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L’apparente subordination de la restitution à la conservation

b. La réalisation d’un paiement

A. La recherche de l’unité fonctionnelle de l’obligation de restitution

2. L’apparente subordination de la restitution à la conservation

86 - La force des liens entre restitution et conservation. Les liens entre l’obligation de restitution et de conservation sont si forts qu’il est souvent difficile de tracer clairement la frontière les séparant et par conséquent de définir celle qui est la source de la responsabilité441. L’obligation de restitution n’est exigible qu’à l’échéance du contrat alors que l’obligation de conservation l’est tout au long de l’emprise sur la chose. Néanmoins, ce n’est qu’au moment de la restitution que l’inexécution ou la mauvaise exécution de la conservation peut être constatée. Partant, différentes propositions sont formulées afin de délimiter le champ d’application respectif de chacune des obligations.

Certains auteurs ont vu dans les obligations de restitution et de conservation une seule et même obligation442. Suivant cette théorie de « l’unicité de l’obligation de

restitution »443, il n’existe qu’une seule et même obligation à la charge du débiteur,

celle de conserver et de restituer. La conservation n’est ainsi que le moyen d’une fin que constitue la restitution. La restitution englobe alors la conservation. Cette présentation est toutefois critiquable car, comme le démontre un auteur, la conservation n’est pas un moyen de l’obligation de restitution, elle en constitue plus un accessoire444.

De même, selon certains auteurs, le régime de l’obligation de restitution est attiré par celui de la conservation. L’obligation de restitution de résultat subit l’attraction de l’obligation de conservation de moyens et devient une obligation à

441 J.-J. BARBIERI, Contrats civils, contrats commerciaux, Masson, Armand Colin, séries droit, 1995, p. 162, « c’est à l’époque de la restitution que l’on peut faire le bilan des négligences éventuelles du dépositaire ».

442 H., L. et J. MAZEAUD et A. TUNC, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. 1, Montchrestien, 6e éd., 1965, n°706-4 ; A. TUNC, Le contrat de garde, préface H. SOLUS, Dalloz, 1942, n°169 ; M. AMIOT, Essai sur la faute contractuelle et la charge de la preuve en droit français, thèse Paris, 1945, p. 272 ; Rappr. R.-J. POTHIER, Traité du nantissement, in Œuvres de POTHIER, T. V, par M. BUGNET, Cosse et Marchal, Plon, 2e éd., 1861, n°32, « tout débiteur qui est obligé à rendre une chose, est obligé à la conserver pour la rendre ; l’obligation de la fin renferme celle des moyens nécessaires pour y parvenir ».

443 S. BERNHEIM-DESVAUX, op. cit., n°76.

444 C. BRUNETTI-PONS, L’obligation de conservation dans les conventions, préface Ph. MALINVAUD, PUAM, 2003, « l’obligation de conservation ne constitue pas exactement le moyen d’exécuter les obligations de restitution et de livraison ; elle en représente l’accessoire nécessaire pendant toute la durée qui précède la fin du rapport de droit, ce qui n’est pas exactement la même chose. Le moyen se situe dans une situation hiérarchiquement inférieure à la fin (position subordonnée), c’est la fin qui commande les moyens et ceux-ci n’ont pas d’existence indépendante de celle-là. L’accessoire, au contraire, découle du principal mais accède alors à une existence propre et indépendante de lui », n°379.

régime hybride445. La théorie présentée a le mérite d’expliquer les présomptions de faute du détenteur admises par la jurisprudence446 lorsque la chose est perdue ou détériorée. Dans cette hypothèse, l’obligation de restitution prend les traits d’une obligation de moyens renforcée ou de résultat atténuée : ce n’est plus vraiment une obligation de résultat puisqu’il faut établir la faute du débiteur, mais ce n’est pas non plus une obligation de moyens car la charge de la preuve du fait exonératoire pèse sur le débiteur. La restitution apparaît comme étant « dans la mouvance de l’obligation de

conservation »447, puisqu’elle suit son régime. La présence d’une obligation de

conservation modifie le régime de la restitution.

Il peut être noté que la thèse de l’attraction ne rend pas compte de l’attitude de la jurisprudence en la matière. Le constat est plus radical, les deux obligations se trouvent alors imbriquées l’une dans l’autre448. Il ne s’agit, dès lors, pas d’une simple attraction du régime de la restitution vers celui conservation mais d’une véritable absorption449 de la première par la seconde. Ainsi, à l’occasion d’une perte de la chose450, les juges recherchent la responsabilité du détenteur non pas sur le fondement de la restitution mais sur celui de la conservation451. La situation se comprend : si la chose a été perdue, le débiteur ne peut la restituer, mais seul le champ de la conservation permet d’apprécier les circonstances de la perte de la chose et de la non-restitution. La solution proposée est, dès lors, en faveur du débiteur puisqu’il bénéficie de la possibilité d’invoquer des causes exonératoires. La restitution est ainsi totalement absorbée par la conservation452, ce qui permet de délimiter clairement le champ d’application respectif des deux obligations.

445 M.-L. MORANÇAIS-DEMEESTER, préc., n°35 et s., spéc. n°47, « l’obligation de restitution

[…], par nature de résultat, est attirée vers le régime de l’obligation de moyens, parce que l’obligation de conservation est elle-même de moyens et que la conservation de la chose à restituer est une opération essentielle ».

446 V. par ex. Cass. civ. 1ère, 24 juin 1981, préc., « de la combinaison des articles 1927 et 1933 du Code civil, il résulte que si le dépositaire est bien tenu d’une obligation de moyens, il lui appartient en cas de perte de la chose déposée, de prouver qu’il est étranger à cette détérioration, en établissant qu’il a donné à cette chose les mêmes soins qu’il aurait apportés à la garde de la chose lui appartenant » ; Adde, pour le prêt à usage Cass. civ. 1ère, 4 janvier 1977, Bull. civ. I, n°4 ; RTD civ. 1977, p. 567, obs. G. CORNU ; Cass. civ. 1ère, 6 février 1996, Bull. civ. I, n°68, Defrénois 1996, 1435, obs. A. BÉNABENT.

447 J. HUET, Traité de droit civil, Les principaux contrats spéciaux, op. cit., n°21195.

448 S. BERNHEIM-DESVAUX, op. cit., n°77.

449 G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, sous la direction de J. GHESTIN, LGDJ, 2e éd., 1998, n°546-1.

450 Le cas d’une simple perte de la valeur de la chose ne pose pas de problème, seule la conservation est concernée.

451 V. par ex. Cass. civ. 1ère, 6 mai 1997, Bull. civ. I, n°143 ; Adde, la démonstration en ce sens de S. BERNHEIM-DESVAUX, op. cit., n°79 et 81.

87 - La délimitation claire entre restitution et conservation. En raison de l’absorption, la restitution est exclue du débat : dès lors qu’une perte ou une détérioration existe, seule la conservation doit s’appliquer. Le mauvais état de la chose lors de la restitution fait présumer la faute du débiteur dans la conservation, mais ne permet pas de conclure à une inexécution de l’obligation de restitution. Jointe à une obligation de conservation, la restitution n’a donc pas d’autonomie propre lorsqu’il s’agit de sanctionner la perte ou la détérioration de la chose. Cela semble confirmer l’idée selon laquelle l’emploi des termes "obligation de restitution" recouvre plusieurs réalités. Restituer en bon état est le fruit de la conjonction entre conservation et restitution mais revient à ne prendre en compte que la conservation. À l’opposé, la restitution "pure" ne peut être invoquée que dans les situations où la chose n’a pas subi de détérioration mais où le débiteur refuse de restituer ou a restitué tardivement453. L’absorption de la restitution par la conservation permet ainsi de mieux en cerner les contours.

Considérer que la restitution et la conservation ont chacune un champ d’application distinct permet également de dépasser le débat portant sur l’éventuelle hybridité du régime de l’obligation de restitution. Si, au moment de la restitution, la chose est détériorée ou perdue, cela laisse penser que la conservation n’a pas été correctement exécutée. De cette considération, la loi et la jurisprudence déduisent une présomption de faute dans la conservation de la part du débiteur. La présomption posée ne change pas l’intensité de l’obligation mais inverse seulement la charge de la preuve ; « il s’agit donc d’une règle de preuve et non d’une règle de fond qui

conduirait à alourdir le contenu des obligations »454 du détenteur de la chose. Il n’est

donc pas nécessaire de parler d’obligation de moyens renforcée ou d’obligation de résultat diminuée. Le renversement de la charge de la preuve n’influence en rien le contenu des obligations contractées par le débiteur. L’obligation de restitution, dépouillée de toute obligation de conservation, trouve donc une certaine forme d’unité. Unité de contenu, tout d’abord, puisqu’elle ne consiste que dans la remise de la chose au créancier, dans l’état où elle se trouve au terme du contrat. Unité de régime, ensuite, car elle doit toujours être considérée comme une obligation de

453 C. LARROUMET, obs. sous Reims, 28 juin 1976, D. 1978, IR., p. 207, qui considère que « l’obligation de restituer ne concerne que l’obligation de remettre (ou son équivalent lorsqu’elle a disparu) au moment voulu. Lorsque la chose n’est pas remise, ou lorsqu’elle est remise en mauvaise état, c’est de l’inexécution de l’obligation de garde qu’il s’agit et non pas de celle de restituer».

454 P. PUIG, Contrats spéciaux, op. cit., n°974 ; Adde S. BERNHEIM-DESVAUX, op. cit., n°82 ; au-delà il est possible de voir ici une simple application de l’article 1315 al. 2 du Code civil. Celui-ci dispose, en effet, que « celui qui se prétend libéré [d’une obligation], doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». Le débiteur de la conservation doit donc prouver qu’il n’a pas manqué à son obligation et ainsi renverser la présomption de faute.

résultat : le simple fait de refuser de restituer ou de restituer postérieurement à l’échéance prévue engage la responsabilité du débiteur et celui-ci ne peut s’exonérer qu’en prouvant le cas fortuit. Il est ainsi possible de découvrir une véritable unité fonctionnelle de l’obligation de restitution. De la même façon, l’étude de la cause de cette obligation permet d’en démontrer une unité de source. À la question "pourquoi le bien doit-il être restitué ?", la réponse est toujours la même : parce que la chose détenue n’appartient pas à la personne qui la détient. Malgré l’apparente naïveté de cette interrogation et la simplicité de la réponse apportée, il est possible d’en extraire un fondement commun à toute restitution.

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