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La diversité des circuits de valorisation

concurrences et synergies entre coproduits

5. La commercialisation des viandes de lait

5.3. La diversité des circuits de valorisation

Le marché des viandes de lait est très hétérogène. Il est possible de le différencier selon la saisonnalité de la consommation, qui définit la nature de l’encastrement social des marchés. Un autre critère de distinction entre en jeu et est relatif à son aire géographique de diffusion, Corse,

Sarde ou continentale, distribué ainsi selon des appartenances culturelles, méditerranéennes, nationales ou liées au tourisme.

5.3.1. Le marché sarde de début de saison

La saison démarre avec une commercialisation des agneaux vers le marché sarde dès le début du mois d’octobre et ce jusqu'à début décembre. Ce circuit offre des débouchés sécurisés notamment pour les élevages de plaine composés de plus gros troupeaux. Ce sont généralement des apporteurs qui sont engagés par des calendriers d’approvisionnement de laiteries assez précoces. Les collecteurs sardes sont des opérateurs privés associés à des abattoirs de Sardaigne qui tirent profit de l’offre corse de début de saison afin d’étaler leur marché. Ils organisent de manière hebdomadaire un circuit de collecte des agneaux en composant des lots issus de différents éleveurs qui livrent entre 20 et 150 animaux. Les agneaux sont ensuite groupés dans des camions qui peuvent en accepter jusqu'à 700. Ils repartent ensuite le soir à l’issue de la tournée par fret maritime entre Bonifacio et Santa Teresa di Gallura, pont maritime entre la Corse et la Sardaigne à moins d’une heure de transport, deux îles marquées par des relations économiques anciennes.

« Avec les Sardes depuis toujours ça a été la guerre de prix, mais on arrive à s’entendre, le prix est bas mais il faut pas oublier que c’est du poids vif, à 3, 50, on pourrait se contenter de mieux mais c’est pas si mal si tu regardes les coûts d’abattage, etc. C’est un débouché essentiel à cette saison pour écouler rapidement les agneaux et démarrer la campagne laitière » (Élu, Groupement Roquefort).

Le marché sarde est associé à des comportements d’opportunité, fruits de plusieurs dysfonctionnements insulaires, tel celui des abattoirs, l’incapacité à envisager un marché en dehors des périodes de fête, etc. Cela a des effets négatifs sur la relation entretenue aux viandes, le prélèvement en une seule fois de tous les animaux est défavorable à un engagement des éleveurs vers une démarche de qualité. La composition des lots associe en effet des animaux de tous âges, de tous poids, souvent en dehors des caractéristiques d’un agneau de lait traditionnel.

5.3.2. Le marché local des périodes de fêtes

Le marché se reporte ensuite vers la distribution locale pour la mise en marché des agneaux de Noel. L’offre d’animaux à destination du marché local représente environ 30 000 animaux dont 20 000 sont commercialisés auprès de la GMS, 5000 auprès des boucheries, 2000 vers la restauration et environ 3000 par le biais de la vente directe. Une part importante du marché est

structurée autour de la grande distribution locale, très présente dans le tissu urbain où vit l’essentiel de la population corse. En zone rurale, la population s’approvisionne plus spécifiquement auprès des boucheries locales ou directement auprès des producteurs. L’offre est souvent contractualisée entre les coopératives de commercialisation et les structures de distribution, toutefois ce marché se révèle parfois contraignant à gérer.

« Je fais mon planning d’approvisionnement en fonction de ce que m’indique le berger, quand je vais les récupérer, entre temps il est passé par un autre circuit, après je ne peux pas répondre à la demande de la grande distribution, je suis obligé d’aller chercher ailleurs, c'est compliqué » (Animatrice, AREO).

Par ailleurs, les structures de distribution enquêtées témoignent de certaines contraintes liées aux caractéristiques des produits proposés :

« L’an dernier on a dû jeter des carcasses, ce n’est pas un marché facile à gérer, les gens ne mangent plus d’agneau, même à Noël, on essaye de faire travailler les producteurs insulaires, mais c’est difficile, maintenant les gens ne cuisinent plus, ils veulent de la découpe, des escalopes, du rumsteak, prêt à griller » (Responsable rayon boucher Carrefour, Porto Vecchio)

La part des animaux vendus par la vente directe est, quant à elle, devenue assez mince. Cette dynamique est encouragée par la prime ovine qui engage les éleveurs auprès d’organisations formelles de commercialisation. Enfin, la restauration représente une part du marché de plus en plus demandeuse même si ce circuit demeure réduit. Ce segment propose à la fois des agneaux frais en saison durant les fêtes et surgelés notamment auprès de la population touristique en été.

5.3.3. Marché estival

La production associée à une valorisation vers le marché touristique en été est difficilement quantifiable. Toutefois en recoupant les statistiques issues des autres marchés avec des entretiens réalisés auprès des restaurateurs et fermes auberges, le segment restauration représenterait environ 2000 animaux. L’indisponibilité des agneaux et cabris à cette saison pour la valorisation en frais conduit les restaurateurs à effectuer de la surgélation, alors que d’autres ont des pratiques commerciales frauduleuses, mais qui témoignent toutefois de l’intérêt pour ce produit.

« C’est dommage qu’en été il n’y ait pas d’agneaux ou de cabris de disponibles, j’en prendrais mais au lieu de ça je dois les importer, c’est plus de l’agneau de lait de Corse mais je le précise » (Restaurateur, Corte).

Concernant la surgélation, elle est pratiquée soit au sein des infrastructures de stockage propres à chaque unité ou auprès de grossistes spécialisés (Gandolfi), de manière privilégiée sur les deuxièmes naissances afin d’éviter les surcoûts liés à la surgélation. Les restaurateurs s’approvisionnent soit directement auprès des producteurs, soit auprès des coopératives et grossistes. Une ferme auberge dans le Cortenais vend des cabris frais durant l’été, elle est issue d’un système de production dessaisonné où l’éleveur a eu recours à la mobilisation de races du continent. L’élargissement de la saison touristique est aussi favorable à la valorisation des viandes.

« En avril ici on a déjà des clients, à cette période j’arrive à trouver des agneaux que je commercialise en frais, je peux en sortir 200 sur la saison, il y a un gros potentiel » (Restaurateur, Corte).

Figure 13 : L'agneau de lait à la carte (Internet, Orriu)

Restaurant Porto Vecchiais proposant des agneaux de lait auprès de la clientèle durant l’été. La mobilisation de l’origine Corse est un élément de l’identité, ce restaurant qui s’approvisionne essentiellement auprès des producteurs insulaires.

5.3.4. Le marché de niche associé à l’export vers la France continentale

L’export vers la France continentale, s’il n’occupe qu’une faible part du marché, marque des signes de croissance. Un grossiste spécialisé (Le Ponclet) s’approvisionne dans le bassin Corse et propose les agneaux de lait auprès de la restauration haut-de-gamme française tout en

étendant son marché à l’Europe. Sa capacité de traitement est assez limitée mais offre de bonnes conditions de rémunération aux éleveurs. C’est un circuit de distribution qui se révèle coûteux notamment en transport puisque les animaux sont abattus en Corse et exportés par la voie aérienne sous forme de caissettes en atmosphère modifiée. Spécialisé dans les marchés à haute valeur ajoutée, y compris une clientèle de particuliers (par exemple, François Fillon), le collecteur opère une sélection intra-insulaire en privilégiant les producteurs fermiers, et notamment ceux issus d’une production de montagne. Il attribue à ces derniers des qualités spécifiques liées au mode de conduite des animaux sur parcours de maquis, offrant un pâturage diversifié se traduisant par une meilleure qualité laitière. L’opérateur bénéficie de débouchés étendus et à ce titre se révèle contraint par la saisonnalité de l’offre:

« Il faudrait que j’arrive à faire du lissage, collecter des produits toute l’année pour répondre à la demande du marché, qui, elle, ne connait pas la saison. En restauration, tu sors les carcasses quand tu veux, j’ai un éleveur avec qui on travaille sur du dé-saisonnement » (Le Ponclet, Corte).

C’est un type de marché amené à se développer et qui motive aujourd’hui de nouveaux opérateurs. L’enjeu de ce marché est pluriel, il offre à la fois des potentiels de rémunération élevés et est en mesure de permettre un écoulement du produit en dehors des périodes traditionnelles de Noël et de Pâques. L’agneau de lait fait l'objet d'un engouement nouveau chez ces restaurateurs qui aujourd’hui bénéficient essentiellement de l’offre du bassin des Pyrénées-Atlantiques. Le bassin Corse, s’il a une vocation quasi naturelle à répondre à la demande de ces opérateurs attentifs à la question de l'origine, reste aujourd’hui contraint par l’insularité et les coûts qu’elle impose en termes de transport. Par ailleurs, ce marché exigeant sur la qualité des carcasses ne peut s’accommoder actuellement du traitement des animaux fait dans les abattoirs de Corse. Certains opérateurs envisagent à ce titre d’aller faire abattre les animaux sur le continent, à Sisteron par exemple, mais les délais de transport en vif se révèlent particulièrement contraignants tout autant que les coûts qu’ils représentent.

5.3.5. La vente directe à la ferme

La vente directe à la ferme est prédominante chez les chevriers et dans une moindre mesure chez les éleveurs ovins. Il s’agit d’une clientèle de proximité, plutôt âgée, souvent liée au

chevrier par des liens familiaux, affectifs ou par le bouche à oreille (figure 14). La relation de confiance est ici interpersonnelle et ne fait pas appel à un signal intermédiaire de qualification de la relation marchande. La clientèle est souvent composée de personnes qui viennent acheter le fromage la ferme. La plupart du temps, elle est associée à l’abattage fermier, les savoirs de travail des carcasses étant l’une des modalités de construction de cette relation d’échange. Agissant en tant qu’ « homme-filière » (Casabianca et al., 1994), ce débouché, où l’éleveur assure à la fois la production, la transformation et la commercialisation, lui permet de s’approprier l’ensemble de la valeur ajoutée du produit, tout en se dédouanant des contraintes de rigidités associées aux marchés formels.

Cette forme particulière de valorisation, semble aujourd’hui montrer des signes d’essoufflement, notamment du fait des contraintes liés aux normes sanitaires qui pèsent sur les chevriers, ainsi qu'à l’affaiblissement des relations de proximité. La déprise rurale éloigne les producteurs des consommateurs, ce qui affecte leur relation marchande, telle qu’elle avait pu se structurer historiquement. Ainsi le berger semble de plus en plus difficilement parvenir à la consolidation de ses marchés. Alors qu’il sait habituellement qui va lui prendre ses cabris de manière répétée chaque année, ces repères sont aujourd’hui de plus en plus brouillés.

« Avant je vendais aux gens des alentours, les villages à côté, maintenant j’ai plus cette clientèle de base, il me faut trouver d’autres clients » (Eleveur caprin fermier, Venzolasca)

Figure 14 : Clientèle d'un berger (Lacombe, 2011, Pietralba)

Clientèle traditionnelle venant acheter un cabri pour la Noël. Il achète des cabris depuis 30 ans auprès du même éleveur qui lui en réserve un par avance tous les ans.

On retrouve une part importante d’éleveurs qui privilégie une flexibilité marchande. Ces éleveurs couplent ainsi la vente directe à la mobilisation d’un circuit plus étendu associé aux bouchers et restaurateurs. Dans ce type de contexte, les éleveurs passent dans certains cas par les abattoirs agréés. Aujourd’hui cette flexibilité est contrainte par le développement de la prime ovine et caprine, qui encourage les élevages à passer par des circuits de commercialisation associés à la contractualisation de l’offre. La vente directe se pratique aussi dans les fermes-auberges, qui écoulent presque l’intégralité de leur production au travers de leur activité de restauration.

« Je sors 120 agneaux par an, tout passe par le restaurant, j’ai une petite unité de stockage où je surgèle puis je commercialise au fil de la saison » (Ferme auberge, Corte).

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