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Le vaste champ d’application de la notion de mise à disposition

A. Essai de définition de la notion de mise à disposition

2. Le vaste champ d’application de la notion de mise à disposition

113 - L’indifférence de la nature du pouvoir octroyé. Le recours au concept de mise à disposition ne préjuge en rien du pouvoir que l’accipiens peut acquérir sur la chose. L’aspect primordial de la notion semble se situer dans l’abandon par le débiteur du pouvoir qu’il entend laisser au créancier bénéficiaire. Le pouvoir en cause sur la chose peut aussi bien être une possession qu’une simple détention précaire. Il est, en effet, souvent affirmé que le bail constitue un contrat de mise à disposition591 puisque « ce qui caractérise le bail réside précisément dans cette obligation d’assurer la jouissance de la chose, le loyer constituant le prix de cette

jouissance »592. Or il est tout aussi classiquement affirmé que le bail n’opère la

mutation que de la simple détention précaire et non de la possession593. Néanmoins, à l’occasion d’un contrat de vente dans lequel le transfert de la propriété est différé, l’objet de la mise à disposition à la charge du vendeur est de permettre à l’acquéreur d’obtenir la possession de la chose. Il est, dès lors, possible d’affirmer que la nature du pouvoir octroyé par la mise à disposition ne dépend que du pouvoir dont se dessaisit le tradens.

591 V. par ex. J. HUET, sous la direction de J. GHESTIN, Traité de droit civil, Les principaux contrats spéciaux, op. cit., n°21105, « le bail est un contrat par lequel on met une chose à la disposition d’autrui pour en faire usage » ; P.-H.ANTONMATTEI et J. RAYNARD, Droit civil - Contrats spéciaux, op. cit., n°251, « la prestation caractéristique du bail réside dans la mise à disposition d’une chose à titre temporaire » ; F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE,

Contrats civils et commerciaux, op. cit., n°493. Pour une utilisation de l’expression "mise à disposition" par la jurisprudence en matière de bail, V. par ex. Cass. civ. 3e, 13 février 2002, Bull. civ. III, n°40.

592 A. BÉNABENT, Droit civil – Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., n°302 ; sur cette obligation V. Infra, n° 180 et s.

593 Le bailleur reste alors possesseur de la chose, mais il la possède corpore alieno ou animo solo.

Dans l’hypothèse où la mise à disposition n’a pour objet que le transfert de la détention, celui-ci ne se dessaisit que du corpus. L’objet de la mise à disposition est d’ailleurs similaire lorsque l’opération consiste en la mise en possession du bénéficiaire. Ainsi, dans le cadre d’un contrat de vente dans lequel la propriété est transférée instantanément, le vendeur a déjà renoncé à l’animus par le contrat, lequel a été transféré parallèlement au droit transmis594. Le tradens n’est alors plus possesseur et ne peut, à ce titre, que transférer la détention du bien. Dans certaines situations néanmoins, l’objet de la mise à disposition est la possession du bien. Tel est notamment le cas lorsque dans le contrat de vente a été stipulée une clause de réserve de propriété595. La mise à disposition consiste alors pour le tradens à renoncer non seulement au corpus, mais également à l’animus. La mise à disposition d’un bien ne consistant qu’en la dessaisine du tradens – la perte du pouvoir matériel exercé sur la chose – la nature du pouvoir transféré n’entre pas en jeu dans la qualification. L’objet de la mise à disposition ne peut ainsi être déterminé catégoriquement, tout dépend de la nature du contrat en exécution duquel elle intervient.

114 - L’indifférence du caractère temporaire du pouvoir acquis. Une opération tendant à la mise à disposition est fréquemment qualifiée de la sorte en contemplation de son caractère temporaire. Ainsi, selon une partie de la doctrine, elle n’emporterait la mutation d’un pouvoir que pour un temps limité596. Une telle conception de la notion peut notamment s’appuyer sur un arrêt de la Chambre criminelle rendu le 7 mai 1969 affirmant de façon péremptoire que « mettre à la disposition c’est conférer à quelqu’un l’usage et l’utilisation d’une chose tout en conservant sur cette dernière le droit de la reprendre à plus ou moins brève

594 V. Supra, n° 32.

595 V. Supra, n° 107.

596 En ce sens, V. A. SÉRIAUX, Droit civil, Contrats civils, op. cit. n°47, et du même auteur, La notion juridique de patrimoine. Brèves notations civilistes sur le verbe avoir, RTD civ. 1994, p.801, « la possession peut être qualifiée de provisoire lorsqu’elle est fondée sur un titre qui ne confère au possesseur qu’un droit à la mise à disposition, forcément momentanée [nous soulignons], du bien, soit en vue de son utilisation (bail, prêt), soit, à plus forte raison, en vue de sa seule conservation (dépôt, séquestre) » M. BEHAR-TOUCHAIS et G. VIRASSAMY, Traité des contrats – Les contrats de la distribution¸ sous la direction de J. GHESTIN, LGDJ, 1999, n°41 ; P. VEAUX-FOURNERIE et D. VEAUX, J.-Cl. Contrats – Distribution, fasc. 2070, Contrats de mise à disposition, n°10, « le contrat de mise à disposition n'a en principe, qu'un caractère temporaire » ; M.-A. RAKOTOVAHINY, Le contrat de mise à disposition d'une chose : un contrat par défaut ?, préc., « la conclusion d'un contrat de mise à disposition, même si elle n'est pas consciente, correspond au besoin d'une chose pour un usage précis et limité, le temps d'une mission » ; S. MAZEAUD-LEVENEUR, Les conventions de mise à disposition en droit rural, in

Liber amicorum Philippe Malaurie, Defrénois, 2005, p.303, spéc. p. 326, le bénéficiaire d’une mise à disposition, ne peut « jamais en disposer » ; Rappr. S. BERNHEIM-DESVAUX, La responsabilité contractuelle du détenteur d'une chose corporelle appartenant à autrui, op. cit., n°3, qui estime que la mise à disposition n’est susceptible d’emporter que la détention de la chose et, partant, oblige nécessairement le bénéficiaire à restituer.

échéance »597. Dans cette acception, la mise à disposition impliquerait nécessairement une restitution de la chose à l’échéance du contrat. Cependant, les diverses études menées pour tenter de définir la notion de mise à disposition s’inscrivent dans une tentative de systématisation de la catégorie des "contrats de mise à disposition". Or si cette catégorie de contrats peut ne viser que les contrats emportant un usage temporaire, cela ne signifie pas que l’opération de mise à disposition, en elle-même, emporte toujours une emprise sur la chose à titre précaire. L’opération que constitue la mise à disposition semble recouvrir une réalité plus large.

Comme en attestent certains arrêts de la Cour de cassation, la délivrance en tant qu’exécution du contrat de vente est fréquemment analysée comme une mise à disposition598, mais cela ne signifie pas que la vente est un contrat de mise à disposition. La mise à disposition, nécessaire en vue de l’exécution d’une vente, ne saurait être considérée comme emportant une mutation du bien à titre temporaire. Ce constat amène certains auteurs à considérer que, lorsqu’elles interviennent en exécution d’un transfert de propriété, il ne s’agit que de « fausses mises à

disposition »599. La critique peut toutefois être dépassée, en considérant que la

délivrance consiste non pas en une mise en possession mais en un simple dessaisissement, correspondant pleinement à la notion de mise à disposition600. De plus, refuser de lier délivrance et mise à disposition semble attacher trop d’importance à la source de cette mise à disposition. L’opération en question n’est pas liée au transfert du droit mais au contrat : dès lors l’obligation de délivrance ne doit pas être rattachée au transfert de propriété. Cette affirmation trouve tout son sens lorsque le transfert du droit est retardé. Le vendeur doit opérer la délivrance de la chose alors même qu’il est toujours propriétaire du bien : la délivrance ne suit pas le transfert du droit mais le précède. Ainsi « détachée du transfert de propriété, l’obligation se relie

directement au contrat. Le vendeur doit [délivrer] non plus parce qu’il détient la chose

d’autrui, mais parce qu’il est vendeur »601. L’étude menée permet d’affirmer que la

notion de mise à disposition ne doit pas être influencée par un éventuel effet translatif de propriété du contrat duquel elle procède. Il est donc possible d’affirmer que l’expression "mise à disposition" peut être utilisée tant en matière d’octroi d’un

597 Cass. crim. 7 mai 1969, Bull. crim. n°158.

598 V. par ex. Cass. civ. 1ère, 19 mars 1996, Bull. civ. I, n°147, « il incombait au vendeur de prouver qu'il avait mis la chose vendue à la disposition de l'acheteur dans le délai convenu » ; Cass. com. 17 avril 1961, Bull. civ. IV, n°163, « dès lors [que les juges] constatent qu’une marchandise individualisée a été mise à la disposition de l’acheteur ».

599 P. VEAUX-FOURNERIE et D. VEAUX, J.-Cl. Contrats – Distribution, fasc. 2070, Contrats de mise à disposition, n°101 et s.

600 V. Infra, n° 115 et s.

pouvoir sur un bien à titre temporaire qu’à titre définitif602. Aussi, la précarité ne semble-t-elle pas constituer un élément fondamental de la notion de mise à disposition ; la restitution n’est pas irréductible de cette opération. L’essence de ce concept paraît se trouver, avant tout, dans l’octroi au bénéficiaire d’une certaine mainmise, à quelque titre que ce soit, sur la chose. En résumé, l’opération de mise à disposition d’une chose vise à permettre de conférer à l’accipiens « un certain pouvoir sur le bien qui n’est pas sans rappeler, mais hors du domaine contractuel, celui qui est

conféré aux héritiers sur une universalité par la saisine ou l’envoi en possession »603.

Définie comme un moyen d’octroyer à son bénéficiaire un pouvoir sur un bien, la notion de mise à disposition semble convenir afin de cerner l’aspect matériel de la délivrance.

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