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L’arganier Spinosa, une espèce endémique, fragilisée par ses usages

Conclusion de chapitre 6

2. La forêt de l’arganeraie, des communautés usagères témoignant d’un espace domestiqué

2.2. L’arganier Spinosa, une espèce endémique, fragilisée par ses usages

L’arganier est un maillon biologique essentiel au fonctionnement de l’Arganeraie. Je préciserai ici les caractéristiques de cette espèce d'un point de vue écologique tout en m'attardant sur l'explicitation des facteurs qui ont contribué à sa dégradation (i). Il est aussi une ressource unique pour des populations pauvres qui en retirent par des usages multiples la satisfaction de différents besoins (ii). C'est donc une espèce faisant l'objet d'une forte domestication, (ce qui en fait un arbre associé à l'organisation du travail), qui permet d'agencer cet arbre selon différentes fonctions (iii).

2.2.1. Une espèce endémique dans un milieu fragile

L’arganier, arganier spinosa, espèce ligneuse fruitière et arboricole endémique du Sud-ouest Marocain (figure 27) est issu de la famille tropicale des Sopataceae. Il s’étage sur un gradient altitudinal important puisqu’on le retrouve du niveau de la mer jusqu'à environ 1400 mètres d’altitude dans un contexte climatique aride et semi-aride chaud et tempéré marqué par des influences à la fois méditerranéennes et océaniques. Même si l’on assiste à une réduction de son peuplement forestier, il reste une espèce prédominante avec le Chêne vert et le Thuya (figure 27).

Figure 27 : Arganier (Lacombe, 2012)

Arganier situé dans la région d’Ait Daoud sur un pré-relief montagnard. L’arbre se situe ici sur des terres privées. Il est composé d’un tronc principal et essentiellement destiné à la production d’huile d’argan. Cet arganier ne peut être pâturé compte tenu de sa morphologie.

Son couvert a été réduit d’environ 300 000 hectares depuis le XVIIIème siècle suite à une surexploitation du milieu. Sa densité moyenne est aujourd’hui inférieure à 50 arbres/ha même si l’on constate de fortes variations selon les micro-régions. Dans la région étudiée, l’arganeraie est considérée comme préservée alors que, paradoxalement, l’élevage caprin est prédominant et qu’aujourd’hui il est souvent identifié comme l’une des principales menaces pour l’écosystème. L'adaptabilité géologique de l'arganier le rend indifférent à la nature des sols; sa robustesse tient aussi à la capacité à s’adapter à de faibles pluviométries annuelles (300 mm). La défoliation lui permet notamment de résister aux sécheresses qui accroissent l’évaporation. Il s’agit d’une espèce bi-annuelle marquée par une période de foliation d’octobre à février, à laquelle succède une période de croissance des jeunes rameaux et de floraison jusqu'à la fin mai suivie d’une période longue de grossissement des fruits qui arriveront à maturité l’année d’après au début de l’été de manière couplée à la période de défoliation des arbres (Faouzi, 2011).

2.2.2. Un « arbre providentiel » multi-usages

Au-delà de sa dimension biologique, la spécificité tient notamment à sa destination multi-usage qui lui vaut souvent le qualificatif d’ « arbre providentiel » au sein d’une société pauvre, largement dépendante de cette ressource aux fonctions plurielles (M’Hirit et al., 1998). Les traces historiques témoignent déjà de son usage commercial par les phéniciens dès le Xème siècle av.-JC, installés sur les comptoirs de la côte Atlantique. L’arganier est aussi indissociable d’une historicité qui a toujours associé son usage au pâturage, composante centrale du régime alimentaire des troupeaux. Les feuilles de l’arganier ainsi que la pulpe issue des fruits représentent une composante essentielle de l’alimentation du cheptel alors que les noix sont destinées au concassage et à l’extraction de l’huile d’argan. Le bois mort est destiné à la coupe et associé au chauffage et à la confection de matériaux agricoles alors que ses branchages permettent d’établir des délimitations spatiales. Le tourteau issu de l’extraction et une part des

pulpes séchées peut être associée à la complémentation alimentaire des troupeaux. Au-delà de ces enjeux fonctionnels liés aux usages quotidiens des populations, l’arbre est associé à des rites et croyances qui soulignent aussi sa dimension mystique. Considérant l’arganier comme un « don de dieu », il est associé à des offrandes aux Djinn, génies de la tradition musulmane, et à diverses fêtes religieuses (Nouaim, 2005; Simenel, 2011).

2.2.3. L’arganier, travail et différenciation des arbres

L’arganier, contrairement aux idées habituellement répandues qui tendent à le naturaliser, est une espèce domestiquée (Simenel et al., 2009). En effet, sa physiologie naturelle, si elle ne fait pas l’objet d’une intervention humaine, ne lui permet pas d’acquérir le statut d’espèce arboricole fruitière, se développant en amas diffus faiblement productif. Les populations usagères mobilisent aussi des savoirs arboricoles permettant d’assurer la régénération de l’arganier, par un travail de taille, de coupe et de dépressage, et ce, selon le type d’usage auquel l’arbre est associé.

Ce travail va favoriser l’émergence d’un tronc principal, en coupant les rameaux périphériques. Lorsque le tronc principal arrive à une maturité où le pâturage ne constitue plus une menace pour le développement de l’arbre, les rameaux périphériques sont taillés. Le berger façonne ensuite l’arbre selon le statut qu’il souhaite lui attribuer. Les arbres sont ainsi différenciés et il n’est pas vraiment possible de dresser, malgré l’unicité de l’espèce, un type d’arganier (figure 28) (Person, 1998).

Figure 28 : Morphologie des arganiers et mode d'exploitation (Person, 1998)

L’auteur de ce schéma a réalisé une différenciation des types d’arbre selon les fonctions qui leur sont attribuées. Les différentes catégories d’arbres sont caractérisées selon la nature des terres et mises en parallèle avec la durée de présence du pâturage.

Certains seront strictement réservés à l’usage oléicole et l’accès aux chèvres n’y sera pas permis notamment sur le Melk (domanial privé), où les arganiers sont souvent composés d’un seul tronc inaccessible aux chèvres, d’autres encore seront strictement destinés au pâturage, c’est le cas précisément des Mouchaa, zone de repli durant la période d’Agdal. Enfin, des catégories intermédiaires associent à la fois le pâturage et la collecte des fruits, précisément sur les zones d’Agdal (domanial collectif) où il y a une dissociation temporelle de ces deux usages par la pratique de la mise en défens. Chaque arbre a ainsi sa propre architecture qui en dessine ses vocations et son utilisation. Nous resituerons ces différents statut du foncier par la suite au regard de l’organisation des mobilités pastorales.

L'Arganeraie, une forêt domestique où les interactions homme-milieu sont questionnées Si par forêt on peut habituellement entendre un caractère de naturalité, dans la communauté des Haha, celle-ci a fait l'objet d'un long processus de domestication où le travail des hommes est essentiel. Il se matérialise notamment dans les fonctions agricoles de cette forêt, que les ayants-droit valorisaient autour de différents usages. L'arganier est une ressource incontournable de cet écosystème et jusqu'ici il a principalement été géré afin de permettre la cohabitation entre élevage de chèvre et collecte des fruits d'argan. Des complémentarités agraires se sont dessinées au sein des communautés rurales qui, au travers de leur organisation sociale, ont défini des pratiques de gestion durable de la forêt. Pourtant, nous verrons par la suite que leur légitimité est aujourd'hui fragile face à l'émergence de nouveaux opérateurs. Afin de fournir une lecture plus précise des interactions entre la chèvre et l'arganier, aujourd'hui au cœur d'une controverse écologique, il s'agit d'offrir une caractérisation du fonctionnement de ces systèmes d'élevage.

3. L’élevage dans la forêt, assurer l’alimentation pastorale et la

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