• Aucun résultat trouvé

Les viandes de lait inscrites dans des élevages laitiers

concurrences et synergies entre coproduits

4.1. Les viandes de lait inscrites dans des élevages laitiers

Afin de rendre intelligible la place des viandes de lait en élevage laitier, j'ai choisi dans un premier temps de mettre en lumière une pratique assez répandue, celle de l'abattage à la naissance des agneaux, qui traduit ces contraintes d'existence des coproduits (i). Je m'attacherai ensuite à préciser différentes dimensions zootechniques qui peuvent favoriser ou non cette pratique. Il s'agira ainsi de préciser le fonctionnement d'un troupeau, dans sa relation à la saisonnalité notamment (ii). Je m'attacherai ensuite à préciser les stratégies de gestion des naissances qui président au fonctionnement d'un élevage laitier et son incidence sur l'organisation des sorties d'agneau (iii). Enfin, je mettrai en perspective la question des

naissances avec celle de la gestion de la reproduction, agissant sur la périodicité des mises-bas (iv).

4.1.1. L’abattage à la naissance : de la pratique socialement inacceptable à sa justification économique

Le statut de coproduit et de sous-produit peut être incarné dans une pratique qui s’est peu à peu banalisée en Corse depuis une quinzaine d’années, celle de l’abattage des agneaux à la naissance, quelques jours après la montée du colostrum, et estimée à environ 8 000 animaux. Qu’exprime cette pratique quant au statut de l’animal, du produit issu de l’exploitation, composante du système productif, et du métier de l’éleveur ?

« Chaque jour d’allaitement des agneaux, je perds de l’argent, c’est plus intéressant de faire la traite, à 1€,20 le litre de lait, il vaut mieux faire du fromage, on est des laitiers » (Eleveur ovin apporteur, Corte).

Cet arbitrage est économique. Ainsi, chaque jour alloué à la tétée des jeunes animaux représente une moins-value économique par rapport à la lactation associée à la traite des brebis mères. Le niveau élevé de rémunération du lait incite alors les éleveurs à privilégier la mise en production des brebis à l’élevage des agneaux, peu rémunérés (en contraste avec le cas des cabris qui à l’inverse, justifie la valorisation des viandes). Selon un technicien ovin, pour l’éleveur, « un agneau tué vaut mieux qu’un agneau élevé », résumant bien ce conflit entre produire du lait ou de la viande.

Témoignage d’un changement dans la relation aux viandes de cabris, cette pratique encore inexistante il y a quelques années se diffuse dans quelques rares exploitations caprines. Elle est principalement pratiquée sur les animaux décalés ne pouvant être commercialisés sur les marchés de Noël ou de Pâques, seuls en mesure d’offrir une rémunération justifiant d’élever le cabri.

L’intérêt ou non pour l’éleveur d’abattre ses animaux à la naissance est variable et dépend à la fois de son statut, lui offrant des niveaux différenciés de valorisation du lait, et du circuit économique vers lequel il destine ses viandes. Si les revenus fromagers sont toujours plus importants, la part de complémentarité offerte par les viandes est très variable et peut représenter entre 5 et 40% du revenu des éleveurs. Malgré la perte économique, les bergers élèvent souvent leurs agneaux même s’ils ont un manque à gagner, car la période de vente des

viandes intervient à une période où il n’y a pas de rentrées économiques, ce qui permet de reconstituer la trésorerie de l’exploitation.

« Même si ça rapporte peu, la ventes des animaux de boucherie intervient à une période où on n’a plus de revenus, puis les ventes ne sont pas étalées comme les fromages, avec l’agneau on vend tout en quelques semaines » (Eleveur ovin fermier, Santa Riparata di Balagna).

4.1.2. Le fonctionnement du troupeau et la saisonnalité des naissances

Afin de comprendre l’organisation annuelle des naissances, il convient préalablement de proposer une description des différentes catégories d’animaux au sein du troupeau. Un troupeau laitier est composé de trois catégories d’animaux. Les mâles reproducteurs, les femelles adultes et les animaux de renouvellement. C’est la composante productive du troupeau, qu’il convient de différencier des animaux sortants, parmi lesquels les jeunes qui seront destinés à la boucherie ainsi que les réformes. Les pratiques de sélection des mâles sont variables, on y retrouve à la fois des béliers améliorateurs issus du centre de sélection, ainsi que des échanges entre éleveurs, pratique prédominante chez les chevriers. Les femelles adultes sont destinées à la traite laitière et représentent environ 75% des effectifs du troupeau productif, leur âge moyen se situe entre 3 et 6 ans. On les différencie notamment des femelles de renouvellement, sélectionnées sur critères d’ascendance, et dont le taux annuel est de 15 à 20% selon les élevages. Après déduction du taux de fertilité et de prolificité, des avortements et de la mortalité à la naissance, sur un troupeau de 150 brebis femelles, on retrouve environ 140 agneaux dont environ 30 seront destinés au renouvellement et 110 seront sélectionnés pour la boucherie.

Les naissances se répartissent entre les mises-bas précoces, dites principales, de septembre à novembre, et les mises bas tardives, dites secondaires, de février à avril (Santucci et al., 1994). La première période est prédominante et représente environ 70% des mises bas, il s’agit des naissances issues de mères adultes qui ont été inséminées entre mai et juin soit par insémination artificielle, soit par monte naturelle. Parmi elles on peut retrouver des mères non gestantes, celle qui n’auront pas pris le mâle et qui feront ensuite l’objet d’une lutte de rattrapage début septembre. Les mises bas secondaires sont ainsi composées des animaux issus des mères tardives ayant fait l’objet d’une lutte de rattrapage, et des naissances issues d’agnelles ou de chevrettes de renouvellement qui ne sont pas calées sur le même cycle. En élevage caprin, la part de naissances précoces y est toutefois moins importante et marquée par un étalement des naissances plus important. On identifie une troisième catégorie, assez faible, caractérisée par un groupage sur des mises bas tardives (ILOCC, 2011). Selon les micro-régions, la période des

naissances est variable, elle démarre dès septembre vers la plaine alors que dans le Cortenais elle se concentre en novembre (Vallerand et al., 1991).

4.1.3. Le groupage des mises bas et l’allotissement

Au sein d’un système laitier, l’un des enjeux essentiels de la gestion du troupeau tient à l’organisation de la campagne laitière. Afin de ne pas fragmenter les pratiques avec des troupeaux non-inscrits sur les mêmes cycles biologiques, les éleveurs privilégient des naissances groupées. Cela leur permet de mettre l’ensemble des femelles à la traite au même moment et de profiter de la repousse d’herbe d’automne (figure 9). Le groupage est ainsi un impératif de la production laitière qui agit sur la saisonnalité des naissances. Pour l’éleveur, l’optimisation consiste à sortir de manière groupée des lots d’animaux vers des marchés capables d’accueillir des quantités importantes et les écouler rapidement. Cet enjeu de groupage est particulièrement présent dans les grands troupeaux que l’on retrouve chez les éleveurs ovins notamment en plaine. Les troupeaux de chèvres, de plus petite taille et prioritairement fermiers, tolèrent quant à eux des naissances plus étalées afin notamment d’avoir une offre fromagère plus étendue dans le temps.

« J’ai 380 femelles, je sors toutes les naissances en deux lots, c’est le Sarde qui vient les collecter, je lui livre de animaux entre 4 et 8 kilos, ça me permet de démarrer rapidement la traite des brebis, c’est plus simple d’organiser le travail en sortant tous les agneaux d’un coup (Eleveur ovin apporteur, Ghisonaccia) ».

Pour cet éleveur, apporteur laitier, le débouché sarde est une opportunité puisqu’il lui assure une optimisation des sorties d’agneaux, permettant d’éviter à avoir à gérer deux troupeaux, l’un en allaitement, l’autre à la traite. La constitution de lots hétérogènes facilite les sorties d’animaux, le collecteur sarde n’étant pas très regardant sur la qualité des agneaux.

Figure 9 : Mise à la traite des brebis (Lacombe, 2012, Venaco)

L’éleveur gère ses lots de sorties d’agneaux afin de pouvoir favoriser la mise à la traite des brebis représentant au moins un quart de son troupeau. Il choisit pour cela le débouché sarde en début de saison.

4.1.4. La gestion de la reproduction

La gestion de la reproduction obéit à des techniques variées et vise à organiser le groupage des mises-bas. La lutte principale a lieu entre mai et juin, préalablement à la période de tarissement des mères, qui correspond à une période de gestation d’environ 5 mois. La surveillance de l’état corporel des femelles est primordiale et des compléments alimentaires leur sont fournis afin d’accompagner leur aptitude aux mise bas qui auront lieu à partir de septembre.

L’insémination artificielle (IA), associée à la synchronisation des chaleurs par la pose d’éponge permet d’optimiser le groupage grâce à la gestion artificielle de la reproduction. Elle est répandue chez les éleveurs ovins notamment chez les « éleveurs sélectionneurs » ainsi que ceux associés au contrôle laitier. Elle par contre quasi inexistante chez les chevriers qui pratiquent une gestion de la reproduction associée à la monte naturelle avec préparation préalable du troupeau associée à la stimulation hormonale par l’effet mâle.

« On privilégie la gestion naturelle de la reproduction, c’est les cycles naturels qui décident. Caler tous les animaux sur les mêmes cycles, chaque année, ce n’est pas normal, chaque animal à sa particularité, il se règle selon le climat, la saison » (Eleveur caprin fermier, Moriani).

Les résultats liés à cette pratique sont variables selon la technicité de l’éleveur, mais permettent tout de même un résultat de groupage satisfaisant. La gestion artificielle des chaleurs reste perfectible mais atteint des résultats très encourageants. Toutefois, elle accroit le taux de prolificité et parfois une seule mère peut donner naissance à trois agneaux, certains éleveurs abandonnent alors le recours à la pose d’éponge afin d’éviter ce type de contrainte.

Outline

Documents relatifs