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La réalité du retirement, la prise de pouvoir sur la chose

marchandises qu’il a achetées. Il est nécessaire que les rapports juridiques nés du contrat se

B. L’acquisition d’un pouvoir sur la chose

2. La réalité du retirement, la prise de pouvoir sur la chose

144 - La détermination du pouvoir acquis par l’auteur du retirement. Le retirement est parfois présenté par la doctrine771 ou la jurisprudence772 comme traduisant pour l’acheteur la prise de possession. Cette présentation n’apparaît cependant pas tout à fait conforme à la conception actuelle du transfert de propriété. Il semble, en effet, que l’animus étant transféré en même temps que le droit réel, l’acheteur est déjà possesseur de la chose avant le retirement. Néanmoins, l’emploi de l’expression "prise de possession" en la matière relève plus, selon toute vraisemblance, de la facilité de langage que de l’approximation juridique. Le vendeur n’étant plus que détenteur à titre précaire, le retirement ne saurait porter sur un autre pouvoir. Telle est, d’ailleurs, la conception de la doctrine majoritaire qui ne voit dans l’exécution de cette obligation que l’acquisition de la détention. Ainsi, « l’obligation de prendre livraison implique un transfert, qui n’est ni de propriété, ni de possession,

mais de détention »773. « La possession étant insuffisante »774, l’obligation à la charge

de l’acheteur ne peut donc être réputée exécutée que lorsque celui-ci obtient la détention775 du bien vendu776.

771 V. par ex. M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, T. II, op. cit., n°1522 ; J. DERRUPÉ, Encyc. Dalloz, Fonds de commerce, septembre 2008, n°448 ; F. LABARTHE et C. NOBLOT, J.-Cl. Com., fasc. 302, Le contrat d’entreprise, n°206 ; P.-Y. GAUTIER, L'acheteur doit-il se montrer diligent, pour avoir le droit d'invoquer l'exception d'inexécution contre son vendeur ?, RTD civ. 1993, p. 376 ; H. BOUCARD, L'agréation de la livraison dans la vente, Essai de théorie générale,

op. cit., n°18.

772 V. par ex. Cass. com. 27 mai 1986, Bull. civ. IV, n°107.

773 H., L., et J. MAZEAUD, Leçons de droit civil, t. III, vol. II, Principaux contrats, 2e partie, par M. De JUGLART, op. cit., n°1022 ; Rappr. J. HUET, Les principaux contrats spéciaux, op. cit., n°11430, « la prise de livraison opère un simple transfert de détention, du vendeur vers l’acheteur » ; B. GROSS et P. BIHR, Contrats, op. cit., n°423 ; L. MAUGER-VIELPEAU, J.-Cl.

Contrats – Distribution, fasc. 370, Retirement, n°7.

774 J. et E. ESCARRA et J. RAULT, Traité théorique et pratique de droit commercial, Les contrats commerciaux, Sirey, 1953, n°265.

775 V. liant expressément le retirement et la détention, CA Aix en Provence, 15 janvier 1993, jurisdata n°1993-044770.

776 La situation ne semble guère poser de problèmes. Toutefois, elle pourrait être remise en cause par l’Avant-projet de réforme du droit des biens qui définit la détention comme étant « l’exercice licite d’un pouvoir précaire exercé sur un bien en vertu notamment, d’un titre prévoyant sa mise à disposition tel le bail, le dépôt ou le prêt » (art. 559 al. 1er). Envisagée de la sorte, la détention n’apparaît plus comme le simple exercice du corpus possessoire, mais comme un pouvoir totalement autonome sur un bien. Dès lors, le pouvoir acquis par le retirement semble se détacher de la simple détention. Celle-ci n’étant envisagée que sous l’angle d’un pouvoir précaire, il serait inconcevable d’affirmer que l’acheteur, déjà propriétaire du bien, n’acquerrait sur lui qu’un pouvoir temporaire. Il conviendrait dès lors d’opérer une véritable distinction entre détention et corpus. Au sens de l’Avant-projet, par l’exécution de son obligation de retirement, l’acheteur n’acquiert pas la détention du bien mais uniquement le

corpus possessoire. Si la distinction opérée n’apparaît toutefois que purement terminologique, elle démontre les faiblesses de la présentation. Une telle consécration entraînerait

145 - Une opération indispensable à l’acquisition matérielle de la chose. Dans la vente d’effets mobiliers le retirement apparaît donc comme l’étape indispensable à l’acquisition du bien. L’emprise sur la chose acquise par ce biais pourrait même être considérée comme le but ultime poursuivi par l’accipiens. Dès lors, mise en parallèle avec l’obligation de délivrance, « l’obligation de retirement est donc première, en ce sens qu’il revient d’abord à l’acheteur de venir chercher la chose qui lui est délivrée. La chose l’attend, dès la conclusion du contrat, et que le vendeur l’ait

libérée de toute entrave matérielle ou juridique »777. L’exécution de l’obligation de

délivrance n’apparaît ainsi que comme le fait de permettre à l’acheteur de venir retirer la chose778. Il peut paraître surprenant d’accorder un rôle aussi fondamental à une obligation pourtant peu étudiée779. Le dédain de la doctrine par rapport à celle-ci peut cependant être attribué au fait que la notion de délivrance, bien que présentée comme une mise à disposition, est généralement trop liée à une remise de la chose. Néanmoins, il est possible de considérer que dans les hypothèses où la délivrance s’exécute par une remise de la main à la main, le retirement est bien présent. Il est alors presque imperceptible puisqu’il se réalise dans le même trait de temps que la mise à disposition. Le fait pour l’acheteur d’accepter la remise, de prendre le bien que le vendeur lui tend, marque ce retirement. En une fraction de temps, le vendeur s’est dessaisi matériellement de la chose et l’acheteur s’en est emparé. En remettant, il a abandonné son bien, cessé d’exercer son pouvoir et l’acheteur l’a simultanément acquis. L’utilité du retirement se comprend également en ce qu’il matérialise l’acceptation de la chose ; en effet, pour exercer un pouvoir sur un bien, à quelque titre que ce soit, l’accipiens doit le vouloir.

146 - Synthèse. Complément indissociable de la mise à disposition, l’enlèvement devrait se voir confier un rôle plus important par le droit. L’étude de ses

mécaniquement la reconnaissance d’un pouvoir réel innommé sur la chose distinct de la détention mais ne pouvant être considéré à lui seul comme la possession ; Pour une analyse critique de la définition de la détention dans l’avant-projet, V. W. DROSS et B. MALLET-BRICOUT, L'avant-projet de réforme du droit des biens : premier regard critique, D. 2009, p. 508.

777 G. BLANLUET, Le moment du transfert de la propriété, préc., n°19.

778 L’octroi d’une certaine primauté à la prise de livraison par rapport à la délivrance dans la vente n’est pas, en soi, une nouveauté. Il semble que dans l’ancien droit grec, l’accent était également mis sur la réception de la chose par l’acquéreur et non sa transmission par le vendeur. V. en ce sens, L. GERNET, Le droit de la vente et la notion de contrat en Grèce d'après M. Pringsheim, Revue historique de droit français et étranger, 1951, p. 560, spéc. p. 565, « en droit hellénistique, la délivrance ne figure même que très rarement dans les ventes ordinaires. Le terme corrélatif de "recevoir" figure en revanche – mais pas avant l’époque romaine – dans les ventes d’esclaves, d’animaux et de navires ». L’auteur s’inspire ici des travaux de F. PRINGSHEIM, The greek law of sales, Weimar, 1950.

779 La majorité des développements consacrés aux obligations de l’acheteur étant traditionnellement accordée à l’obligation de payer le prix.

effets traduit ses potentialités. D’un point de vue théorique, il permet d’expliquer le mécanisme du transfert des risques prévu par le Code civil qui ne lie pas si fortement risques et propriété. À considérer que c’est plus le contractant obligé quant à la chose que le propriétaire de cette dernière qui se voit confier cette charge, le principe est plus fidèle à son modèle historique et partant, s’éclaire. La formulation devient alors simple : est tenu des risques celui qui est obligé d’enlever la chose. Ensuite, d’un point de vue plus pragmatique, dans une conception où la délivrance s’opère par la mise à disposition, seul l’enlèvement, ou plus précisément le retirement est susceptible de faire acquérir le pouvoir sur la chose à l’acquéreur. La première ne consistant qu’en une dessaisine du bien, la seconde constitue l’indispensable saisine.

147 - Conclusion de section : l’acquisition de l’emprise subordonnée à l’enlèvement. Rarement mentionné par le Code dans les obligations issues d’un contrat opérant la mutation d’une chose, l’enlèvement est cependant déterminant dans l’acquisition de celle-ci. Au stade de sa simple reconnaissance, cette opération matérielle suscite l’hésitation. Elle doit être distinguée de différents actes, auxquels elle pourrait être assimilée à tort, comme l’agréation ou la réception. L’enlèvement se réduit, en effet, à une simple activité matérielle permettant l’acquisition d’un pouvoir sur la chose, et complétant ainsi la mise à disposition. Son importance dans le processus d’acquisition de la chose est néanmoins fondamentale. Si le droit ne le règlemente pleinement qu’en matière de vente d’effets mobiliers corporels, il s’impose naturellement à l’accipiens, même s’il ne peut toujours être qualifié d’obligation. Néanmoins, lorsque l’enlèvement est réglementé et qu’il devient une obligation, sous les traits du retirement cette reconnaissance entraîne une conséquence drastique : son inexécution ouvrant au vendeur la faculté d’invoquer une résolution de plein droit. Par ailleurs, c’est à l’aune du retirement que s’explique la charge des risques que doit supporter l’acheteur : au-delà de sa qualité de propriétaire, il est tenu envers la chose et se voit imputer, à ce titre, la charge du cas fortuit. Enfin, en raison de la dissociation opérée par la doctrine française entre la chose et le droit portant sur la chose, l’enlèvement n’est pas opérant quant au transfert du droit. Il se limite donc à matérialiser l’acquisition du bien transmis, et emporte subséquemment la création d’un pouvoir unissant l’accipiens à la chose.

148 - Conclusion de chapitre : la mise à disposition élément du processus de remise de la chose. Cette étude permet de confirmer et de traduire d’un point de vue juridique le constat purement matériel mené précédemment, mais jusqu’alors limité à la réalité physique des choses, suivant lequel la remise décompose

nécessairement en un double mouvement780: la mise à disposition du bien par l’une des parties et la prise de pouvoir par l’autre781. Cette proposition se comprend : toute mutation d’une chose implique nécessairement son abandon, définitif ou non, par le

tradens, et l’acquisition de certaines prérogatives sur celle-ci de la part de l’accipiens.

Une telle analyse tranche avec la conception traditionnelle du transfert d’une chose qui n’est en principe conçu qu’en une seule étape : la remise. Or la remise ne doit pas être envisagée qu’en fonction du remettant ; « en toute hypothèse, la réception782

joue le rôle d’une interface : d’une part, elle se situe à l’extrémité d’un déplacement, d’une expédition, d’une remise, d’autre part, elle place le destinataire dans une

situation nouvelle, plutôt en position d’acceptant »783. Envisagée du point de vue du

remettant, la mise à disposition, première étape de la remise, ne permet pas l’acquisition du pouvoir. Elle apparaît comme un acte imparfait, à l’image de la traditio

incertæ personæ du droit romain784, puisque seule la perception de la chose par le

destinataire de la remise emporte la création d’effet de droit entre la chose et le bénéficiaire785. Partant, à considérer que la remise n’est pas un acte n’impliquant que

le tradens mais que l’accipiens prend une part active dans le processus d’acquisition

de la chose, la conception de "l’obligation de remise" doit évoluer. En dehors des hypothèses où le Code prévoit explicitement une obligation d’enlèvement à la charge

780 V. Supra, n° 4.

781 Si les développements se sont attachés à démontrer ce double mouvement dans les remises "initiales", le raisonnement a vocation à s’appliquer à l’ensemble des remises. Ainsi, la restitution se décompose également en une mise à disposition et un enlèvement. En ce sens, V. CA Papeete, 31 août 2006, numéro Jurisdata : 2006-327551, qui affirme qu’à défaut de stipulations contractuelles contraires la créance de restitution est quérable et non portable et qu’à ce titre le déposant devait venir enlever les biens entreposés au lieu du dépôt.

782 Le terme d’enlèvement semble toutefois devoir être privilégié.

783 A. OTTENHOF, La réception dans les relations contractuelles, Thèse, Toulouse, 2002, n°4.

784 La traditio incertæ personæ est « celle par laquelle nous nous dessaisissons d’une chose au profit du premier venu qui voudra et pourra s’en emparer », C. ACCARIAS, Précis de droit romain, T. I, op. cit., n°231. Celle-ci était par exemple utilisée lors de don fait à une foule, le

tradens jetant dans le public des pièces de monnaie. V. Instit. L. II, T. I, §46 « hoc amplius interdum et in incertam personam collocata voluntas domini transfert rei proprietatem: ut ecce praetores vel consules qui missilia iactant in vulgus ignorant quid eorum quisque excepturus sit, et tamen, quia volunt quod quisque exceperit eius esse, statim eum dominum efficiunt » : « bien plus, il est des cas où, quoiqu’elle se porte sur une personne incertaine, la volonté du maître transfère la propriété. Ainsi les prêteurs et les consuls qui jettent au peuple de la monnaie, ignorent ce que chacun en aura ; mais comme ils veulent que chacun acquière ce qu’il pourra saisir, ils l’en rendent aussitôt propriétaire », trad. J.-L.E. ORTOLAN, Explication historique des instituts de l’empereur justinien, T. I, Joubert, 3e éd., 1844, p. 406. Les jurisconsultes se divisèrent sur le point de savoir quand la propriété passait au derelinquens. Les Proculiens considéraient que le tradens ne perdait que la possession et qu’il se retenait la propriété des biens jusqu’à ce que ce que la chose fût occupée par un tiers. À l’opposé, les Sabiniens, qui furent suivis par Justinien, estimaient que, de par son geste, il perdait tout pouvoir sur la chose, et que propriété et possession étaient acquises simultanément par le bénéficiaire.

785 En ce sens, V. A. OTTENHOF, op. cit., qui considère que dans les contrats réels c’est la réception qui confère la détention, n°42 et s.

de l’accipiens, seule serait systématiquement saisie par le droit en tant qu’obligation la part active du remettant : la mise à disposition. De la même façon, il peut être constaté qu’une telle interprétation de la remise lui confère, dans certaines hypothèses, une véritable autonomie. Plus précisément, en considérant que ce double mouvement traduit nécessairement un accord de volontés, il n’est pas impossible que la remise puisse, lorsqu’elle n’est pas une obligation être systématisée en tant qu’opération indépendante d’un éventuel contrat.

149 - Conclusion du Titre 1 : la nécessaire évolution vers la remise.

Telle qu’envisagée classiquement, la remise paraît dénuée de toute juridicité. Dépourvue d’effet translatif de propriété, elle voit également son rôle dans la formation se réduire comme une peau de chagrin. Au même titre, alors qu’il serait possible, à première vue, de lui voir jouer un rôle dans certaines opérations elle n’est en réalité qu’un support permettant à la chose de manifester ses pouvoirs. L’étude n’aurait donc d’autre intérêt que de dresser ce constat fort pessimiste. Il n’en est rien. Les présentations traditionnelles ne s’attachent, en règle générale, qu’à évoquer les

remises de choses, conçues comme des éléments purement ponctuels ne présentant guère d’unité. Si cette démarche se comprend, puisque le rapprochement entre les différentes situations dans lesquelles les remises sont amenées à jouer un rôle ne relève pas de l’évidence, elle peut être dépassée. Ce n’est pas par les effets produits qu’il convient de déterminer la nature d’une opération, mais c’est plutôt en en déterminant la nature que les effets peuvent être déduits. Partant, afin de découvrir la nature de la remise il est indispensable de déterminer le minimum irréductible autour duquel toutes les remises gravitent. Quoi de plus naturel alors que de se référer à une conception purement matérielle de l’opération visée ? Seul véritable type de remise auquel le Code accorde des développements substantiels, la délivrance dans le contrat de vente peut ainsi servir de base à l’analyse matérielle. Il est alors frappant de noter que la remise de la chose n’y est pas envisagée uniquement en fonction du vendeur, mais que l’acheteur se voit – du moins dans la vente de meubles corporels – conférer un rôle actif et prépondérant par le biais du retirement. Or si celui-ci est indispensable, cela signifie nécessairement que la remise ne saurait être considérée comme étant parfaitement réalisée du seul fait de la délivrance.En ne concevant plus la remise comme le fruit de la seule activité du tradens et en acceptant de considérer le rôle de l’accipiens dans le processus d’acquisition des choses, elle peut être analysée sous un jour nouveau : celui de la combinaison d’une mise à disposition et d’un enlèvement. Fortement inspirée de la conception de la remise dans la vente de meubles corporels, retenue à demi-mots par le Code, cette décomposition de la remise est inévitable. Si une telle présentation n’est pas de nature à remettre en cause la

faible efficience de la tradition en matière de transfert de propriété ou de formation du contrat, son mérite est toutefois double. Elle permet, tout d’abord, de proposer d’envisager la remise en tant que notion transversale du droit, en ce que toute transmission de bien répond nécessairement à ce double mouvement. Elle autorise, ensuite, à lui accorder une juridicité nouvelle qu’elle intervienne ou non en exécution d’un contrat.

TITRE 2

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