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Le monde des musiciens amateurs

Dans les ouvrages examinés, cette question est fort peu étudiée pour le Grand Siècle, mais elle est davantage présente pour celui des Lumières, comme dans les recherches menées pour Aix et Lyon.

En Provence, la noblesse parlementaire du XVIIe siècle, qui utilise ses hôtels pour danser,

déclamer ou faire de la musique, se transporte pour son nomadisme saisonnier en ses demeures de campagne pendant les vacances parlementaires de juin à octobre, pour y reproduire les mêmes loisirs. Ces aristocrates danseurs, poètes et musiciens ne se satisfont plus de ces pratiques en leurs domiciles et, en 1719, fondent une Académie de Musique. Cette nouvelle vie collective de la musique prend initialement la forme de concerts privés, dont l'organisation est autofinancée, et se déroule dans une salle de jeu de paume, ou bien dans une salle de la municipalité 62.

À Lyon, c'est en 1700 que débute la première société savante, l'Académie des Sciences et Belles- Lettres, puis au XVIIIe siècle, ce sont deux académies de musique qui sont constituées. L'Académie

Royale de Musique est fondée en 1688, consacrée surtout aux ouvrages lyriques. Elle ne disposera d'une salle spécialisée qu'en 1756. La seconde est l'Académie des Beaux-Arts et du Concert, née en 1713. Elle offre parfois des conférences sur la musique ou les arts appliqués. Ses exécutants sont d'abord les amateurs issus de la noblesse ou de la bourgeoisie. Mais à partir de 1736, ce sont surtout des professionnels qui exercent dans les deux académies. Les chœurs ne sont pas directement connus, mais renseignés de 1724 à 1764 par la participation des choristes de l'Académie Royale de Musique et du Concert à la cérémonie du 8 août du « Vœu du Roi » en l'église du Grand Collège de la Trinité, dédiée à la santé du monarque ; ces chanteurs sont 28 en 1729. Ces groupes de musiciens sont dirigés par des chefs - les batteurs de mesure – qui sont issus des bons musiciens de la compa- gnie ou sont compositeurs ou professeurs de musique 63.

Ces Académies ne concernent que le XVIIIe siècle, aussi est-ce pour ce temps que leur étude peut

donner des indications sur le répertoire qui y était joué, comme pour celle de Lyon 64 :

C'est par un rapide bilan que nous voulons clore ce survol de l'activité musicale lyonnaise au XVIIIe siècle. Il nous permettra d'apprécier les similitudes, dans l'évolution générale de la musique, sur le plan national et sur le plan local, avec un dévelop- pement et une ascension dans les programmes de la musique instrumentale et des formes qui vont atteindre leur équilibre

62 Christiane Jeanselme, L'Académie de musique d'Aix-en-Provence sous l'Ancien Régime, in La musique dans le Midi de la France, Tome I. XVIIe-XVIIIe siècles, Actes des Rencontres de Villecroze, 5 au 7 octobre 1994, réunis par François Lesure, Klincksieck,

1996, p.71-105.

63 Paulette Cleyet-Faure, L’activité musicale lyonnaise au XVIIIe siècle. In Aspects de la musique baroque et classique à Lyon et en

France, Daniel Paquette (dir.), Lyon, Éditions À Chœur Joie & Presses Universitaires de Lyon, 1989, p. 37-52.

64 Paulette Cleyet-Faure, L’activité musicale lyonnaise…, op. cit.

Musiques et musiciens

définitif avec le classicisme viennois : sonate, concerto, symphonie, musique de chambre ; puis dans le domaine du théâtre lyrique, un remplacement progressif, bien que leur disparition ne soit jamais totale, du motet à grand chœur et de la grande tragédie lyrique française, par l'ariette et la cantatille à voix seule et B.C. ou encore par l'extrait d'opéra-ballet et surtout d'opéra-comique, qu'il soit de Dauvergne ou de Monsigny, de Philidor, de Grétry ou même de J.J. Rousseau dont le Devin du

village sera proposé plusieurs fois aux Lyonnais, notamment en 1768.

La querelle des Anciens et des Modernes s'éteint progressivement avec le triomphe des Modernes, notamment sous la forme d'un spectacle musical, l'opéra-comique, qui renouvelle ses thèmes et ses personnages, et s'appuie sur l'étude d'une classe sociale dont la Révolution, maintenant proche, affirmera la temporaire libération.

La même étude établit que ces amateurs jouaient grâce à des partitions conservées à la biblio- thèque du Concert, ce qui suppose leur achat à Lyon, Genève ou Paris, mais qui permet aussi d'en déduire le nombre de joueurs pour ces œuvres 65 :

(…) le texte musical est noté sur deux portées ou trois, émaillées de quelques détails d'instrumentation concernant proba- blement les parties les plus importantes et non les doublures de ces parties : violon et B.C., hautbois, bassons et violons, flûtes allemandes, et parfois, le nombre de parties requises pour l'exécution. Cela s'échelonne de 45 parties pour le motet de J. Ph. Rameau, In convertendo, à 148 pour les Fêtes de Tempé de M. Dauvergne. (p. 41)

Comment ces nobles amateurs de musiques ont-ils appris la technique de cet art ? Le passage des jeunes en collège répond largement à la question. Si les filles de l'aristocratie aixoise sont formées aux couvents des Ursulines et des Visitandines, on ne sait si elles y apprennent davantage que le chant liturgique. En revanche, les fils de l'élite aixoise qui se forment au Collège Royal Bourbon, tenu par les Jésuites, trouvent là une formation musicale indéniable. Car les Jésuites intègrent au programme de formation de ces jeunes gens la production de pièces de théâtre associant musique, poésie et danse. Dès 1560, le chant y est enseigné par un musicien laïc. Cet enseignement n'est plus mentionné par la suite, mais il pourrait s'agir d'une pratique poursuivie par les Jésuites et dissimulée après son interdiction. En effet le père Maggio, visiteur du général de la Compagnie, avait fait inter- dire en France cet enseignement en 1587 ; interdiction entérinée, sauf pour les cantiques, dans le Ratio Studiorum de 1599 66. À Lyon aussi des Jésuites célèbres travaillent et enseignent au collège de

la Trinité, qu'ils ont repris aux protestants en 1565, éduquant les jeunes bourgeois et les jeunes nobles par tous leurs savoirs y compris celui de la musique. Les Jésuites publient des hymnes desti- nées à être chantées au catéchisme et divers recueils de cantiques. Pour ses cérémonies propres, le Collège organise des séances de théâtre et des ballets en musique interprétés par ses élèves. Des dizaines de livrets sont publiés à cet effet. Le Collège Godran, ou Collège des Jésuites (1587) de Dijon, accueille gratuitement toutes les classes sociales. Il enseigne la musique sans que ce soit obli- gatoire et pratique la même pédagogie de spectacles de théâtre et ballets que dans les villes précé- dentes. Pour la Rome des Alpes, une vie théâtrale et musicale semblable paraît animer le collège chappuisien et former ainsi la jeunesse locale de l'élite d'Annecy.

Les autres études, centrées sur les musiciens professionnels, n'ont guère abordé cette dimension. Aussi, quand surgissent en ville, sous forme d'institutions nouvelles – Académie du Concert ou autre – des collectifs de musiciens amateurs, on ne connaît pas le processus qui les a conduits de la musique entre soi, avec amis ou relations, en chambre ou au château, à la musique au jeu de paume ou dans une autre salle, devant un public encore confidentiel, mais élargi. Pourtant le processus de création des Académies du Concert est général et assez synchronisé. Un premier frémissement se produit à la fin du Grand Siècle :

1661 : Paris & la Cour, Académie royale de danse ;

1662 : Rouen, création de l'Académie du Concert ;

1669 : Paris & la Cour, Académie d'opéra en musique et vers françois ou Opéra ;

1670 : Orléans, création de l'Académie du Concert ;

1672 : Paris & la Cour, Académie royale de musique (Lully).

Ensuite la création d'Académies du Concert, ou Académies de musique ou Sociétés de concert se généralise dans les principales villes du royaume :

65 Id., p. 41.

66 Christiane Jeanselme, L'Académie de musique d'Aix…, op. cit.

à Grenoble au XVIIe siècle

• de 1713 à 1720 : Lyon, Marseille, Aix-en-Provence, La Rochelle ;

• de 1721 à 1730 : Béziers, Grenoble, Tours, Dijon, Lille, Nantes, Caen, Troyes, Rennes ;

• de 1731 à 1740 : Clermont-Ferrand, Moulins ;

et pour les villes déjà évoquées : 1747, Grenoble (nouvelle création du Concert), 1764 : création au

Mans.

Même si cette liste n'embrasse pas systématiquement l'ensemble du royaume, on voit qu'en ce premier XVIIIe siècle, une nouvelle conjoncture est ouverte pour ce qui est de l'organisation de la vie

musicale des élites. Il n'est guère, pour autant, de lumières sur ce qui précède ce tournant.

Comment écrire une histoire de la musique à Grenoble ?

Avec les recherches passées en revue, le contexte général de la vie musicale dans le royaume étant désormais esquissé pour les XVIIe et XVIIIe siècles, ses régularités dégagées, on sait ce qu'il

est possible de trouver, de conforter, ou de réfuter concernant la vie musicale de Grenoble. L'absence de recherche globale et de synthèse sur la vie musicale en cette cité ne signifie pas absence de recherches sur la musique ou sur des sujets englobant la vie musicale. De précieux travaux concer- nant ce thème ont déjà été réalisés et il faut les rappeler.

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