Diversité des modes de cohabitation lait-viande

Dans cette partie je proposerai d'analyser la place des agneaux de lait en faisant ressortir une différenciation selon plusieurs modèles types élaborés à partir des entretiens de terrain et de la collecte de données zootechniques (i). J'en préciserai ensuite l'incidence sur l'organisation saisonnière des naissances et leur influence sur les modalités de commercialisation (ii).

4.2.1. Trois modèles d’élevages- types

A partir des différents résultats d’enquête on constate une variabilité dans la périodicité des naissances, qui va agir sur les choix de mise en marché (tableau 3). Chez les éleveurs caprins, les mises bas sont plus tardives et leur permettent d’avoir accès au marché de Noël alors qu’en élevage ovin elles sont plus précoces, privilégiant alors le marché sarde. Le second critère tient au statut de l’éleveur, apporteur ou fermier, les naissances étant plus précoces chez les premiers. Enfin, un critère spatial, qui recoupe le précédent, intervient puisque les élevages de plaine ont des cycles de naissances plus précoces qu’en montagne.

Cette illustration permet de faire ressortir trois catégories d’exploitations représentatives de la diversité régionale :

- Elevage ovin apporteur :

L’éleveur dispose de 36 hectares de prairies cultivées en plaine où il élève aujourd’hui 200 femelles (450 il y a deux ans). Il est apporteur laitier auprès de la laiterie Baldovini qui lui rémunère le lait à 1,17 euros/litre et qu’il livre à partir du mois d’octobre. Les sorties d’agneaux sont précoces et démarrent dès la fin du mois de septembre. Afin d’entamer sa saison laitière il expédie les animaux en Sardaigne par le biais d’un maquignon qui les lui achète à 3,20 euros kg/vif.

- Elevage ovin fermier :

L’élevage compte 52 hectares de prairies naturelles dans un relief de piémont où sont élevées 280 femelles. La production est tournée vers la valorisation fermière. La gestion de la reproduction est ici associée à l’IA et la pose d’éponges; les mises-bas sont groupées de début octobre à début novembre. Les agneaux sont vendus à l’AREO à 5, 70 euros kg/vif en saison et 3 euros hors saison et une petite part est vendue directement à la ferme à une clientèle de proximité, des clients réguliers.

- Elevage caprin fermier :

L’élevage est conduit sur le communal qui représente 2700 ha d’espace pâturable où sont conduites 300 chèvres. Il est tourné vers la production fermière. L’éleveur pratique l’abattage à la ferme après avoir essayé de passer par les abattoirs agréés mais n’était pas satisfait par la structure. Sa clientèle est principalement composée de particuliers pour les fêtes de Noël ainsi que dans une plus faible part, de bouchers et restaurateurs lui assurant une rémunération d’environ 20 000 euros annuels.

4.2.2. Calendrier de gestion des cycles de reproduction et de naissances

Cette typologie d’éleveurs traduit une variabilité importante quant à l’organisation de la saisonnalité.

Les naissances sont ici les plus précoces parmi les trois modèles types. L’éleveur favorise dans ce type de configuration la production laitière, bien rémunérée par les laiteries, au détriment des agneaux qui sont commercialisés vers le marché Sarde par le biais des maquignons à des prix peu attractifs (schéma 9). A défaut de marché local à cette saison, l’éleveur ne peut pas

prolonger l’allaitement des agneaux jusqu'à Noël et va privilégier un démarrage groupé des lactations des brebis.

Schéma 9 : Calendrier de production en « ovin apporteur » en Corse

On se situe ici sur un modèle intermédiaire, les naissances interviennent à cheval entre octobre et novembre (schéma 10). Ce type de troupeau est généralement associé à différents modes de valorisation, à destination du marché sarde en début de saison, et vers le marché corse à partir du mois de décembre. Les éleveurs appartenant à ce modèle ont recours aux coopératives de collecte des animaux et valorisent une petite part de la production par la vente directe.

Schéma 10 : Calendrier de production en "ovin fermier" en Corse

Sur les naissances issues de mises bas principales, l’éleveur parvient ici à avoir un groupage efficient des naissances (schéma 11). La saisonnalité des mises-bas est favorable à l’optimisation de la commercialisation des cabris pour les fêtes de Noël qui se fait principalement par la voie de la vente directe à la ferme. Par contre, sur les mises-bas secondaires, il y a un étalement important des saisons de naissances et le produit parvient ici plus difficilement à être vendu, notamment à Pâques.

Schéma 11 : Calendrier de production en "caprin fermier" en Corse

Les cultures techniques, des objets scientifiques essentiels pour comprendre des interdépendances

Situés dans des relations d'interdépendance, les coproduits stabilisent entre eux des relations complexes, de complémentarités, ou de concurrences. Elles sont essentiellement construites sur la base des cultures techniques et à ce titre elles sont des objets permettant de comprendre les processus de disqualification des coproduits, tout autant que les contraintes relatives à ces possibles requalifications. L'interdépendance signifie aussi la coévolution et dans ce cas, les changements souhaités, voulus, réalisés dans le monde des viandes peuvent avoir une incidence sur les systèmes d'élevage laitiers. Nous avons pu éprouver des critères de différenciation selon les élevages ovins et caprins, et à ce titre considérer que si les apporteurs se situent en situation de dépendance au regard de leur organisation laitière, les fermiers bénéficient d'une autonomie plus grande. Ces différentes configurations sociales introduisent des liens contrastés aux techniques qui permettent de construire différents types de liens entre coproduits, liens qu'il s'agira d'approfondir dans la deuxième partie. Préalablement il convient de s'attarder sur les modalités de commercialisation de produits, existantes et en voie de stabilisation, en identifiant les différents acteurs de la filière et la diversité des marchés.