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L’arganeraie, entre milieu écologique commun et différenciation par les communautés

Conclusion de chapitre 6

2. La forêt de l’arganeraie, des communautés usagères témoignant d’un espace domestiqué

2.1. L’arganeraie, entre milieu écologique commun et différenciation par les communautés

L’Arganeraie désigne une unité géographique du Sud ouest marocain associée au peuplement de l’arganier qui en représente l’espèce prédominante. Afin de rendre intelligible un fonctionnement forestier complexe, j'envisagerai dans un premier temps de fournir des éléments structurels autour de ses dimensions géographiques (i). Dans la continuité, je fournirai une lecture sociale de cette forêt en la resituant dans l'existence d'une communauté rurale (ii). Enfin, je préciserai le statut d'ayant-droit de manière à rendre compte des usages qui régissent le fonctionnement de cette forêt (iii).

2.1.1. Un trait structurel marqué par la prédominance du triptyque « chèvre-orge-arganier »

L'Arganeraie s'étend sur environ 830 000 hectares le long du littoral Atlantique entre Safi et Ifni dans la plaine du Souss et sur les flancs des parties occidentales des Hauts et Anti-Atlas. Le relief montagneux a laissé place à des étendues de Plaine notamment au Sud d’Essaouira, qui compte la plus forte densité de peuplement d’arganier (figure 26). Ces vastes étendues ont offert des conditions favorables à l’implantation d’une agriculture diversifiée et fondée sur un triptyque « chèvre-arganier-orge », offrant à la fois une complémentarité entre élevage, céréaliculture et oléiculture (De Ponteves, 1989). Le peuplement forestier est essentiellement composé de l'arganier, espèce arboricole et fruitière endémique de cette région. Déjà, en 1515 Léon l’Africain soulignait dans ses écrits exploratoires en Afrique que les habitants s’y nourrissent d’orge, d’huile d’argan et de viande de chèvre. Sa population d’origine berbère représente environ 2 millions d’habitants dont 75% dépend de l’agriculture. La fragilisation de

l’écosystème a donné lieu à la mise en place d’une aire de réserve de Biosphère qui couvre l’ensemble de l’aire de répartition de l’arganier.

Figure 26 : Relief de plaine et de collines vallonnées dans l’arganeraie (Lacombe, 2012)

Cette photo est réalisée durant un suivi de parcours. Elle permet de distinguer plusieurs formes de densité forestière qui correspondent aux différentes catégories foncières avec des espaces très découverts à proximité des habitations.

2.1.2. La communauté des « Haha », un peuplement ancien aux droits spécifiques

L’arganeraie du sud d’Essaouira est aussi associée à la communauté des Haha, plus restreinte géographiquement, qui représente une confrérie de douze tribus berbères que des anthropologues ont pu étudier du point de vue de leurs structures sociales et notamment de l’organisation segmentaire qui les caractérise (Pascon, 2013). Le territoire des Haha s’étend sur une superficie d’environ 3 072 km2 et héberge une population de 205 000 habitants ce qui en fait un espace d’assez faible densité mais avec un taux moyen annuel d’accroissement constant de 1,4% (Faouzi, 2011). Famille, lignée, sous fragments de tribus désignent des entités par lesquelles se perpétue le fonctionnement d’une société que l’on pourrait qualifier d’organique, faiblement différenciée, et associée à une organisation politique mouvante (carte 9). Des tensions ont souvent marqué cette région qui a toujours fait l’objet de convoitises économiques, politiques, résultant des processus de colonisation, de décolonisation, ayant ainsi modifié le paysage institutionnel de la région. Ces communautés rurales, souvent qualifiées d'autochtones, ont toujours été en contact avec d'autres populations, compte tenu d'une situation géographique qui en a fait un lieu de passage pour les relations commerciales entre Tombouctou et Essaouira.

En tant qu'axe stratégique, cette zone a éprouvé de nombreux conflits entre les tribus, Makhzen49 et colons, laissant place aussi à un pouvoir maraboutique faisant office de médiateur. Cette confrontation entre autochtonie et dépendance étatique a été renforcée dans un contexte où la forêt de l’arganeraie obéit aujourd’hui à un droit dérogatoire au régime forestier ayant laissé aux populations une grande autonomie de gestion.

Carte 9 : Limite de la confédération des Haha (Faouzi, 2011)

2.1.3. Le statut d’usager ayant-droit : consécration d’un droit de jouissance pour les communautés

La dégradation du couvert forestier liée à une surexploitation de l’arganier dès le XVIIème siècle a conféré à l’Etat une légitimité afin d’assurer la perpétuation de ce patrimoine menacé tant du point de vue de sa valeur écologique que de la survie des communautés (Monnier, 1965). Toutefois, Malgré l’instauration d’un statut de domanialité publique, les populations se sont vues reconnaitre l’antériorité de leurs droits d’usage, ce qui a conforté la perpétuation des règles coutumières, laissant une place résiduelle à l’administration forestière.

49 Makhzen, est le terme utilisé dans le langage courant pour désigner l’état marocain et les institutions régaliennes marocaines.

Selon l’extrait du Dahir du 4 mars 1925 relatif à la protection et la délimitation des forêts d’arganier :

« Les modes d’exercice des droits de jouissance que nos sujets possèdent traditionnellement sur les peuplements d’arganiers,[…],droits dont nous proclamons expressément le maintien, ne permettent pas l’application pure et simple, à ces forêts, des règles protectrices établis dans l’intérêt général, par notre Dahir forestier du 20 hija 1335 (10 octobre 1917) ».

Les populations bénéficient de droits de jouissance sur l’ensemble des ressources forestières. Ces droits sont transmis par voie héréditaire : Les droits concernent le ramassage du bois mort, la collecte de fruits, le parcours, le labour et la mise en culture, le prélèvement du bois à usage domestique, des branchages et des pierres.

La reconnaissance de ces droits en 1917 constitue un compromis social face à des communautés berbères différenciées de la nation marocaine. Elle a aussi vocation à permettre l’autosubsistance des populations qui, jusqu’ici, a été rendue possible par une articulation entre l’organisation sociale et les usages du foncier. Il convient toutefois de souligner que les opérations de délimitation et de bornage au moment du protectorat ont donné lieu à une réaffectation des droits qui a participé à la déstructuration des règles coutumières (Bejbouji et al., 2013). La réorganisation interne des droits n’a toutefois pas affecté l’autonomie des populations dans la gestion de la forêt, ce qui a provoqué l’émergence de conflits d’intérêts vis-à-vis des forestiers pour qui la forêt devait obéir à un régime de production essentiellement sylvicole (De Ponteves et al., 1990). La marginalisation du forestier, couplée à l’affaiblissement des autorités traditionnelles durant la colonisation où ont émergé de nouveaux fonctionnaires a toutefois participé à une individualisation des comportements au sein de la communauté. Si les Jmaâ50avaient semble-t-il pu instaurer, par une jurisprudence empreinte de droit religieux, les principes d’une gestion collective de la forêt, l’administration coloniale est venue renouveler les principes de justice et d’administration du droit régissant les comportements des individus au sein de leur communauté.

« Les Jmaâ existent encore dans le Haut Atlas, elles permettaient de responsabiliser les populations au regard de leurs comportements forestiers et faisaient autorité,

ici elles ont disparu, maintenant les gens se réfèrent à l’administration pour régler leurs conflits » (Habitant de Smimou).

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