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Bilan pour une famille de musiciens

Marcelle Benoit l'a souligné : le musicien professionnel rêve de se hausser jusqu'à l'anoblisse- ment. Espoir qui demeure généralement un rêve : à part Jean-Baptiste de Boesset et Lully, personne n'obtient du roi cette promotion ; même si certains se parent de noms ou titres trompeurs. Après la Régence, Louis XV n'anoblira que cinq musiciens.

Le désir d'ascension sociale et de gain de prestige peut avoir des visées plus modestes, ou plus réalistes 470.

La réputation se mérite. Elle se sollicite aussi. Quel musicien ne céderait à la tentation d'acquérir quelque titre transmissible à son fils ?

Il ne lui suffit plus de se faire appeler bourgeois de Paris, bourgeois de Versailles, honorable homme. Sa dénomination d'or- dinaire de la musique du roi s'efface volontiers derrière des qualifications flatteuses : maître d'hôtel du roi (Jean-Baptiste de Boesset), valet de chambre de la reine (Pierre Chabanceau de La Barre, François Roberday), écuyer de la reine (Jean Gendron), valet de chambre du comte de Toulouse (Jean-Baptiste Reffier), valet de chambre de la duchesse de Bourgogne (Sébastien Huguenet, Jacques Gaye), écuyer du comte de Saint-Florentin (François Labbé de Mongival), etc.

Des dignités peuvent être données en récompense.

La réputation s'achète. L'édit de 1696 4 accordant des lettres de concession d'armoiries à tous ceux – officiers des maisons

royales, d'épée, de robe, de finance, ecclésiastiques, bourgeois – qui en formuleraient la demande, rencontra un écho favo- rable chez nos musiciens.

4. Archives Nationales, Secrétariat de la Maison du Roi, 1696, novembre, O1 40, f° 382 v°.

Cet édit agaça la noblesse. Si, après sa demande, elle était accordée, l'entrée valait 20 livres : 35 musiciens ont fait la démarche et obtenu leur blason ; mais pas la noblesse pour autant.

Certes, l'aristocrate ne déroge pas en pratiquant le chant, le clavecin, la danse, en se mêlant aux professionnels lors de certains spectacles. Mais il ne lui viendrait pas à l'idée de solliciter une fonction, voire un simple titre dans la musique royale. De rares exceptions confirment la règle.

Nous observons l'effet de cette même aspiration à Grenoble au milieu du XVIIIe siècle quand le

port de l'épée, marque de distinction sociale, est tenté par les musiciens mais réprouvé par les auto- rités. Un exemple parmi d'autres en 1749 : le procureur du roi au siège engage des poursuites contres plusieurs maîtres à danser et musiciens qui pratiquent le port de l'épée sans en avoir le droit 471.

Les frères Farinel fournissent au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles un exemple d'une ascension

sociale manifeste. Issus d'un milieu de simples joueurs de violons, ils ont poursuivi la route tracée par leurs père et oncle, qui s'étaient déjà élevés dans le métier jusqu'à faire carrière de musiciens à la Cour de Turin. Michel et Jean-Baptiste ont eux-mêmes atteint l'excellence dans leur métier en créant et en laissant des compositions de qualité au cours de carrières aux dimensions internationales. Si leur enrichissement financier est difficile à préciser, il faut se rappeler que leurs confrères maîtres de violons grenoblois touchaient 4 à 5 livres pour une journée passée à animer une réjouissance munici- pale. Or nous avons assisté à l'investissement répété par Michel Farinel de sommes de quelques milliers de livres. Jean-Baptiste a pu faire à son frère un prêt du même ordre de grandeur. Quant à la recherche des honneurs, chaque frère a eu sa part. Jean-Baptiste a tenu d'importants postes dans la musique à Hanovre et a probablement été anobli par le souverain du Danemark. Son frère Michel a d'abord tenu des fonctions de premier plan dans la musique du roi d'Angleterre, puis dans celle de la reine d'Espagne. Une fois revenu à Grenoble, il a réussi à acquérir un office de robe au Bureau de l'Élection, prenant ainsi une place non négligeable dans les institutions royales de la capitale du Dauphiné.

469 Raymonde Ferrer-Laloe-Carrel, Une famille de musiciens grenoblois…, op. cit., p. 5. 470 Marcelle Benoit, Versailles et les musiciens…, op. cit. , p. 385, 386, 388.

471 AMG, ISAP, FF 59.

Musiques et musiciens

à Grenoble au XVIIe siècle

Conclusion

Dans l'un des grands ouvrages classiques de l'histoire de Grenoble, la vie musicale est ainsi décrite 472 :

La bonne société avait son orchestre, ses concerts, son bal, ses représentations théâtrales à l'intérieur de la maison commune ou d'un hôtel. La « populace » avait son orchestre de violons et de hautbois, ses danses dans les rues et les places où brûlaient les feux de joie et coulaient les fontaines de vin traditionnelles.

Il est maintenant possible d'aller plus loin dans les précisions ou les nuances. Le rassemblement et l'analyse des informations issues de diverses sources ont permis d'apporter un certain nombre d'éclairages sur plusieurs aspects de la connaissance de la musique et des musiciens à Grenoble au XVIIe siècle. Le choix d'une étude de la globalité de la vie musicale dans la cité s'avère justifié par

les caractères des musiques qui s'y produisent. En effet il est bien peu de situations où des musiciens chantent ou font sonner leurs instruments pour le seul plaisir de la musique, comme cela se produit dans les concerts des siècles suivants. Pour trouver la présence de moments musicaux, il faut examiner quantité d'activités sociales dans lesquelles certaines musiques sont présentes. Sauf à de rares exceptions, et avant les premiers concerts réalisés par l'Académie du Concert au XVIIIe siècle,

c'est en situation d'intégration que la musique vit et qu'elle évolue. Ces situations d'intégration, quand la musique accompagne une autre activité, sont multiples : moments ou compléments d'of- fices religieux, animations des réjouissances municipales, supports des chants et danses des ballets, intermèdes au sein des pièces de théâtre, etc. L'approche systémique se justifie également par l'im- brication partielle des différentes activités des acteurs de ces musiques, ainsi que par celle de leurs différents accès à une formation à cet art. Si les musiciens professionnels d'Église connaissent des carrières bien différentes de celles de leurs confrères indépendants, en pratique ils sont amenés à jouer ensemble en de nombreuses circonstances. Les maîtres à danser et les maîtres joueurs d'ins- truments sont les artisans des musiques de la ville. Ils constituent aussi un appui à la pratique musi- cale des élites grenobloises en leurs domiciles et ils contribuent à leur formation musicale par les leçons qu'ils dispensent. Quant aux visions les plus précises des pratiques musicales élaborées, elles apparaissent aussi bien dans les salons de l'aristocratie, que dans certains monastères où les filles de la noblesse sont installées et pratiquent le chant et les instruments.

Certes, l'ensemble du tableau souffre des limites qu'imposent les sources – seule l'église collé- giale est documentée et de surcroît par des archives peu détaillées – et nombre d'aspects des pratiques des amateurs de musique, comme des réalités du métier des musiciens professionnels, restent ainsi dans l'ombre. Il en va de même pour certaines informations concernant le groupe social des musiciens professionnels, ou pour certains indices trouvés à propos des pratiques culturelles et musicales de l'aristocratie : ces éclairages isolés constituent de précieux éléments de connaissance, mais leur rareté rend périlleuses les tentatives de généralisation. Il reste de nombreux documents d'archives – contrats, correspondances, etc. – à consulter pour que progresse la connaissance de la vie musicale à Grenoble. Plus largement, il serait souhaitable de réaliser une synthèse des connais- sances établies sur ce thème pour les trois siècles de l'époque moderne. Il serait également fructueux pour l'avancée des connaissances d'envisager des recherches comparatives entre plusieurs villes du Dauphiné, et pour commencer entre Grenoble et Valence.

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