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interdépendants mais socialement dissociés

Comme je l’ai précisé plus haut, le champ théorique de référence relatif aux coproduits est assez limité et, dès lors la méthodologie retenue se révèle cruciale pour caractériser les relations entre coproduits. Je rappelle que la principale caractéristique des coproduits tient à leur interdépendance technique, leur non-séparabilité, qui rend alors leurs destins étroitement liés. L'approche systémique est ici essentielle puisqu’elle permet au chercheur de représenter des liens entre ces objets relationnels, ces couples de produits, et ainsi de résister aux logiques institutionnelles, marchandes, qui tendraient à les dissocier. J’emprunterai les apports essentiels de Luhmann à travers sa théorie des systèmes sociaux qui permet de rendre compte des processus de différenciation et d’autonomisation de ces derniers (i). Afin de fournir à cette entrée méthodologique un ancrage au regard de ce sujet de recherche, j’en resituerai ensuite l’intérêt à propos de la dialectique entre secteur et territoire qui nous intéresse ici (ii).

1.1. La théorie des systèmes sociaux de Luhmann: différenciation et

autonomisation

Si l'on peut fournir une définition générique de l'approche systémique, ce sujet de recherche encourage à investir un champ particulier de la théorie des systèmes, rarement mentionné dans le champ des recherches en sciences sociales qui s’intéressent à l’agriculture. Un système représente un ensemble d'unités en interactions mutuelles (Von Bertalanffy, 1975). À ce titre, cette approche considère plus des systèmes ouverts alors que, dans notre cas, il s'agira aussi d'envisager leur fermeture, c'est à dire la clôture des interactions. L'enjeu de ce travail est de comprendre les processus qui contribuent à dissocier des objets interdépendants et de ce point de vue la théorie des systèmes sociaux se révèle particulièrement adaptée à investir ce champ de connaissances. Les apports de Luhmann sont essentiels afin de situer la question de la différenciation (Luhmann, 1982)23. Il insiste notamment sur le fait que les sociétés modernes sont fortement différenciées, ce qui a pu être notamment envisagé par les sociologues tels que Durkheim et Weber à propos de la division sociale du travail et des activités au XIXème siècle. Il en résulte une autonomisation de sous-systèmes sociaux qui génèrent « des problèmes de gouvernementalité dans la mesure où chacun tend à s'autonormer et à développer des réseaux d'action multiple » (Lascoumes, 1996, p. 9).

Luhmann est un théoricien de la différence. Pour lui un système n'existe que par opposition à ce qu'il n'est pas, son « environnement ». Il faut alors comprendre par système « tout ensemble finalisé d’éléments et de processus en interaction, distinct de son environnement et doté d’un comportement propre »24. Ainsi la différenciation du système en sous-systèmes fonctionnels, correspond à l’établissement de nouvelles différences entre le système et son environnement à l'intérieur du système d’origine (Luhmann, 1984). Il se réfère notamment à la question de l'autoréférence ou réflexivité, par laquelle il faut entendre « la relation du système avec même par laquelle il assure constamment sa propre identité, où il s’observe au travers de soi-même (auto-observation, réflexion) » (Martuccelli, 1999 : p.172). Les coproduits ne correspondent-ils pas à cette somme d’éléments en interactions et dont les relations vont être déconstruites par des logiques à l’œuvre où le produit est une entité de référence, notamment dans une économie des qualités ? Un produit considéré comme autoréférentiel a-t-il pour effet d’exclure son coproduit ? Dans ces conditions, il s’agit également d’envisager les formes de

23La différenciation peut être rapprochée de la question de la dissociation, qui était employée dans la construction du sujet, et permet de fournir à son usage un ancrage théorique solide.

24 Extrait de la note d'introduction à la théorie de Luhmann proposée par Louis Basle (http://louisbasle.unblog.fr/2009/04/14/introduction-a-la-theorie-sociologique-de-luhmann-note).

régulation qui peuvent intervenir entre ces objets interdépendants et autonomes les uns des autres. Cela renvoie finalement la question de la gouvernance envisagée selon Papadopoulos se référant à Bob Jessop, comme l'« art complexe consistant à piloter des agences, des institutions et des systèmes multiples, autonomes sur le plan opérationnel les uns par rapport aux autres, mais en même temps structurellement couplés entre eux par le biais de formes diverses d'interdépendance réciproque » (Papadopoulos, 2001 : p. 167).

1.2. Une approche mobilisée autour de la dialectique secteur-territoire

J’ai précisé dans l'explicitation du cadre théorique de référence, que les échelles de délimitation des connaissances dans le champ de l'ancrage territorial des productions étaient principalement attachées à un seul produit. Mais les territoires en question sont pourtant pluriels. Il y a donc là un risque d'introduire un verrouillage scientifique, tout au moins d’induire une myopie vis-à-vis d'une réalité sociale plus diverse. L'approche systémique permet d’éviter ce risque dans la mesure où « à partir d’un certain seuil, l’approfondissement des connaissances sur un secteur étroit de la réalité perd de son efficacité si ce secteur n’est pas réintroduit dans des ensembles plus vastes » (Lugan, 2005, p. 6). En se référant essentiellement au produit, le système productif est écarté et un mimétisme est opéré entre le monde réel et sa représentation scientifique, ce qui peut limiter la délimitation de nouveaux champs de connaissance. Certains géographes nous alertent d'ailleurs sur ce risque : « Les mécanismes fondamentaux de production de l’espace par une société sont complexes et dotés d’autonomies, qui doivent faire récuser tout mécanisme...Il faudrait... (que) la géographie humaine s’échappe de la sectorisation abusive et multipliée…» (Burgel, 1986, p. 112).

Peut-on expliquer le territoire par une entrée sectorielle s’appuyant sur le produit comme échelle de référence ? À partir du cas des coproduits, l’un des enjeux consiste à renouveler les modes de production des connaissances associés au territoire. Il s’agit de considérer ici qu’il peut y avoir un processus de territorialisation associé à un secteur d’activité qui peut être incompatible avec celui d’un autre secteur. Cette contradiction entre secteur et territoire a été conceptualisée par Pierre Muller selon lequel : "Les secteurs apparaissent comme des totalités sociales qui vont à la fois organiser et structurer les rôles sociaux autour une logique de reproduction a-territoriale et conférer aux individus de nouvelles identités, les identités professionnelles qui se substituent elles aussi aux identités locales" (Muller 1985, p.167). L’entrée territoriale retenue est donc celle des usages pluriels et imbriqués d’une même ressource, des formes de régulation et de conflits qui régissent ces relations. Cette perspective entend ainsi revisiter la notion d’ancrage territorial en formulant des agencements nouveaux

incluant des réalités hétérogènes qui ne se limitent pas à une territorialité singulière mais des territorialités plurielles.

Le fonctionnement des systèmes productifs n’est pas équivalent dans chaque région étudiée. À ce titre, l’approche systémique est nécessaire mais doit être suffisamment souple pour définir plusieurs formes d’agencements des relations entre coproduits et ainsi permettre de réaliser l’approche comparative.

2. L'approche comparative: envisager la variabilité des

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