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La spécificité de la sanction du retirement

marchandises qu’il a achetées. Il est nécessaire que les rapports juridiques nés du contrat se

B. L’enlèvement, une opération matérielle saisie par le droit

2. La spécificité de la sanction du retirement

132 - Analyse de la sanction. Suivant l’article 1657, le défaut de retirement715 dans le délai prévu, peut entraîner une conséquence dérogatoire du droit commun. Le texte prévoit, en effet, que la vente peut être résolue « de plein droit et

712 Contra, J. HUET, Les principaux contrats spéciaux, op. cit., n°11430, « on imagine moins, toutefois, que [la prise de livraison] soit nécessaire pour des droits incorporels, dont la cession suffit à mettre le bénéficiaire en état d’en faire usage ».

713 J.-L.-F. De WEGMANN, De la translation conventionnelle du droit de propriété, Paris, Typographie Hennuyer, 1861, n°9, p. 14, l’auteur s’appuie sur un texte de PAUL au Digeste, Đ. 41, 2, 3, 1, « apiscimur possessionem corpore et animo, neque per se animo aut per se corpore » : « on acquiert la possession par les sens et l’intention, et non par l’un des deux uniquement ».

714 Une loi du 31 décembre 1903, modifiée par une loi du 31 décembre 1968 impose également une obligation de retirement à celui qui a placé chez un professionnel des objets mobiliers pour être « travaillés, façonnés, réparés, ou nettoyés ». Si le retirement n’est pas effectué dans un délai d’un an (six mois s’il s’agit d’un véhicule automobile), l’entrepreneur peut revendre le bien. Pour une application de ces dispositions V. Cass. civ. 1ère, 21 février 1989, Bull. civ. I, n°85.

715 En ne retirant pas les marchandises vendues et s’il ne peut justifier d’aucun motif légitime justifiant une telle inexécution, l’acheteur commet nécessairement un manquement à son obligation de retirement. V. en ce sens, CA Rouen, 1ère ch. civ., 17 septembre 1997, Juris Data n° 1997-048745 ; CA Rennes, 1re ch. B, 7 novembre 1997, Juris Data n° 1997-048934.

sans sommation » par le vendeur716. Ce dernier n’est, néanmoins, pas privé de la faculté d’invoquer les sanctions issues du droit commun : l’exécution forcée et la résolution judiciaire. Le Code lui octroie une option entre les remèdes traditionnels et la sanction spécifique qu’est la résolution de plein droit. L’inexécution de l’obligation de l’acheteur apparaît ainsi plus sévèrement sanctionnée que les obligations d’un

« débiteur quelconque »717, et même de façon plus rigoureuse que l’inexécution de son

obligation de payer le prix de la vente718. Devant la rigueur du texte, il a été soutenu qu’il ne trouvait à s’appliquer qu’à l’occasion d’une vente civile, à l’exclusion des ventes commerciales. Telle semble être l’opinion des codificateurs, qui, suite aux débats parlementaires sur l’article 1657, substituèrent au terme « marchandise » ceux de « denrées et effets mobiliers », afin de lever l’ambigüité719. Un argument d’ordre économique pouvait alors être invoqué à l’appui de cette thèse. Il a pu être soutenu qu’en retenant un tel principe à l’occasion d’une vente commerciale, « un vendeur, dans les cas où le prix des choses augmenterait, pourrait abuser d’un tel principe en se disant dégagé par le seul fait que l’acheteur n’est pas venu prendre la livraison le

jour fixé »720. Toutefois puisque la lettre de l’article ne distingue pas entre ventes

civiles et commerciales et que le Code de commerce, promulgué plusieurs années après le Code civil, n’a pas apporté de dérogation à ce principe721, une solution inverse

716 En l’absence de stipulation d’un délai dans le contrat, les parties peuvent se référer implicitement aux usages commerciaux. À défaut de toute stipulation ou usage, le défaut de retirement n’entraîne pas de plein droit la résolution. La mise en demeure de retirer, qui est un acte unilatéral, ne peut remplacer l’exigence du délai. En ce sens, V. H., L., et J. MAZEAUD,

Leçons de droit civil, t. III, vol. II, Principaux contrats, 2e partie, par M. De JUGLART, op. cit., n°1025 ; Rappr. V. MARCADÉ, Explications théorique et pratique du Code civil, T. VI, Paris, Delamotte et fils, 7e éd., 1875, p. 309, qui considère que la résolution de plein droit pour défaut de retirement dans le délai fixé, « est une règle trop sévère, trop exorbitante, pour qu’on puisse l’étendre aux cas non prévus ; or notre article ne la pose que pour le cas d’un terme convenu » ; Contra, R.-T. TROPLONG, De la vente, T. II, op. cit., n°679, qui considère que la « sommation suffira, et [qu’]il ne sera plus nécessaire, (…), de faire prononcer la résolution en justice ».

717 Selon l’expression de J. HUET, op. cit., n°11434.

718 H., L., et J. MAZEAUD, op. cit., n°1025.

719 V. LOCRÉ, T. XIV, p. 60, « M. CAMBACÉRÈS dit que toute équivoque sera levée par le procès verbal, qui indiquera que l’article n’est pas applicable aux matières de commerce ».

720 J.-M. PARDESSUS, Cours de droit commercial, T. II, Des contrats commerciaux autres que ceux du commerce maritime, Plon, 6e éd., 1856, n°288.

721 En ce sens, V. R.-T. TROPLONG, De la vente, T. II, op. cit., n°678. L’auteur considère que la distinction entre vente commerciale et vente civile est « très inexacte ». Il estime, par ailleurs que certains usages commerciaux, avant l’entrée en Code civil, consacraient déjà des hypothèses dans lesquelles les vendeurs pouvaient résilier la vente sans que l’acheteur ait été mis en demeure de prendre livraison. Il appuie sa démonstration en citant l’article 218 de la coutume de Chalons qui précise que « marchands forains, soit qu’ils baillent arrhes ou non, sont tenus de prendre livraison de la marchandise dans les vingt jours, et perd, l’acheteur, ses arrhes s’il ne la prend pas dans ledit temps, soit qu’elle soit revendue ou non, s’il n’y a convention ou sommation en justice contraire ». L’auteur poursuit en citant l’article 278 de la coutume de Laon qui dispose que « marchandise vendue se doit lever dedans vingt jours, s’il n’y

a pu être retenue par la jurisprudence722. La solution se comprend parfaitement et résulte de l’application de l’article 1107 du Code civil qui pose le principe suivant lequel les règles établies en matières civiles ont vocation à régir les contrats commerciaux à défaut de dispositions spéciales dérogatoires.

133 - L’explication de la spécificité de la sanction. La faculté, reconnue au vendeur de meubles de pouvoir déclarer la vente résolue de plein droit en cas de défaut de retirement dans le délai prévu, semble avoir été consacrée en contemplation d’intérêts essentiellement économiques. Les codificateurs ont souhaité que le vendeur soit à l’abri d’une éventuelle dépréciation du bien vendu. Expliquant ce principe, PORTALIS, affirmait, en effet, que « les denrées et les effets mobiliers ne circulent pas toujours dans le commerce avec le même avantage ; il y a une si grande variation dans les prix de ces objets que le moindre retard peut occasionner un préjudice

irréparable »723. Aussi, l’article 1657 apparaît-il comme un rempart contre les lenteurs

d’une éventuelle procédure judiciaire tendant à obtenir la résolution de la vente, qui

« pourraient faire souffrir à un vendeur la charge des détériorations »724. Au-delà

même des intérêts du vendeur, ces dispositions semblent édictées afin de favoriser le commerce en ce qu’elles permettent une meilleure circulation des marchandises725 : le vendeur pouvant considérer la vente résolue dès le délai de retirement dépassé, il peut remettre le bien en vente rapidement. Enfin, comme le note un auteur, une rapide libération des locaux dans lesquels sont entreposés les effets mobiliers vendus favorise également la circulation des biens ; en effet, « le législateur a voulu que le vendeur d’une chose mobilière destinée à la circulation d’une richesse ne fut pas embarrassé au delà du terme convenu par une chose exposée à une dépréciation plus ou moins longue et dont il n’aurait entendu assurer la garde que pour un temps limité. Il lui importe, il importe même à l’intérêt général, que ses locaux soient désencombrés

au plus tôt de marchandises dont il n’a plus que faire»726. Le retirement prend donc les

traits d’une obligation économiquement indispensable tant dans l’objectif de préserver les intérêts du vendeur, que dans celui de faciliter la circulation des biens. Sa sanction en cas d’inexécution se justifie ainsi pleinement au regard des impératifs économiques : les biens meubles non retirés doivent pouvoir être remis en vente

a autre convention ; et, à faute de ce faire dedans ledit temps, sont les arrhes perdus, et peut le vendeur faire son profit ailleurs de sa marchandise ».

722 Cass. 27 février 1828, D. 1828, 1, 146 ; Cass. req. 22 décembre 1920, S. 1921, 1, 197.

723 J.-E.-M. PORTALIS, in FENET, T. XIV, p. 124.

724 M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. X, op. cit., n°287.

725 En ce sens, G. BAUDRY-LACANTINERIE et L. SAIGNAT, Traité théorique et pratique de droit civil, T. XVII, De la vente et de l’échange, op. cit, n°594.

rapidement727. De même, la crainte d’une telle sanction peut inciter l’acheteur à exécuter son obligation plus vite, ce qui favorise une meilleure exécution du contrat.

134 - Synthèse. Détaché de certaines notions auxquelles il est parfois assimilé, l’enlèvement se dote d’un contenu propre et d’un champ d’application important. Véritable obligation ou simple incombance, il traduit la part de matérialité indispensable à la réalisation du contrat portant sur une chose. S’il ne se rapporte qu’à l’acquisition de l’emprise sur la chose, par son déplacement ou par le fait de faciliter l’exécution de son obligation par le vendeur, son rayonnement est impressionnant. Il prend, en effet, les traits du nécessaire complément de la délivrance réalisée par le

tradens. De ce fait, il a vocation à s’appliquer toutes les fois qu’un contrat emporte la

mise à disposition d’un bien. Peu étudié mais innervant les relations contractuelles, l’enlèvement produit nécessairement certains effets de droit.

§ 2. Les utilités de l’enlèvement

135 - La manifestation d’un système rationnel. Il est envisageable que l’enlèvement s’inscrive dans un système particulièrement rationnel mis en place par les codificateurs. Le fait de consacrer, pour la vente de biens meubles, une obligation de retirement, entérine l’idée selon laquelle la délivrance n’est pas nécessairement une remise de la chose, mais s’analyse au contraire comme une mise à disposition. De même, il semble que certains effets du contrat de vente ne peuvent s’expliquer qu’en contemplation de l’exigence d’un enlèvement. Il est en effet précisé par le Code civil que les risques suivent le transfert du droit de propriété : ce principe se justifie, non

727 Il est intéressant de constater que le Code de la consommation prévoit le pendant du droit de résolution unilatérale du vendeur, en accordant un droit pour l’acquéreur de biens meubles consommateur de dénoncer le contrat faute de livraison dans le délai prévu. L’article L. 114-1 alinéa 2 du Code de la consommation prévoit, en effet, que « le consommateur peut dénoncer le contrat de vente d’un bien meuble ou de fourniture d’une prestation de services par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en cas de dépassement de la date de livraison du bien ou d’exécution de la prestation excédant sept jours et non dû à un cas de force majeure », pour un exemple d’application V. CA Paris, 21 janvier 1997, RJDA 1997, n° 630; CCC 1997, n° 105, obs. G. RAYMOND. De même, l’alinéa 4 de ce texte instaure un véritable droit pour le consommateur de revenir sur son engagement lorsque la vente n’a pas de caractère ferme et définitif : « Sauf stipulation contraire du contrat, les sommes versées d’avance sont des arrhes, ce qui a pour effet que chacun des contractants peut revenir sur son engagement, le consommateur en perdant les arrhes, le professionnel en les restituant au double ». Pour un exemple d’application V. CA Orléans, 13 avril 1994, D. 1996, somm. p. 11, obs. G. PAISANT, selon qui le professionnel peut pallier les inconvénients de cette situation à son égard en stipulant que les sommes versées par avance ne constituent pas des arrhes mais un acompte, ce qui aurait pour effet de rendre ferme et précise la commande.

pas en raison de la qualité de propriétaire de l’acheteur, mais plutôt parce qu’il est tenu par rapport à la chose vendue (A). Par ailleurs, l’enlèvement traduit l’acquisition par le bénéficiaire de la mise à disposition d’une emprise sur la chose. Aussi, l’enlèvement de la chose permet-il la réalisation du but contractuel visé par les parties : accorder une emprise sur la chose (B).

A. L’explication du principe du transfert des risques en

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