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analytiques et limites

La problématique proposée nous conduit à étayer l’équipement conceptuel relatif à cette recherche. Ce travail se situe dans la continuité des travaux qui s’intéressent aux relations entre produit et territoire autour de la question de la qualité (i). Sera d’abord présenté le contexte général associé à ce courant de recherche puis sera envisagée l’hétérogénéité des courants scientifiques que la qualité véhicule tout en étant un objet d’étude particulièrement fédérateur (ii). Au-delà des enjeux théoriques, je proposerai d’analyser succinctement la trajectoire historique de ces travaux qui au gré de l’appropriation par la société des démarches d’IG, a renouvelé son champ d’analyse (iii). Enfin, je proposerai d’énoncer les perspectives de cette thèse au regard de ce courant de recherche, tournée vers le renouvellement des savoirs associés à la question de l’ancrage territorial des productions (iv).

2.1. La qualité comme lieu d’agencement de la relation produit-territoire

Cette recherche doctorale s’intéresse à la qualification territoriale des productions. S’il ne s’agit pas d’une science homogène, nourrie par des courants de recherche pluriels, d’importantes convergences se sont dessinées depuis les années 80, et elles ont permis de fournir une contribution majeure à propos de la territorialisation des agricultures (Rieutort, 2009). Sans pouvoir nommer ce courant compte tenu de la diversité des champs de recherche et des disciplines associées, c’est autour d’un objet commun, la qualité, que ces travaux ont trouvé prise (on peut citer en particulier l’AIP « Construction sociale de la qualité » dans les années 90). Ce choix d’ancrage théorique est notamment lié à sa capacité à articuler plusieurs dimensions, à la fois les cultures techniques, la marchandisation des ressources, ainsi que les processus de qualification des produits, au carrefour desquels s’agence la relation entre produit et territoire. Pour rappel, il s’agit ici de comprendre l’incidence des processus de qualification d’un produit sur son coproduit, ce qui peut offrir une autre dimension de la représentation des territoires en question en renouvelant le statut des objets et leurs agencements. Par ailleurs, cette science des territoires productifs a largement fait référence dans sa production scientifique aux IG, qui sont très présents dans les régions étudiées. Mais cette science est-elle opérante pour envisager plusieurs produits ? Les coproduits représentent-ils des entités qui re-questionnent ce champ de recherche, et permettent de déconstruire les modalités de production des connaissances ? Nous tenterons d’y répondre en confrontant cette grille d’analyse du territoire

à nos résultats empiriques fondés sur l’étude des systèmes productifs et en proposant de voir ce qui permet d’apporter un regard nouveau.

Si je m’attacherai par la suite à préciser les différents champs que recouvre cette science des relations produit-territoire, il convient au préalable de préciser les régimes de production des connaissances jusqu’ici mobilisés pour mieux comprendre en quoi ce travail s’en différencie. D’un point de vue théorique, le consommateur est réputé comme étant en mesure de reconnaitre une qualité singulière, cheminement facilité par la voie des labels de qualité (Bio, IG, équitable, etc.). En cela le marché devient un opérateur de prescription qui permet d’induire une différenciation des productions en s’appuyant sur un territoire ressource pour faire valoir cette singularité. Cela a une incidence directe sur la représentation et la formalisation des connaissances. La qualité est un objet central puisqu’elle articule une dimension marchande, au travers des caractéristiques d’une production, et qu’elle véhicule aussi des normes, qui permettent de stabiliser des choix techniques en relation avec leur dimension territoriale. Ce régime de production de connaissance est aujourd’hui bien stabilisé et délimite non seulement la nature des objets, mais également les catégories d’acteur en jeu. J’aborderai cette question par la suite dans la partie consacrée à la méthodologie.

Si cette approche est nécessaire, cruciale, elle traite prioritairement du produit et non des coproduits, encore moins de leurs interactions. Ce sera ici tout l’enjeu de la partie vouée à l’analyse qui consistera à remettre du lien dans ce qui est délié. Le territoire du produit est-il celui des coproduits ? Existe-t-il des formes d’antagonisme entre des territorialités plurielles et imbriquées et quel mode d’analyse peut permettre d’en rendre compte tout en questionnant un champ scientifique fécond ? Afin de mieux comprendre ce tiraillement entre une science établie et les objets nouveaux apportés par cette recherche, il est nécessaire de retracer l’émergence et la consolidation de ce courant de recherche consacré à l’ancrage territorial des productions.

2.2. Hétérogénéité des courants de recherche et proximité autour de la

qualité

Depuis le début des années 80 s’est opéré une différenciation des économies agraires qui a fourni à l’espace local de nouvelles significations, jusqu’alors effacé par une mondialisation dont on croyait qu’elle affecterait la diversité des territoires. Le réveil de certaines régions pourtant considérées comme étant en crise a laissé place à de nouvelles formes de compétitivité territoriale et c’est sur ces bases que la Sardaigne, la Corse et l’Arganeraie ont défini leurs

stratégies de développement. Les productions agro-alimentaires sont largement intervenues dans ce renouveau, associées notamment à des régimes de qualité.

Ce constat a été mis en avant par des recherches en économie, qui se sont appuyées sur des travaux plus anciens comme la théorie de Lancaster à propos de la consommation (Lancaster, 1991). La qualité des productions agro-alimentaires a été l’un des principaux objets de formalisation de ce courant de recherche22. Dans ce contexte économique fondé sur la recherche d’avantages différenciatifs (Coissard et Pecqueur, 2007), le territoire est devenu une ressource nouvelle dont il s’agit de faire valoir les singularités (Karpik, 2007). C’est autour de l’activation de ressources latentes que les territoires parviennent à s’agencer dans une nouvelle économie monde (Gumuchian et Pecqueur, 2007). Des dispositifs institutionnels tels que les IG ont appuyé ces démarches de par le lien à l’origine dont ils attestent. Les bassins étudiés sont chacun inscrits dans ces trajectoires, où le signe intervient comme un dispositif de reconnaissance et de médiation de cette qualité. La géographie est aussi associée à ce courant de recherche dans une disciplinaire qui a largement participé au renouvellement scientifique des terroirs (Delfosse, 2011 ; Bérard et Marchenay, 2007), replaçant l’humain dans le champ de la production territoriale alors que la géomorphologie s’intéressait plus à l’espace. Les terroirs agricoles ont été des lieux d’unification pour une discipline tiraillée souvent entre une géographie spatiale et une géographique culturelle que le terroir permet de faire cohabiter. Par ailleurs, si la géographie agricole a dû œuvrer pour exister en tant que telle, la qualité, en ce qu’elle est un intermédiaire entre le marché et l’étude des systèmes techniques, lui a permis de trouver de solides bases agronomiques et zootechniques. Enfin, l’empreinte de l’acteur est omniprésente dans ces travaux de recherche et des cultures sociologiques ont largement traversé les travaux scientifiques. On en retrouve la veine autour de courants associés à la construction sociale de la qualité, la qualification territoriale des produits, ou encore la territorialisation des économies agraires. Y sont aussi conjointement associées des approches relatives à la sociologie des marchés, tels que les travaux de Michel Callon ou de Christine de Sainte Marie marqués par les courants issus de la sociologie des traductions ainsi que des approches conventionnalistes (Callon, 2000 ; De Sainte Marie et Agostini, 2003).

La qualité a ainsi été un objet fédérateur permettant à ces différents courants de s’agréger autour d’un même objet scientifique. Au-delà des enjeux de production de connaissances, l’appropriation sociale associée à ce type de démarches leur a conféré une véritable attention au point d’en devenir un référentiel de développement territorial. Je vais ainsi préciser les

enjeux et perspectives associées au déploiement de ces travaux scientifiques traversés par un renouvellement des fonctions associées aux IG.

2.3. Enjeux et perspectives autour de la qualité territoriale des productions

Les perspectives associées à ces objets d’étude sont nombreuses tout autant que les fonctions associées aux signes de qualité. Ils ont été une composante des recherches du SAD (Science pour l’action et le développement) dès les années 80, et le LRDE a largement œuvré dans ce champ de recherche. La perspective des travaux initiaux était notamment d’articuler la compréhension des systèmes techniques avec celle des qualifications marchandes (Allaire et Sylvander, 1997). Par ailleurs, le Département a, dès sa création, donné une place essentielle à l’acteur et la question de l’action collective a très vite pris de l’importance. Les IG, en ce qu’ils offraient un cadre institutionnel cohérent, ont ainsi permis aux chercheurs de travailler sur la construction des régimes de qualité, les relations entre acteurs hétérogènes et normes qui y sont stabilisées (Cerf et al. 1994). Par ailleurs, ces dispositifs ont rapidement pris une place politique en devenant un instrument pour les politiques publiques liées à l’aménagement du territoire. Initialement conçus comme des objets permettant de lutter contre la fraude, ils sont assez rapidement devenus des outils de développement territorial. La notion de cercle vertueux (Belletti, 2000) a fortement été usitée afin de mettre en avant que marché et territoire étaient des lieux compatibles qui pouvaient s’enrichir autour de la qualité. Compte tenu de leur capacité à définir, piloter, renouveler des cultures techniques, ils ont été considérés comme des instruments utiles dans un contexte où les paradigmes de l’agriculture ont beaucoup changé. Les différentes crises traversées par le modèle agro-industriel ont offert une légitimité nouvelle à ce type d’agriculture dite territoriale. Ainsi aujourd’hui, les perspectives laissent entrevoir une capacité de ces instruments à préserver des patrimoines alimentaires locaux, à conserver la biodiversité, à valoriser les paysages, et sont régulièrement associés à la notion d’externalité (Cf. projet ANR PRODDIG).

Mais finalement le sont-ils si l’on confronte ces démarches de territorialisation à la question de la multifonctionnalité ? C’est en partie à ce questionnement que je tenterai de répondre. Les coproduits ont été identifiés comme l’une de ses composantes ; qualifiés aussi de produits dérivés, ils sont associés à la notion d’externalité et de bien publics. À partir de cette étude empirique où je retracerai la trajectoire de ces coproduits dans des territoires définis par leur ancrage territorial, j’apporterai des éléments d’analyse qui viennent renouveler les modes de production des connaissances. Plus que du territoire singulier, associé au produit, je

m’intéresserai ici au territoire pluriel, envisagé comme un support pour l’étude de la multifonctionnalité agricole.

2.4. Les apports de la thèse dans la perspective des travaux autour des

relations qualité-territoire

Cette recherche doctorale s’inscrit dans la lignée de ces travaux dans une double perspective. Tout d’abord au titre de sa capacité à articuler la caractérisation des systèmes techniques à des régimes marchands et ce, afin de renouveler la question du territoire. En effet, la qualification territoriale d’un produit peut avoir une influence sur les systèmes techniques et renouveler la place des coproduits qui se caractérisent par des interdépendances. Les assemblages d’objets en question sont ici communs et ont participé à stabiliser ce questionnement de recherche autour d’un triptyque entre pratiques agricoles, régimes de qualité, et marchandisation des ressources (schéma 4). Cette approche autour de la qualité territoriale a été incontournable dans la construction et la conduite de cette recherche. En effet, pour mieux comprendre ce que sont les coproduits dans leur réalités relationnelles, il convient préalablement de se munir d’une représentation de ce qu’est un produit, inscrit dans un régime de qualité.

Schéma 4: Régime de production des connaissances sur les IG

Cette figure fait apparaître les assemblages d’objets inclus dans une approche classique de recherche sur les IG, objets ensuite reproduits à propos de l’huile argan, et où je fais ressortir les frontières du système de représentation vis-à-vis du chevreau.

Néanmoins cette recherche a également une perspective originale. En effet, habituellement, ces travaux sont consolidés autour de la figure d’un seul produit alors qu’ici il en existe plusieurs. La délimitation du système étudié ne permet donc pas de se contenter de questionner la qualité dans une relation verticale entre production et marché. Ce coproduit interpelle ces agencements scientifiques. L’enjeu est de permettre de renouveler ce champ d’analyse qui pour certains peut apparaitre autoréférencé, créant son propre système de justification sans le questionner, le

mettre en critique. Y a-t-il là deux réalités antagoniques du territoire ? Par ailleurs, les fonctions associées aux IG et plus largement aux économies territoriales seront questionnées. Si l’on regarde les coproduits, leur ancrage territorial est-il favorable à la préservation de la biodiversité, à la valorisation des patrimoines alimentaires ? Pour cela, je m’enrichirai d’autres courants plus institutionnalistes qui questionnent la notion d’appropriation, de conflit, d’exclusion. À l’heure où la multifonctionnalité fait l’objet d’une attention nouvelle, j’interrogerai la capacité de ces instruments et des référentiels qu’ils véhiculent à en permettre la promotion au travers du cas des coproduits.

Chapitre 4. Matériel et méthode

L’objectif de ce chapitre est de préciser l'outillage méthodologique qui a été mobilisé afin de collecter les données et de structurer les résultats de manière à consolider mon analyse. Ce travail est associé à une approche systémique dont la vocation est de rendre intelligible les systèmes productifs qui se caractérisent à la fois par des objets interdépendants et différenciés (i). L’approche comparative y est complémentaire dans une recherche interrégionale qui témoigne de situations marquées par différents types de configurations sociotechniques (couplage, découplage, recouplage), et qui imprègnent différemment les relations entre coproduits (ii). Dans un troisième temps, je préciserai les différents objets d’analyse retenus dans le système de représentation que j’ai délimité, en m’attachant à associer ceux-ci aux différentes échelles qui ont participé à la construction de mon échantillonnage (iii). Enfin je m’attacherai à détailler les modalités de déroulement de cette recherche et la conduite scientifique de ce travail, en précisant le dispositif de collecte des données ainsi que la démarche d’analyse (iv).

1. L'approche systémique: relier des objets techniquement

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