour Madame mourut, Mons. Le Chavellier fut tué par Monsr. Le Marquis de Laroche Courbon, et je vins à Grenoble, où les Illustres Dames du Royal Monastère de Montfleury me donnerent la direction de leur Conçert.

Un laïc enseignant et dirigeant la musique de moniales : cette charge est-elle vraisemblable ? D'un point de vue institutionnel, la chose ne semble pas courante. Un siècle plus tôt, en Espagne, en 1586, le grand Tomás Luis de Victoria fut nommé chapelain et maître de chœur du couvent royal des clarisses déchaussées à Madrid. Mais Victoria est un musicien d'Église et un prêtre. Il existe cepen- dant au moins un cas similaire et contemporain : en 1685, grand musicien italien récemment installé en France et introduit à la Cour de France, Paolo Lorenzani (1640-1713) obtient une fonction de maître de musique dans un monastère de l'ordre des Théatins à Paris. L'organiste, nous l'avons vu pour Le Mans, peut aussi être embauché dans un couvent, mais Farinel semble embauché, non comme organiste, mais comme compositeur et maître de musique, au moins comme maître de chant. Certes, Michel Farinel a déjà à son actif, après avoir été introduit en la maison d'Orléans en 1667, l'expédition du Portugal de 1668 à 1670. Mais il n'a que 21 ans et il serait déjà reconnu dans sa ville

449 Id., p. 140.

450 Léon Vallas, Un siècle de musique et de théâtre à Lyon. 1688-1789, Lyon, P. Masson, 1932 ; reprint Genève, 1976.

Catherine Massip, Itinéraires d'un musicien européen, op. cit., p. 141.

451 Id., p. 135.

à Grenoble au XVIIe siècle

comme le maître à engager par le plus prestigieux couvent de femmes du Grenoblois ? Pour que Michel Farinel dise vrai, cela supposerait aussi que ces moniales soient culturellement prêtes à s'in- vestir dans le perfectionnement de leurs talents musicaux au point d'engager un maître de musique. Ce que nous avons examiné sur Montfleury rend la chose plausible. Il semble que ces sœurs orga- nistes aient ensuite ajouté le chant choral aux pratiques musicales qu'elles ont développées en qualité, puisque en 1683, Le Camus se plaint qu'à Montfleury, on entend des concerts. Il faudrait connaître la comptabilité de ces dominicaines pour avoir des preuves, mais il est possible qu'en 1670, elles aient engagé le maître Michel Farinel, même si Antoine Lavet, mort en 1663, n'était plus là pour le recommander. À ce moment, Farinel ne reste pourtant que deux ans à peine à Grenoble et commence de multiples périples, à commencer par Paris en 1672.

Ce n'est qu'en 1689 qu'il s'installe à nouveau à Grenoble et y demeure 8 années. Pour cette deuxième période, Farinel a besoin de moyens d'existence en tant que musicien indépendant, et doit trouver à jouer ou diriger en concert et à donner des leçons de musique. Mais du point de vue des sources, il faut attendre 1691 pour disposer de traces validant sérieusement les activités de musicien de Michel Farinel à Grenoble : à cette date, il chante, joue du violon, dirige des concerts et enseigne la musique et la danse.

Pour l'achat d'un office d'assesseur en l'Élection de Grenoble, Michel Farinel se trouve en conflit – conflit détaillé plus bas – avec le sieur Besson. La qualité de son opposant – procureur du roi en l'Élection de Grenoble – et le fait qu'il écrive ses accusations à l'attention du Parlement de la province, donnent du crédit aux affirmations de Besson, telles que Farinel les récapitule pour les réfuter 452 :

« … Il ne peut exercer et faire actuellement la profession qu'il faict de jouer publiquement des Instruments et chanter dans les lieux publics, y ayant de l'incompatibilité et mesme de l'indignité ... »

Peu de temps après, dans une réponse au Parlement, Besson alourdit ses accusations et complète nos informations :

Devant le Parlement de Grenoble, il cite des faits précis : « Lundy 20e du present, il [Farinel] ioüait du violon dans l'église des

dames Religieuses de Ste Cécile de cette ville et qu'il enseigne la musique et a danser en diverses maisons Religieuses et

autres, ce qui semble incompatible avec la qualité de iuge, de laquelle mesme, il semble se rendre indigne... »

Michel Farinel serait donc bien maître de chapelle, employé par Monfleury et Sainte-Cécile – par ces deux couvents de moniales au moins, voire par d'autres – pour y développer l'art musical de leurs résidentes, peut-être les guider dans le chant, ou même dans la danse, depuis son violon. Dommage qu'avec son « diverses maisons Religieuses et autres », Besson n'ait pas été plus précis.

Une autre information confirme les relations suivies de Farinel avec les Dames de Montfleury et son rôle de maître de chant et de musique. Elle met en avant le rôle du librettiste Henri Guichard, ancien intendant des Bâtiments de Monsieur. En 1687, ayant échoué dans la mission confiée en 1684 par Daniel de Cosnac, évêque de Valence et Die qui le charge de l'intendance de l'hôpital de Valence, Guichard doit quitter la place et se rend à Grenoble où l'accueille le premier président du Parlement – en 1687, ce doit être Pierre de Bérulle – obligé de Daniel de Cosnac. Il retrouve alors en sa ville Michel Farinel, avec lequel il reste lié depuis leur commune expédition d'Espagne 453.

Le librettiste Guichard est toujours à Grenoble en 1696, quand il compose ses vers – Recueil de vers Spirituels sur plusieurs passages de l'Écriture et des Pères, pour être accommodé au chant, présenté aux Dames du Royal Monastère de Montfleury – et charge Farinel d'en écrire les musiques :

Aux Dames du Royal Monastère de Montfleury Mes Dames,

J'ay fait ce Recüeil l'Année dernière, sur la fin d'une maladie qui m'obligea de garder le lit pendant deux mois. La diminution de mes maux ayant rendu à mon esprit toute sa liberté, le me servis de celle de la Poësie, pour me faire un amusement innocent & chercher dans ces Vers le relâche que j'y ay trouvé (…) M. Farinel ayant trouvé ceux-là du sien (…) m'a témoigné

452 Marcelle Benoit, Versailles et les musiciens du Roi…, op. cit., p. 335, 338, 342, 377-379. 453 Alain Balsan, L'affaire Lully…, op. cit.

Musiques et musiciens

qu'il seroit bien aise de les mettre en Musique, pour les faire servir, Mes Dames, à vos recreations spirituelles, & exercer les voix qu'il conduit dans votre maison. 454

Michel Farinel compose pour ce faire diverses pièces, dont un véritable petit oratorio ; toutes ces partitions sont aujourd'hui perdues.

Besson dit de Farinel qu'il jouait du violon. L'intitulé de son instrument de musique peut laisser quelque doute. Le style de musique pratiqué par les moniales s'accorde sans doute mieux de la viole de gambe – instrument que nous avons vu présent chez les Visitandines – que du violon plutôt dédié à la danse en ce siècle. Mais si Besson n'est pas amateur de musique, il peut utiliser le nom de la famille d'instruments qui est alors en passe de supplanter celle de la viole, et appeler violon tout instrument à cordes frottées.

En retour, dans son mémoire au Parlement, Farinel défend son honorabilité :

« Led. Me Besson n'a pas deub le quallifier de Me à danser, attendu qu'il en a abandonné la profession depuis longtemps…, et

il est notoire qu'il n'a jamais fait profession de chanter, et que s'il a joué quelques fois des Instruments, ce n'a esté que gratuitement, chez des personnes de la première qualité, lesquels consers estoient en partie composés par des personnes en la compagnie desquelles led. Me Besson se sentiroit bien honoré d'y estre receu, estant beaucoup au dessus de sa

qualité, ne debvant pas ignorer que la musique, surtout comme le répondant la professe, n'a rien de bas ni d'approchant à certains employs qui n'ont pas empeché la reception de plusieurs eslues ... »

Admettons que Farinel n'enseigne plus la danse – pourtant, il n'a alors que 42 ans – il est peu probable qu'il ne dirige pas le chant des moniales qui l'emploient. Il faut quand même noter que la réputation acquise par la longue pratique d'un métier laisse des traces persistantes, particulièrement du côté de l'administration. Quand intervient en 1707 – soit 16 années plus tard – le Contrôle des habitants de Grenoble sujets aux logements militaires, les noms et qualités suivants apparaissent où Farinel, pourtant le seul des trois à être un compositeur connu, n'a pas droit au nom de musicien et demeure danseur 455 :

rue du Quai : (...) Moîne, musicien (…) ; rue Montorge : (...) Gourgeon, musicien (…) ; rue Neuve : (...) Farinel, maître à danser.

Il est plus difficile de le croire quand il affirme qu'il chante, joue de l'instrument, réunit des « consers » qu'il dirige sans doute, le tout « gratuitement » ; il faudrait que soit établi qu'il dispose d'un capital lui permettant ce bénévolat digne d'un gentilhomme. Certes il est en train de se battre pour investir 5 400 livres dans un office, mais dès 1697, six ans après ce conflit et cet investisse- ment, il part une année à Toulouse et Montpellier pour exercer des charges musicales et rémunérées. Est-il possible de mieux connaître sa situation financière ? En 1690, Michel Farinel est le parrain au baptême de Suzanne, fille de Charles Reymond, avocat, ancien président en l'Élection, et de Marie- Marthe Faure, et il donne comme identité sur le registre : « Michel Farinelly, gentilhomme pension- naire du Roi d'Angleterre » 456. Le fait qu'il signe pensionnaire du Roi d'Angleterre relève plus proba-

blement de l'affichage d'un état glorieux mais révolu, que de la réalité d'un versement maintenu par la couronne anglaise d'une pension allouée par Charles II, monarque mort depuis 1685.

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