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Agneaux et cabris de lait : des produits uniques en France

concurrences et synergies entre coproduits

3.1. Agneaux et cabris de lait : des produits uniques en France

Je préciserai ici initialement le caractère très singulier de la catégorie "agneau de lait" 39.dans le paysage productif français, marqué par une spécialisation accrue qui est souvent venue écarter ce type de produit (i). Afin de mieux en cerner les contours j'envisagerai ensuite d'en préciser les caractéristiques, et de rendre compte de ses traits de typicité (ii).

3.1.1. Agneaux et cabris de lait au regard de la production nationale

39 Il s’agit d’animaux issus d’élevages laitiers, non sevrés, exclusivement ou essentiellement nourris au lait maternel jusqu’à leur abattage, de moins de 90 jours et dont le poids n’excède pas les 13 kg. La mention « nourri exclusivement au lait de la mère » est réservée aux animaux abattus au démarrage de la traite des brebis et en tout

Au sein des bassins laitiers, la production d’agneaux de lait représente environ 660 000 animaux et seulement moins d’un quart de la production est abattue et consommée en France. Seuls 70 000 agneaux de lait sont issus des élevages ovins allaitants. L’Espagne et l’Italie représentent l’essentiel des débouchés pour la transformation et la consommation d’agneaux de lait, sa consommation en France ne représentant que l’équivalent de 27 grammes par an pour un Français (Blezat Consulting, 2009). Ainsi les agneaux de lait issus du bassin Pyrénéen sont largement exportés vers l’Espagne, échange facilité par la proximité géographique alors que la production corse est quant à elle tournée vers la Sardaigne (carte 4).

Carte 4 : Les bassins de production d'agneau en France (Blezat Consulting, 2009)

Cette carte identifie plusieurs régions de production d’agneau de lait selon la nature des élevages, laitiers et allaitant. Elle témoigne de l’importance d’un bassin de production dans la moitié sud de la France et d’une dépendance vis-à-vis de la méditerranée comme espace marchand.

Il s’agit d’un produit issu d’élevages laitiers, qui le différencie des agneaux issus de systèmes allaitants, prédominants en France.

« On a fait des essais de dégustation au Salon à Paris, on a eu un bon retour sur le produit. Les gens ne nous croyaient pas quand on a dit que c’était de l’agneau, ils ont été surpris, c’était souvent des gens qui n’aimaient pas l’agneau pour son goût trop fort. On a de l’espoir, c’est un produit unique il faut s’attacher à le faire connaître ailleurs qu’en Corse » (Eleveur ovin apporteur, Antisanti)

Seuls trois bassins de production offrent aujourd’hui un tel type de produit. Au sein de ces trois bassins, il convient de distinguer le bassin aveyronnais qui destine la part essentielle de ses agneaux à un engraissement après le sevrage des jeunes animaux, la catégorie agneaux de lait ne représentant qu’environ 150 000 animaux. Le bassin des Pyrénées-Atlantiques ainsi que celui de la Corse sont essentiellement tournés vers la production d’agneaux de lait représentant pour le premier bassin environ 400 000 animaux, alors que la Corse ne représente que 65 000 animaux.

« L’agneau de lait corse, se différencie par son âge, jeune, entre 30 et 45 jours, son poids, entre 4,7 et 7 kilos, ainsi que son mode d’allaitement, essentiellement nourri au lait maternel sous la mère » (Cahier des charges IGP « Agnellu di Corsica » (annexe 3).

En France continentale, c’est vers l’orientation laitière du cheptel caprin que s’est dirigé tout l’effort de sélection des races (Saanen, Alpines) et les viandes ne représentent qu’un sous-produit du lait. Le cheptel caprin national en 2009 comptabilise 1 318 000 têtes dont 888 000 chèvres (Agreste 2009). La production est concentrée dans quelques régions, Poitou-Charentes qui représentait en 2009 37 % des chèvres, Rhône-Alpes 13 %, Centre 13 %, Pays-de-Loire 12 % et Midi Pyrénées 10 %. La Corse représente l’un des plus petits bassins, et n’apparaît pas dans les statistiques nationales, son cheptel étant limité à moins de 30 000 têtes, soit environ 3,4% du cheptel national. Au regard de la production de cabris, si l’élevage français est essentiellement tourné vers la production laitière, le bassin corse se différencie des autres régions de production. Les chevreaux sont tous tournés vers une filière d’engraissement après sevrage jeune où les animaux sont nourris à la louve40 à partir de lait artificiel. Le cabri de lait est ainsi une production unique en France de par la nature de l’allaitement qui lui est associé. Il convient ici de souligner toutefois l’émergence d’un allaitement artificiel dans certaines exploitations de Corse notamment pour l’alimentation des doublons, pratique peu répandue du fait de son coût et d’une acceptabilité sociale limitée.

« J’ai fait une expérience d’allaitement artificiel sur mon exploitation, on a souvent deux cabris pour une même mère mais elle ne peut pas leur offrir le lait nécessaire à leur croissance. Je préfère préserver la qualité d’un seul cabri en mettant l’autre à la douve plutôt que de le tuer. Les personnes à qui je le vends le savent, ils sont informés, c’est une condition que j’ai proposée au regard du projet de certification, mais elle a été mal accueillie par la profession » (Eleveur caprin fermier, Balagne).

3.1.2. Les caractéristiques des agneaux et cabris de lait de Corse

Malgré cette singularité des viandes de lait, leur caractère exceptionnel, elles ont des difficultés à construire une identité propre et à être associés à des modes de valorisation adaptés. Leur caractéristique principale tient à une image de naturalité :

« On a un produit exceptionnel, c’est un produit naturel, le problème c’est qu’on est de mauvais commerçants, on ne sait pas se vendre, faire reconnaître notre produit sur le marché » (Technicien ovin-2B) ».

Le qualificatif de naturel est ici lié à la nature de l’allaitement du produit, nourri au lait maternel sous la mère (Figure 5), qui le différencie notamment d’un produit dit artificiel, lié à la nature de l’engraissement des jeunes animaux.

Figure 5 : Allaitement maternel des cabris (Lacombe, 2011, Pietralba)

La pratique d’allaitement sous la mère est associée à la qualité de la viande de cabris. Par extension le régime alimentaire des chèvres mères est identifié comme ayant une incidence sur la saveur des cabris.

Agneaux et cabris se différencient quant au mode d’élevage. Les agneaux sont quotidiennement sortis aux côtés de leurs mères qu’ils suivent sur parcours, puis retournent en bergerie auprès d’elles le soir. L’élevage des cabris obéit quant à lui à une spécificité, l’enfermement des cabris dans les Chiostru (Pelissier, 2006) ou sarconu. Il s’agit de petits espaces situés dans les bergeries où l’ensemble des cabris de boucherie sont isolés dans un lieu de faible luminosité. Cette pratique tend à diminuer puisque sur l’échantillonnage retenu certains éleveurs n’isolaient pas les animaux. Les cabris sont groupés auprès de leurs mères le matin et le soir pour la tétée. Cette pratique évite aux cabris de brouter de l’herbe, ce qui est fréquemment le cas chez les

agneaux de lait. Elle se traduit par des différences sensorielles assez sensibles et a aussi vocation à préserver un bon état de croissance des animaux en hiver, le cabri étant connu pour sa fragilité. Les risques de perte et de mortalité sont évités par le berger qui tire une part importante de ses revenus du cabri. Par ailleurs, l’intestin des cabris, n’ayant tété que du lait est associé à des préparations spécifiques comme la Curatella, la Rivilla permettant d’entourer les brochettes issues des morceaux du cinquième quartier (figure 6). Certains restaurateurs en ont fait un plat emblématique (Corse matin, 2 janvier 2012).

« C’est une recette plus spécifique au Sud, on y met le foie, les poumons, les rognons, le cœur découpé en petits morceaux, j’entoure la brochette de l’intestin puis je recouvre avec la crépine, c’est un délice, les gens viennent ici pour ça, malheureusement c’est dur de trouver des cabris et les abattoirs gardent pas les abats » (Restaurateur Taglia Rossu, St Lucie de Porto Vecchio)

Figure 6 : Curatella (Lacombe, 2012, Venaco)

Le cinquième quartier est aujourd’hui traité en tant que déchet dans les abattoirs de Corse alors qu’il est traditionnellement associé à des recettes traditionnelles.

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